[Ellipse] Sans un adieu. [Solo]

Fin Karfias
An 12:XI

Frontières Sud de l’Anaëh

La journée s’achevait. Le soleil se couchait sur la lisière de la forêt. Si son coeur était déjà plongé dans le noir, ici Anaëh était plus clairsemé et laissait entrer la faible lumière du crépuscule. Rien ne pouvait arrêter le froid de l’hiver qui mordait à pleines dents la peau qui n’avait pas été soigneusement recouverte, soufflant les flocons qui s’étendaient en congères sur les rares sentiers qui sillonnaient les environs.

Au milieu des arbres qui parsemaient cette terre, une silhouette avançait. Ne réagissant qu’à peine à ce qui l’entourait. Rien ne semblait pouvoir l’arrêter dans sa progression, pas même ce froid qu’elle avait en horreur et qui glaçait sa peau. Cela faisait des jours qu’elle suivait ce bruit… Un simple tintement qui raisonnait dans le néant, le vide qui la séparait de la source de l’appel. Tel un serviteur bien éduqué, elle aurait reconnu ce mince appel dans le plus grand des vacarmes. Mais elle n’y répondait pas par volonté. Elle avait été conditionnée pour le faire. Si bien qu’elle n’avait d’autre choix que de se rendre à sa source. Privée de sa liberté de penser, privée de son Souffle, privée de tout accès à son esprit lui-même. Elle était telle une coquille vide, une marionnette qui ne faisait que ce qu’on lui demandait.

Depuis Tethien, elle avait marché dans relâche, usant de sa magie pour accélérer le mouvement chaque fois qu’elle en avait la possibilité. Elle avait à peine bu et mangé. Son corps était déjà anémié et manquait de tout. Ses traits étaient creusés par la fatigue et la faim. Ses cheveux conservaient les preuves de son passage dans les buissons et les branches. Sa robe, d'apparence encore plus large que d’habitude pour sa silhouette si frêle, était déchirée en plusieurs endroits et n’était plus si blanche. Son bras portait quatre traits parallèles et ensanglantés. Le sang était sec depuis longtemps déjà. Elle ne s’était plus reposée que dans les ombres depuis.

Epuisée, elle s’approcha d’une clairière.
Quelqu’un se tenait debout en son centre. Les pieds écartés, les mains dans le dos, il semblait l’attendre.
Regardant le sol, la petite elfe avança et pénétra dans les rayons du soleil couchant pour apparaître à ses yeux.
Elle s’arrêta à quelques pas.
Elle ne dit rien.

L’homme l’observa une seconde puis s’approcha d’elle lentement. Lorsqu’elle fut à portée de sa main, il attrapa son menton et la força à lever la tête sans ménagement. Il observa le côté droit, le côté gauche, et vérifia qu’elle conservait les yeux baissés. Il lâcha prise et arracha sa manche gauche, découvrant sa peau d’albâtre tâchée de terre et de mousse. Le drow grimaça à la vue de cette peau glacée et parfaite avant de se saisir vigoureusement de son poignet pour en ausculter la face intérieure.

Le revers de sa main noire vint violemment frapper la joue de la jeune fille qui fut projetée au sol sous la puissance du coup. Il était mécontent et elle savait pourquoi…
Ils avaient effacé la marque…
SA marque.
La preuve qu’elle lui appartenait.
A lui.

Et elle n’avait rien fait pour l’empêcher...

Un instant plus tard à peine, d’autres coups fusèrent.
Un pied la frappa au ventre.
Aux côtes.
Aux jambes.
Au visage…

Jamais elle ne tenta d’esquiver. Elle encaissa sans rien dire car elle savait qu’elle méritait son châtiment.
Cela dura longtemps… Moins qu’elle le croyait mais peut-être avait-elle perdu l’habitude. Lorsqu’il arrêta enfin, elle ne réagit pas tout de suite… Et alors qu’elle bougeait enfin, une main vint se saisir de sa gorge pour la forcer à se lever. Une fois debout, le bras continua à monter plus haut… Toujours plus haut… Tant et si bien que les pieds de la petite elfe ne touchèrent rapidement plus terre.
Elle ne montra aucune réaction. Elle n’essaya même pas de se défaire de son emprise ou de réduire l’étranglement… Parce qu’il ne cherchait nullement à la tuer. Juste à lui faire mal de part la position dans laquelle elle se trouvait.

Soudain, il la posa au sol, lui fit faire volte face et l’enserra de son bras pour venir poser son dos contre son torse. La position était inhabituelle et ne manqua pas d’interroger l’esclave. Relevant les yeux, elle comprit aussitôt son geste. Il l’utilisait comme bouclier. Nombre de flèches pointaient dans leur direction. Un clan de Noss était sorti de la forêt un peu plus que d’habitude. Devant la scène d’une elfe malmenée par un sombre, ils n’avaient pas hésité à intervenir avant qu’il ne la tue mais elle se tenait entre eux et l’intrus.
Ils ignoraient qu’elle n’aurait pas acceptée de les suivre même si elle en avait le choix...

Don’dar se pencha à l’oreille de sa créature et lui parla dans cette langue que les Anedhels ne comprenaient pas.

-Il est temps de rentrer.

Un frisson parcourut la colonne vertébrale de la jeune fille.
Un frisson de peur et de tristesse.
Cette voix…
Cette langue…

Une larme perla sur sa joue alors qu’elle obéissait à l’ordre qui lui était donné. Un nuage d’ombre forma un cercle autour d’eux puis monta en tourbillon pour les faire disparaître à la vue des Noss. Lorsqu’il se dissipa, l’eldéen et sa chose n’étaient plus là, ne laissant que les preuves de la lutte acharnée de Don’dar sur son esclave et quelques gouttes d’un sang rouge vif.
Mais rien sur la direction qu’ils avaient prise.

-Je suis fier de toi.

Don’dar ne prêta apparemment aucune attention aux railleries de son ami et entra dans sa tente sans même lui porter un regard. Ce dernier ne se laissa pas démonter pour si peu et le suivi à l’intérieur.

-Tu as réussi à la ramener sans la tuer.
-On n’a eu de la visite.
-Hm… Tout s’explique. Rétorqua-t-il, l’air un peu moins joyeux. Ils ont réussi à la suivre, ils sont plus forts que je ne le pensais. Ou alors elle a faibli.
-Vu comment ils étaient habillés, je dirais plutôt qu’ils n’étaient pas là pour elle. Ils cherchent l’autre.
-On ferait mieux de ne plus trop traîner dans le coin dans ce cas.

Don’dar acquiesça d’un signe de tête et son comparse s’éclipsa aussitôt pour aller faire passer le mot. Ils avaient déjà eu de la chance de tenir aussi longtemps sans être inquiétés. Ils avaient ce qu’ils étaient venu chercher, et même un bonus. Ils partiraient à l’aube.
Seul dans sa tente, le regard du maître esclave fut attiré par une chose bizarre sur ses bottes. C’était une tâche… Une tâche de sang. Il sortit alors pour essayer sa chaussures dans la neige.
Se faisant, son regard se porta momentanément sur une charrette qui se trouvait non loin. Elle avait été soigneusement recouverte d’une grande tenture opaque, soi-disant pour protéger les vivres… C’était vrai pour deux d’entre elles mais la troisième cachait un tout autre trésor… Celle-la contenait une cage de métal soigneusement fermée à clé. A l’intérieur, il avait jeté sans ménagement la petite elfe que ses compatriotes avaient si bien réparé… Comme si ça allait en faire une des leurs. A la façon dont elle avait (ou pas) réagi, il pouvait affirmer qu’elle était toujours sienne et qu’ils avaient plus que lamentablement échoué. N’avait pas tardé à s’approcher d’elle une autre silhouette. Ses vêtements à elle étaient très différent et elle portait un tatouage sur chaque joue dont il se moquait éperdument du sens. Elle se montrait encore rebelle, presque sauvage… Mais il aurait tôt fait de la mettre au pas elle aussi. Elle était bien moins jeune que sa première victime alors il faudrait sans doute s’y prendre autrement. Mais ses méthodes finiraient bien par avoir raison de cette saleté d’elfe des bois.
Don’dar eut un haut de coeur rien qu’à penser à ses deux créatures et cracha sur le sol avant de retourner à l’abri du froid dans sa tente. A l’aube, il n’y resterait plus rien d’eux ici, sinon des traces de leur campement et des empreintes de pas et de roulottes se dirigeant droit vers Elda.