Sans vouloir vous commander, auriez-vous l'obligeance de bien vouloir arrêter?

Dans son bureau le Grand Architecte enroulait distraitement une mèche de cheveu autour de son index, perdu dans sa réflexion. Devant lui se trouvait la maquette que Nahalar avait construit, une reproduction du Puy d’une exactitude qu’il n’avait jamais pensé possible avant de la voir et il fallait admettre que c’était très utile ; il aimait la regarder en se disant que, comme le vrai ville, il pouvait la détruire s’il le voulait : c’était grisant d’avoir un droit de vie ou de mort sur tant de Souffles. Cependant devoir la mettre à jour était fastidieux, surtout s’il n’avait pas prévu de la modifier.

Myr’Hennis fulminait, ce n’était pas la première fois mais ça allait être la dernière, il était pourtant patient mais là s’en était trop. La Doth’ka n’avait même pas eu la décence de le prévenir avant de faire ce faux édit. Pourtant ce qui l’énervait, l’enrageait, le faisait bouillir comme les chambres magmatiques c’était que tout le monde croyait que ces édits étaient bel et bien de lui alors que sa signature était inimitable !



Bon sauf pour Plynnil. Ce n’était pas le nom d’origine de l’esclave mais le grand architecte n’arrivant jamais à se le rappeler il avait fini par nommer sa secrétaire par sa fonction : écrire. Un nom simple qu’il pouvait donc facilement mémoriser. Myr’Hennis aimait bien Plynnil, même si c’était une humaine, que voulez-vous, on a tous nos défaut, sauf l’architecte évidemment. Il avait convoqué l’humaine pour lui faire écrire une lettre, il voulait se plaindre auprès du triumvirat et pour leur montrer qu’il était vraiment en colère il ne leur ferait pas l’honneur de se déplacer en personne. Si les assassins avaient agi, en chiens bien dressés qu’ils étaient, c’était parce qu’on leur avait donné un ordre, il n’était ensuite pas bien difficile de déterminer qui avait eu l’autorité nécessaire pour le faire.

L’architecte se leva et marcha un peu avant de se retourner vers son esclave. « Tes plumes sont-elles bien taillées ? » L’intéressée hocha la tête. « Bien, écris ce que je te dicte alors : à l’adresse du triumvirat, que les dieux vous guident dans la lourde tâche de guider le très saint peuple daedhels. » Myr’Hennis s’arrêta pour boire une gorgée de la coupe posée sur son bureau avant de la jeter loin de lui. « Ce n’est pas le vin ithrivan que j’ai demandé ! »

Se raclant doucement la gorge, Plynnil tenta de faire en sorte que son maître se concentre. « Mmm… où en étais-je ? »

« A la formule de politesse, maître. »

« Ah oui ! Merci Plynnil. Justement, c’est trop poli. Seulement à l’adresse du Triumvirat. Non ! Enlève le t majuscule, ils n’y ont pas droit pour cette lettre. Et arrête de grimacer comme ça, c’est que du parchemin, ce n’est pas bien grave de le raturer et d’en changer, la peau humaine ne coûte pas bien cher. A la place écrit ce que je te dicte, es-tu prête ? »

« Oui, maître. »

« Parfait, écris donc : j’ai reçu une bien étrange nouvelle récemment. En effet il semblerait, qu’encore une fois, j’ai publié un autre édit architectural. Un édit parlant de la faiblesse ou de l’inutilité, je ne sais plus trop, d’une champignonnière ; à ma connaissance, et je suis le seul à toutes les connaitre, aucune d’elles n’a de problème. Mais peut-être que la faiblesse de cette champignonnière m’a échappé, si c’est le cas je suis fort ennuyé que vous vous soyez gardé de me prévenir car, moi, je n’ai pas de secret pour vous... » Myr’Hennis se retourna brusquement.

« Pourquoi tu ris Plynnil ? »

« Pour rien, maître. » Sa voix douce avait l’étrange capacité de calmer l’architecte, ce dernier prit un air renfrogné avant de reprendre la parole.

« Mmm… écris au lieu de glousser : moi, je n’ai pas de secret pour vous et j’espère de tout mon grand cœur que c’est réciproque. Je suis certain que si vous étiez en possession d’une information nécessaire à la bonne conduite de mes travaux vous la partageriez sans attendre. Sinon comment puis-je prévenir quoi que ce soit ? Imaginez qu’une autre champignonnière ou, pire encore, la conduite d’eau de l’Etat Major venait à être défectueuse sans que je le sache à cause d’un autre secret que vous ne m’avez pas révélé.

Mais je suis certain qu’il est inutile d’y songer ou de l’imaginer car à partir de maintenant vous allez me prévenir si vous détectez une champignonnière défectueuse avant que quiconque ne soit blessé par ladite champignonnière. N’est-ce pas ? Puissent notre relation rester une amitié sincère.

Dans l’attente de votre assentiment veuillez recevoir l’assurance de ma considération. »

Il avait continué à faire les cents pas dans son bureau, continuant d’enrouler distraitement une mèche de cheveux autour de son index puis il s’arrêta.

« Je te laisse terminer, écris mes titres et signe. »

Si quelqu’un s’était penché par-dessus l’épaule de Plynnil une fois qu’elle eut terminé, la personne en question se serait dit que, finalement, la signature du Grand Architecte n’était pas si inimitable. Elle était en réalité assez commune mais ça jamais Myr’Hennis ne l’aurait admis.

La lettre:

Plynnil observa la chauve-souris voleter dans la pièce, le temps que celle-ci décide enfin à s’accrocher à la barre qui avait été installé au plafond spécialement pour que les messagères s’y accrochent. Avec une certaine expertise elle détacha le message du cou de l’animal et lui donna un petit bout de viande dont elle ignorait la provenance puis elle retourna s’assoir à son bureau avec le petit cylindre et l’ouvrit. C’était son travail, mais aussi la curiosité qui l'y poussait, et puis Myr’Hennis détestait être dérangé pour rien il était donc normal qu’elle fasse le tri. Après avoir rapidement parcouru des yeux cette missive elle fut surprise d’une réponse aussi rapide, d’habitude les réponses mettaient plus de temps que ça. Lorsque la secrétaire en fit part à son maître il eut un grand sourire satisfait, comme s’il s’était s’attendu à ce que sa lettre reste ignorée. L’esclave observa l’indécision de l'architecte un instant en se demandant s’il avait même prévu qu’on lui réponde ainsi. Visiblement non.

« Que dois-je répondre ? » Comme sortant d’un songe le Grand Architecte leva la tête.

« Pardon ? Ah, oui. Dis-leur que j’accepte et que je serai présent demain. Maintenant pars, j’ai à faire. »

Inclinant la tête Plynnil s’en alla, laissant Myr’Hennis seul dans ses appartements. C’était faux, il n’avait pas grand-chose à faire mais il était attendu de lui qu’il soit occupé par tout un tas de choses plus importantes les unes que les autres ; notamment l’entretien et la bonne marche de la cité magmatique. Pour le moment sa plus grosse préoccupation concernait le déjeuner de demain et s’il devait arriver en retard ou non.

Le lendemain il s’était décidé, il allait arriver à l’heure, il avait beau être énervé ça restait tout de même le triumvirat et il ne fallait mieux pas jouer avec le feu, en tout cas pas plus que de raison. Le Grand Architecte se prépara donc, quelques heures avant midi il se fit masser par cinq esclaves dans l’espoir d’estomper son mal de dos, ne serait-ce que temporairement, afin qu’il ne soit pas gêné lors du déjeuner. Puis Myr’Hennis alla s’habiller et il mit encore un certain temps pour au final choisir sa tenue blanche habituelle, si ses esclaves avaient pu se le permettre ils auraient poussé un long soupir exaspéré. Mais pas de chance ils ne pouvaient pas, Plynnil aurait pu mais de toute façon elle n’était pas là.

En sortant de chez lui deux soldats de sa garde lui emboitèrent le pas et il arriva à l’Etat Major avec une vingtaine de minute d’avance, temps supplémentaire qu’il mit à profit pour trouver où est-ce qu’il était attendu. Ne pouvant se résoudre à simplement demander il arriva au final avec une petite dizaine de minutes de retard ce qui n’était pas plus mal car il détestait qu’on le fasse attendre et il espérait que Viconia était bien dans la pièce à son arrivée.

Oh elle est là Viconia, en tunique noire toute simple dévoilant ses longues jambes son fourreau de cuisse recueillant Meurtrière. L'enchanteresse est là, jeune, superbe, joli camaïeu de noir de gris et de blanc, avec des paillettes du plus beau sanglant dans le regard et une touche d'un rouge profond soulignant ses lèvres pleines.


Elle sait qu'il est arrivé à l'heure, la triumvir sait aussi qu'il est trop orgueilleux pour demander un simple chemin ou pour s'annoncer. La table est prête, une petite table intime de deux dressée sur un des balcons jouxtant la cours intérieure de l'Etat Major. Des esclaves sont là, prêts à satisfaire leur moindres désirs alimentaire.

Lolri est sur le côté de la porte, en armure d'apparat, ses deux haches jointes pour former une impressionnante double hache. Les incrustations de son armure luisent doucement sous l'application de champignons phosphorescents ayant pour but de la rendre plus impressionnante encore.  

A l'arrivée de Myr'Hennis, elle l'accueille aimablement en allant au devant de lui, un beau sourire aux lèvres dévoilant les perles nacrées de sa dentition.  

Bonjour Grand Architecte. Je crois que nous ne nous sommes jamais vus, je me présente, Viconia Elthiriel X'Ianxin. Puis je t'offrir une liqueur fine? Du vin? Nous avons tout notre temps alors aussi bien prendre nos aises.

La prêtresse se tourne vers la guerrière en armure.

Lolri, amène les gardes de Maitre Myr'Hennin aux cuisines pour qu'ils puissent se restaurer. Je vous ferai mander quand il sera l'heure du départ.  Je ne veux pas qu'ils ne manquent de rien.

Puis revient à l'architecte. Elle lui tend la main. Une main fine et délicate. Les paillettes sanglantes de son regard semblent danser tranquillement. Il la dépasse d'une vingtaine de centimètres seulement. 

Puis je me permettre de t'inviter à t'installer confortablement? 

Myr’Hennis s’en voulait un peu d’être arrivé en retard, au fond de lui il savait que c’était sa faute. Heureusement qu’il avait fait taire cette petite voix pénible qui le lui rappelait, elle était d’autant plus pénible lorsque c’était effectivement sa faute. Cependant voilà : il n’était pas rare que l’architecte fasse une Nakor sur ce sujet-là. Mais peu importe car au final il était arrivé et c’était bien tout ce qui comptait. Alors le voilà, haussant un sourcil devant le garde du corps de Viconia. Pourquoi était-il seul ? Sa position était suffisamment élevée pour qu’elle puisse se promener avec une petite armée, si lui avait un petit contingent alors pourquoi pas une triumvir ? C’était quelque chose qu’il avait un peu de mal à comprendre mais bon si elle ne voulait pas montrer son pouvoir à tous tant pis pour elle.

Effectivement Viconia était belle. D’un coup d’œil il la jaugea, son regard remontant sa silhouette et il voulut l’immortaliser dans la pierre, cela faisait déjà plusieurs jours qu’un bloc d’obsidienne attendait les mains du sculpteur pour être sublimé. Devant la triumvir le Grand Architecte fit une révérence, ignorant difficilement son mal de dos, heureusement qu’il s’était fait massé trois heures auparavant.

« Effectivement, Triumvir, je n’ai jamais eu la chance de vous rencontrer. »  Ça commençait mal déjà, elle ne le vouvoyait pas. Au moins il pouvait la tutoyer sans risquer ses foudres. Haussant un autre sourcil il se demandait si ce n’était pas là son moyen de lui rappeler qu’elle était hiérarchiquement supérieure. « Du vin s’il-te-plaît. »

Les deux gardes de Myr’Hennis se regardèrent un temps, refuser une proposition d’une triumvir mais ils étaient exclusivement aux ordres de l’architecte. Ce dernier se retourna vers eux et d’un hochement de tête ils suivirent Lolri. Le Grand Architecte prit la main tendue et fit un baise-main impeccable.

« Effectivement, tu peux te permettre. » Répliqua-t-il avec un sourire en coin.

Il alla s’assoir à la petite table alors qu’un esclave avait fini de servir les deux drows. Myr’Hennis fit tournoyer distraitement sa coupe en regardant par la fenêtre avant de refocaliser son attention sur la silhouette de Viconia. Son sourire s’élargit un peu. Avait-elle fait exprès de s’habiller ainsi, avait-elle choisit ces couleurs-là sciemment ? Si c’était le cas l’attention était touchante.

« Merci de me recevoir. Vu que nous nous rencontrons pour la première fois, je suis curieux : dis m’en plus sur toi. »

Myr’Hennis porta un toast et plongea son regard dans celui de Viconia.

Lolri, même lorsqu'elle sa maîtresse avait un rang mineur, a souvent cet effet là. Et effectivement, la guerrière est impressionnante dans son armure luminescente, avec sa double hache affutée comme un rasoir. Le haussement de sourcils de Myr'Hennis ne lui échappe pas. Pourquoi seulement une garde? Oui, Viconia pourrait se déplacer avec son propre contingent, cela viendra sûrement d'ailleurs. Mais pour le moment, l'Etat Major est sa demeure et on ne crapahute pas dans sa demeure avec une garde rapprochée. Et Lolri est aguerrie, elle suffit amplement.  Si le grand Architecte s'interroge et lui pose la question, elle lui répondra sans fard.

La révérence qu'il lui fait, rendue raide par son dos douloureux, n'échappe pas à l'arcaniste. Elle a fait ses devoirs la veille et a bien étudié ce qu'on lui a remis. aussi en sait elle un minimum sur son vis à vis. Il est soupe au lait et orgueilleux. Deux défauts qui ne donnent majoritairement pas grand chose de bien quand il sont couplés ensemble.    

Effectivement, Triumvir, je n’ai jamais eu la chance de vous rencontrer.

Ah! C'est un vouvoyeur… intéressant. Le haussement du deuxième sourcil, interrogatif, se fait retourner des prunelles grises aux reflets rougeoyants tout ce qu'il y a de plus placide, le sourire tout ce qu'il y a de plus aimable et engageant. Ce vouvoiement est il une façon de lui faire savoir qu'il n'acceptera pas son autorité? 

Du vin s’il-te-plaît.

En bons gardes, l'escorte attend le bon vouloir de leur maitre avant de sortir. Bien, ca veut dire qu'il a de l'autorité sur eux. Lolri réussira à leur soutirer quelques informations intéressantes pendant qu'ils seront aux cuisines. Savoir comment un maitre traite sa maisonnée donne souvent un aperçu du caractère de l'individu et des valeurs qu'il affectionne. Donne des cartes avec lesquelles jouer. D'ailleurs ce n,est pas sans raison qu'elle se présente ainsi si sobrement vêtue. Elle le sait friand d'art et n'est elle pas, l'enchanteresse, une oeuvre d'art vivante? Ceci dit sans coquetterie.  

Viconia installe son invité et lui sert elle même une coupe de vin, laissant une mèche rebelle danser le long de son bras fin, contraste de la pureté de sa chevelure de neige avec la profondeur de l'ébène de sa peau. Allant rejoindre sa place, la triumvir lui offre alors une superbe vue sur son côté pile. Sur sa chute de rein mise en valeur par le lourd balancier d'une tresse savamment et finement exécutée, sertie délicatement de cristaux blancs et rouges qui scintillent doucement à la lueur des lampes. Quand elle marche c'est comme si elle glissait sur le sol sur un nuage d'air. Pivotant, un esclave lui pousse sa chaise alors qu'elle prend sa place élégamment. 

Merci de me recevoir. Vu que nous nous rencontrons pour la première fois, je suis curieux : dis m’en plus sur toi

Viconia trinque avec Myr'Hennis et lui retourne le regard avec une candeur apparente et désarmante.
C'est une question piège? Que désire t'il savoir au juste? La voix mélodieuse s'élève dans l'air.

Oh, j'ai répondu à l'appel du Feu d'Uriz, guidée par la volonté de Valas. J'ai accompli mon devoir divin et maintenant nous travaillons de concert Maitresse Krish, Maitre Urgoll et moi, pour restaurer la grandeur des dieux et de notre peuple. Sinon, avant cela, il n'y a rien de vraiment intéressant èa savoir. Je répand la parole de La Chimère. Il serait plus aisé pour moi de répondre à votre saine curiosité si je savais  exactement ce que tu souhaite savoir ou découvrir. D'Ailleurs, j'espère que tu ne te formalise pas du tu.

Dit elle, nuançant ce tu d'une façon fascinante. Lui donnant milles possibilités aussi disparates que possibles. Et ce, en restant aussi correcte et aimable qu'une vestale.


J'ai pensé que vu que notre déjeûner est informel, c'était de circonstance. Sinon nous pouvons repasser au vous si cela vous sied mieux. La conjugaison c'est comme l'orthographe. Une faute, une lettre mal placée et nous pouvons penser tout de suite qu'il y a insulte.

Viconia incline la tête en signe de respect, avant de refixer le mâle droit dans les yeux. Le vous est toujours dit sur un ton aimable, poli, mais avec milles possibilités pas mal plus froides que le tu précédemment cité. 

Loin de nous l'idée de vous manquer de respect. Alors dites moi votre préférence et je m'y plierai de bonne grâce.

Comme quoi l'insulte orthographique de Myr'Hennis n'est pas passé inaperçue.  

[justify].

Le vouvoiement n’avait pas été volontaire, les habitudes ont la vie dure, et il lui avait fallu un peu de temps pour s’y habituer. Peut-être qu’inconsciemment c’était une façon pour Myr’Hennis de montrer son mécontentement. Qui sait ? Quant à Lolri elle pu apprendre des gardes, au fil de leur discussion, que le Grand Architecte n’était pas quelqu’un de sanguinaire ; parfois cruel ce n’était pourtant jamais sans raison et les punitions corporelles qu’il infligeait n’étaient jamais définitive, les mages de vie à son service finissaient toujours par guérir la pauvre victime. En y réfléchissant Stargline et Dalharaen ne pouvait pas se souvenir de la dernière fois où leur maître avait tué ou ordonné la mise à mort d’un esclave. Bien que Myr’Hennis puisse se montrer pénible parfois, souvent même, il n’était que rarement un problème, le peu de courage qu’il avait l’empêchait la grosse majorité du temps de se mettre en danger ; de toute façon lorsqu’il s’y mettait il avait le bon sens d’écouter ses gardes du corps. Dalharaen fit taire d’un raclement de gorge sa camarade alors qu’elle commençait à aborder l’atelier de leur patron.

Quant à l’architecte lui-même il observait Viconia le servir en pensant une nouvelle fois au bloc d’obsidienne qui n’attendait qu’une muse pour perdre sa forme monolithique. C’était étrange qu’elle le serve, étrange mais agréable. Il en profita pour la regarder davantage, confirmant au passage qu’elle avait sciemment choisi des couleurs qu’il pouvait voir ; ce qui aurait dû le toucher le fit un peu hésiter. Elle savait pour son problème de vision, ce n’était pas spécialement un secret mais ça pouvait impliquer qu’elle avait fait des recherches sur lui en vue de cette entrevue. Puis son orgueil lui susurra que c’était bien normal, après tout il était le Grand Architecte et puis c’était lui l’aîné, c’était donc à elle de se renseigner et pas l’inverse. Il ignora le fait qu’elle était triumvir et que par conséquent elle était sa supérieure directe.

L’emphase portée sur le tu à la fin de la phrase de Viconia le fit grincer des dents. Si, il s’en formalisait mais en même temps il en était flatté. Il arrêta d’ignorer la petite voix qui précisait leur différence hiérarchique, si elle voulait le tutoyer c’était bien qu’il était important et ça il ne se lassait jamais de l’entendre ou de le déduire du comportement des autres ; même lorsque ce n’était pas ce que voulais dire les autres. Songeur, il avala une gorgée de vin.

« Le langage a tant de subtilité qu’il est en effet facile de s’y perdre et pour rien au monde je ne voudrais glisser une insulte dans mes phrases. Va pour le tutoiement, c’est très bien comme ça et puis comme tu l’as si bien dit, c’est une rencontre informelle. » Il parlait lentement, choisissant soigneusement ses mots. Myr’Hennis avala une autre gorgée de vin et profita de la coupe pour cacher son sourire puis il laissa son regard vagabonder sur la silhouette de Viconia. « Je ne vois pas de symboles de la prêtrise de Valas, j’en déduis que tu n’es plus prêtresse. Est-ce incompatible avec ta nouvelle position ? » Bon il avait dit ne pas vouloir glisser d’insulte alors qu'il en était déjà à deux, c'était tout simplement trop tentant. « Cela dit c’est un parcours intéressant, j’ai aussi entendu dire que tu pratiques la magie. » Il répugnait à appeler ça l’Art, pour lui ça n’en méritait pas l’appellation : ça rabaissait l’art qui lui pratiquait. « Comment as-tu découvert ton… talent ? Mais dis-moi si mes questions t’ennuient, lorsqu’un sujet m’intéresse j’ai du mal à refréner ma curiosité. » Posant doucement sa coupe sur la table il se mit à pianoter sur la table, attendant les réponses à ses questions, à ses flatteries.

Je ne vois pas de symboles de la prêtrise de Valas, j’en déduis que tu n’es plus prêtresse. Est-ce incompatible avec ta nouvelle position ? Cela dit c’est un parcours intéressant, j’ai aussi entendu dire que tu pratiques la magie. »

L'insulte non voulue de Myr'Hennis passe au dessus de la tête de Viconia. Avec un gentil sourire, la prêtresse se relève de bonne grâce et se rapproche du mâle. Une odeur de fleurs délicates et suave parvient au nez de ce dernier.

Oh je n'ai pas besoin d'afficher de façon ostentatoire ma Foi. Valas m'accompagne où que je sois. Nous sommes d'un naturel discret Regarde…  

S'inclinant, elle montre l'ourlet brodé de son décolleté, ton sur ton, en une délicate et fort discrète représentation de l'Ouroboros visible de près seulement. De très près, en même temps qu'une vue imprenable sur la naissance de la poitrine opulente.  

Je fais de la magie, effectivement. Mais je n'ai pas besoin de mes talents pour me faire comprendre…

La jeune prêtresse connait certaines opinions concernant l'Art. Elle se demande s'il est aussi sensible à la musique.

Comment as-tu découvert ton… talent ? Mais dis-moi si mes questions t’ennuient, lorsqu’un sujet m’intéresse j’ai du mal à refréner ma curiosité.

Penchant la tête de côté, Viconia répond tranquillement à la question, en retournant de nouveau à sa place.

Mon arrière grand mère, Elthiriel X'Ianxin, a participé à ma prise de conscience et mon éveil. Peut-être te rappelle tu d'elle, la Lame Noire de Teiweon? Ensuite, elle m'a laissée libre de mes dévotions et La Chimère de Valas a charmée mon oreille avec sa douce mélodie. Mais toi, Myr'Hennis


Dit elle d'une voix suave, correcte mais avec une intonation qui prend directement au bas ventre.

Parle moi de toi. Je suis ici pour t'écouter d'une oreille attentive.  On m'a dit que tu étais un grand artiste en plus d'être Grand Architecte. Peux tu me parler de ton Art? Parle moi de ce qui te passionne… Je me suis offerte pour ce déjeuner spontanément,  parce que j'aime l'Art sous toutes ses formes.

Repoussant son assiette à peine touchée, Viconia appuie son coude sur la table et pose son joli menton dans sa main, regardant le Grand Architecte avec fascination et intensité.

Myr’Hennis haussa un sourcil, surpris de la voir se lever, il se demandait si Viconia allait lui faire payer son insulte, son sourire visant à ne pas l’effrayer ; la peur gâche le goût de la viande. Il huma son parfum et même s’il ne le voulait pas, cette douce odeur le fit baisser sa garde, suffisamment pour qu’il ne bronche pas alors que la triumvir s’approchait de lui. Comme un idiot il regarda son décolleté, pendant une seconde son regard s’éloigna de la marque avant que sa discipline ne reprenne le dessus.

Non effectivement tu n’as pas besoin de la magie pour te faire comprendre, pensa l’architecte en cachant une nouvelle fois son sourire derrière sa coupe de vin. C’était provocateur, très direct, il n’y était pas vraiment habitué et pour cause ça marchait plutôt bien. Hochant la tête pour signaler qu’il savait de quoi elle parlait alors que ce n’était pas le cas il se laissa avoir comme un drow de quarante ans par l’intonation de son interlocutrice. Une voix lui criait que Viconia n’en pensait pas un mot et que ce n’était que flatterie mais cette voix se fit rapidement étrangler par son égo qui avait désormais prit une taille démesurée, nourris par les paroles et le langage corporel de la drow.

« Et l’on ne t’a pas menti. Peut-être as-tu vu la statue de Zhak’Bar que j’ai offert récemment à Urgoll’Ven. » La statue à laquelle il faisait référence représentait un dragon levé sur ses pattes arrière, déchirant les airs de ses griffes acérées, la gueule grande ouverte, dévoilant des crocs entièrement blancs, comme s’il se battait contre un ennemi imaginaire. Etant taillée dans du marbre noir les rainures blanches rappelaient les éclairs du dieu qui dansaient sur et entre ses écailles. Il en parlait avec une fausse modestie et son langage corporel confirmait bien qu’il en était particulièrement fier : le torse bombé, la tête haute, les pupilles légèrement dilatés, il avait les bras bien ouverts, posés de chaque côté de la table.

« Je considère la sculpture, ou la peinture d’ailleurs, comme un acte de foi : chaque coup de burin me rapprochant d’Isten, l’ambition de faire l’œuvre parfaite, de devenir immortel, de vivre à travers mes chefs-d’œuvre même longtemps après ma mort corporelle ! » Après cette petite envolée lyrique Myr’Hennis se racla la gorge en sentant qu’il était allé plus loin qu’il ne l’avait voulu. Il avala une gorgée de vin pour ponctuer sa longue phrase. « Mais je suis aussi peintre et chorégraphe. » Il ne préféra pas parler de ses talents musicaux, lui qui n’était pas capable de jouer d’un instrument. « Bien sûr, comme tu le sais sûrement, je suis aussi architecte. En bon esthète je touche à toutes les formes d’art et même si j’en maîtrise quatre je m’intéresse petit à petit aux autres, pour avoir encore davantage de cordes à mon arc. » Il laissa de côté la magie, une discipline qu’il n’avait nullement envie d’étudier et encore moins de pratiquer. « J’ai exposé, brièvement certes, ma vision de l’art et pourquoi il me fascine mais je ne sais pas ce qu’il en est de toi, pourquoi aimes-tu l’art sous toutes ses formes ? » C’était une tentative maladroite de reprendre l’initiative après s’être rendu compte qu’il avait trop parlé et qu’il s’était fait avoir comme un imbécile mais bon il faisait ce qu’il pouvait avec ce qu’il avait, c’est-à-dire pas grand-chose.

La sculpture de Zhak'Bar, Viconia l'a vue et elle est très belle, en effet. Elle sourit, amusée à l'idée qu'Urgoll aurait affronté Myr'Hennis en ordalie si elle n'avait pas été satisfaisante. Il prend les représentations du Prime Dragon tellement au sérieux!Au non verbal fier et orgeuilleux du mâle, Viconia oppose un fasciès et une posture des plus  équivoque, fascinée par l'auguste personnage aux multiples talents de l'Autre côté de la table.

Peintre, sculpteur, chorégraphe, architecte! Que de talents!

Murmure l'arcaniste avec admiration, ses yeux brillants de milles étoiles, fascinée par le grand individu devant elle.

Devenir immortel part l'art! Personne n'y a jamais pensé…

J’ai exposé, brièvement certes, ma vision de l’art et pourquoi il me fascine mais je ne sais pas ce qu’il en est de toi, pourquoi aimes-tu l’art sous toutes ses formes ?

Et lui de rediriger la conversation sur elle… Comme si il était curieux à son sujet. Un tel individu est il capable de s'intéresser aux autres? Visiblement perdue dans ses pensées, la triumvir réagit avec un temps de retard, le regard rêveur perdu sur les lèvres de l'artiste.  Elle se redresse soudainement, avec un léger soupir, les joues rougissantes, comme si elle s'était laissée aller à quelques pensées coupables.


Oh, je me défend en portraits, mais je ne pourrais malheureusement pas vivre de cet art, ca reste somme toute basique. Je crois, en toute modestie, que je chante bien car j'Ai toujours fait partie des rites religieux. Mais ma force, c'est la danse. Ce qui m'enchante, vu que tu es chorégraphe. Ya t'il plus beau spectacle qu'un corp qui danse en une ode corporelle aux divinités? Et c'est encore plus beaux quand c'est deux corps qui dansent de concert, ne trouve tu pas? 

Le double sens de la dernière phrase est totalement voulu et assumé. Ainsi que l'éclat des prunelles aux paillettes rougeoyantes plongées directement dans le carmin du Grand Architecte. 

 

Non effectivement Myr’Hennis n’était pas capable de s’intéresser sincèrement, sans arrière-pensée, à quelqu’un d’autre mais ça ne voulait pas dire qu’il n’écoutait personne ; enfin si il pouvait mais c’était si rare. Surtout si c’était pour entendre des compliments, et quel compliment ! Cela dit le temps de retard accusé par Viconia le fit hésiter, arquant un sourcil il se mit à douter. Était-elle sincère ? C’était assez difficile à croire pour lui qui était habitué aux flagorneurs mais qu’avait-elle à gagner en agissant ainsi, elle qui était déjà triumvir ? Son orgueil, une des rares puissances qui l’animait encore, lui disait que c’était bien normal, après tout il était le Grand Architecte. Cependant, pour une fois, il écarta son égo, sa raison prenant subitement le dessus pour analyser le plus froidement possible la situation. Ce qui n’était pas une mince affaire avec Viconia. En se repassant la scène, Myr’Hennis en vint à la conclusion que peut-être la triumvir n’avait pas seulement en tête l’idée de le manipuler pour il ne savait quelle raison obscure. Après tout elle avait déjà assez de pouvoir pour le faire emprisonner, surtout maintenant que ses gardes s’étaient éloignés, et l’architecte savait parfaitement qu’elle n’aurait qu’à le laisser une petite demi-heure dans une geôle pour qu’il dévoile tous ses secrets ; pour qu’il raconte tout ce qu’elle voulait entendre. Ça lui déplaisait considérablement mais Myr’Hennis se savait à la merci de l’arcaniste. Alors penser que son intérêt n’était pas feint n’était, au final, pas si stupide que ça.

Sa garde abaissée Myr’Hennis se mit à pianoter sur la table en écoutant la belle, signe qu’elle avait son attention pleine et entière pour qui connaissait un peu l’architecte. Ce qui n’était pas forcément le cas de tous étant donné qu’il était assez rare que ce dernier s’intéresse réellement à une personne en particulier, surtout une personne qui ne vantait pas ses mérites. Pourtant il aurait aimé revenir sur la remarque à propos de l’art comme moyen d’accéder à l’immortalité mais en observant son interlocutrice il oublia vite ce qu’il avait à dire. Ça ne devait pas être si important que ça en fin de compte. Un sourire apparut sur les lèvres du Grand Architecte et ses doigts retrouvèrent leur immobilisme alors qu’il s’efforça de ne pas se laisser happer par les yeux de Viconia. Il mit quelques secondes, laissant le silence reprendre ses droits avant de le chasser par un raclement de gorge afin de retrouver une certaine contenance.

« Je suis ravi d’entendre que nous partageons le même avis. Que le corps soit figé dans la pierre ou bien vivant il est nécessaire de le faire s’exprimer, c’est le mouvement qui sublime une personne. Il n’y a qu’à voir la grâce et l’élégance dont certaines peuvent faire preuve, comment ne pas être touché ? » Myr’Hennis planta son regard dans celui de Viconia, ce n’était pas vraiment subtil mais peu importait, ils avaient laissé de côté la subtilité depuis un certain temps déjà. « Etant un fervent admirateur d’Isten je ne peux qu’abonder en ton sens : la beauté ne peut être créé et appréciée qu’à plusieurs. Tout comme un peintre ou un sculpteur a besoin d’un modèle, une danseuse a besoin d’un public ou d’un partenaire. Sinon peu importe la beauté d’une danse, elle est d’une tristesse insondable car personne n’a pu en profiter. »

Et les deux éminents personnages de discuter aimablement et agréablement, au son de la clepsydre, d'art et de sujets divers, sous un fond de sous entendu à diverses connotations. Ils discutent au fil du temps, des diverses facettes de l'art sous toutes ses formes, reviennent sur le principe de l'immortalité par l'Art. Myr'Hennis trouve chez Viconia une femme érudite, d'une grande sensibilité artistique et d'une grande ouverture d'esprit et admirative devant son grand génie.

Au fil des heures, Viconia amène habilement le sujet sur l'Architecture du Puy, se montre d'une grande curiosité face à son travail. Puis, les questions sur l'agencement et la logistique. Ce qui amène, inévitablement le sujet qui préoccupe le Grand Architecte.

Effectivement j'suis architecte et j'aime pas vraiment devoir reconstruire régulièrement la cité.

Viconia se redresse et pose sagement ses mains sur la table en le regardant de ses jolis yeux émeraudes avec intensité et concentration.

Je suis tout ouïe Grand Architecte. En quoi puis je t'être agréable sur ce sujet en particulier?

La journée avait si bien commencé mais tout a une fin bien malheureusement et la discussion plaisante au sujet de l’art se termina également. Enfin, elle ne se termina pas mais elle perdit tout ce qui la rendait plaisante justement. Car s’il était venu aujourd’hui c’était bien pour se plaindre. Peu importe toute la diplomatie du monde Myr’Hennis avait des choses à reprocher au triumvirat et il devait admettre que la charmante compagnie de Viconia le lui avait presque fait oublier. Alors il se fit plus froid, plus distant, il ne pouvait pas se permettre de laisser une quelconque sympathie l’influencer. Un prince n’a pas d’amis, que des alliés, se répétait-il en boucle et même si penser ainsi facilitait la vie pour monter dans la hiérarchie ce n’était pas ce que désirait le Grand Architecte ; il s’était élevé au poste le plus important qu’il pouvait espérer. Il pourrait devenir roi, certes, mais à quoi bon, lui qui n’aimait pas diriger. Comme la majorité du peuple il s’attachait au titre et non au pouvoir ou à l’influence que ce dernier donnait à son possesseur.

Il allait commencer sa phrase par : je regrette. Non pas que c’était faux mais il regrettait simplement que cette délicieuse conversation se termine, c’était le sérieux de sa doléance qu’il regrettait. Il regrettait d’importuner Viconia, quelqu’un pour qui il s’était découvert une certaine affection, avec cette histoire alors que, pour ce qu’il en savait elle pouvait ne pas être au courant de ce qui s’était passé.

« J’ai écrit hier pour un problème qui me touche particulièrement : il semblerait que la Doth’ka ait usurpé mon identité pour se faciliter la vie. » Il termina sa coupe de vin d’une traite avant de reprendre. « Je n’ai rien contre apporter mon aide à un organe aussi… important du gouvernement mais j’aimerai tout de même être mis au courant ; pas de l’opération en question évidemment mais au moins savoir pourquoi est-ce que l’on use de mon nom comme d’un esclave avant d’être placé devant le fait accompli. »

Il était parti de chez lui aujourd’hui dans l’optique de rentrer en ayant obtenu des concessions du triumvirat mais au final il n’avait plus le cœur de les demander, de les exiger, comme il comptait le faire en arrivant.  

Alors donc nous y  voilà. Il se raidit, elle s'assouplit en apparence, contrebalançant la froideur nouvelle du grand architecte par un calme et une attitude chaleureuse. Se levant, elle le prend par la main pour le guider dans un coin de la pièce où un divan moelleux et elle se place à côté de lui, attentive, un esclave vient leur servir un verre de liqueur de champignons.


Oui, j'ai conscience de ton problème. Nous en avons discuté totu les trois hier d'ailleurs. Je sais que nous avons agis avec maladresse et grossièreté. Nous nous en excusons. Mais il y avait une infestation dans la champignonnière et il fallait agir avec célérité et exactitude pour éviter une contamination croisée.

Viconia regarde Myr'Hennis dans les yeux. Tout ce qu'elle dit est l'exacte vérité.

Nous sommes conscients d'avoir enfreint le protocole, mais il s'agit de circonstances exceptionnelles. Je peux raisonnablement te garantir que ca restera un événement exceptionnel et isolé. Ce que je peux te proposer…

Elle se rapproche de lui légèrement. Penche la tête légèrement et adorablement de côté.

C'est que si nous sommes obligés de réitérer l'expérience, que je viendrai t'aviser moi-même si possible. Si je ne suis pas au Puy, qu'un de mes gens viennent t'avertir séance tenante. J'aime nos relations et je détesterais qu'elle soit coupée par quelques maladresses ou problèmes de communications. Si tu le désire, je peux même te rendre régulièrement visite afin de m'assurer que tu ne manque d'aucune ressources pour accomplir ton travail si important et fastidieux pour la stabilité de la Cité d'Elda.   Personnellement j'adorerais te revoir, l'amitié d'un artiste de ta trempe est rare et précieuse et j'aimerais l'avoir.  

Viconia lui sourit, sincère.

Myr’Hennis la suivit jusqu’au divan et, prenant gracieusement le verre des mains de l’esclave il en avala une gorgée, savourant la chaleur de la liqueur plus que le goût en lui-même. Il rendit ensuite le verre ne voyant nulle part où le poser et lorsque Viconia regarda l’architecte dans les yeux celle-ci put y voire une certaine tristesse.

Il le savait et ce depuis le début. Pourtant il avait espéré, il avait même fait confiance à Viconia. Cela dit il la comprenait un peu, à sa place il aurait sans doute fait la même chose mais après leur longue discussion où il avait, pour la première fois depuis facilement quelques temps, été honnête, il se sentait trahis. Il n’était pas en colère, il était triste que la triumvir se moque de lui ouvertement. Loin de moi l’idée de vous manquer de respect. La phrase de Viconia résonnait dans son crâne. Un petit sourire triste naquit sur ses lèvres, constatant avec amertume qu’il s’était fait avoir depuis le début, lorsqu’elle se rapprocha il s’éloigna pour toujours garder la même distance entre eux. Lorsqu’elle eut fini de parler il se leva, tournant le dos à la belle, il grogna à cause de son mal de dos puis se retourna, les bras croisés sur sa poitrine.

« Tu sais Viconia, je n’aime pas qu’on me prenne pour un imbécile, surtout quand je m’en rends compte. Je t’en prie, ne gâche pas une relation si prometteuse en la souillant d’un mensonge aussi grossier. Aies au moins la décence de me dire la vérité, je refuse d’admettre que la Doth’ka s’occupe d’infestations, un travail d’ordinaire réservé aux seuls esclaves qui s’en occupent. » Il avait voulu parler froidement mais n’y était pas arrivé.

Lorsqu’il avait dit qu’il n’avait pas besoin d’être au courant des opérations en question ça s’appliquait pour les suivantes, pas celle-ci. Myr’Hennis se doutait bien que l’infestation en question n’en était pas une de rongeur mais si Viconia ne lui donnait pas de détails alors comment pouvait-il lui faire confiance quand elle disait que la triumvir allait le prévenir la prochaine fois ? De plus il était curieux, ce qui n’arrangeait rien.

Le sourire de Viconia s'évanouit devant l'insulte. Sa grande main vient caresser distraitement sa mèche, caressant le côté du sein par la même occasion. Manifestement, l'arcaniste est blessée et peinée par ces propos.

Myr'Hennis, laisse moi te citer un bout de ta lettre... moi, je n’ai pas de secret pour vous... Cher ami, pieu mensonge que je te pardonne, parce que tes secrets, c'est ce qui te rend si puissant et attrayant... Et tu me demande de révéler les miens? Serais je autant intéressante pour toi une fois ceux ci révélés?

Immobile, l'enchanteresse attends de voir ce que le mâle va penser et comment il va réagir. C'est la partie délicate de la rencontre. ca passe ou ca casse. Non, elle ne le lui dira pas ce qu'il en est. Pas du totu, les secrets du triumvirat ne concernent pas le grand Architecte. Et si il la trouve accommodante et gentille, si il insiste trop il va la trouver pas mal plus venimeuses.  Mais cela, personne ne saurait le dire sous ces prunelles d'émeraudes rougeoyants et cet air jeune, tendre et malléable.

Myr’Hennis comprenait mieux pourquoi Plynnil avait gloussé lorsqu’il avait dicté cette phrase. Même si elle n’avait pas tout à fait tort, les secrets du Grand Architecte n’était pas vraiment la base de son pouvoir mais plutôt son moyen de survie. Cela dit il doutait fort que c’était aussi le cas pour Viconia mais il se savait ne pas être en position d’insister, de toute façon il ne pouvait pas vraiment, pas après qu’elle lui ait mis le nez dans son mensonge. L’architecte prit à nouveau le verre et avala une gorgée de liqueur puis le rendit.

« Non, tu as raison, ce sont bien les secrets qui nous rendent intéressant, ça et notre vision de l’art. Cela dit si ta proposition tient toujours, j’attendrai avec impatience ta visite. » Il fit une révérence en tentant tant bien que mal d’ignorer la douleur que lui provoquait un tel geste. « Merci de ton invitation et bonne journée, je pense que je réussirai à trouver la sortie seul. »

Il s’en alla sans attendre de réponse, peiné de ne pas savoir le fin mot de cette histoire mais une fois Stargline et Dalharaen retrouvé, le couple de ayant largement profité des cuisines de l’Etat-Major, l’architecte n’y pensait déjà plus ; on ne peut pas gagner à tous les coups bien malheureusement.