[MdO2019] N’empêche, si ça s’infecte, on peut en mourir, j’vous ferais dire

En parallèle à La recherche des mémoires

Droit sur son cheval, Lyorindel regardait à travers les arbres, comme s’il s’attendait à une autre embuscade. Ce qui était impossible si près d’Alëandir mais sait-on jamais, ce n’est pas avec des excès de confiance qu’on survit bien longtemps, surtout dans la nature. Cela dit si d’autres devaient plisser les yeux pour y voir, la nuit ne l’a jamais dérangé, c’était un des avantages de sa magie : pouvoir amplifier la lumière qu’il recevait pour voir dans l’obscurité. Il aurait pu simplement rediriger les rayons de lune et il y avait pensé pendant un temps mais si sa monture pouvait voyager dans le noir, se contentant des instructions de l’elfe, ce n’était pas le cas de celle qu’il accompagnait.

Lyorindel hocha la tête, il était stupidement loyal et si Artiön demandait quelque chose il allait le faire, peu importe ce que ça pouvait bien être. Cependant ça le gênait un peu de savoir qu’il cédait son autorité à quelqu’un d’autre mais si c’était ce que le roi exigeait alors l’épervier allait obéir. Grâce à sa magie il ne manque pas le coup d’œil de son ami et il se demandait bien comment l’interpréter ; Lyorindel n’eut pas vraiment le temps de se poser la question car après la bénédiction royale Cinnaeth se mit en route. Alors il la suivit en se retournant pour regarder les félins partir. Il aurait tellement aimé être avec eux mais si l’Aran avait dit qu’il serait plus utile au conseil des sauvages, même s’il en doutait fortement, alors il devait se résigner à manquer la traque de celle qui l’avait estropié. Il n’avait plus qu’à espérer qu’elle soit assez courageuse pour faire face aux conséquences de son acte inconsidéré, cruel. Alors qu’il y repensait, il se disait qu’il aurait préféré la bénédiction d’Hiril Lothren. Pour éviter de succomber à la tentation l’épervier n’avait pas pris d’armes, de toute façon on les lui aura sûrement prises alors autant ne pas tenter. Mais peut-être que la diplomate avait sa dague, peut-être que ça pouvait servir.

Lyorindel fit avancer son cheval au niveau de Cinnaeth puis trouva sans peine son visage dans l’obscurité. « J’ai cru entendre que vous les connaissiez bien… » Il marqua une seconde de pause pour se forcer à changer de mot : « les noss. Est-ce par simple devoir que vous les côtoyez ? »

Cinnaeth Kielendar

Bien que les conditions ne semblent pas bien lumineuses aux yeux de la majeure partie de ses convives, la diplomate souriait. Les Ornedhels représentaient une menace, alors c’est aux Ornedhels que l’on appelait à l’aide. Le simple fait que cette situation soit ne serait-ce qu’envisageable était testament de l’efficacité de son travail, et perspective d’un rapprochement futur. Que l’intervention de la Peth’Idren dont elle était moitié l’une des filles suffise à maintenir le calme au sein des forêts Lëandrines – et elle suffirait à n’en point douter – et un pas de plus aurait été franchi vers une véritable collaboration entre ceux qui vivaient à l’intérieur et à l’extérieur des pierres.

- S’assurer que les relations entre Ornedhels et Taledhels au sein des territoires Lëandrins est mon devoir. la jeune demoiselle répond dans le plus grand calme Il va de soi que pour le mener à bien, j’aie dû autant apprendre à connaître les uns que les autres.

La diplomate fait le premier appel, déclarant le début de la marche des cavaliers quelques instants après que celle des féliniers ait commencé. Elle attendit que celui qu’elle escortait ait parfaitement calqué le rythme de pas de sa monture sur la sienne avant de donner une cadence digne de ce nom au trot, et reprit.

- Mais il est vrai que j’ai l’avantage d’avoir vécu dès l’enfance partagée entre les deux cultures. Ma lignée paternelle est originaire du clan auprès duquel nous allons plaider. N’allez pas croire cependant qu’il y a là quelque chose que l’on puisse exploiter d’une quelconque malhonnête manière. Gagner la confiance du clan en tant que demi-sang n’a pas été aisé, et la conserver est une bataille de tous les jours. le trot accélère encore un peu De la même manière que conserver une bonne réputation au sein de la société Taledhelle est une bataille de tous les jours.

Un appel encore, et les chevaux se lancent au galop à travers la forêt. Régulièrement, le regard de la diplomate se pose sur son collègue, scrutant ses expressions faciales, se tentant à comprendre quelles pouvaient bien être ses pensées, et sans savoir exactement quelles pouvaient en être les raisons, comprenant que sa relation avec le peuple Ornedhel devait être plus compliquée qu’il ne le laissait croire.

- Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les cultures Ornedhelles et Taledhelles ne sont pas bien différentes. elle soupire Il est juste plus simple de s’arrêter sur nos différends que sur nos points d’accroche.

À cette allure, le campement d’accueil du clan de son père serait atteint en l’espace d’un couple d’heures. Restait juste à espérer qu’elles ne soient pas trop éprouvantes pour celui qui devrait pour ce temps-là se passer de l’attention des médecins à leur suite.

- Votre dos heru ?

Un devoir que je ne vous envies pas, au final heureusement qu’il n’était pas vraiment diplomate sinon il aurait pu tomber sur une mission du genre un jour, encore qu’il faisait confiance à Artiön pour ne pas le mettre dans une telle situation. Enfin chacun sa spécialité et pour ce qui est des noss Lyorindel était plus habitué à se battre avec que de leur parler, au moins il ne pouvait pas dire qu’il n’avait pas essayé mais il avait compris la leçon : ça lui avait coûté ses jambes pendant une poignée d’heures. Pourtant il allait devoir recommencer et ça l’énervait d’avoir l’impression de faire deux fois la même erreur mais son ami le lui avait demandé alors il ferait deux fois la même erreur, même s’il ne pouvait s’empêcher de trouver ça stupide. En poussant un petit soupir il lança sa monture au trot, serrant les dents même si les secousses diminuaient alors que l’animal prenait de la vitesse.

En apprenant qu’elle était à moitié sauvage Lyorindel se sentit une affection nouvelle pour la diplomate car elle semblait avoir choisi la civilisation et si c’était bel et bien le cas ça voulait dire que d’autres pourraient faire ce même choix ; à condition de se rendre compte que les cités de pierre sont ce qui fait la force des elfes.

« Ne vous inquiétez pas, je laisse la fourberie et la malhonnêteté aux ornedhels, ils sont bien meilleurs que nous de toute façon. » La phrase fut achevée par un grognement après qu’une vague de douleur lui avait remonté le dos. « Mais vous côtoyez ces sauvages depuis plus longtemps que moi, enfin, vous leur parlez depuis plus longtemps que moi. Venant de Daranovar j’ai plus souvent eu l’occasion de les combattre que de communiquer avec eux. »

Il ne fit pas de commentaire sur la réputation, après tout s’il en avait une bonne, une tout court d’ailleurs, c’est qu’il faisait mal son travail d’épervier. Il poussa sa monture à aller plus vite jusqu’à atteindre le galop, il espérait qu’en augmentant graduellement la vitesse ça serait plus facile à supporter. Lyorindel avait abandonné l’idée de regarder la diplomate à ses côtés, il se concentrait entièrement sur la route, il ne doutait pas de la sureté du pas de sa monture mais mieux valait être prudent. Lorsqu’il n’observait pas le sentier qui se déroulait devant eux ses yeux se concentraient sur les alentours, il amplifiait la lumière lunaire qui arrivait à ses yeux pour voir quasiment comme en plein jour ; par soucis de discrétion, ce qui était stupide étant donné que leurs chevaux allaient au galop mais bon les habitudes ont la vie dure, il rentra sa broche à l’intérieur de son manteau car lorsqu’il usait de sa magie elle se mettait à briller plus ou moins légèrement ce qui était particulièrement visible dans la nuit.

Ce que Cinnaeth put voire c’était un elfe qui cherchait une trace de présence derrière chaque arbre et dont le regard s’arrêtait sur chaque ombre qui paraissait suspecte. A l’instar d’un enfant qui a peur du noir sauf que pour Lyorindel l’obscurité était une sorte de second manteau. Pendant un moment il n’avait pas répondu à la diplomate, trop occupé qu’il était de s’assurer que la forme qu’il avait vue était bien un animal sur une branche et non pas un sauvage. Alors il répondit à sa question d’abord.

« Il va bien, merci heri. Pour ce qui est des points communs entre nos deux cultures j’avoue ne pas les voir et au vu de ce qui s’est passé j’ai l’impression que ce soit les ornedhels qui insistent sur nos différences, si vous voulez mon avis mais je vous en prie : éclairez ma lanterne. »

Aux invectives de l’épervier, Cinnaeth ne put répondre que d’un rire désabusé à peine camouflé. Ce genre de remarques, elle avait dû vivre avec toute sa vie, et bien qu’elle y fut habituée aujourd’hui, et capable de s’en détacher, il lui restait impossible de ne pas trouver triste que deux faces d’un peuple tiennent tant à diaboliser leur contrepartie.

- Pas la peine d’aller chercher beaucoup plus loin que votre territoire d’origine alors ! Cinnaeth lance sur le ton de la plaisanterie Vous dites qu’à Daranovar vous affrontez les Ornedhels plutôt que de communiquer avec, mais aviez-vous déjà réfléchi à ces affrontements justement en tant que forme de communication ? elle marque une pause, trop courte cependant pour laisser à son interlocuteur le temps de reprendre la parole Autant que je sache, Daranovar est une Cité de tradition martiale, où certains conflits se règlent encore par le duel. Et autant que je sache, même si vos rencontres avec les Noss sont plus musclées et font plus de blessés qu’ailleurs, vous n’avez pas à vous plaindre de plus de morts que des protectorats pourtant réputés maintenir une bonne entente avec les clans présents. elle souffle du nez, assez satisfaite de sa conclusion Daranovar s’est bâtie sur un contexte guerrier, et cela vaut autant pour les « Sauvages » que pour les Citoyens. Il est donc peu étonnant qu’encore aujourd’hui la diplomatie s’y fasse à l’épée.

Un virage relativement serré vers la gauche plus tard, et la diplomate entraînait le petit groupe dans une zone forestière particulièrement touffue, où la progression se verrait quelque peu ralentie. Les discussions en revanche, s’en trouveraient facilitées.

- Les microsociétés Ornedhelles ont comme la nôtre pour base les Voies de La Mère, et comme nous ils ne demandent qu’à protéger l’Œuvre et à y faire honneur. Comme nous ils accordent une grande importance à l’histoire et aux traditions, comme nous ils accordent une grande importance à leur vie spirituelle, même s’ils écrivent pour la majorité très peu, ils affectionnent l’érudition, et accorde une bien plus grande place à l’art et aux sciences que l’on ne pourrait l’imaginer. Comme au sein des Cités, au sein des clans chacun apporte sa pierre à l’édifice pour que la communauté puisse prospérer. elle lève les yeux vers la Lune En réalité, la majorité des clans fonctionnent comme fonctionneraient des Cités sans murs, à cela près qu’il semblerait que l’absence de forteresse soit chez eux autant littérale que figurée. Les Ornedhels sont bien moins… contenus que nous. Dans beaucoup de cas ils se fieront à la Symphonie et à leurs instincts sans questionner leurs actes… pour le meilleur et pour le pire, alors qu’entre les murs des Cités, nous avons au contraire tendance à trop intellectualiser. Et c’est de là que viennent la majorité de nos différends.

La forêt s’éclaircit à nouveau, et le rythme du convoi reprend en intensité.

- Mais avec un peu de chance, peut-être qu’avoir un Roi Militaire Daranovan aidera à arranger les choses. Pour peu que les Cités ne soient plus perçues par les Noss comme symbole d’immobilisme et de complaisance, et qu’à côté l’Aran Lîn ne cherche pas activement à en faire des monstres…

Oh si il y avait pensé à la violence comme moyen de communication et c’était d’ailleurs un des rares, voir le seul, qui avait cours à la Cité des Armes car elle s’était construite autour de ça. Lyorindel l’écoutait avec un sourire en coin, pour lui ce qu’elle disait était teinté de naïveté et si l’on pouvait l’accuser d’être partial l’on pouvait aussi le dire de Cinnaeth ; en tout cas c’était ce que pensait l’épervier, même s’il n’avait pas les connaissances de la diplomate sur le sujet. Il la laissa discourir malgré son envie de l’interrompre, non pas que le sujet le gênait mais il avait envie d’ajouter des choses. Lorsqu’elle eut terminé il prit un instant pour organiser ses pensées, la reprise du trop n’aidait pas.

« Vous avez raison la violence est une forme de communication, le langage le plus universel qui soit, et le seul que les ornedhels ont l’air de comprendre, ce n’est pas faute d’avoir essayé. C’est un bien beau discours que le vôtre et même si j’aimerai de tout mon cœur croire que vous avez raison, mon expérience me souffle le contraire. » Il se pencha sur sa selle pour aller y chercher une outre accroché et se désaltéra. « Les noss avaient peut-être pour base les voies d’I Emël, à n’en pas douter même mais les ont-ils gardés ? Le fait est qu’ils sont moins nombreux que les citadins, et je ne compte pas les traîtres qui les ont rejoints. J’en déduis qu’ils préfèrent mourir, et donc mépriser la sacro-sainteté d’une vie, plutôt que de se protéger dans des cités. Ils veulent protéger l’Anaëh ? Je n’en doute pas, c’est autant leur foyer que le nôtre, cela dit où était-ils lorsque Caranthir est mort ? Où étaient-ils lorsqu’Alëandir s’est faite attaquer ? Où étaient-ils à Ellyrion, là où leur instincts auraient pu éviter un massacre ? Où étaient-ils à Eraison alors que les daedhels creusaient directement sous l’Anaëh ? Ont-ils aidé lors de la reprise de la ville ? Leur intervention pour faire reculer les sombres était bien belle mais c’était trop peu, trop tard. Qu’ils continuent à prendre les Cités pour des bastions de complaisance et d’immobilisme comme vous le dites si bien, en attendant lorsque l’Anaëh est menacé ce sont les Cités qui se dressent pour protéger la Première Œuvre. Si vous voulez mon avis l’Aran n’a pas à en faire des monstres, les ornedhels le font très bien tout seul, ils n’ont pas besoin d’aide pour ça : ce sont eux qui tentent de changer notre mode de vie par la violence et non l’inverse ; je n’ai encore jamais vu aucun citadin forcer un sauvage à adopter la civilisation. »

En parlant d’Artiön, il se tourna, malgré la douleur causée par le mouvement, pour regarder derrière lui. Il voulait savoir comment se passait la traque, c’était stupide de se retourner, il était certain de ne pas pouvoir le voir mais il espérait tout de même. C’était bien la seule chose qui lui restait à faire.

Cinnaeth cette fois ne put s’empêcher de laisser échapper un véritable éclat de rire, et de rire sincère, tôt imité par les deux guérisseurs du petit groupe.

- Si vous pensez les Noss moins nombreux que les Citadins, vous vous trompez lourdement. Ce n’est pas parce qu’on les voit peu qu’ils ne sont pas là. Ce sont les Noss la majorité de la population elfique, ils sont simplement pour beaucoup extrêmement discrets.

- Et puis il faut que tu te calmes un peu Lyo. Ce serait triste – et débile – d’entrer un Conseil d’Ornedhels convaincu qu’ils ne comprennent que la violence.

- Tout ce qu’on fait ce soir n’aurait aucun sens.

Les rires se dissipent, laissant soudainement un silence pesant. La réalisation les frappait à l’instant. Si Lyorindel était à ce point remonté, ils risquaient gros. Que l’épervier refuse de faire preuve de respect face à ceux devant qui ils plaideraient, et c’est l’équilibre d’un Protectorat tout entier qui serait en jeu. Certes, ce ne serait certainement pas la Peth’Idren la première à lever les armes, mais sans le soutien de la Peth’Idren, d’autres pourraient en être tentés. Il en faudrait si peu par exemple, pour que les Min’Nolwë ne se décident à faire de la vie autour des mines, des carrières et des zones de pêche un enfer.

- Mais puisque tu le fais remarquer, on pourrait aussi argumenter qu’en refusant de se protéger derrière les murs des Cités, les Noss restent plus près des Voies que nous ne le sommes. En restant vulnérables face à la forêt ils font preuve d’humilité, se placent sur un pied d’égalité avec le reste de la Prime Œuvre et acceptent qu’elle puisse puiser parmi eux comme ils puisent en elle. le reste était douloureux pour Cinnaeth, mais elle se retint d’en faire démonstration Quant à savoir là où ils étaient durant ces grands conflits… et bien là où ils sont durant ceux de plus petite ampleur, qui n’arrivent même pas à nos oreilles. Les Ornedhels sont la première ligne de défense de l’Anaëh. Vous ne pouvez même pas imaginer le nombre de dangers que leur simple présence écarte, et le nombre de menaces qu’ils ont tué dans l’œuf. Les clans, contrairement aux Cités, ne sont juste pas adaptés à faire face à des affrontements de grande ampleur. Ellyrion l’a prouvé. le ton de la diplomate s’assombrit tout de même pour ce passage, que trop de Citadins aiment passer sous silence Les Noss ont marché avec les Citadins durant la débâcle d’Ellyrion, des Druides et des Shamans à leur tête… et à cause de ça des clans entiers, privés de leurs guerriers et de leurs chasseurs ont été annihilés.

Un nouveau lourd silence s’installe, et l’un des guérisseurs monte à hauteur de Cinnaeth, et lui fait quelques signes avant de lui reprendre la parole.

- Tout ça pour dire Lyo, que les Noss sont loin d’être aussi terrible que ça. Certes, ils sont un peu caractériels, et il serait temps qu’ils s’avouent - parce que je pense que depuis le temps ils ont bien dû le réaliser – que les Cités sont nécessaires pour la défense d’Anaëh. Après tout, c’est pour cette raison qu’on les a bâties au départ. Mais à côté, qu’ils nous rappellent de temps en temps qu’il y a une forêt de l’autre côté des murs n’est pas plus mal.

- Tu avoueras que c’est bien dommage qu’on soit aussi peu à toujours entendre la Symphonie. Surtout qu’avec le Voile, il paraît qu’elle résonne même jusqu’au Cœur des Cités !

- Et pour le coup, je ne sais pas si l'Aran l’avait en tête au moment où il l’a proposée, mais la restructuration des Cités est l’occasion parfaite de leur faire comprendre qu’on se souvient toujours du rôle premier des murs.

La guide reprit ses esprits pour embrayer sur le sujet.

- Et effectivement, chez les Ornedhels, la réduction du nombre des Cités a fait renaître un peu d’espoir en notre respect pour la Prime Œuvre. C’est pour ça que je trouve d’autant plus étrange qu’il y ait eu une attaque sous cette atmosphère, et surtout aussi près des routes de migration.

Encore une fois il les avait écouté avec la patience que son métier lui dictait mais en cette occasion il pouvait se permettre de ne pas cacher ses sentiments, contrairement à d’habitude. Les réponses, que Lyorindel supposait avoir pour but de l’apaiser, eurent l’effet inverse ce qui se sentait dans sa voix qui se mettait à trembler d’une colère froide. Il n’avait pas participé à tous les évènements qu’il avait listé mais il savait que la présence de Noss et leur connexion à la Symphonie aurait pu éviter tant de pertes inutiles ; à ça il fallait coupler sa situation familiale pour comprendre la haine qu’il vouait aux sauvages.

« Vous dites qu’ils sont plus proche de la nature ? Effectivement, je ne peux pas dire le contraire, mais grâce à qui ? C’est bien beau de se revendiquer proche d’I Emël lorsque l’on n’est pas capable de défendre Son Œuvre ; et c’est risible de compter sur d’autres pour le faire pour ensuite dénigrer les autres en question du haut d’un sentiment de supériorité très mal placé. Même si je n’ai aucune affection pour les sauvages je pleure tout de même la perte de leurs vies, cela dit il est temps qu’ils partagent avec nous le coût qu’implique la défense de l’Anaëh. Ils devraient au moins reconnaître que sans les Cités la Première Œuvre aurait depuis longtemps été brûlée par les sombres ou abattue par les humains. Je leur concède que les murs sont un mal pour mais ils restent un mal nécessaire, je préfère voir des murs être érigés entre les arbres que de ne plus voir d’arbres du tout. Ceci étant dit ne vous inquiétez pas, je saurai tenir ma langue, l’hypocrisie n’est pas l’apanage des noss. »

Les rênes dans une main et sa gourde dans l’autre, l’épervier but encore une fois, savourant la fraîcheur d’une eau refroidie par la froideur de la nuit. Malheureusement il se doutait que le reste de la soirée n’allait pas être aussi agréable, il allait sans doute devoir supporter, en plus de ses douleurs, les regards inquisiteurs de sauvages. Tout ça pour leur quémander de rester tranquille alors qu’ils ne demandaient qu’une chose : que justice soit faite.

- Entre mesurer ses mots et sombrer dans l’hypocrisie il y a un fossé. Pour notre bien à tous il vaut mieux que vous ne le franchissiez pas.

Elle préférerait encore le voir distiller ses désagréables vérités de manière contrôlée que retenant des sentiments qu’on lui aurait trop vite décelé. À ce jeu-là les représentants du Conseil étaient au travers des années devenus beaucoup trop doués. Voilà ce qu’il en arrivait aux Ornedhels, trop habitués à exprimer de manière débridée leur intériorité, lorsque comme leurs confrères des Cités, ils s’éduquaient à tenir des conversations dans la retenue.

- Celle qui nous accueillera une fois sur place se nomme Ma’hëlnoss. C’est elle la principale responsable des relations de la Peth’Idren avec les clans voisins et les Taledhels. Cinnaeth réduit la cadence une fois de plus C’est probablement elle la personnalité la plus influente à laquelle nous aurons affaire durant le Conseil.
Sa seconde, Ôthel, la Rêveuse, est une elfe de peu de mots, mais en tant que la Voix de l’Ëala Gardien, ses mots pèsent lourd dans la balance. S’il est une elfe à qui il ne vaut mieux pas mentir c’est elle. Elle est trop difficile à tromper pour que le jeu n’en vaille la chandelle.

Le silence retombe lourdement sur les voyageurs, plus pesant maintenant qu’il ne l’avait été durant les accalmies de la première partie du voyage. L’échéance se rapprochait, les Citadins faisaient face à leur manque de préparation, les enjeux devenaient de plus en plus palpables, et la possibilité d’un échec de plus en plus effrayante. Les cœurs battent au même rythme que bruissent les feuilles de la forêt sous la brise nocturne. Les rayons de la pleine Lune croisent ceux de Silène dans un sinistre ballet de lumières bleutées, ouvrant ce qui semblerait presque être un chemin à travers la Sylve.

Cinnaeth suit les rayons, suit les étoiles, repère des traces inconnues des éclaireurs des pierres. De minuscules formations rocheuses naturelles que majorité d’elfes auraient ignorés, des cicatrices reconnaissables sur les troncs – marques de passage réguliers d’animaux, et puis surtout, elle suit ses instincts, guidée par le tendre murmure de la sylve environnante.

- On y est.

Quelques buissons poussés sur le côté, et se dévoilait une large trouée, au cœur de laquelle la diplomate invita cordialement sa suite. Comme escompté à peine arrivés ils ne seraient pas seuls pour autant. Ni la Voix, ni la Rêveuse n’étaient là, mais patientant juché sur des souches organisées en un large cercle se trouvaient déjà quelques Ornedhels, les dévisageant silencieusement, car n’ayant finalement rien d’autre à faire que d’imprimer les traits des nouveaux venus en l’attente des hôtes de cérémonie.

- Des représentants des différents clans d’Alëandir.

Cinnaeth n’ajouta rien de plus, se contentant de descendre de sa monture, et d’aller calmement saluer un à un chacun d’entre eux. Chaque fois les salutations s’allongèrent légèrement en de sommaires présentations de ses accompagnateurs et d’une description tronquée de la raison de leur présence, mais sincèrement, ce qu’attendait Cinnaeth, c’est que les Citadins prennent la peine de s’introduire eux-mêmes.

« De toute façon ne vous attendez pas à ce que je rampe à leurs pieds. Je leur dirai ce que je pense, j’enroberai simplement mes dires de miel pour qu’ils soient plus agréables à entendre, le sens, par contre, ne changera pas. »

Pour la suite il écouta attentivement, l’habitude encore une fois, ça lui rappelait beaucoup une préparation de mission et même si l’objectif n’était pas de les espionner ou de les assassiner, il nota les deux noms dans un coin de sa tête. Ça serait fâcheux d’oublier leurs prénoms en plein milieu de la future discussion. Loin d’être gêné par le silence, Lyorindel reprit son observation minutieuse de la forêt. Il ne faisait pas du tout attention aux mêmes choses que Cinnaeth et ne put donc pas détecter les signes qu’ils approchaient, de toute façon il n’aurait pas pu car il ne savait pas quoi chercher, mais il eut au moins la certitude qu’ils n’étaient pas suivis. Si c’était le cas ils l’étaient par quelqu’un de particulièrement doué. Mais ce n’était qu’une habitude, faire ça, car qu’il soit suivi par personne ou une armée ne changeait rien : il n’avait de toute façon pas d’armes pour se défendre ; il devait admettre que ça lui faisait peur de devoir compter sur la bienveillance des Noss pour sa survie, vu ce qui s’était passé la dernière fois qu’il avait essayé il n’avait pas vraiment envie de retenter mais bon, il n’avait pas le choix alors il le faisait de mauvaise grâce.

L’épervier suivit donc la diplomate et la remercia d’un hochement de tête pour leur céder le passage. Plus il approchait du conseil des noss moins il avait envie d’y participer. Il se contenta de la précision somme toute laconique de la diplomate, de toute façon il n’était pas certain de vouloir en savoir davantage. Lyorindel attendit que tout le monde fût descendu de cheval et, comme pour y monter, les guérisseurs l’aidèrent à descendre. Il aurait aimé pouvoir le faire seul, surtout devant des noss, mais c’était tout simplement impossible sans risquer de réduire à néant le travail d’Artiön et il aimait plus son dos qu’il ne détestait les sauvages.

Pour les présentations et les salutations il imita Cinnaeth en espérant qu’elle n’avait pas de salut particulier qu’elle était la seule à pouvoir faire puis il se força à faire une révérence, certes un peu raide mais bon ce n’était pas voulu, à chaque membre présent ; il tentait de contenir les grognements de douleur, il essayait de faire en sorte que ses plaintes ne soient pas trop sonores, la pire insulte qu’il pouvait imaginer c’était d’être pris en pitié par des sauvages. S’il n’aimait pas les noss il les respectait tout de même, après tout c’étaient aussi des elfes et chacun avait pour I Emël et Son Œuvre un respect et une dévotion qui, en tout cas le pensait-il, forçait le respect.

Par respect pour ses souffrances ou tout simplement par désintérêt, rien ne pourrait le dire, mais les Noss déjà présents au cercle où se rassemblerait le conseil cette nuit restèrent entièrement impassibles face à la douleur du Citadin. À ce qu’ils comprirent aisément être des salutations ils répondirent chacun leur tour d’une courte révérence, fruit d’un mimétisme plus que de l’habitude de croiser les Citadins, parfois accompagnée de quelques salutations verbales.
L’épervier, secondé par ceux qui faisaient les deux tiers de la force de ses jambes, fut invité à prendre place sur l’une des souches, et ainsi commença l’attente. Petit à petit, comme ils étaient arrivés eux, d’autres Ornedhels se présentèrent à la table ronde, chacun allant de son propre rituel de salutations, et parmi eux, presque aucun qui ne soit pas venu avec le sourire. La situation était grave, ils le savaient tous. Quand les Citadins se présentaient ainsi face à eux, elle l’était toujours, mais se morfondre ne servait jamais qu’à prendre de mauvaises décisions.

Cinnaeth elle aussi souriait, l’esprit baignant à moitié dans les réminiscences des longues heures passées en compagnie des différents Chefs et Ambassadeurs des clans qui se réunissaient ici. Elle était confiante en leur sagesse, assurée qu’ils trouveraient les mots que les Taledhels ne savaient pas où chercher, probablement autant qu’ils l’étaient de leur propre jugement. Cette assurance collective, cette cohésion, bien qu’elle fut teintée des occasionnelles inimitiés personnelles, aisément repérables à la manière dont étaient accueillis les nouveaux arrivants, ne plongeaient pas moins les lieux dans une solennelle quiétude.


- Soyez les bienvenus, frères et sœurs. une quiétude dont Ma'hëlnoss était l’exemplaire reflet Le reste de ceux que l’on doit entendre ce soir ne saurait tarder.

Le regard hagard d’Ôthel, son accompagnatrice était sans équivoque : c’était elle la source de ces prédictions. Elle, La Rêveuse de la Peth’Idren, qui avait été l’origine de cette lecture de la Forêt. Les deux femmes, menues par la taille, mais imposantes de leur présence prirent place parmi les autres et comme les autres, ne laissant pour indice de leur statut particulier que le souvenir de leur entrée au sein du Cercle. Comme les autres elles prirent le temps de saluer un à un les elfes présents. Et comme les autres elles se choisirent une souche sur laquelle s’asseoir. Contrairement aux autres cependant, Ma'hëlnoss plutôt que d’entamer de messes basses avec sa voisine, entreprit de questionner de manière à ce que tous ceux présents l’entendent.

- Quelles sont donc les raisons nous valant votre présence parmi nous aujourd’hui , Haedhrims ?

Cinnaeth la première, les guérisseurs ensuite, puis attirés par leurs regards, ceux de tous les autres présents se tournèrent vers Lyorindel, attendant qu’il conte une nouvelle fois son histoire.

Lyorindel ne voulait pas être ici, il n’aimait pas ceux qui s’y trouvaient mais il le cachait sous un masque impassible. C’est donc avec soulagement qu’il tourna le dos aux noss pour aller s’asseoir avec l’aide des soigneurs. Sur sa souche il observa les sauvages avec leur sourire et il trouvait ça insupportable. Ils devaient se rendre compte de la gravité de la situation, c’était obligatoire, alors pourquoi réagissaient-ils ainsi ? Il ne s’était pas attendu à ce qu’ils pleurent mais le sérieux était de mise.

La phrase de bienvenue de ne toucha pas du tout Lyorindel mais la seconde lui fit lever les oreilles. Pourtant tout le monde semblait être présent, Ma’hëlnoss et Ôthel, qu’il n’avait pas eu de mal à identifier, étaient là. Il tenta tant bien que mal de se lever, même si les soigneurs avaient protesté en silence quelques instants ils l’avaient aidé sachant qu’il allait essayer de se lever avec ou sans eux. S’il devait raconter son histoire une fois de plus il allait le faire debout. Hors de question que les citadins passent pour des faibles devant ce conclave de sauvage.

« Comme je l’ai dit au roi : je cherchais ma mère dans les alentours d’Alëandir lorsque j’ai entendu quelqu’un tomber. Je suis alors allé voir ce qui se passait, voyant une noss, visiblement agressive, piégée dans des lianes je suis descendu de ma branche après la première flèche tirée par la noss en question. » Sa voix était neutre mais ça n’empêchait pas son regard de passer sur chacun des sauvages rassemblés ici avec une certaine animosité. « Ses compagnons sont arrivés, nous menaçant au passage, mon premier réflexe fut de lever les mains et de préparer un sort pour nous permettre de nous sortir de cette situation épineuse. Une fois de retour sur la terre ferme la noss piégée m’a tendu ma dague, j’ai refusé de la prendre pour ne pas lâcher mon sort, sort que je réservais pour l’enfant qui est apparue peu de temps avant. Je me suis agenouillé devant l’enfant et j’ai relâché les papillons de lumière emprisonnés dans les paumes de mes mains. En tentant de montrer le côté plus artistique de ma magie je n’ai eu le droit qu’à un coup dans le dos, un coup de ma propre dague, celle que j’avais refusé de reprendre. J’ai fait confiance à une noss pour ne pas attaquer un homme désarmé, par derrière qui plus est. Elle m’a ensuite poussé vers les autres citadins qui m’ont réceptionné et j’ai perdu connaissance à ce moment-là. » Une fois son discours terminé il retourna s'asseoir, hors de question qu'il se tienne debout si elles voulaient lui poser des questions comme s'il était l'accusé.

- Vous voulez dire que depuis le départ vous prépariez un sortilège inoffensif ? À ce moment-là pourquoi l’avoir retenu si longtemps ? N’aurait-ce pas été plus sûr de simplement reprendre votre dague au moment où elle vous en a offert la possibilité ? Tous les Noss ne sont pas versés en magie, il est grandement possible que de vous voir refuser une arme à la faveur de votre magie n’ait fait de la-dite magie une potentielle arme à ses yeux. À ce moment-là, il est facile d’imaginer que son niveau de méfiance ait été trop haut pour qu’elle ne prenne le temps de réaliser que votre sort était sans danger.

Les Ornedhels autour de la table échangeaient des regards, les uns semblant partager cet avis, les autres y voyant une excuse beaucoup trop facile. La vie en Anaëh est éprouvante, et autour des Cités il y a des Citadins. Que dire alors d’une Noss surprise par un Citadin près d’une Cité et ayant si aisément succombé au stress ?

- À mon humble avis Haedhrim, votre description des événements nous laisse bien imaginer ce que vous craignez, elle reste bien trop sommaire pour que nous ne puissions réellement nous prononcer.

Le jeune ambassadeur ayant prononcé ces mots plongea son regard dans celui du plaignant avec une pointe de défi. Quelque chose clochait dans le discours du Citadin, et il le sentait. Il le sentait, et coûte que coûte il arriverait à en dénouer les fils. Certainement la rencontre avait été plus humiliante qu’il n’osait le décrire, et dans son immense orgueil Taledhel refusait-il de partager les détails les plus importants. Des forces en présence de son côté qui auraient rendu un potentiel affrontement plus équilibré. Un faux pas qu’il se refuse d’avouer avoir fait. Autant de détails qui pourraient autant justifier une telle mesure prise par l’agresseure que la rendre encore plus condamnable.

- Il a raison. Sans la moindre échelle de temps et sans un minimum de détails sur ce qui a été dit on n’ira pas bien loin. la vieille elfe d’apparence un brin revêche enchaîne Vous savez, nous on découvre la situation avec ce que vous nous racontez alors…  

Pour Lyorindel aussi l’excuse était trop facile mais malheureusement il n’était pas là pour juger qui que ce soit, il le regrettait mais ce n’était pas son rôle du jour. Très bien s’ils voulaient plus de détails il allait les donner mais il craignait que les détails en question ne déplaisent particulièrement aux sauvages.

« Il n’y avait qu’une chose à l’ordre du jour : désamorcer une situation dangereuse, j’étais entouré avec aucune idée du nombre d’arcs bandés pointés sur moi. Alors oui, je n’ai pas pris mon arme. En ouvrant les mains j’aurai lâché mon sort et de par son comportement résolument agressif de la noss j’ai jugé que la seule manière de réduire la tension et donc le risque était de montrer ma magie à quelqu’un qui voulait éviter un bain de sang : l’enfant dont je vous ai parlé. Que la noss se soit méfié je le comprends, ce que je comprends moins par contre c’est que j’ai pu apparaître comme une quelconque menace : j’étais désarmé, j’ai refusé de prendre une arme et je me déplaçais avec une lenteur calculée pour laisser à quiconque le temps de réagir au moindre problème, une fois ma magie inoffensive dévoilée comment ai-je pu passer pour un danger ? » L’épervier commençait à douter de l’impartialité des sauvages réunis ici mais il ne s’en étonnait pas, la faute incombait à l’une des leurs après tout. « Je vous laisse donc juger si oui ou non porter atteinte à la vie de quelqu’un qui ne représente aucune menace est acceptable en Anaëh. » Cette phrase était adressée spécifiquement à l’ambassadeur, du regard Lyorindel le mit au défi de répondre que ça l’était.

« Si donc vous ne représentiez pas une menace directe, avez-vous la moindre idée alors de ce qui aura pu motiver son geste ? Parce que c'est là réellement que pourrait se faire la différence entre un souci de l'instant, et une menace sur le long terme. »

Lyorindel fut surpris de la question, surprise qu’il mit un peu moins d’une seconde à cacher puis il se mit à réfléchir car il devait admettre qu’il n’en avait aucune idée.

« J’avoue ne pas m’être posé la question, je pense ne pas avoir le recul nécessaire pour déterminer avec une quelconque forme d’exactitude les raisons qui ont menés à l’attaque. Mais si je devais tenter de deviner, je dirais que ça vient d’une animosité certaine envers les citadins qui tutoie la haine couplée à une méfiance qui approche dangereusement la paranoïa. Cela dit je ne la connais pas et si vous voulez une réponse je vous recommande d’aller voir son clan.»

Jamais. Jamais tu n'avais côtoyé de semblable manière d'autres Noss, ainsi rassemblées. La présence de citadins te hérisse le poil, mais bien moins que ce point qui vient peser sur ton cœur : celui de la gravité de cette situation. Toutes ces Noss, tu étais censée les rencontrer, une à une, avec respect... Non pas ainsi, pas sous tous ces regards scrutateurs, Noss comme citadins... Nombreux, divers, et si lourds. Sans parler du sien : tes mires s'écarquillent à sa vue, tandis que sombre un peu plus ce qui te tenait lui de rempart, ta conviction d'avoir agit pour le mieux. Que ce soit le cas ou non, que ton coup ait été efficace ou non, cela ne changeait rien à celui qui se tenait assis, par ses propres moyens, sous tes yeux : le citadin que tu avais poignarde. Tu l'avais vu s'effondrer, tu avais vu... Tous le reste. En un instant, il te sembla la revivre, cette décision, et ses conséquences immédiates. Sur les tiens, sur les citadins... Si grave. Qui détruisit... Quelque chose. Pour quel résultat ?

Les Noss assemblées, lui, maîtrisant l'entièreté de son corps, et toi jugée. Éloignée des tiens. La Symphonie même te semble une cruelle cacophonie, sans trace de la musique des tiens. En cet instant, c'est le son qui te manque le plus. En cet instant, c'est ce qui te fait te sentir seule. Inutile. Perdue. Tu te fis violence pour fermer les mains avec douceur, sans en faire blanchir les articulations. Néanmoins, malgré ton visage fermé, tes oreilles frémissaient et des remous agitaient le cuivre de tes yeux, seules trahisons de ton trouble. L'une de tes mains te démangeait encore des spores des créatures dont tu avais perturbé l'essaim, ton corps était douloureux de la poursuite et de la tension que tu lui infligeais. Pourtant, tout cela t'importait peu, encore moins qu'avant. Ne restait que ton devoir, la chose à faire... Obéir aux Anciens. Sans un regard pour celui à qui tu t'étais rendu, tu t'avança avec solennité, face aux Noss, notant la présence des citadins, sans t'y attarder. Les Noss, seulement, méritaient ton attention.

"Je vous salue, frères et soeurs. Je suis Faelwen, des Iarin'Dath. Ton timbre est naturellement de miel, mais pour qui y est sensible, son absence d'émotions est glaçante. Un instant, tes paupières se ferment, tandis que tu énonces : Comme l'ont décidé nos Anciens, suite à leur jugement, je me présente à vous afin de vous prévenir de mes actes, et d'écouter vos sentiments. De nouveau, ton cuivre se tourne vers leur visage. De vos mots, je me souviendrai, et les ramènerai aux miens."

Cela, tu le dis même alors que tu brûles. Tu brûles du rejet envers cette réalité. Ton acte n'a créé que trouble, et n'a protégé personne. Cela te frappe alors que la présence du citadin t'es toujours plus marquée, toujours plus imposée, toujours plus insupportable. Assis, naturellement, comme intact. Capable de s'approcher des tiens. Capable de porter le prochain coup. Debout. Et toi tu es éloignée d'eux. De profondes inspirations te permettent de garder contenance, alors que tu débutes le récit... De ta déchéance.

"Nous avions monté le camp il y a peu. J'ai envoyé les éclaireurs reconnaître les alentours, et suis allée à leur suite. Dans ma course, j'ai manqué marché sur un tatzelworm. Je suis parvenue à l'éviter puis... J'ai glissé. J'étais suspendue par des lianes au dessus d'un étang. Mon couteau y est tombé. Ton timbre est blanc, tandis que tu n'épargnes aucun détail. L’honnêteté, face à ceux qui ont accueilli l'errance des tiens des cycles durant, voilà ce à quoi tu te raccroches. Une troupe armée de citadins à surgit, dont celui-ci. Tu désignes ton poursuivant. J'ai tiré une flèche de sommation. Ils l'ont respectée. Mes autres flèches sont tombées, à l’exception de celle que j'avais encochée aussitôt. Ce citadin - Lyorindel - a surgi depuis les hauteurs, sautant au bord de l'étang. Son semblable m'a alors fait tombée dans l'étang, en coupant les lianes qui me retenaient. Sous l'eau, j'ai pu récupérer mes flèches. Quand je suis remontée, les citadins étaient tenus en respect par nos éclaireurs et Ungwë est arrivée. La Première de notre Shaman. Ma... Sœur. Une infime perturbation, dans ces paroles que tu leur offres sans retenue. Presque une enfant. Elle nous a prévenu que Lyorindel préparait un sort. Ilweran - l'un de nos Aînés - s'est interposé entre elle et lui. J'ai plongé pour me rapprocher des citadins. Dans la glaise, j'ai trouvé une lame d'acier. Quand j'ai émergé, ils n'avaient pas encore bougé. Alors je... J'ai remercié celui qui m'avait décrochée, et j'ai tendu la lame à Lyorindel, car il n'en avait plus à la hanche, en leur disant de partir. Sous le coup de ton récit, et des émotions tant bien que mal maîtrisées, tes pommettes caramel se teinte de nuances plus vives. Il m'a ignoré, et s'est approché d'Ungwë. Je crois que l'autre citadin a dit quelque chose mais... Tu jettes un oeil perplexe au citadin à la chevelure flamboyante, puis poursuis. Mais je ne m'en rappelle plus. Lyorindel m'a ignorée, a ignoré le rempart d'Ilweran, s'est approché d'Ungwë et... A fait des papillons lumineux. Ungwë m'a ensuite dit qu'elle l'avait suivi un temps, alors qu'il suivait nos traces. Malgré toi, cette simple mention accélère de nouveau les battements de ton coeur. Je leur ai répété de partir, tout en disant que Lyorindel devrait rester pour nous dire exactement ce qu'il recherchait. Son compatriote s'est fait menaçant. Lyorindel a répondu... Tes sourcils se froncent légèrement. Maintenant, encore, tu ne comprends pas. Qu'il cherchait sa Gobe'Line... Et qu'il n'avait trouvé qu'un tatzelworm. Malheureusement, cette brèche laisse rentrer une autre émotion, au souvenir du regard de ta cadette. Ungwë a voulu me dissuader de le retenir, en minimisant les risques quant à s'il nous avait bel et bien découvert ou non. Quant à lui, il a ironiser, pour minimiser à son tour. Je ne les ais pas crus. Tes pensées d'alors te reviennent et te font frémir. Je l'ai frappé dans le bas du dos, afin qu'il ne puisse plus nous suivre. Puis je l'ai j'ai jeté à ses semblables, en leur répétant de partir. Serrant les mains, tu te raffermis. Ungwë s'est portée à son chevet, afin de le soigner, tout en ordonnant aux éclaireurs d'aller prévenir les nôtres. Elle s'était déjà mise en danger une première fois, j'ai refusé de la laisser faire à nouveau : je l'ai frappée pour la rendre inconsciente. Puis je l'ai soulevée et j'ai reculé. Les citadins sont partis. Nous sommes retournés au campement. J'ai raconté les faits à nos Anciens, de même qu'Ungwë, puis ils ont rendu leur jugement. Avec une profonde inspiration, tu reviens dans le présent. Cette instant où tant de regard pèsent sur toit. Où ton vécu des derniers jours te pèsent plus que tes trois siècles. Un acte vain, qui n'aurait fait naître que du trouble. Voilà ce qui écrase ta mémoire. Je n'ai pas eu le temps de veiller à ce que les taledhels perdent la piste des miens, comme exigé par nos Anciens. Je n'ai pu que vous rapporter ces faits. A présent... Ta voix meurt, tandis que tu baisses la tête devant eux. Je vous écoute."

L’impassibilité avec laquelle les yeux s’étaient retournés vers Faelwen était presque effrayante. D’entre tous les membres du Conseil en présence, pas un, pas même les plus jeunes, que l’on pourrait penser impressionnables, ne fit démonstration du moindre étonnement. Les visages se contentèrent de répondre silencieusement à ses salutations, Ma’hëlnoss elle-même ne prononçant pas le moindre mot, certains qu’ils étaient qu’elle savait déjà les raisons de sa présence ici.

L’archère ne perdit pas un instant. S’introduisit sans tergiverser, et avec le même glacial détachement commença à conter son histoire. Et au grand étonnement de la majorité – enfin – de l’histoire de l’un à celle de l’autre les faits corroboraient. Certes, les points de vue étaient radicalement opposés, il fallait s’y attendre, mais l’enchaînement d’événements restait le même. À la défense de l’accusée d’ailleurs, ce fut d’entre les deux son récit le plus efficace, à la fois le plus simple à comprendre et le plus complet. Au sein de l’assemblée, sous beaucoup des visages marqués d’une sévère consternation se dissimulaient les éclats d’un rire moqueur.

Situation ironique aux yeux de ceux qui savaient comme trop de Citadins aiment les appeler des sauvages.  Comme quoi civilisation n’allait pas toujours de pair avec éloquence.

Mais toute la simplicité du personnage mise de côté, Lyorindel marquait un point important dans son discours. Un point que l’intervention de l’accusée ne fit à leur grande surprise que renforcer. Elle venait d’introduire notion de temps dans leur arc narratif. Elle venait de déployer les rapports de causalité que le Taledhel ne parvenait pas à proprement définir. Elle, avec une honnêteté ô combien louable, venait potentiellement de creuser son propre tombeau.


- Nous comprenons d’où viennent tes craintes, Fille de la Mère. Ma’hëlnoss intervint tête haute, debout au centre du Cercle Et nous comprenons ton geste le regard de Ma’hëlnoss vire vers Lyorindel, lui sommant silencieusement de se taire seulement, il faut que tu réalises… et si ton clan porte les mêmes, il faut que vous réalisiez qu’elles sont largement infondées.

La Voix de la Peth’Idren s’approche de Faelwen avec une démarche mesurée, la dévisageant comme une mère dévisagerait une enfant qui venait de commettre une grave erreur.

- Tu es encore jeune, beaucoup d’entre nous à ton âge nourrissions encore une crainte aveugle de la culture Taledhelle… seulement à qui veut bien le voir, les temps ont prouvé que d’entre toutes la violence n’est point l’une de leurs tares. Certes, leurs armées sont puissantes, mais rares sont les cas où ce seront ceux qui en ont bâti des murs qui jetteront la première pierre. la vieille elfe ayant précédemment interrogé l’épervier retient un gloussement à l’ouïe du calembours À faire tant de cas de la connaissance intellectuelle qu’ils puissent essayer d’obtenir de vous ou sur vous, quand c’est là leur premier moyen d’à la fois se protéger eux de nous et nous protéger nous d’eux, toi et les tiens risquez fort de rallumer un incendie dont nous avons encore aujourd’hui bien trop de mal à tempérer les braises. La Voix fait un dernier pas en direction de Faelwen, se figeant à un bras de distance d’elle N’est-ce pas les conforter dans la haine et les erreurs de leurs Voies que de répondre à leur curiosité par une telle violence ? N’est-ce pas les conforter dans leurs tares que de ne jamais rien leur exposer d’autre que les nôtres ?
Je ne peux jamais qu’en supposer, mais si c’est à ce point méfiants que sont les Iarin’Dath envers ceux des Pierres, votre marche est comme celle d’un porteur de flambeau à travers les marais-cimetières.

Lorsque ces mots traversent les lèvres de Ma’hëlnoss, la tension dans l’air s’accroît de manière palpable. Ils n’aimaient pas l’entendre parler ainsi, les ambassadeurs des clans. Pour autant avaient-ils pris l’habitude d’occasionnellement côtoyer les Citadins qu’ils n’appréciaient pas pour autant voir chanté le moindre louange de cette face décadente de leur Peuple. Seulement que pouvaient-ils rétorquer quand La Voix ne proférait pas le moindre mensonge ? Aux Citadins l’on pouvait reprocher leur manque de respect envers l’Œuvre, leur détachement avec La Mère, leur violence envers la terre et les eaux… mais pas leur violence envers les clans.

- Vos Anciens t’ont envoyé écouter… qu’ont-ils dit d’autre ? les pupilles de La Voix quittent l'accusée un instant pour désigner l'Assemblée Et toi que voudrais-tu nous dire ?

La crainte. La crainte qui a guidé ton geste. La crainte qu'a dénoncé Ungwë. La crainte dont les Noss d'Alëandir, devant toi, se méfient. Que ton cœur s'emballe, ce n'est pas pour toi, mais pour l'inquiétude qui t'étreint devant ce fait : cela pourrait nuire à l'accueil fait au Iarin'Dath. Aux tiens.

Tu voudrais réfuter. Tu voudrais te défendre. Mais face à ces anciens d'autres Noss, qui t'observent, te jugent sans faillir, ta jeunesse te parait soudain la source de tout ce blâme, et tu ne sais plus comment te protéger. Leur tenir tête ? Ce sont des Anciens. Rejeter l'accusation ? Pas alors que tu l'as vu, reflétée dans bien des mires familières, même les plus adorées. L'accepter ? Oui, ce n'est que la seule voie qui te semble juste. L'accepter... Et en protéger les tiens. T'en remettre à l'expérience de ceux qui côtoient bien plus que vous, nomades, les Taledhels et leurs mœurs étranges.

Si tu as relevé la tête pour observer l'approche de cette ancienne, tu as dû rapidement la détourner, tes émotions se faisant torrent, inadéquates à pareille situation, malheureusement impérieuses. Il t'auras fallu quelques instants pour leur faire face et leur tenir bride, leur imposant ta résolution. Protéger les tiens. Tant que tu le peux encore.

"Ils dirent beaucoup de choses... commences-tu, la tête basse. Dès notre retour, nous tinrent conseil. Je leur exposais les faits, Ungwë se joignit à nous. Puis, il débattirent de longues heures, avant de rendre leur jugement."

Ta voix s'éteint, alors que tu t'aventures dans tes souvenirs. Pour leur répondre, tu ne peux te contenter des seules réminiscences. Il te faut les souvenirs eux-mêmes. Précis. Mot pour mot. Car il est de votre devoir de vous souvenir, et ces mots-ci, tu ne crois pas qu'ils s'effaceront jamais. Relevant la tête, te retrouvas face à cette Noss que tu ne connaissais pas, ou si peux. Tu fis face à son regard plus ancien que le tien. Et tu parlas. Pas avec ta voix, mais avec celle, plus posée, des tiens.

"Ainsi qu’il en va de toutes choses sous les frondaisons de notre Sœur, nous avons chacun un rôle à honorer. Faelwen, le tien est clair et tes actes s’y sont toujours alignés. Une fois encore, les Iarin'Dath s’en remettront à ton jugement… Nous partirons donc, ainsi que nous l’avons si souvent fait... Pour la première fois peut-être, pourtant, le doute habite nos cœurs. Il assombrit notre jugement présent et notre voyage à venir. Faelwen, tu resteras donc ici. Tu t’assureras que nos traces ne sont pas pistées, puis tu iras visiter nos frères et nos sœurs ornedhels. Tu les préviendras de tes actes et écouteras leurs sentiments. Tu te souviendras de chacun de leurs mots, puis tu les ramèneras avec toi. Alors, nous nous souviendrons de leurs leçons, jusqu’au jour du retour."

Ce regard, autre et ancien, tu ne t'en détournes pas, alors même que tu te sens ravagée. Par quoi ? Tu ne souhaites pas clairement le nommer, cela te blesserait davantage. Simplement, il y a cette force, ce poids, qui t'étreint, t'entraîne et te broie, toi qui est indigne de la charge sur tes épaules. Protéger les tiens est ton but mais, dans ta crainte, dans ton assurance, tu n'as semé que trouble dans leur cœur, après avoir même frappé ta cadette. Presque une enfant, as-tu dit. Tu n'as qu'égaré un peu plus ton adar*, dont le souffle de vie s'étiole toujours un peu plus, qui risque peut-être aussi de te perdre toi. Chef des tiens, vraiment ? Comment pourrais-tu même te nommer encore ainsi, alors qu'ils ont jugé meilleur que de te laisser en arrière, pour faire face, seule, aux conséquences de tes actes ?

A raison. Et cela seul, suffit à te faire trembler. Ce que tu ne peux pas faire. Pas maintenant. Pas devant tant d'inconnus. Ton trouble attendra. Pour l'heure, il te faut tenir bon et répondre. Les propos de tes Anciens, tu les as répété. A présent, il te faut donner corps aux tiens. Et protéger ce qui doit l'être.

"Mon sentiment n'est pas partagé. dis-tu, avec ta voix cette fois. Quand j'ai frappé, ce ne fut pas le cas. Quand je l'ai raconté à nos Anciens, ce ne fut pas le cas. Quand je suis partis... Ce ne fut pas le cas. J'ai fini par répondre à la... Curiosité... De ce Taledhel par la violence. Ungwë y préféra la discussion. Nos Anciens, l'évitement. Mon geste fut le mien, pas celui des Iarin'Dath."

Disant cela, tu te tiens droite, la gorge serrée, sans démordre de ton regard franc, malgré le gouffre qu'il te semble s'ouvrir sous tes pieds. Les tiens t'ont éloignée. A présent, tu t'en sépare au regard des autres Noss. En un sens, il te semble percevoir comme des étapes, d'un processus dont le but menace de te plonger dans de sombres abîmes. Tu ne préfères pas les nommer. A la place, tu te concentres sur les regards posés sur toi... Et le réactions qui vont suivre.

- Je vois. les yeux de Ma’hëlnoss se ferment un instant Ton amour pour les tiens est sincère et profond. Et en tant que leur Chef, tu serais prête à tout pour les protéger. C’est là autant la raison pour laquelle ils t’ont écarté que celle qui t’a conservé leur confiance, me trompe-je ?

La Voix de la Peth’Idren recule lentement, retrouvant sa place au sein du Cercle, ses mains ouvertes invitant la nouvelle venue à y prendre place. Ils avaient entendu son histoire, ils avaient compris son malaise, et ils étaient nombreux maintenant à ne plus se trouver capables de rester juges impassibles. Des hochements de tête entendus marquèrent le passage de la Iarin’Dath, à la fois compatissants et condamnateurs. La partie la plus difficile de la rencontre arrivait maintenant. Ma’hëlnoss trouve place assise auprès d’Othel. Ce sont aux autres voix maintenant de s’élever.

- Lyorindel. le jeune ambassadeur reprend la parole Maintenant que vous savez ce qui a poussé son geste. Et maintenant que – nous l’espérons – vous le comprenez et voulez bien le croire avoir motivé une punition de la part des siens. Maintenant que vous vous trouvez face à elle, qu’elle est prête à écouter… honnêteté, foi, sagesse, discernement, intelligence, prudence, c’étaient autant de choses qu’en allongeant et en rythmant ainsi sa diatribe il demandait implicitement des deux partis et que tous ici présents sommes prêts à intercéder, auriez-vous, en tant que seule véritable victime de cette altercation, de quelconques doléances dont vous aimeriez faire part à Faelwen ici présente ?

La main de Cinnaeth trouva rapidement l’épaule de l’épervier, tandis que les jambes des médecins, inquiets de ce qu’il ne perde patience se tendirent, prêtes à les propulser pour arrêter un geste inconsidéré.
Le visage de la diplomate chercha désespérément le soutien de celui de ses demi-sœurs de la Peth’Idren, intérieurement terrorisée à l’idée de ce que pourrait dire – ou faire – celui qu’elle était venu présenter comme une victime. Parce qu’il en était une. Seulement, au sein d’un peuple où mots et lames sont potentiellement aussi mortels les uns que les autres, elle avait peur que la haine brûlant encore dans le ventre du blessé ne revienne alimenter la paranoïa de Faelwen.

Si personne ne l’avait vocalisé de manière aussi crue, tous restaient d’accord avec lui que voulant bien faire, Faelwen s’était échouée bien trop près de la paranoïa… seulement continueraient-ils de le défendre, même à demi-mot, s’il réitérait ce qu’il venait d’être reproché à l’Ornedhelle, en n’offrant à son vis-à-vis que plus de raisons de haïr ?

Tu ne sais plus où te mettre. Face à la franchise du jugement énoncé, tes paupières papillonnent un instant. Répondre... ? Non, cela ne te jetterai que davantage dans l'embarras. Tes actes et tes mots ont déjà parlé pour toi, en remettre une couche n'avancerait à rien, si ce n'est à te rendre encore maladroite ou, peut-être, antipathique. Les sentiments que tu entre-vois dans les regards de tes juges te déstabilisent d'autant plus qu'ils t'invitent à les rejoindre, là où la tension en toi forcerait ton immobilisme. Confiance... De confiance, il t'en faut pour faire le premier pas, pour oser t'avancer, passant de coupable jugée à pair des juges. Bien plus anciens. Bien plus expérimentés. Les oreilles basses, tu ne le fais pas moins, te joignant à eux... Attendant, parmi eux, que ta victime prenne la parole.

Par la présence de tes semblables, tu te sens presque rassurée, moins soumise à une pression te soufflant qu'au moindre faux pas, les tiens pourraient souffrir de graves conséquences. Dans un tel état d'esprit, tu te permets de te détendre. Tu te permets de souffler. Un peu. L'appréhension est encore là, t'enserrant le souffle mais, petit à petit, grâce aux présences qui t'entourent, au murmure de la Symphonie qui ne te semble plus hostile, tu peux t'ouvrir... Un peu. A d'autres nuances. Tes mires cuivrées, à l'unisson de tes semblables, se posent sur Lyorindhel. Chargées d'émotions. Ni défiance ni peur dans leur reflet, seulement de l'appréhension, et de l'incompréhension. Ainsi soumise, tu n'envisages pas de fuir les conséquences. Pourtant, tu restes toujours perplexe face à ce Taledhel. Au moment de le frapper, tu ne le comprenais pas. A présent qu'il peut en exiger paiement, tu ne le comprends toujours pas. Et cela, par certains aspects, est effrayant.

La venue d’Aegden avait fait sourire Lyorindel, il commençait à se sentir bien seul entouré de tous ces sauvages, un peu de civilisation ne fait pas de mal. Mais son sourire disparut très vite alors que celle qui l’avait mis dans cet état l’accompagnait. Il serra les poings à se faire blanchir les phalanges. Non seulement on la laissait librement parler mais en plus elle n’était pas traitée comme la criminelle qu’elle était, un simple témoin tout au plus. S’il ne pouvait se résoudre à haïr Artiön il n’avait aucun mal à détester Faelwen ; même son prénom avait un goût exécrable alors qu’il dansait sur sa langue sans qu’il ne le prononce. Ses mâchoires se contractèrent lorsque Ma’hëlnoss ouvrit la bouche.

Elle comprenait son geste.

Malgré ce que disait Faelwen, Lyorindel trouvait que, si son geste n’était pas celui des Iarin’Dath, il ressemblait pourtant étrangement à ceux des noss qu’il avait connu jusque-là.

Elle l’excusait.

Il était venu ici parce que son roi le lui avait ordonné, parce qu’il le lui avait demandé mais il savait que c’était une erreur, comment attendre de sauvages une quelconque impartialité ? Ce conclave manquait d’une chose : davantage de citadins. Lorsque ce fut au tour de l’ambassadeur de parler, Lyorindel pouvait entendre de la condescendance dans sa voix, non seulement il le rabaissait mais en plus il l’humiliait. A la fin du discours il n’y tint plus, la main de Cinnaeth posée sur son épaule ne fit rien pour le calmer.

« Des doléances… » avait-il dit dans un grognement, il avait baissé la tête, il n’y croyait pas. Il posa ses deux mains sur la table et se hissa à la force des bras. « Vous voulez des doléances alors que je suis en droit d’exiger !? » Lyorindel ne prenait plus la peine de cacher ses émotions, laissant librement la colère s’installer sur son visage. Il tourna la tête vers Faelwen parce qu’il ne pouvait pas bouger, les soigneurs l’en empêchait. « Non, je ne comprends pas. » Il se tourna ensuite vers la Voix. « Et je ne comprends pas non plus pourquoi vous l’acceptez dans vos rangs ! Pourquoi est-ce que vous vous évertuez tant à provoquer les Cités ? »

- Tu es en droit d’exiger rétribution, il est vrai. Ma’hëlnoss se lève à nouveau Seulement il nous revient à nous de veiller à ce que tes exigences ne soient pas irréalistes. le regard implacable de Ma’hëlnoss impose sa patience à Lyorindel Ce que notre frère essayait maladroitement de te faire comprendre, c’est que Faelwen a déjà été punie une fois par les siens. Et en cette heure, la voilà  face à toi, attendant que tu lui imposes un second jugement. Si nous l’acceptions ainsi en nos rangs, c’est parce qu’en acceptant de s’y présenter, elle a déjà admis avoir commis une erreur.

Un claquement de langue résonne à peine La Voix de la Peth’Idren eut terminé de commenter. Les rides de l’ambassadrice qui à un œil non-averti aurait pu paraître l’elfe la plus âgée de la congrégation s’aplatissent les unes sur les autres alors que ses pupilles roulent à lui en arracher les orbites. La patience éprouvée d’une vieille elfe qui en avait déjà bien trop vu l’empêchait de tenir en place… mais elle tenait bon. Elle ne parlerait pas… elle ne céderait pas… à moins que… Les regards se posent sur elle. Othel opine du chef. Il ne lui en faut pas plus.

- Jeune homme la revêche se racle la gorge Je vais t’expliquer ce qu’on est en train de faire là tout de suite. elle offre un regard tout autant accusateur à Faelwen Et ça vaut aussi pour toi jeune fille. avec une aisance surprenante pour un corps visiblement aussi affaibli, elle se lève d’un bond Si on se retrouve ici à tourner autour du pot comme une bande de frelons affamés, c’est parce qu’heri Faelwen ici présente, trop paranoïaque pour bien vouloir croire que des Citadins puissent observer son clan juste pour éviter de trop en approcher leurs routes de migration s’est dit que le meilleur moyen de « protéger » les siens était de planter l’éclaireur trop imbécile pour simplement expliquer qu’avoir une idée de la position de son camp était plus sûr pour tout le monde. J’ai bon ? Ne répondez pas, bien sûr que j’ai bon. elle roule des yeux Et bien sûr, les Citadins, ont eu peur que ce genre de situation ne se répète, que Faelwen fasse parler d’elle, et que ça ne finisse par fragiliser la trève Lëandrine et créer une seconde situation Eteniril. elle cherche le regard l’un après l’autre de tous les elfes présents dans le cercle pour finalement s’arrêter sur celui de Lyorindel Et crois-moi Lyorindel, personne ici ne veut ça, et tout le monde comprend que vous vous soyez inquiétés. Comme tout le monde comprend que vous soyez en colère après vous être fait lâchement planter dans le dos. C’est naturel.
Ce qu’il faut que vous compreniez, c’est que tout le monde ici comprend aussi à quel point pour protéger les nôtres, ou quand on se sent bafoués, ou dans pas mal de situations en réalité, on peut faire des choses vachement imbéciles. Voilà, Faelwen s’est retrouvée face à une situation qu’elle ne savait pas comment gérer, et elle a fait quelque chose de vachement imbécile… mais vu qu’elle reconnaît – enfin, du moins, vu que son clan l’a forcée à reconnaître – avoir fait quelque chose de vachement imbécile, est-ce que vous pensez que ça vaut vraiment le coup de répondre en faisant quelque chose d’aussi imbécile ? Et bien moi je vais vous le dire. NON.
Et c’est pour ça qu’on est là, parce que vous êtes en colère, et qu’on vous comprend, mais que pour autant, on préfère vous éviter de prendre une décision débile que vous regretteriez plus tard, quand finalement tout ça sera derrière vous, et que vous ne finissiez par succomber à des maux de l’esprit force de vous demander si les Ornedhels vengeurs qui s’attaquent à des Citadins dans d’autres Protectorats le sont parce que vous avez annihilé le peu de foi qu’ils avaient en ceux des Pierres après que vous ayez décidé d’infliger une sentence irréparable à une Chef de Clan venue d’elle-même faire amende honorable. elle soupire, puis prend une grande inspiration après une diatribe agacée qui l’avait forcée à une apnée plus longue que ne lui autorisait sa condition La vengeance c’est moche. Et c’est lâche. Pardonner et aller de l’avant c’est bien plus courageux. Et je suis sûr que même VÔTRE Roi, s’il en a moitié autant dans le pantalon que le laisse entendre ses virées matinales sur nos territoires de chasse serait d’accord avec moi là-dessus.

Tu es complètement silencieux depuis l’intervention de la petite, ton esprit se tentant à vagabonder jusque là où il le pouvait, désireux qu’il était de ressentir ce qu’elle avait décrit. « Seulement… avec mon épouse » avaient été tes derniers mots, et puis tu t’étais plongé dans un état de presque transe, incrédule, recherchant sans y croire dans la forêt une affection comme celle dont te couvrait celle à qui tu es uni pour l’éternité. Parce que cela faisait du sens en réalité. Par delà l’éternité ton peuple était marié à l’Anaëh. L’Anaëh vous couvait, vous la protégiez. L’Anaëh vous nourrissait tandis que vous vous appliquiez à apprendre à la connaître. L’Anaëh vous accompagnait dans vos joies autant que dans vos souffrances… elle ne […]

- N’est-ce pas "Aran’Lîn" ?

Vous étiez arrivés.

Le rappel à la réalité est aussi délicat qu’un Kerkand en rut. Ton regard ne change pas de direction. Il avait toujours été droit devant toi. Mais tes yeux restés un instant vides, tout de neiges, retrouvent la brillance de l’éveil. Paternaliste comme à ton habitude, t’efforçant de taire la colère que suscitait chez toi la présence de celle que tu reconnaissais comme étant l’agresseur de ton ami, tu n’attardes ton attention que sur Lyorindel, Cinnaeth, et les guérisseurs qui les accompagnent.

- Elle a raison Lyo. Ta rétribution, tu y auras droit, mais sois intelligent quant à ce que tu demandes. Une simple vengeance ne satisfera personne, surtout pas toi. tu fermes les yeux un instant Enseigner et apprendre sont bien plus gratifiants que de se laisser aller à la colère. Tu es bien placé pour savoir comme ne pas comprendre est douloureux.

Pourquoi ? C’était le mot qui était toujours le plus revenu après qu’il ait perdu son père.
Comment ? C’était la raison pour laquelle il haïssait autant les Noss.
Lyorindel n’avait jamais compris comment sa propre mère, après que le Voile lui ait rendu l’Ouïe, avait pu oser tant faire souffrir sa famille. Et Lyorindel n’avait jamais non plus compris pourquoi son père l’avait laissée faire. Si ton ami souffrait autant ce qu’il percevait comme la trahison de Faelwen, c’est qu’il avait déjà été trahi une fois, et que chaque nouvelle occurrence ne ferait que lui rappeler l’amer goût de la première. Chaque nouvelle occurrence ne ferait jamais que lui rappeler comme il avait perdu ses deux parents sans jamais qu’aucun ne daigne l’aider à comprendre ni pourquoi ni comment.

- Exactement ! D’ailleurs en parlant d’enseigner, la prochaine fois que tu vas te baigner après avoir couru, si tu pouvais t’installer un peu plus en aval ça nous arrangerait. Entre ton odeur et ta monture, les proies ont tendance à s’éloigner de ta position, donc tant qu’à faire, autant que tu les rabattes un peu vers n…

- Pelineln ! le jeune ambassadeur rappelle sa comparse à l’ordre Je crois que nous avons d’autres membres du clan de Faelwen présents.

Ma’hëlnoss se place au centre du Cercle, t’invitant toi, tes deux accompagnatrices, ainsi qu’Aegden resté en retrait à le rejoindre. Il n’y aurait pas assez de souches restantes pour tous. Deux d’entre vous devraient rester debout. Tu serais l’un des deux.

Il attendit, il voulait répondre mais il savait que ça ne servait à rien avant que tout le monde ait fini de parler. Le regard de Lyorindel passa à un autre visage alors que la parole changeait de bouche. Il se demandait si le bond qu’elle venait faire n’était pas une insulte de plus, si c’était le cas il préférait l’ignorer et continuer à écouter. Son discours il avait l’impression de l’avoir déjà entendu et c’était le cas ; c’était ce que disait les sauvages de ce concile depuis qu’il était arrivé, ça ne l’avait pas convaincu la première fois, ce n’était pas un changement d’orateur qui allait le faire. Pas même Artiön ne l’aurait fait changer d’avis et en effet ce dernier n’eut pas plus de succès car l’épervier était d’accord avec ce qu’ils disaient. Alors, toujours debout plus grâce à ses bras qu’à ses jambes, il regarda la veille elfe après sa tirade.

« Vous parlez comme si j’avais déjà demandé quelque chose, je n’ai pas exigé la tête de Faelwen n’est-ce pas ? Oui je déteste les noss, à quoi bon essayer de cacher l’évidence, mais une vie, même celle d’une ornedhel, reste une vie. Pour ce qui est de la vie en question… » Il se tourna à nouveau vers elle, la colère avait quitté son visage, elle s’était repliée dans son cœur pour ne laisser comme trace qu’une lueur de haine dans son regard. « Tu n’es pas là pour faire amende honorable et surtout pas de ton plein gré. Tout comme moi tu es là parce qu’on t’y a contraint. J’ai bon ? Ne réponds pas, je sais que j’ai bon. Tu ne serai jamais venu si tu avais eu le choix. » Il la fixa pendant quelques secondes avant de reprendre. « Mon sentiment n’est pas partagé. » Il laissa la citation flotter un instant dans l’air. « Il n’est peut-être pas partagé mais ça reste le tien. Je suis certain que tu restes persuadé de ne pas avoir commis d’erreur, je pense même que tu recommencerais, même en connaissant les conséquences de ton acte car les taledhels représentent une menace pour vous, pour toi. Pourquoi ? Parce que vous n’êtes pas certain que votre mode de vie est le bon ? C’est pour ça que vous voulez l’imposer à tous les anëdhels, pour qu’enfin le doute disparaisse ? Mais peu importe la raison, ce qui compte c’est que tu vas recommencer si l’occasion se présente. Mais je suis curieux… » Lyorindel regarda à nouveau vers son ami et ceux qui l’accompagnaient : « qu’ont à dire d’autres Iarin’Dath ? »

Si l’attention se porta d’abord sur le géant qui nous accompagnait, elle ne tarda pas à arriver sur Ungwë et moi-même après qu’il eut répondu à cette sollicitation. Lorsqu’un des elfes présent nous remarqua et nous offrit d’entrer dans le cercle, je me plaçai aux côtés du colosse sans chercher à m’asseoir. Trop de regards étaient posés sur moi et encore plus suivirent lorsqu’un des citadins nous interpella, mais je n’avais pas le temps d’analyser cette attente et d’en ressentir la pression. Les affaires concernées étaient trop importantes pour que j’y cède, et j’étais déjà trop consciente du fait qu’arriver aussi tardivement dans ce genre de jugement nous mettait tous les trois dans des positions inconfortables. Mais le citadin rendit tout cela plus facile en s’adressant directement à nous. Je m’avançai légèrement, joignant les mains devant moi en signe de paix et inclinant légèrement la tête avant de prendre la parole.

« Je suis Alcariël des Iarin’Dath. Je ne sais exactement ce que vous voulez savoir de nous. » Je laissai ma phrase en suspens un instant, mais repris assez rapidement pour qu’on ne m’interrompe pas. « Mais je peux au moins attester d’une chose, la contrainte qui amène Faelwen ici aujourd’hui n’est pas le fruit du hasard. Elle provient d’un choix, d’un serment qu’elle a prêté devant son conseil lorsque nous l’avons nommée notre chef. J’étais face à elle ce jour là, et remettre en cause ce serment en signifiant qu’elle n’en assume pas les conséquences et n’obéit pas volontairement à ses devoirs tels que décidés par ce même conseil serait une insulte envers les Iarin’Dath. » Je reportai un regard doux, sans haine ni aucune autre sorte d’animosité, en contradiction totale avec le comportement que j’avais eu lorsqu’elle était rentrée au camp, directement dans celui de Faelwen. Je ne voyais pas celle qui avait fauté à ce moment là, je revoyais l’enfant que nous avions élu notre chef, et que j’avais trahie une fois.

Le regard dérivant à nouveau vers le dénommé Lyorindel, celui dont la survie avait été une préoccupation primordiale pour Ungwë, je repris. « Nous n’avons pas le pouvoir de prédire le futur, pas plus que vous. Je ne pense pas que la condamner pour de futures atteintes à la paix entre nos peuples qu’elle n’a pas commises soit le but de cette assemblée. » Ma voix était miraculeusement resté posée tout au long de mon intervention, et je voulus y mettre un terme avant de m’aventurer sur des sujets que je ne maîtrisais pas. « Du reste, je n’ai pas assisté à ce regrettable incident et ne suis pas capable de me prononcer à son sujet. »

Quelle étrange chose d'éprouver simultanément des émotions si contradictoires. Tandis que je regardais tout à tour une homme debout sur ses deux jambes et ma sœur sous le joug des accusations, les quelques bribes de ce que j'avais l'occasion d'entendre auraient pu me faire rire de soulagement, et pleurer de douleur. Lorsque j'entrais dans le cercle, pourtant, je m'efforçais de sourire, d'abord à Faelwen, puis à Lyorindël... et à l'un comme à l'autre c'était le même sourire d'excuse de et soutient que je livrais. Comme si un geste si anodin pouvait rétablir un lien que les deux protagonistes ne voulaient pas voir se former.

Alcariël prenant place à côté du géant, je m'asseyais entre elle et le grand homme roux qui était là plus tôt dans la journée. Mon regard désolé croisa la sien. Ma mémoire, aussi utile qu'elle soit pour garder toutes les parcelles de vies qui faisaient de nous des êtres à part, était sans pitié lorsqu'il s'agissait de les retransmettre dans tout ce qu'elles avaient de douloureux... Et voir tomber Lyorindel n'avait pas été qu'un instant de panique pour moi. Cet homme avait vécu pire. Et pourtant, il m'avait fait confiance au moment ou son compagnon était au plus mal, malgré ce que Faelwen avait fait.

N'empêche... entre mes deux voisins, je me sentait plus petite qu'une fourmis. Loin d'essayer de me grandir, mes pieds peinaient à rester sur le sol au lieu de remonter sur le dessus de la souche pour me permettre d'adopter une posture recroquevillée des plus timides. Je laissais Alcariël s'avancer, faisant comme si je n'étais... que moi. Une apprenti dont la parole irréfléchie et sans expérience n'avait pas grand poids. Quoi dire de plus ? La haine que crachait le citadin n'était là que pour nous incité à commettre ou à dire quelque chose qui le renforcerait dans sa colère. Tant qu'il n'avait pas dit ce qu'il voulait exactement, il n'y avait rien à dire.

Docilement, je soutenais son regard en continuant d'espérer qu'il trouve la force de pardonner. Lèvres scellées, je formulais les prières à la Mère pour qu'elle lui apporte sa résilience et les charmes à la pleine lune au-dessus de nos tête pour qu'ils renforce la sylve qui elle-même nous prêtait sa sagesse. L'étrange tâche pâle et huileuse  sur mon cou commençait à sérieusement refroidir mon corps. Mais quelle importance ?

Le flux et le reflux. Dans ta vulnérabilité, tu te réouvrais à ces perceptions, si subtiles pour certains, si impérieuses chez toi. Portées par cette Symphonie si familière, dont les notes berçaient ton âme depuis toujours, tu subissais chaque émotion, chaque emportement de cette assemblée, semblable à un maelström. Cela était d'autant plus vraies que, pour certains, leurs discussions ne s'apparentaient qu'à un dialogue de sourd, ravivant les émotions sans trouver une solution pour les apaiser. Colère, agacement, impassibilité... Et les regards des unes qui te terrassaient. Et le jugement de l'un, qui te faisait vibrer d'indécision. Le frapperais-tu à nouveau, vraiment ? Il me sembla un danger. Il me semble l'être encore davantage à présent. C'est ce que tu croyais. Pourtant, un autre sentiment prenait forme, ses racines plongeant dans ta honte, ta culpabilité... Une remise en question. De ton amour, tu ne pouvais te défaire. De ta dureté, des œillères que tu t'étaient mise... Le choc de te sentir si jeune, inexpérimentée, parmi ces anciens, de voir le regard que portaient les tiens sur toi, te blessant et te réchauffant à la fois... Cela était peut-être suffisant.

Pourquoi ? Telle fut la question qui naquit dans ton esprit troublé, face à la verve de ton détracteur, qui te prenait à parti pour justifier son discours rageur. Oui, il détestait les noss... Mais comment le pouvait-il, sans même les connaître, les comprendre ? Et toi ? Les assauts que subissaient ta psyché te laissé pâle, les mains crispées, chaque nouveau questionnement plongeant plus profondément ses griffes dans la brèche de tes doutes. Le regard que tu portas sur Lyorindhel n'avait plus rien de scrutateur mais presque choqué face à ton ressenti. Empathie... Un bien lourd fardeau, pour qui le ressent pour un 'ennemi'. Ce que tu envisageais, les raisons que tu lui trouvaient... N'étaient que pensées. Imperceptibles pour quelqu'un d'autre que toi. Pourtant, elles se firent impérieuses, exigeant action. Ce à quoi tu cédas.

Dans un mouvement d'une grande fluidité, tu te relevas de la souche, emportant dans ta montée la lame que portait à la hanche ton plus proche voisin. De cela, tu t'excuserais plus tard. Ils le percevraient, tu le savais. Cela passait après. Alors que tu te mouvais, il y eut une partie de toi pour s'affoler de cela, que ce sentiment impérieux outrepassa sans mal. A grandes enjambées, tu traversas l'espace te séparant du citadin et, dans un geste sans hésitation... A son être vibrant de colère, tu tendis la garde du couteau. Le cuir de tes yeux le regardait, sans dévier ni détour, exposant l'abîme où tu t'étais jetée. Irrespect des tiens, acte impulsif... Un geste que tu n'aurais pas fait en temps normal, bien trop retenue. Mais ta manière de faire t'avait menée - vous - avait menés ici, aujourd'hui. Alors, le coeur pulsant fébrilement face à ce qui te semblait n'être qu'égarement et folie, tu parlas.

"Pour protéger les miens, je t'ai frappé. Peut-être aurais-je dû, d'abord, écouter. Ton timbre est limpide, portée par cet élan fou. Ressentiment, incompréhension, différence... Dois-je vraiment nommer ces raisons qui motivent la méfiance à l'égard de l'autre ? Je ne sais si j'agirais à nouveau comme je le fis. A présent, ce n'est pas toi qui m'effraies, mais ce que j'entends dans tes mots. Rien qu'un coup ne puisse changer. Je ne suis pas la première à t'avoir frapper, n'est-ce pas ? Tu ne lui laisses pas le temps de répondre, trop effrayée à l'idée de perdre le fil, que le temps dont tu t'es emparée ne te soit arracher. Frappe-moi, si cela te soulage. Frappe-moi, et tu verras que je ne suis faites que de chair et de sang. Frappe-moi, ravive à ton tour cette peur que j'ai exacerbé, et nous serons quitte."