[Ellipse]Liberté provisoire | Solo

Fin de la 11:XI
Quartiers pauvres de Thaar

-Allez Digne, à table.

La voix d'Aimé était douce mais il ne laissait pourtant pas d'autre choix à son petit frère. Il le savait en petite forme ces derniers jours et voulait s'assurer qu'il mange. Son état d'esprit l'amenait à se montrer plus étourdi que d'ordinaire et il s'était blessé au travail. Rien de bien grave mais il ne pouvait plus aller à l'auberge pour travailler pendant quelques temps. Il se pensait être un poids pour son aîné et cela le rendait encore plus mal...
Sous le regard insistant de son frère, Digne se leva lourdement de sa couche et vint s'asseoir à table. Il posa son poignet pansé près de son assiette, la main toujours ouverte et immobile. L'entaille était plutôt vilaine et douloureuse mais il n'y avait rien de grave. Il n'avait pas vraiment l'habitude d'avoir mal. On lui avait appris à sa battre à l'école des gladiateurs mais n'avait jamais eu à utiliser ses compétences autrement qu'en entraînement. Il n'avait jamais connu la froideur du métal au contact de son sang encore chaud. Il n'était pas comme ses frères qu'il admirait pour leur force et leur courage, se trouvant honteux d'avoir la chance d'être ainsi protégé quand eux devaient s'en sortir seuls. Il était incapable d'aller voir Sauveur et Courtois à l'Aile Blanche... Cela lui était trop difficile à supporter. Et c'était ce qui revenait le hanter régulièrement et qui le perturbait plusieurs jours durant.

Aimé était conscient de tout ça. Bien conscient que la seule chose qui pourrait l'aider c'était de réussir à franchir à nouveau les grilles de leur ancienne prison, il l'invitait à l'accompagner à chacune de ses visites à leurs frères. Sans succès jusque là. Mais il ne perdait pas espoir d'y parvenir un jour.
Impossible n'était pas Aimé !

Alors qu'ils commençaient seulement à manger, on frappa à la porte. Les deux hommes se redressèrent et se tournèrent vers la porte avant de se lancer mutuellement un regard surpris. Qui pouvait bien leur rendre visite ? Surtout à cette heure tardive.
Aimé enjamba le banc sur lequel il était assis et se leva pour aller ouvrir. Digne se mit instinctivement debout et ne quitta pas son aîné des yeux. Ce dernier tira le pan de bois vers lui et resta figé l'espace d'un instant.

-Mais qu'est-ce...

La stupeur laissa place à un sourire.

-C'est pas vrai ?...
-Si. Dit une voix.

Digne sentit son sang aussitôt geler dans ses veines. Cette voix... Il la reconnaissait.
Le sourire d'Aimé s'élargit plus encore et il partit en éclat de rire tandis qu'il ouvrait les bras et faisait un pas en avant pour enserrer leur visiteur. L'embrassade durant quelques instants avant que le géant ne relâche cet homme un peu plus grand que lui et aux cheveux foncés.

-Entrez, entrez.

D'une main sur l'épaule, Aimé poussa amicalement Sauveur à l'intérieur avant de se retourner vers un second visiteur.
Digne regarda son frère, les yeux écarquillés, incapable de bouger. C'était comme s'il voyait un fantôme. Il n'y croyait pas... Que faisait-il là ?
La porte se referma et le jeune rouquin découvrit Courtois juste derrière...

-Mais... Comment ?...

Sauveur s'avança, le visage rayonnant. Un tel enthousiasme ne lui ressemblait pas... Et encore moins à leur frère pourtant si renfrogné.
Mais même lui souriait. Seulement en coin... Mais sa joie était sincère.

-On ne sait pas. Tous les gladiateurs ont été libérés ce matin. Lui annonça-t-il.

Mais Digne ne semblait toujours pas réagir... Comme si la chose était impossible. Alors Sauveur posa ses mains sur les épaules de son petit frère pour attirer son attention et lui faire prendre conscience que tout ceci était bien réel.

-Nous sommes libres.

Le dernier né des Hadjaoui balança son regard d'un œil à l'autre de son frère tandis que le message s'insinuait dans son esprit. Alors qu'il réalisait, ses yeux se mirent à briller des larmes qui lui montaient lentement et qu'ils s'interdisaient de laisser couler comme il refusait d'y croire vraiment. Sauveur le vit et il attira Digne dans ses bras. C'était le plus petit d'entre eux, non seulement en âge mais aussi en taille. Aussi se retrouva-t-il la tête posée sur l'épaule de son frère.
Par cette étreinte, il sembla réaliser enfin et se mit à pleurer.

Courtois et Aimé observèrent la scène sans un mot. Le géant posa une main sur l'épaule de son cadet et le secoua doucement, traduisant non seulement son bonheur de le voir ici mais aussi de voir les deux plus jeunes garçons de la famille ainsi réunis.
Après un moment, la voix éraillé de Digne brisa le silence joyeux et chargé d'émotion qui avait empli la pièce.

-Je suis désolé. Je voulais venir vous voir mais j...
-On sait. L'interrompit Sauveur. Puis il brisa leur étreinte pour voir ses yeux, une main posée de chaque côté de son visage. C'était dur pour tout le monde, tu as réagis à ta manière. On ne t'en veut pas.

Digne baissa les yeux tandis que d'autres larmes, de soulagement cette fois, coulaient sur ses joues. Sauveur l'attira à nouveau à lui et déposa un baiser sur le sommet de son crâne. Ils avaient toujours été soudés, ce n'était pas ça qui allait changé l'amour qu'ils portaient les uns aux autres. Parce que c'était bien l'amour qui l'avait empêché de leur rendre visite tant il lui était douloureux de les savoir là-bas et lui ici.

Finalement, Sauveur se redressa et lâcha prise. D'une pression dans le haut du dos, il invita Digne à le contourner. Le message était clair et il alla aussitôt auprès de Courtois pour l'embrasser à son tour.

-Bon ! Bah j'ai plus qu'à me remettre au fourneau moi... Déclara Aimé, faisant mine que c'était une corvée pour lui.
-Attends, je vais t'aider. Répondit Sauveur, laissant leurs frères se retrouver à leur tour.
-Eh mais c'est qu'il a de la barbe le gamin ! Se moqua Courtois alors que Digne approchait de lui.

Ainsi, l'ambiance du petit logement changea du tout au tout. La morosité laissa rapidement place à la joie. Des rires fusèrent, des plaisanteries à n'en plus finir, le tout emprunt d'une grande tendresse.

Les quatre hommes encore vivants de la famille Hadjaoui étaient enfin réunis et libres.

C'était un bien bel après-midi. Mais chaque journée semblait si belle depuis quelques jours...
Sauveur et Courtois étaient libres depuis moins d'une ennéade et tant de projets avaient fusé dans tous les sens depuis leur arrivée chez Aimé et Digne. Tous allaient dans le sens de leur objectif à long terme : récupérer les terres qui avaient été arrachées à leur père. Ils pensaient au meilleur emploi à prendre pour gagner de l'argent. A moins qu'ils ne cherchent avant tout des soutiens ? Les nouveaux affranchis étaient subventionnés par un Princesse Marchande, peut-être pouvaient-ils emprunter cette voix... Non, ils la connaissaient à peine et ne l'avaient vu qu'une fois. Ils feraient peut-être bien de trouver un logement assez grand pour les loger tous les quatre. Enfin, si certains devenaient mercenaires, c'était inutile... Ils seraient sans doute beaucoup en voyage, à moins que leur compagnie ou leur employeur ne les loge, auquel cas ils économiseraient un peu de loyer. Ils pouvaient postuler dans la milice de Maralina, cela leur permettrait de se rapprocher d'elle !

Tant d'idées... Certaines rapidement bonnes à jeter, d'autres qui venaient s'associer entre elles pour en faire un projet viable. Déjà, une ligne directrice se dessinait et l'enthousiasme allait grandissant dans la minuscule maisonnée. Ce jour-là, Sauveur et Courtois étaient seuls, leurs frères étant partis travailler. Ils faisaient une partie de dés, toute simple, dans la bonne humeur.
Une humeur qui serait bientôt assombrie...

Quelqu'un frappa lourdement à la porte.
Les deux frères se regardèrent, interloqués. Un mauvais pré-sentiment les envahit sans qu'ils comprennent pourquoi. Courtois se leva et se dirigea vers la porte, Sauveur le regardant depuis sa place. Le pan de bois s'ouvrit sur plusieurs silhouettes sombres. Si l'aîné les reconnut tout de suite, son frère était à moitié ébloui par le soleil et ne voyait que des ombres. Mais les voix... elles il pouvait les reconnaître.

-Qu'est-ce que vous faites là ?
-Désolé les gars. Il faut rentrer.
-De quoi tu parles ? On a été affranchi. On n'a les papiers juste là. Dit-il en montrant le meuble dans lequel ils les avaient soigneusement rangé.
-Y'a eu vice de procédure. Ils ne sont pas valables. Vous appartenez toujours à l'Aile Blanche.

Sauveur se leva d'un bond.

-Quoi ?!!
-C'est une blague ?!
-Il faut nous suivre.
-C'EST HORS DE QUESTION !!
-Sauveur, calme-toi. Dit le milicien de l'école en entrant dans la maison, les mains devant lui en signe de paix.
-QUE JE ME CALME ? On est tranquillement chez nous à savourer notre liberté, vous débarquez en nous disant qu'on a toujours nos chaînes aux pieds ET IL FAUDRAIT QUE JE RESTE CALME ?!!
-Chef ?...

L'interpellé fit signe à ses hommes d'attendre. Il voulait tenter une dernière fois de raisonner le jeune homme pour l'embarquer en douceur... C'était peine perdue. Si Courtois se débattit un peu, Sauveur quant à lui entra dans une rage folle. Ils étaient cinq à être venus pour les chercher et ils n'auraient pas été trop de cinq pour contrôler physiquement le plus jeune... Seulement ils n'avaient pas que lui à prendre et aucun d'eux n'avait l'intention de se laisser faire, même si le plus âgé était moins violent dans sa réaction.
Alors que deux d'entre eux maintenaient Courtois par des clés de bras, Sauveur s'avérait incontrôlable et criait de plus en plus. Sans parler des coups qu'il assénait. Finalement, l'un des gardes prit une chaise et la lui abattit sur le crâne. Assez sonné, le gladiateur tituba. Un coup de poing plus tard, il était au sol, inconscient.
Exténué par le combat qu'il venait de mener, le chef du petit groupe vint se placer au-dessus de lui pour s'assurer qu'il était bien hors d'état de nuire mais pas blessé. Essoufflé, il parvint néanmoins à soupirer.

-J'espérais que ça se passe plus en douceur...

Quelque part, il pouvait comprendre sa réaction mais c'était la dure loi de la vie... Il fit signe à ses deux hommes encore disponibles et aussi éreinté que lui de s'occuper de lui. Le corps inerte de Sauveur fut alors soulevé de terre et traîné dehors. Ils sortirent dans la rue, laissant derrière une porte ouverte et une maison en désordre, Courtois maintenu par les bras et son frère inconscient. Leur chahut-bahut qu'ils avaient causé n'était pas passé inaperçu et une masse s'était regroupée autour de chez eux. Les voisins les regardaient se faire embarquer de la sorte par de simples miliciens. Ils n'étaient donc pas des criminels... Alors quoi ?

Peu importait pour l'Hadjaoui encore en état de penser. Cinq minutes plus tôt, il était heureux de vivre comme jamais il ne l'avait été, des projets et des idées plein la tête. Et maintenant, il était de nouveau esclave, la lame de Tyra suspendue au-dessus de sa tête. Il n'osait imaginer la réaction de Sauveur à son réveil... Réaliserait-il seulement ? Penserait-il que ce qu'il venait de se passer était un cauchemar ou ces derniers jours un rêve ?

Il n'aurait su dire ce qui était le pire...
Peut-être le pire était-il encore à venir...

Cela faisait près d'une ennéade... Enfermé dans le noir, Sauveur n'avait que le raie de lumière qui passait sous la porte pour voir défiler les jours. Lorsqu'il s'était réveillé à son arrivée dans une cellule commune avec d'autres gladiateurs, il avait cru devenir fou. Sa rage s'était ravivée aussitôt et il avait explosé, perdant tout contrôle sur lui-même. Courtois n'avait rien su dire ou faire pour le calmer. Les gardes avaient fini par intervenir et n'avaient pas été trop de quatre pour le maîtriser en le plaquant au sol. Attaché, les mains dans le dos, on l'avait porté pour le faire sortir et l'isoler, un gars à chaque membre. On l'avait cloîtré ici et plus personne n'avait osé entrer depuis.
Il avait hurlé des heures durant avant de tomber de fatigue. Le lendemain, il était parvenu à se défaire de ses liens et, tout en criant, il s'était mis à frapper sur le bois de la porte avec les mains, les épaules, les pieds... Lorsqu'il ne tenait plus et s'écroulait dans un coin de la pièce, on ouvrait la porte juste le temps de déposer un plateau avec un peu de nourriture et d'eau puis on refermait aussitôt.

Ce jour-là, Sauveur était un peu plus calme que d'habitude. Il avait frappé moins longtemps que d'habitude et on n'avait pas entendu le son de sa voix. Il avait des bleus et des écorchures à forces de s'acharner sur la porte de sa geôle et les marques des liens contre lesquels il avait lutté des heures durant étaient imprimées sur sa peau. Mais n'en avait que faire. Assis contre un mur, il tenait ses jambes contre lui. Le dos et la tête posés contre la pierre, il contemplait la noirceur de son plafond.
Il y eut un échange dehors mais n'y prêta pas attention, trop tourmenté qu'il était. Et puis...

-Gamin, prêt pour reprendre l'entraînement ?

Le visage alors impassible de Sauveur se mua en une expression de rage tandis qu'il baissait les yeux sur la porte. Cette voix... Il s'était suffisamment entraîné avec lui pour la reconnaître. Et que faisait-il là ? Comment savait-il ? Il ne se serait certainement préoccupé de lui au point de faire le déplacement juste pour tenter de le calmer... Il était forcément là pour une autre raison.
Tout se dessina très vite dans son esprit et il comprit. Il se leva et fila droit en direction de la porte.

-Dis à Azza que je ne me battrai plus que contre cette porte ! Cria-t-il.

Puis, mêlant le geste à la porte, il se remit à harceler le pan de bois de coups en tout genre. Il n'espérait pas vraiment qu'elle cède mais déversait sa rage contre elle, assouvissant sa soif de cette liberté qu'on lui avait donné pour mieux la lui reprendre.

Sauveur ne réalisa même pas que la porte allait s’ouvrir tant il s’acharnait sur elle. Il frappait encore lorsque la lumière entra soudainement mais Hashar n’eut aucun mal à éviter son attaque. Ne trouvant rien pour l’arrêter dans son élan, contrairement à ces derniers jours, il perdit l’équilibre et se rattrapa alors sur le mur juste à côté. Il avait plutôt l’air pathétique… Les vêtements, la peau et les cheveux sales, les traits creusés par la rage, la fatigue et la faim, les membres couverts de bleus et de nombreuses égratignures. Mais son apparence était le cadet de ses soucis en l’état…

-Pas ici, Sauveur. Dans la cour d’entraînement. Tu vas te défouler sur moi autant que tu veux et ensuite seulement on permettra à ton frère de faire de même.
-Laisse-le en dehors de ça !

Oui, Sauveur interprétait mal ses paroles, même si ça n’allait pas jusqu’à la menace de mort. Même si Courtois était son aîné, même s’il était plus épais que lui et sans doute en meilleure santé que lui à ce moment-là, il était hors de question qu’il paie pour lui. Depuis toujours, les Hadjaoui se protègeaient les uns les autres, et c’était encore plus vrai depuis douze ans.

-Je te l’ai dit, je n’ai plus l’intention d’affronter qui que ce soit. Vice de procédure ou pas, je refuse de porter les armes. En encore moins pour ta maîtresse.

Il n’arrivait pas à l’accepter. Il revivait son cauchemar pour la deuxième fois. Il était libre et on l’affligeait de chaînes qui ne lui avaient jamais été destinées… Cette simple pensée lui faisait perdre tout contrôle, même après une ennéade d’emprisonnement. S’il n’avait pas eu le temps de goûter à la liberté encore, la pilule serait moins difficile à avaler. Mais on leur avait laissé des jours entiers de liberté… Des jours qui n’avaient déjà plus aucune valeur.

Hashar ne comprenait pas. Armes ou pas, il ne voulait pas se battre. Il ne l’avait jamais voulu. Il voulait être libre. Il l’était l’ennéade précédente et était persuadé que ce retour du sort avait été arrangé par Azza lorsqu’elle avait récupéré l’école. A quoi bon reprendre un établissement vide ? Et elle savait qu’il n’était pas mauvais, sans compter que son esclave favori avait déjà commencé à le former.

Alors que le dornien l’avertissait qu’il allait lui dire quelque chose qu’il n’écouterait probablement pas, Sauveur ne put s’empêcher d’être amusé par la tournure de la phrase.

-Pourquoi tu t’embêtes à me le dire dans ce cas ?...

Mais Hashar n’en tint pas compte et continua sous le regard de plus en plus sérieux du jeune gladiateur. Contrairement à ce qu’il avait cru, il l’écouta attentivement. Et là, il comprit tout ce qu’il se jouait autour de lui. Ce n’était pas de lui dont il était question. Il n’était qu’un pion, une voie détournée pour obtenir autre chose. Son sort à lui, personne n’en avait rien à faire.
Lorsque le dornien eut fini, Sauveur le fixa quelques instants encore dans le plus grand silence. Puis, un rire raisonna entre les murs froids de sa cellule. Un rire nerveux et presque inquiétant.

-J’oubliais à quel point les hommes pouvaient être vénals. Déclara-t-il avant de reprendre son sérieux. Alors tout ça, c’est à cause de la Princesse marchande. Moi qui voyais son aide comme un cadeau à l’époque…

A travers lui, ils la manipulaient elle. Ils n’en avaient pas après lui mais après l’argent de Maralina. Ce qui expliquait que Courtois soit de retour avec lui car, si Sauveur avait une maigre réputation, celle de son frère était plus restreinte encore. Mais en parler à sa marraine ne changerait rien à sa situation… Il n’avait pas beaucoup de possibilités s’il voulait se sortir de là un jour.
Enfin lucide concernant sa place sur l'échiquier, le jeune homme se releva et se mit debout. Il s’avança jusqu’à Hashar, ne montrant pas le moindre signe d’agressivité. Il s’arrêta à un pas de lui et plongea son regard dans le sien. Même s’il était nettement plus grand que lui, il n’avait aucun espoir de parvenir à l’impressionner ou lui faire craindre quoi que ce soit. Surtout pas dans son état…

-Message reçu.

Sur ses mots, il lui balança un bon crochet du gauche en plein visage. Il voulait qu’il se batte ? Alors il se battrait. Il n’avait pas le choix. Il ne l’avait jamais eu…
Bien qu’il ne donne aucun signe de vouloir frapper Hashar à nouveau, deux gardes entrèrent subitement dans la cellule pour se saisir de lui et l’empêcher de se jeter encore sur le favori de leur nouvel employeur. Ils lui firent chacun une clé à chaque bras, le forçant à pencher le buste en avant pour qu’il ne puisse plus bouger.

A l'arrivée d'Azza, les deux frères interrompirent leurs échauffements. Si Courtois ne connaissait pas cette femme en dehors de la description que Sauveur lui en avait faite, il était parfaitement capable de la reconnaître. Ne serait-ce que parce que son petit chien la suivait de près... Mais le regard qu'il lui lança n'était rien en comparaison de celui que son ancien poulain avait à lui adresser. S'il ne l'aimait pas quand elle n'était que sa marraine, lui faisant sentir à longueur de temps qu'il n'était qu'un esclave, il la haïssait à présent. Elle s'était amusée du conflit permanent qui régnait entre Haldren et lui mais son attitude sembla nettement moins la divertir maintenant qu'elle était à la place de l'elfe. Elle ne soutint même pas son regard...
Aucun des Hadjaoui ne pipa mot tandis qu'elle leur adressait la parole ni jusqu'à ce qu'elle ce soit assise sur son banc, prête à les observer. S'ils étaient revenus depuis plusieurs ennéades déjà, leur colère était encore vivace, même pour Sauveur et ce malgré les entraînements qu'Hashar lui faisait faire pour le défouler. La sombre ne semblait visiblement pas en avoir conscience pour parader ainsi dans la cour au milieu de tous ces hommes et femmes qui la haïssaient.

-Oh ! Sauveur ?!

L'interpellé tourna enfin la tête vers son frère qui l'appelait depuis un moment déjà. Durant tout ce temps, il avait fixé Azza sans parvenir à détacher son regard plein de haine, totalement coupé du monde qui l'entourait. Il ne lui ferait rien pourtant mais la voir là après le tour qu'elle leur avait joué faisait remonter tout ce que l'eunuque s'était efforcé de lui faire évacuer.
Sans plus attendre, Courtois lui tendit deux bâtons lestés qui devaient faire office d'épées durant cet entraînement. Les deux frangins se mirent en place mais, même alors qu'il allait se battre, Sauveur tourna encore une fois son regard vers la prêtresse. Ce fut bref mais sa présence le gênait.

Son frère étant trop distrait, Courtois engagea donc le combat. Pourvu de ses deux bâtons courbés, il enchaîna les attaques que le jeune homme esquiva et para à plus d'une occasion. Ses répliques offensives étaient plutôt timides et n'avaient pas de quoi effrayer son aîné. Pourtant, son mode de combat résidait bien dans le fait d'attaquer et non de se défendre... Son frère vint le titiller à plus d'une occasion, cherchant à obtenir une réaction de sa part mais ses multiples tentatives se soldèrent pas des échecs. Finalement, après bon nombre de passes infructueuses d'un côté comme de l'autre, Courtois parvint à chopper une cheville avec l'un de ses bâtons et fit chuter son frère en arrière. La réception fut douloureuse mais il se dit que ça le réveillerait peut-être... C'était en espérer un peu trop apparemment. Sauveur se fit prendre au piège deux autres fois après ça. Alors qu'il ne s'était pas encore relevé de sa dernière chute, Courtois se pencha au-dessus de lui et s'adressa à lui de manière à ce que seul son frère l'entendre.

-Qu'est-ce que tu fous ?! Concentre-toi, putain.

Sur ces mots, il le choppa par la tunique et le força à se mettre debout. Il était en rogne, et pas seulement à cause des évènements du mois passé. Il rageait de voir son cadet faire n'importe quoi. Mais, même là, alors qu'il venait de l'engueuler et de le porter pour qu'il se mette sur ses pattes, ce n'était pas lui qu'il regardait. Courtois suivit son regard et tomba sans surprise sur la sombre qui les observait toujours depuis son banc. Il fit alors volte-face pour se tourner vers son frère et lui mettre les points sur les i.

-Je sais que tu la hais. On la déteste tous. Mais ta colère t'embrouille l'esprit. Fais comme moi : utilise-la. Bien canalisée, c'est de l'énergie dans laquelle tu peux aller puiser à volonté et tenir plus longtemps la distance.

Courtois n'était pas Aimé. Il n'était pas doux ni compatissant, il était du genre rentre-dedans, provoquant les humeurs pour obtenir une réaction de la part de son interlocuteur. C'était aussi un combattant déloyal, même avec ses frères. C'était sa façon de veiller sur eux, en les armant au pire. Ils le savaient tous et ne lui tenaient donc pas rigueur de ses mauvaises manières et de la façon qu'il avait de leur dire les choses.
Normalement, Sauveur était bien plus vigilant que ça et se méfiait de ses coups en traître mais il n'en avait pas esquivé un seul jusqu'à maintenant. Il fut presque surpris de voir Courtois lui dispenser un conseil. D'habitude, il lui faisait intégrer une leçon en lui faisant répéter la même erreur en boucle jusqu'à ce qu'il la voit par lui-même. Le blabla, c'était pas son truc. Cela en était à ce point remarquable que le jeune homme l'entendit et l'écouta, oubliant presque la prêtresse qu'il avait enfin quitté des yeux. Il lui répondit d'un hochement de tête pour lui faire savoir qu'il l'avait entendu puis ils se remirent en position, reprenant de la distance entre eux.

S'en suivit un nouveau duel où les forces se rééquilibrèrent peu à peu. Puisque rien ne semblait apaiser la colère de Sauveur pour le moment, Courtois avait estimé qu'il était temps de lui montrer comment s'en servir intelligemment. Ses quelques mots n'avaient pas suffis, bien évidemment. Son frère avait besoin de quelques conseils supplémentaires pour trouver la bonne méthode. Il fallait contenir ses émotions mais pas totalement non plus afin de les laisser filer tout doucement, diffusant de l'énergie dans tout son corps durant un long moment sans pour autant altérer son jugement et ses capacités. Et cela finit par payer. Après un duel plus long que de coutume, le jeune Hadjaoui dévia les deux armes courbes de son aîné et lui asséna un coup sur l'arrière de l'épaule. Courtois cria au contact violent du bois sur sa chaire nue. Sauveur se redressa aussitôt de sa posture de combat et s'approcha de son frère pour s'assurer que tout allait bien. Aucune excuse ne vint, ce qui était normal entre combattants. Le but d'un entraînement était bien de s'améliorer, que ce soit son adversaire ou bien soi-même. Les bobos faisaient partie du jeu.

-Enfin ! Gueula Courtois. J'ai bien cru que tu me toucherais jamais.

Sauveur secoua la tête de gauche à droite. En temps normal, cela l'aurait amusé mais il avait quelque peu perdu le goût de rire ces derniers temps... Il se contenta simplement de pousser amicalement son frère pour le chahuter un peu sur sa plaisanterie. Ce dernier exagéra un peu en proférant un "Aï-euh" de contestation. Au moins, le jeune homme avait arrêté de regarder en direction du banc...