Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces dernières années avaient été mouvementées pour Harald. D’un capitaine de régiment d’infanterie lourde, il devint Ongaraz de Lante, succédant ainsi au légendaire Thane du clan DurAcier et œuvrant côte à côte avec l’ancien Gazanundi de Lante, Thorgrel Poing-De-Fer. Durant son mandat, il fit face aux attaques éparses et aux offensives Wandraises, donna la chasse aux engeances de Brisséa partout où elles étaient aperçues, et supervisa lui-même la construction de l’Hunzrung Langk, aidé de barbes éminentes de clans bâtisseurs et d’artisans. L’entreprise fut terminée durant la deuxième moitié de l’an 12, mais depuis, d’innombrables modifications furent apportées au mur afin de faire face au dragon vert qui, disait-on, vivait de l’autre côté du mur, en territoire Wandrais.
Ce fut également à cette époque qu’Harald fut nommé Gazanundi, sur sa candidature, conscient que pour pouvoir œuvrer correctement pour Lante et pour le royaume du Zagazorn, il était nécessaire qu’un nouveau Gazanundi prenne le pouvoir. Cette tâche lui était dévolue, et il s’y attèlerait barbe et Braise-Vie, sans jamais faillir. Et s’il se doutait que cette tâche serait certainement l’œuvre de sa vie, il ne pensa pas un instant qu’il aurait à gérer autant d’évènements : de l’expédition infructueuse au nid du « Grand Ver » jusqu’à la grande migration des Grobis qui vinrent s’écraser contre l’Hunzrung Langk, en passant par le départ précipité de Thorgrel et puis son retour sous des hospices inquiétant autrefois, bénéfiques aujourd’hui, Harald avait été sur tous les fronts. Que se soit à grands renforts de hache, ou en usant de la plume sur le vélin, travaillait à s’en arracher la barbe. Enfin, il assista au miracle de Thorgrel, le
Gormisson, au cours duquel il porta haut la parole d’Ikthor lui-même, assurant qu’aucune arme ne se briserait, qu’aucune lame ne s’émousserait, et que le demi-dieu lui-même guiderait les bras des barbes jusqu’à la victoire sur la peste verte. Dés lors, Harald avait entièrement renoué avec le culte d’Ikthor, et voyait à nouveau Thorgrel comme une barbe illustre pour lequel il avait le plus grand respect.
Cette année, Harald porta moins la hache que la plume. Encrier, plume, vélin, cire et sceau étaient ses armes alors qu’il passait des heures et des heures derrière son bureau, à administrer sa cité et les terres de Lörn et du Brissalion, à donner la chasse aux quelques groupes de Grobis survivants qui rôdaient encore dans les plaines, et à faire des allers et retours entre le palais de Lante et le mur de la frontière Sud. Si, au début, le vieux soldat, descendant d’un clan de guerrier séculaire combattant depuis des cycles dans les rangs de Lante, craignait de se retrouver maintenant à un poste plus gratte-vélin qu’arme au poing, il se surprit lui-même à se complaire dans son rôle de chef. En tant que Gazanundi, il ne s’occupait plus seulement de l’aspect militaire des choses, mais également de l’aspect économique, commercial et politique. Et, contre tout attente, tout cela le passionnait. Oh, il n’était pas contre le fait de guerroyer par moments, de reprendre les armes et de se battre pour le Zagazorn. Mais parfois, les runes sur du vélin et les ordres politiques pouvaient faire avancer les choses plus profondément encore, et ce, d’une manière bien plus pérenne.
15ème année du Xième cycle.
Calimehtarus de la 1ère ennéade de Favrius. Printemps.
Palais de Lante, matin.
Harald était afféré dans son bureau, depuis déjà quelques heures. La salle était principalement faite de pierres, de bois et de tapisseries, à l’image de l’architecture des Dawi, bien que très différente de celle des cités souterraines. L’amour des Nains pour la pierre et les montagnes rocheuses est bien connu de tout le reste de Miradelphia.
Sur le bureau trônait plusieurs dossiers aux couleurs chatoyantes. Le cuir des dossiers était teint en rouge, en bordeaux, en noir et en bleu foncé. D’autres vélins se trouvaient éparpillés sur le bureau, tandis qu’un encrier, un porteplume, un sceau, de la cire et une bougie se trouvaient à l’extrémité droite de la pierre, à l’opposé des dossiers de cuir. Dans la pièce se trouvait un présentoir à armure sur lequel on pouvait admirer la désormais célèbre armure de plate d’Harald, aussi sombre que la nuit et ornée de gravures couleur carmin, de filets d’or et de motifs géométriques. Ses armes se trouvaient également dans un coin de la pièce, tandis que des étagères rassemblaient des dizaines de dossier reliés de cuir, de tablettes gravées de runes et d’autres documents divers.
Assi sur un fauteuil confortable, le Thane du clan Brise-Os était penché au-dessus d’un dossier à la couverture de cuir rouge flanquée des runes symbolisant « registre des refus ». Ce registre était tenu par
Gabil du clan Œil-Grive, aussi surnommé
Le Sanclameur, intendant du Guet de Lante, et qui s’occupait de l’implantation commerciale au sein de l’Enclave. Ce Dawi était aussi froid que la pierre et aussi droit qu’un pic rocheux pointé vers le ciel. Rien, ni les ronds de jambes ni les paroles flatteuses des longues-jambes ou des oreilles-pointues ne trouvaient écho dans l’esprit quasi mécanique de l’intendant, qui restait de marbre, et qui notait à l’encre sombre les identités de celles et ceux qui vinrent jusqu’à Lante pour se retrouver éconduit manu militari. En tant que Gazanundi, Harald devait s’enquérir du travail de ses barbes, et être au courant des décisions de ses subordonnés. Gabil bénéficiait déjà de la totale confiance de Thorgrel par le passé, et c’est tout naturellement qu’il obtint celle de Harald, qui le connaissait déjà bien avant de devenir Gazanundi à son tour.
Harald lisait les runes inscrites par Gabil. Beaucoup de longues-jambes venaient jusqu’aux enclaves de Thanor ou de Lante en espérer créer ou recréer des comptoirs commerciaux entre le Zagazorn et leurs contrées respectives. Le registre des refus était complet très rapidement, conformément aux ordres royaux du Groman-Rik et la politique d’autarcie du Zagazorn depuis les évènements de la Malenuit. Certains comptoirs étaient là depuis longtemps, et survécurent à la politique d’épuration raciale organisée par les Dawis. Souvent, ces comptoirs étaient ceux des contrées qui furent des alliés et des amis du Zagazorn, et ce, depuis bien des années, voir des siècles. S’ils faisaient l’objet d’une surveillance, leur présence était presque entrée dans les esprits des Dawi, contrairement aux nouveaux commerciaux, qui subissaient les regards inquisiteurs des soldats, les véhémences de certaines barbes et la menace de se voir expulsé du jour au lendemain.
- Pierre Langehoque, de la péninsule… Lisait Harald à moitié à voix basse, en passant son doigt sur les runes tracées à l’encre. Béatrice du Guet… Baptiste et Virgile de Noirterre… Hum…
Aucun des noms répertoriés ne trouvait écho dans l’esprit d’Harald, pourtant, il s’appliqua à les lire, surtout les observations de Gabil. Est-ce que les rejetés furent renvoyés manu militari ? Sans encombre ? Y avait-il eu quoi que ce soit d’important, de grave, de délétère, qui nécessiterait une prise de décision de la part de Harald ? Savoir ce qui se passait à Lante et sur ses terres était une des prérogatives de Harald, qui passait des heures à lire les rapports, parfois jusque tard dans la nuit.
Les documents analysés, Harald les rangea proprement en une pile assez haute, avant d’en lire d’autres, qui portaient des informations d’un autre thème. Cependant, une barbe en armure se présenta à la porte de la salle du Palais. Il salua Harald qui, en retour, détourna la tête de sa lecture et se leva rapidement. Le poilu s’approcha d’une démarche rapide et apporte d’autres documents. Il s’agissait de Gloïk Tête-De-Fer, le capitaine du 1er régiment d’infanterie lourde de Lante, le même régiment que commandait Harald jadis. Les deux amis se donnèrent une accolade typique des Nains. Une main sur l’épaule, les deux guerriers se toisèrent un instant, avant de se séparer et de prendre le temps de discuter.
- Baruk Gazanundi ! Qu’Ikthor soit avec toi ! Les terres du Brissalion sont magnifiques en cette période !
- Baruk Capitaine ! Que ta az luise du sang de nos ennemis ! Oui, en effet. Que m’apportes-tu en cette heure matinale ?
- Les rapports des poilus en faction dans l’Ankor. Quelques petites colonies Grobis ont été repérées il y a peu. Les barbes sur place recensent une cinquantaine d’individus qui s’attaquent aux bétails des clans agriculteurs.
- Qu’Ikthor foudroient ces vermines vertes ! Il ne faut pas qu’ils retournent dans les karaz. J’ai confiance en ton kazakul, tu mèneras notre Throng jusqu’à ces colonies et tu les anéantiras, pour la gloire du Zagazorn !
- Ai-je votre autorisation Gazanundi ?
- Ip ! Partez sans plus attendre !
- Ip Gazanundi !
L’entrevue fut brève, mais suffisamment sincère pour qu’Harald reprenne du baume au cœur. Il avait revu son ami de longue date, avec lequel il combattit à maintes reprises, que ce soit sur l’Hunzrunk Langk ou à Almis. Une dernière accolade forte, une tape sur l’épaule, et Gloïk s’en allait à sa mission avec la bénédiction de Harald. Pendant ce temps, Harald se tourna vers les documents apportés par le capitaine.
Plus tard, une autre barbe vint à la rencontre de Harald, qui était debout à côté du bureau, penché au-dessus de cartes et des plans d’architectes. Cela faisait plusieurs ennéades qui faisait venir les Thanes des clans bâtisseurs, forgerons et artisans en tout genre, afin de mettre en place son projet d’amélioration des défenses de Lante et des terres du Brissalion. Il comptait améliorer les structures défensives de la ville, quitte à l’agrandir, mais également celles des champs et des lieux de labours et d’élevages de bétails, afin de limiter les conséquences des incursions des groupes de peaux-vertes. Mais pour cela, il fallait des délier les cordons des bourses, faire des plans, sécuriser les travaux et organiser les prestations. Mais là où il faudrait aux longues-jambes des ennéades de tractations, de négociations, de ronds de jambes et de promesses en l’air pour s’enticher des services de maçons et d’artisans, chez les Dawis, l’honneur commandait d’obéir aux ordres, pour la grandeur du Zagazorn.
- Baruk Gazanundi ! Je vous apporte des nouvelles !
- Baruk soldat ! Que se passe-t-il ?
- Gazanundi, Gabil le Sanclameur demande votre décision. Un Vithang refuse de payer la taxe de loyer du mois, sous prétexte que les ventes ne sont pas bonnes !
- Les longues-jambes ne respectent jamais les Thrynaz. S’il ne veut pas payer, il sera renvoyé.
- Ip Gazanundi ! Mais ce longue-jambe est bien trop véhément, Gabil demande l’autorisation de le renvoyer à la frontière.
- Qu’Ikthor le transperce de sa az ! Renvoyez ce longue-jambe à la frontière !
- Ip Gazanundi !
Un signe de respect et de salut, et le poilu s’en va immédiatement rejoindre le Guet et transmettre les ordres à l’intendant. De telles journées étaient routinières. Les comptoirs encore présents dans les Enclaves pouvaient être heureux, ils étaient les derniers non-Dawi à se trouver en Zagazorn, alors que bien des poilus souhaiteraient les bouter hors du territoire. Pourtant, il semblerait que les peuples du Sud ne mesurent pas l’insigne honneur qui leur était fait via les comptoirs encore présents. Régulièrement, ils tentaient de négocier, de déjouer les taxes et les lois des Nains afin de toujours s’en mettre plein la poche, ou de mettre la main sur des savoirs et des denrées rares qui valent leurs pesants de souverains. Ils sous estimaient le peuple des montagnes, qui bien que petit par leur taille, était grand de savoirs séculaires secrets, d’un honneur à toute épreuve et d’une dévotion sans faille. Comment pourraient-ils comprendre ce « petit peuple » comme ils disent, là où eux ne pensent qu’à manipuler et retourner leurs vestes d’un camp à l’autre, d’une minute à l’autre, pour se retrouver gagnant quoi qu’il arrive. Les Dawis eux ne fuient pas. Ils se battent et travaillent d’arrache botte pour que le Zagazorn atteignent les sommets du passé, et bien d’autres encore. Gare à quiconque espère voir en Lante l’espoir d’une fortune facile. Quiconque, longues-jambes ou oreilles-pointues, tenterait de mettre un pied dans le Zagazorn sans y être autorisé, quiconque aurait des intentions belliqueuses ou malheureuses, se retrouverait à subir les foudres des Dawis.