[MdO2019] N’empêche, si ça s’infecte, on peut en mourir, j’vous ferais dire

Un rire désabusé t’échappe. Remettre les bonnes choses en question ; tu avais à la fois l’impression de l’avoir fait – durant au moins les dernières dizaines de minutes – avec maestria, et d’avoir complètement raté le coche. C’était là la principale raison de ton état. Tu t’étais livré au destin sans savoir ce qu’il t’amènerait. Tu avais fait le choix que tu pensais le bon sans savoir exactement ce que tu en obtiendrais, sans même d’ailleurs pouvoir t’en faire une idée précise. Tu avais choisi au jugé, en jaugeant par l’instinct, par l’émotion, parce que tu en savais trop peu pour pouvoir conjecturer quoi que ce soit. Elles s’étaient bien assez appliqué à te le rappeler.

Avoir fait le choix des sentiments plutôt que de la logique… non, avoir été forcé d’agir au ressenti par impossibilité de le faire par logique t’était absolument déprimant. Seulement Aegden avait raison, tu n’es jamais qu’un elfe comme tous les autres. Comme tous les autres tu as tes limites. Comme tous les autres, tu as le droit de ressentir. L’Aran se doit de tendre vers l’impartialité, mais impartial ne veut pas dire de glace. Il faudrait que tu travailles à t’en convaincre, pour ne pas – comme il le disait – te faire de mal inutilement. Et par la même occasion, il faudrait que tu travailles à t’en convaincre pour ne pas faire du mal aux autres.

- Est-ce qu’il faut vraiment que je te dise que tu as raison ou est-ce que tu en es déjà assez convaincu ? tu plaisantes pour t’aider toi-même à te détendre, prenant appui sur le flanc de Vìrin pour te relever D’ailleurs en parlant de ne pas faire de mal inutilement peut-être qu’il vaudrait mieux que l’on retourne auprès des autres. Lyorindel doit se sentir seul sans nous. ta main s’attarde sur le crâne de la féline Tu viens avec nous Vìrin ?

Tu entames un retour plus léger que ne l’avait été ton départ, mais définitivement plus lourd que ne l’admettait le confort. Malgré tout, après avoir vécu l’état d’oppression qui t’avait forcé à l’explosion, ce qu’il te restait de mal-être te paraissait presque confortable. Presque léger. Presque agréable. Agréable comme quand la fatigue vous fait la tête trop légère pour votre bien, que les coins de votre champ de vision se brouillent et que votre corps ne ressent plus totalement l’effort. Agréable comme les quelques instants d’abandon d’un organisme avant de s’écrouler de faim, de soif ou d’épuisement.

- J’espère qu’il ne m’en voudra pas trop de l’avoir laissé-là après l’avoir presque réduit au silence. tu lèves les yeux au ciel J’ai été plutôt sévère avec lui ce soir le pauvre.

Le pauvre… à ton grand bonheur il semblerait qu’il ne s’en sorte pas si mal. À moins que ce qu’il semblait partager avec Ungwë, sous couvert d’attendrissant rapprochement finisse par se dévoiler n’être qu’une relation toxique pour eux deux. Tu ne pouvais qu’espérer voir fleurir là quelque chose de bon, et attendre.

Ainsi en silence, tu pris place sur la souche à la gauche de Lyorindel, dans le plus grand des silences. Tes yeux encore moites se posèrent sur lui, puis sur elle, avant que ton regard ne se baisse, dissimulant à peine la douce mélancolie d’un visage portant encore les stigmates d’un récent débordement.

Des stigmates que la Caengal s'évertuait à essayer de gommer du bout de sa truffe.

Aegden afficha à nouveau un petit sourire devant la plaisanterie d’Artiön.  Il avait l’air d’aller un peu mieux. Parfois il suffisait de pas grand-chose.
Pour lyorindel, ça s’annonçait plus difficile c’était certain… Mais le grand elfe avait raison, il vallait mieux qu’ils ne tardent pas à réapparaitre. Le diplomate n’avait pas besoin de se sentir abandonné en plus de tout ce qu’il venait de vivre.

-Ça finira bien par passer de toute façon. Je l’espère en tout cas.

Quand ils se retrouvèrent à nouveau près du cercle, Artiön s’approcha du diplomate et de la petite noss qui se trouvait vers lui. Finalement, il ne s’était pas trouvé esseulé trop longtemps. Puisqu'il se trouvait en bonne compagnie, Aegden jugea bon de les laisser un peu tranquille. 

L’elfe remarqua une des noss  un peu à l’écart. C’était celle qui lui avait répondu lorsqu'il avait demandé pourquoi Holimion les effrayait tant. Des trois noss, c’était la seule qu’il n’avait jamais vu avant le conseil. Elle avait dit son nom au début. Comment-était-ce déjà ?

-Bonsoir...Alcariël c’est ça ?

Il s’était approché d’elle,  simplement curieux d’échanger quelques mots dans un contexte maintenant plus léger.

Ungwë avait totalement reporté son attention sur Lyorindel, en contradiction avec ses mots qui souhaitaient que nous nous en allions retrouver les nôtres, mais complètement en phase avec qui elle était. Il y avait quelque chose de non résolu, malgré cette joie qui m’avait emplie lorsque j’avais appris que Faelwen survivrait, et elle ne pouvait s’empêcher d’y dédier son temps. Je ne m’interposai pas, la laissant faire ce qu’elle pouvait pour remplir ses besoins. Je ne partageais clairement pas ce besoin, et n’aurais en temps normal qu’attendu un prétexte pour disparaître avec Ungwë, mais je lui devais au moins ça.

Une voix me tira de ma rêverie passagère, Aegden était revenu dans le cercle, et il semblait être au moins intrigué par moi, par politesse ou non, ce qui m’était égal. « C’est ça… Aegden ? Je ne pensais jamais apprendre votre nom. » Je lui dis avec un petit sourire. Tout était plus simple maintenant que nous étions fixés sur notre avenir à tous. Je n’avais pas à me défendre, j’avais juste à sourire et accepter l’attention à laquelle je devais faire face. Non pas qu’il ait été le plus agressif de cette rencontre, loin de là. Je ne saurais probablement jamais si c’était cette intention qu’avait Ungwë d’essayer de réparer tout ce qu’elle pouvait qui était communicative ou si j’en avais réellement envie, et je lui adressai ce qui se voulait un compliment. « Vous avez réussi à garder votre calme quand aucun autre n’y voyait clair, merci. »

« Je ne connais pas le rôle que vous avez eu dans tout ça. » Je désignai d’un geste circulaire l’assemblée, alors que je pensais surtout à tout ce à quoi je n’avais pas assisté avant. « Mais je ne sais si c’est encore important. » Qu’est-ce qui l’était désormais ? L’expérience nous avait valu la prise de conscience de ces énormes différences qui nous séparaient, mais notre clan essaierait-il seulement de construire des ponts, ou laisserait il la méfiance régner ? Je m’essayai à un peu de curiosité, pas nécessairement feinte, seulement une occasion de comprendre. « Quand vous n’avez pas les Iarin’Dath à vos portes, en temps normal, quel est votre rôle dans vos cités ? » J’avais mangé le dernier mot, me sauvant de peu d’exprimer quelque chose que je ne voulais pas exprimer dans un tel moment.

Il ne savait pas vraiment s’il devait ou non accepter le sourire d’Ungwë. Une partie de son être le voulait, une autre voulait faire voler le papillon d’ambre en éclat.

Il la regarda s’asseoir en se demandant bien pourquoi. Il se demandait s’il devait lui demander ce qu’elle faisait. Il se demandait pourquoi est-ce qu’elle ne partait pas avec l’autre, maintenant que leur chef était saine et sauve. Mais lui ne voulait pas la voir partir. Alors le monarque continuait à voleter jusqu’à atteindre l’enfant, il se posa d’abord sur son épaule avant de s’éloigner dans un battement d’aile. Il avait du mal à s’envoler, battant lentement des ailes il se mit à se désintégrer, se désagrégeant petit à petit alors que l’insecte tentait d’aller vers Artiön. Lyorindel n’allait pas parler à l’ornedhelle, il ne savait pas quoi dire, sa bouche était pâteuse, sa tête était lourde et sa gorge était serrée. Il était incapable de dire quoi que ce soit alors il resta muet, regardant l’herbe entre ses pieds. L’épervier ne regardait pas le roi, il avait baissé la tête. Il se pencha en avant, ses coudes placés sur ses genoux, Lyorindel n’osait pas regarder Artiön. Et même s’il avait osé qu’est-ce qu’il lui aurait dit ? Il était temps de rentrer.

Tu osais à peine. Il osait à peine. Elle regardait sans rien dire. Elle échangeait avec lui d’une manière que les mots ne sauraient traduire. Les gestes sont bien souvent plus parlants que les mots. Le tissage d’un sortilège était un geste parfois bien plus intime que vous mages ne pouviez le laisser croire. La manière dont vos Souffles effleuraient les flux en disait beaucoup sur vous. Il suffisait de voir se croiser fleurs et papillon pour le comprendre. Il t’avait suffi de voir disparaître le papillon à ton approche pour le comprendre.

Tu ne sais pas plus qu’il y a une heure quoi penser de Lyorindel. Tu ne sais pas plus qu’il y a une heure si tu peux lui accorder pleine confiance. Mais tu sais pertinemment que continuer de vous ignorer de la sorte ne règlerait rien. Et tu aurais voulu que les choses soient gardées plus discrètes, ton envie première ayant été de t’entretenir avec lui plus tard, quand la pression serait entièrement retombée, quand il aurait été en meilleure condition pour t’entendre et se faire entendre. Mais il y avait d’abord un abcès à crever.

Ta main passe sur l’encolure de Vìrin, l’invitant à s’éloigner dans un premier temps, puis de tes bras tu la guides jusqu’à la droite de l’épervier, sans quitter ton siège. La Faïra s’approche doucement de ton ami, faisant vibrer l’air d’un ronronnement sonore. Tant pis pour Aegden, tant pis pour Alcarïel, tant pis pour Ungwë, et tant pis pour Lyorindel s’il te trouvait intrusif.
Ton bras glisse dans son dos, ta paume s’accrochant à la mort de sa nuque et à la naissance de son épaule. Tes yeux se posent sur lui avec affection. Ta main remonte jusqu’à sa joue, où ton pouce laisse une petite pichenette sur son passage, et arrive finalement jusqu’au sommet de son crâne. Là tes doigts creusent sa chevelure jusqu’à trouver la peau, et avec une tendresse paternelle lui massent le crâne.

Tu te penches vers lui, tu le tires légèrement vers toi, et sans briser le contact de tes doigts sur le haut de sa tête tu lui offres de s’appuyer contre toi.

- Je suis désolé Lyo. tu lui murmures C’était la meilleure chose à faire.

À l'image d'un grand-frère, frôlant parfois presque celle d'un père, c'est toujours ainsi que tu t'étais comporté avec Lyorindel. Peut-être plus encore depuis qu'il avait véritablement perdu le sien. Et c'est certainement pour cette raison qu'à vous deux cette situation vous faisait aussi mal. Parce qu'à être aussi grand que tu l'es, et à envelopper le menu Lyorindel, tu ne faisais que vous rendre l'illusion plus convaincante, et les potentielles déceptions qui s'ensuivaient plus dures.

-C’est vrai que je n’ai pas eu le loisir de me présenter avec tout ça.

Pas que ça le dérangeait vraiment remarque...D’ailleurs il ne se rappelait pas à quel moment la femme avait pu l’apprendre,son nom. Sans doute l’un des citadins l’avait-t-il évoqué. Il n’y avait pas fait attention.

Il haussa les épaules lorsque la noss le remercia. Il n’avait rien fait de spécial, il n’y avait rien d’exceptionnel dans la manière dont il s’était comporté. Il ne méritait pas particulièrement de remerciements.

-C’est plus difficile pour certain que pour d’autre j’imagine. Répondit-il simplement dans un soupir.

Lorsqu’elle évoqua ne pas savoir quel rôle il avait eu dans toute cette histoire, il évita de répondre. Ça n’était pas le moment de tout réexpliquer et de faire comprendre à la noss qu’il était au moins en partie  responsable de tout ça. 

Heureusement elle posa vite une autre question. Celle-ci le surprit un peu d’ailleurs. Pas qu’elle était vraiment étrange dans la discussion. Mais il ne s’y attendait vraiment pas. Qu’est-ce qu’il devait lui répondre au final ?  Drôle de question en fin de compte. Autant être honnête… Et puis comme ça il pourrait lui retourner la question. Il était curieux, elle l’était sans doute aussi.

Il passa machinalement une main dans ses cheveux et lui adressa un sourire un peu forcé.

-Je suis commandant de la cité. Quand il n’y as pas de catastrophe telles que celle-ci, et heureusement elles sont rares, je gère l’armée du protectorat. Il laissa passer un petit silence. Et vous ?

Ils sont revenus. Le papillon s'effilochait déjà. Le Chef-Guérisseur s'est glissé auprès du blessé.

Alors je me suis levée.

La fleur vivrait sans moi pourvu qu'un bon cœur lui laisse le pied de meuble sur lequel elle s'est entortillée. Faelwen est partie vers son propre devoir. Le nôtres nous attendaient et les leurs se rassemblaient. Ombre silencieuse, la terre meuble épousait la forme de mes pas pour en gommer tout  son, comme tout Noss savait si bien le faire. Le dos d'Artiön me masquait à la vu de son comparse. D'ici qu'il puisse jeter un nouveau coup d’œil dans cette direction, nous ne serions plus là.


"Je guidais mon clan, j'éclairais son chemin à travers l'Anaëh, et maintenant... je protège ?" Alcariël a levé les yeux à mon approche avant de reprendre. "Et c'est le moment de rentrer, nous reviendrons si notre clan le veut, peut-être nous reverrons nous dans de meilleures circonstances."

Quelques enjambées de plus et nous disparaissons entre les arbres. Légère et libre, je ne pensais même pas au bâton de marche oublié près de la souche sur laquelle j'avais été assise. J'avais quitté le camp arquée sur une canne. J'y reviendrais le cœur léger.

Le cœur de Lyorindel s’était serré en voyant Artiön revenir. Il l’avait voulu et pourtant en le voyant maintenant il ne savait pas vraiment si c’était ce qu’il voulait. Artiön était la seule famille qu’il lui restait mais pour le moment il avait une envie irrésistible d’être seul. Exactement comme avant de partir, quand il était encore avec Aegden en train de raconter ce qui s’était passé au roi, il n’avait pas pu le rejeter à ce moment-là et maintenant il ne le pouvait pas plus. L’épervier n’avait pas pu faire autre chose que tenter de lui dire de s’éloigner en faisant disparaître le papillon en le voyant et à chaque pas que faisait Artiön vers lui, Lyorindel regrettait un peu plus son geste. Alors lorsqu’Artiön s’était assis à côté de lui, Lyorindel n’avait rien dit, incapable de lui dire de partir il s’était à nouveau muré dans le silence.

Son regard passa sur la Faïra, se demandant ce qu’elle pouvait bien vouloir et en sentant la main de son ami se poser sur son épaule Lyorindel se crispa. Ses muscles restèrent tendus alors que la main d’Artiön remontait jusqu’à sa tête. Il déglutit, se cramponnant à son envie de vengeance pour ne pas perdre pied mais c’était trop tard. S’il avait fermé le poing quelques instants plus tôt peut-être qu’il aurait pu résister, repousser Artiön et se replier toujours plus sur lui-même mais là… là Lyorindel se laissa faire, ses muscles se détendirent alors qu’il s’appuyait contre le roi, comme il l’avait fait tant de fois auparavant. La familiarité lui réchauffait le Souffle bien plus qu’aurait pu le faire un discours, aussi bon soit-il. Ça lui rappelait pourquoi est-ce qu’il avait laissé Faelwen partir, pourquoi est-ce qu’il servait Artiön, et par extension l’Anaëh.

« Je sais ’Tiön… je sais… »

Des larmes se remirent à couler de ses yeux. Il avait besoin d’évacuer le trop plein d’émotion d’une façon ou d’une autre et celle-ci était sans doute la moins destructrice, celle-ci était sans doute la moins pire. Mais malgré ce qu’il avait répondu il ne savait pas si c’était effectivement la meilleure chose à faire. Tout ça pour une vie… il l’avait laissé partir mais sa menace, son avertissement, n’avait pas été dit en l’air. S’il apprenait que Faelwen avait bel et bien blessé ou tué un autre citadin il allait lui-même se charger de la tirer jusqu’à Holimion pour la noyer, même s’il devait s’en charger seul. Ce qui le fit pleurer d’autant plus chaudement c’était qu’il avait vu une partie de lui qui n’attendait qu’une chose : que Faelwen recommence.