Opération raccommodage d'un récalcitrant (Shyn, Na'Ri, Cecilie)

Le septième jour de la deuxième ennéade de Barkios de l’An 14:XI,
Après la Finale du tournois de Mamba

Il la cherche… Depuis le moment où il a vu ces lacs de glaces danser devant ses yeux. Il aurait tué la drow sans hésiter, serait peut-être mort au passage avec joie . Mais Elle lui a demandé de vivre peu importe le prix. La mascarade des jeux n'a que frustré l'être qu'il est.  Ces niaiseries ne sont pas de son goût. Les gens avides de sang sont ceux qui couinent le plus lors des heures sombres de la nuit.

Et il marche, vers les coulisses de l'arène, sa jambe le vidant lentement de son sang, le mollet profondément entaillé. Un coup de chance… Il n'en a cure X'Andarin… Il la cherche… Inlassablement, méthodiquement dans les estrades. Il a vu ses yeux… Il sait qu'elle est là. Chaque fibre de son corp meurtri se tend vers elle.

Sa dague de combat il ne l'a plus, l'a laissée là bas, sur le sable blanc et rouge de l'arène. Sous le masque, l'oeil marron se promène, cherchant pendant qu'il arrive et finit par passer les herses des coulisses. La main au flanc droit retenant son sang, sa jambe ne le portant plus que difficilement, il voit les soigneurs se précipiter vers lui. Mais X'Andarin les repousse. Ou est sa Ténébreuse? C'est sa priorité… Un besoin plus vital que celui de garder son sang à l'intérieur de sa personne.

Il n'ose l'appeler dans cette foule. Des fois que Krish entendrait, serait là. Il ne veut pas qu'aucun drow sache… Mais sa jambe en décide autrement, finissant de le lâcher pour de bon. Un bras ferme et dur s'empare de lui sans lui demander la permission, le faisant gronder sourdement. Il voit encore rien de sa putain de gauche. Frustré, il se laisse enfin guider jusqu'aux soigneurs.

Depuis près de trois ennéades, elle ne l'avait pas revu. Depuis leur première rencontre à dire vrai. Et s'il n'avait pas glisser par hasard qu'il participait aux Jeux ce jour là, ils auraient pu passer encore bien du temps sans se croiser.

Pendant qu'il réglait ses différents avec sa drow, quelques rumeurs bienpensantes lui avaient annoncée qu'elle pourrait bien avoir ses propres problèmes. Depuis qu'on disait que Griffe-Argent avait posé la patte sur le Puy, le Conseil renforçait le Guet et le débarrassait peu à peu de ses maillons pourris et corrompus... Enfin de ceux qui étaient plus corrompus par la plèbe que par les Princes. Avide de gagner l'affection de la population, le nouveau lieutenant qui venait d'arriver en poste dans le quartier de la Sèche, cet infâme bouge côtier à côté des Dock - n'était pas passé à côté des six cadavres qui lui étaient tombés sur les bras en deux jours l'ennéade précédente. Aucune ne portait ni marque de combat ni de maladie, aucun n'avait été volé, et le mage de la brigade les décrivaient comme... vides. Les gens du coin parlaient d'une créature des abysses qui vidait ses proies d'un simple regard et des noms étranges commençaient à flotter sur les lèvres ... Mais si la véritable responsable recommençait à tuer, elle risquait gros.

Alors elle était partie. Sans un mot, sans un message ni un regard en arrière.

Peut-être aussi était-elle partie parce que tout était allé trop vite et que l'évidence fait parfois aussi peur de les doutes... Mais qui sait réellement ?

Sans même passé à la Grande Bibliothèque, elle était allé chercher le sac qu'elle avait caché avec sa lyre et son bâton. A sa ceinture, un stylet péninsulaire dont la garde représentait un faucon aux ailes déployés remplaça la fausse Sanglante qui termina dans son sac.

Puis la belle était partie vers Sol'Dorn.

Les chemins d'Ithri'Vaan sont dangereux... Qu'on ne se demande plus pourquoi. Mais cette fois, elle prit la peine de faire disparaitre les corps, les jetant aux bêtes qui peuplaient la brousse ou leur plantant tout simplement un couteau dans le cœur avant de les dépouiller intégralement, quitte à balancer le tout à la flotte ou à les bruler quelques heures plus tard.

Et lorsqu'elle arriva à la seconde capitale Vaanie, ses blessures n'étaient plus qu'un lointain souvenir et aucune cicatrice ne marbrait plus sa peau... Bien qu'elle s'aperçoive avec étonnement que l'une d'elles lui manquait un peu.

Son retour à Thaar ne datait que de la veille et elle avait apprit avec un brin d'amusement la défaite de X'andarin face à ce deux-fois-traitre Alonais d'Hanegard de Kastelord. Elle le dévorerait bien elle-même ce gigolo aux bottes de la putain de Néera... Mais l'heure n'était pas venue et elle avait prit soin d'être rassasiée avant de poser le pied en ville.

Les poches alourdies de ses contrats et larcins, bien qu'elle se présente sous le même prénom, la putain Naelisienne du quartier aux lanternes avait changé d'atours. Ses courts cheveux auburn rendus roux par le soleil Vaani étaient attachés sur sa nuque et plusieurs lourds bijoux d'un bronze cuivré encadraient son fin visage nordique, à la mode Zurthane. Ainsi accoutrée, malgré son regard perçant et l'étrangeté de sa peau d'un blanc toujours laiteux malgré la brulure du soleil, elle avait pu accéder à une auberge moins infâme que d'ordinaire. Sans être riche, quelques bourgeois cherchant à s'encanailler y descendait sans mal. Et c'est ainsi qu'elle entendit parlé du tournois de Mamba. Les rumeurs allaient bon train, même parmi les petites gens, mais aucune preuve n'avait été apportée. Plutôt habituée aux réflexes des hautes couches sociales, elle n'avait pas mis longtemps à suivre les migrations 'discrètes' des spectateurs enthousiastes qui puaient le fric à plein nez.

Quittant sa lyre, son sac et son bâtons sous les lattes soigneusement défaites de la chambre qu'elle avait payée, elle s'était fondue dans la foule, baissant la tête et marchant au rythme d'un homme tout vêtue de soie aux couleurs criardes comme si elle lui appartenait. Puis elle s'était glissée dans les coulisses, vide puisque le combat commencerait dans un instant. Elle avait erré dans l'enfilade de salle, croisant des regards étonnés ou suspicieux, mais son pas décidé et son regard froid prouvaient qu'elle savait parfaitement ou elle allait et pourquoi, alors personne ne l'arrêta vraiment. Elle se glissa ainsi jusqu'à l'une des entrées des gradins. Le combat avait déjà commencé... Et il était là.

Collée contre le mur de pierre, discrète, elle n'avait pas besoin de voir son visage ou les détails flous de la silhouette imprécise sur le sable. Elle reconnaissait son attitude et sa façon de bouger... Façon qui fut impactée une fraction de seconde après l'arrivée d'Irulan par une profonde entaille à sa jambe gauche. Elle frissonna, ses mains se crispèrent sur le rebord de pierre, et elle se concentra pour voir plus précisément ce qui se déroulait en bas. Au lieu de venir l'achever tout de suite, la drow s'éloigne. Il la repousse vers les flammes, la crible de coup. Elle brule... Pas assez. Mais un sourire appréciateur se peint sur les lèvres délicates. Même blessés, leurs mouvements sont impressionnants. Elle dansante et souple, s'adaptant à tout. Lui précis et sauvage, dominant par l'expérience. Pourtant, il se restreint sous ce masque... Pourquoi s'inflige-t-il un tel tournois ?

Il va frapper une dernière fois. Il va droit vers la gorge. Elle imagine sans peine le regard qu'il porte sur la drow à ce moment précis et l'excitation monte d'un cran. Mais la drow, dans un sursaut désespéré, résiste. Les lames claquent, les coups pleuvent. Il prend lentement l'avantage malgré une défense plus faible du côté gauche.

Et soudain, les positions s'inverse. Il lève sa lame. Elle se courbe comme une vague. Inhumainement vive. Il n'a pas le temps de parer. Elle passe sa défense, épée en avant... Et transperce le flanc du combattant masquer, les envoyant tout deux rouler au sol.

Une clameur excité et horrifiée s'élève des gradins. La spectatrice fait un pas en avant, dressée de toute sa courte hauteur, sans plus penser à Krish, quelque rang à sa droite, qui pourrait la voir et la reconnaitre.

Dans le silence qui s'est abattu, l'arène retenant son souffle, la drow bouge.

Elle se relève, extirpant son arme du ventre de son adversaire pour la placer sur sa gorge.

-C'est… fini. On peut s'arrêter là. C'est toi qui décide.

Elle retient son souffle, l’œil vrillé sur la pointe d'acier qui menace la jugulaire de son Chasseur. Si elle tente quoi que ce soit, si elle se plonge même de façon infime dans la magie des Lamentations, tous les mages de l'assistance la remarqueront. C'était signer son arrêt de mort. Alors elle plisse ses yeux de glace, tentant de graver dans sa mémoire le visage de la danseuse drow.

- Étire pas ta chance, dégage... J'en ai assez.

Oui...

Elle tourna instantanément les talons et dégringola les escaliers des gradins, ses pas largement couvert par la clameur énorme qui se lève dans son dos et la voix renforcée de Mamba. Elle se glisse à nouveau dans les salles. Les geôles. Les machineries. Les ateliers. les cuisines. Mais cette fois elle sais vraiment où elle tente de se rendre et son pas rapide se fait course.

Elle arrive jusqu'à la grande salle commune des gladiateurs sans se soucier des regards. Il n'était pas là. Les pupilles de ses grands yeux d'azur étrécies au point de ne presque plus être visibles, elle attrapa au vol le premier serviteur qui passait. Son visage orgueilleux et glacial ne dépareillait pas avec l'autorité naturelle de sa voix cristalline.

- Ou est-il ? Ou est le combattant ?

Thaar. Si la medecin avait fait parti du voyage c'était non pas pour parcourir les pages de la bibliothèque mais pour soutenir une participante des jeux : Shyn'tae Vaen're. Et répandre les bonnes faveurs du Triumvir en apportant des soins à ceux qui ne pouvait pas s'en offrir.

S'il y avait bien une personne qui avait apprécié la chute de la poutre de la daedhelle, c'était Na'ri… Elle ne risquait plus d'y rester pour l'amusement d'imbéciles. Mais c'était sous-estimer la capacité de rebondissement de l'arcaniste. Ainsi elle avait continué un tournoi bien plus dangereux et la prêtresse pansait sa championne et ses compétiteurs.

Ainsi, elle voyait des nouvelles têtes dans cette pièce pompeusement appelée Infirmerie.
Et il y avait là une belle collection, de têtes : la plupart étaient déformées autant par la vie de peu que par les poings. Les charmants et les bellâtres n'étaient pas de sortie… ou ils avaient les moyens d'avoir leur propres soigneurs. Souvent c'était des humains. Ce n'était pas qu'elle fasse de délit de faciès, elle qui était née Eldéenne, mais il y avait là beaucoup trop d'humains pour elle. Ils n'étaient pas de ces humains qu'elle croisait dans le Puy, certains auraient pu être de ceux qui, l'arme au clair, lui avaient offert les stigmates du champ de bataille.
Elle n'aimait pas tant que cela soigner un humain, alors eux, c'était pire. Oui… il fallait que cela en vaille le coût, car les humains mouraient si vite! C'était pour cette raison qu'elle ne les aimait guère, et qu'elle n'avait plus l'envie de les retrouver dans une situation moins pacifique. Cependant, malgré la raison, elle offrait ses dons à ceux qui osaient le lui demander.

Na'ri ne se rendait pas compte que ceux qui avaient le courage de le faire était les plus désespérés, car le racisme existait dans les deux sens. Après tout, n'était elle pas une Drow ? Même s'ils sortaient bien de la pièce sur leurs deux pieds, ils pouvaient craindre quelle fourberie elle avait commise? Quelles souffrances, quels regrets, quelles maladies abominables rapporteraient ils à la maison ?

Fort heureusement, la Triumvir Viconia, toujours aussi empathique, lui avait fait quitter sa sinistre robe de prêtresse élimée pour une tenue bien plus avenante. Même si Na'ri ne s'en était pas aperçu, il fallait bien admettre que sans cela, seuls les désespérés et les culs de jatte ne se seraient pas enfuis.

Des jeux, elle n'en avait rien vu. Elle suivait les échanges selon les clameurs de la foule. De toute façon, elle verrait bien le résultat dans l'infirmerie.

La première fois qu'elle avait passé le pas de la porte, elle avait était horrifiée. La pièce était crasseuse et mal éclairée. La fumée des lampes à huile avait noircie le revêtement du mur qui s'écaillait par endroit. Au plafond, il y avait d'anciennes traces d'humidité comme pouvait en témoigner les auréoles brunes dans la chaux. Avec d'autres soignants, ils firent un peu de ménage et de menu travaux de réarrangements. C'était cela aussi la magie des jeux de Thaar : travailler ensemble. Les lits eurent des draps toujours frais, les dessertes furent approvisionnées en bande, et les matins, les gladiateurs pouvaient entendre le bruit du pilon dans le mortier pour les différents baumes. Par contre, concernant leur techniques, les médecins s'en tenaient souvent au secret. La prêtresse de Kiran n'eut pas beaucoup de temps pour s'en étonner et s'en plaindre. Sa championne progressait dans le tournois et laissait de l'hémoglobine sur son passage. Surtout celui des autres. Le ruban avait été dévastateur.

En ce début de combat, dans l'ombre des piliers de l'entrée des "artistes", la sombre attendait la fin avec angoisse. En regardant sa consœur entamer sa danse, Na'ri se demanda quelles parties du corps elle n'avait pas soigné… Le visage. Je ne suis pas intervenue dessus. Et heureusement pour elle, j'en ai déjà raté un. Mais elle quitta assez rapidement la scène et n'en revint qu'après les clameurs de la foule et l'annonce du vainqueur par Mamba.

Shyn'taë avait gagné ! Sa camarade avait gagné. Mais quel prix avait elle payé ?

Elle observa le X'Andarin entrait péniblement dans les coulisses de l'arène. Il était seul et personne ne semblait l'accueillir. La soignante ressentit un léger pincement au cœur. Elle évalua ses blessures d'un coup d'œil exercé par des siècles de batailles. Elles étaient graves… et elles méritaient d'être prises avec sérieux.

Peu de temps après, l'arcaniste entra à son tour. C'est alors que la drow alla à sa rencontre. Ses yeux se glacèrent à la vue de l'épaule sanglante. Sans plus réfléchir, elle pris sa compagne par la taille.

- Laisse moi te porter jusqu'à l'infirmerie. Je vais avoir besoin de ton surplus d'euphorie pour te déshabiller… mais… c'est brûlé. La sombre posa les yeux sur la cape abimée. Faire feu de tout bois… ça te va bien.
La magicienne écarta doucement la prêtresse. Elle semblait pensive, fatiguée, désabusée peut-être. En tout cas l'euphorie n'était pas là. Un fin sourire se dessina sur son visage salit par le sable et le sang.

- J'ai gagné… Merci, je pense que je vais m'en tirer. Par contre, rattrape l'humain, je ne l'ai pas manqué. Je vous rattrape à l'infirmerie. Pourquoi exactement voulait-elle que l'humain vive malgré lui? Par esprit de contradiction? Par curiosité? Son audace l'avait-elle impressionnée? Il avait failli la tuer, et avait semblé convaincu pouvoir l'emporter avec lui. Était-ce donc ca qui lui plaisait? Le risque. Tu es complètement dingue, soufflait la voix de la raison. Et c'était si vrai.

La prêtresse voulu lutter contre son amie. Cependant, elle disait vrai, l'humain était en sale état. Et Shyn'taë était beaucoup trop sérieuse pour que l'on se batte avec elle. En effet, elle n'avait pas relevé. Et c'était la première fois qu'elle était comme cela. A contre cœur Na'ri la lâcha et partit en trottant à la recherche de l'humain.
X'Andarin n'était pas parti bien loin avec sa patte folle. Il eut la bonne idée de s'effondrer une fois qu'elle fût à son niveau. Alors elle le saisit sans dire un mot et le dirigea vers l'infirmerie.

Enfin. La drow avait conclu son tour de scène sous les ovations aussi vite qu'elle l'avait pu sans que les organisateurs ou le public n'y voient un affront. Le sourire de Viconia à qui elle venait d'offrir une victoire, Krish éternellement amusée, son père à la mine toujours aussi patibulaire apparurent tour à tour dans son champs de vision. Puis tous ces vaanis, peut-être connus ici mais anonymes dans son esprit. Si elle en croyait les clameurs et l'enthousiasme de Mamba, ils avaient du remplir ses exigences.

Lorsque la pierre froide et impassible de l'arène étouffa finalement les acclamations du public, elle se sentit soulagée. Son cœur battait dans sa poitrine, et chacun de ses battements résonnaient dans son crane comme dans un tambour. Il résonnait aussi dans son épaule blessée, et le long de son dos brulé. Maintenant que l'exaltation du combat était retombée, la douleur devenait plus forte. C'était ca le problème avec ces moments d'excitation et d'audace. Ils avaient toujours leurs conséquences. Mais mis à part son épaule qui l'inquiétait un peu plus, elle estimait avoir eu de la chance. Une belle victoire donc. La fin de l'aventure...

Soudain, la poigne forte de Na'ri saisit sa taille, la forçant contre elle. La prêtresse l'impressionnait toujours par sa force étonnante. Pourtant, elle la repoussa.

- Laisse moi te porter jusqu'à l'infirmerie. Je vais avoir besoin de ton surplus d'euphorie pour te déshabiller… mais… c'est brûlé. Faire feu de tout bois… ça te va bien. Shyn'tae se sentit incapable de juger d'un coup d'oeil si la blague était bonne ou mauvaise. Pour ce qui aurait été de profiter de l'euphorie, c'était par contre complétement raté.

- J'ai gagné… Merci, je pense que je vais m'en tirer. Par contre, rattrape l'humain, je ne l'ai pas manqué. Je vous rattrape à l'infirmerie. Sa voix était douce, sobre, posée. Objectivement, c'était vrai, elle pensait avoir besoin d'un peu de temps avant de réellement avoir des ennuis. Et pour ce qu'elle avait compris de son mystérieux adversaire, il allait certainement disparaitre dans la nature pour y mourir lentement si elles lui en laissait le temps.

Pourquoi exactement prêtait-elle attention à cet individu. C'était un humain. D'ici quelques années, quelques décennies tout au plus il redeviendrait poussière? L'Eldéenne avait besoin de temps pour faire le tri dans ses emotions, ses pensées et ses intuitions. Et ce mal de crâne ne l'y aidait absolument pas. Na'ri n'insista pas, et s'enfuit rattraper X'andarin.

La drow posa son épaule contre la pierre si rassurante. Elle les rattraperait bien vite, il était blessé, et elle avait juste besoin de reprendre ses esprits. Fermer les yeux. Respirer profondément. Ignorer son corps qui rale. Elle sent à sa portée la puissance arcanique, si douce, séduisante, la plus fidèle des alliées, mais pour l'heure y faire appel serait probablement une erreur, car la tentatrice est aussi une traitresse. A la place, elle laisse promener ses sens sur les motifs si complexes et si parfaits de la réalité, Ils l'apaisent toujours, et cette fois encore.

Elle revoit le combat, ses erreurs, celles de l'archer masqué. C'était un beau combat, il fallait bien l'admettre. Elle ferait mieux la prochaine fois.

Elle revoit X'andarin. Son regard d'abord. Cette rage comme un torrent prête à tout consumer. Elle lui rappelle quelque chose d'autre, mais quoi? Ce n'est pas grave: l'idée viendrait plus tard, lorsqu'elle aurait maturé.
X'andarin n'est pas un gladiateur. Il est bon, si bon qu'elle a cru qu'elle tomberait. Mais comme elle, il n'est pas là pour le spectacle. Et à son regard, elle pense qu'il ne l'aurait pas épargnée. Le comprendre l'a fait vivre si fort, entière, extatique, pour chercher des ressources qu'elle ignorait posséder. Une sensation incomparable. Incomparable?

Elle revoit le feu d'Uriz et se sent à nouveau frémir à son baiser. C'était il n'y a moins d'un an. Elle revoit Urgoll il y a à peine quelques ennéades. Il y a un rapport. Elle range les idées avec les autres.

Elle revoit sa victoire. Il aurait suffit qu'elle le tue immédiatement. Elle ne l'a pas fait. Pourquoi? Au contraire, il a fait en sorte qu'elle veuille l'achever. Et a souligné l'erreur que représentait son refus d'obtempérer. En même temps, depuis quand tue-t-elle des gens parce que ces derniers le lui demandent?

Elle doit l'admettre. Ce regard, Ce danger, ces questions. Elles lui plaisent. L'attirent. La fascinent.

La daedhelle ouvre les yeux. Elle n'est pas certaine d'avoir avancé, mais elle se sent mieux. Le tournoi est terminé, elle a gagné. Elle sait ce qu'elle a à faire lorsqu'elle rentrera au Puy. D'ici là, elle a du temps a occuper…

Et tant de questions auxquelles elle voudrait des réponses. Est-ce seulement de quoi s'occuper l'esprit, ou quelque chose d'autre?

Eveil retourne au fourreau. Aujourd'hui à nouveau, sa fidèle amie ne lui a pas fait défaut. La daedhelle dépose les armes au sol. Puis, de sa main valide, détache son armure. Elle serre des dents et verse une larme de douleur lorsque le cuir se détache de sa peau blessée. Un instant pour profiter de l'air frais sur la peau nue et reprendre son souffle. Ce n'était pas si difficile. Armes et vêtements à la main, elle s'avance dans la salle commune.

- Ou est-il ? Ou est le combattant ?

La drow y découvre une jeune femme à l'air orgueilleux en train de secouer un jeune serviteur. De tailles pourtant similaires, le serviteur semblait pourtant écrasé par l'autorité de l'invitée. Elle observe un instant l'adolescent si tendu qu'il est incapable de lui répondre, puis pose bruyamment l'armure sur la table pour signaler sa présence, une oreille dressée.

La demoiselle a l'air très fortement préoccupée par le sort du mystérieux X'andarin, et des hypothèses se bousculent dans l'esprit de la magicienne. Une sœur? une amante?

- Salutations… Je peux peut-être vous aider. Vous êtes? Son Oliyan est parfait, mais son accent exotique témoigne sans nul doute, tout autant que sa peau, de son origine. Dans sa main, elle tient négligemment une épée dans son fourreau.

En d'autres circonstance, la panique qu'elle lisait dans le regard du pauvre bougre tétanisé l'aurait faite sourire. Ils se seraient bien amusé aussi, quoi qu'il soit particulièrement maigrichon pour eux celui-ci. Mais voilà, les circonstances étaient ce qu'elles étaient. Elle ne le touchait pas, les bras croisés sur une poitrine plus arrondit que ce que sa silhouette fine laissait présagée. Le drapé croisé de sa robe noire par dessus une jupe et une brassière brunes, formait une sorte de sari grossier mais néanmoins ajusté avec une certaine grâce. Les lourds bijoux qui encadraient son visage vibraient encore de la vivacité de sa course.  

- Répond... " répéta sa voix mélodieuse un ton en dessous, faisant sursauté le pauvre gosse qui se mis à balbutier quelque chose d'incompréhensible. A la droite de la jeune femme, son oreille s'était égaillée pour lui apprendre qu'une autre personne venait d'entrer d'un pas lent. Avec l'odeur de sang qui régnait déjà, difficile à dire si elle était blessée, mais elle marchait lentement et son pas était bien différent de celui de Dante, aussi ne se retourna-t-elle même pas. Jusqu'à ce que le bruit exagérer d'une armure sur une table de bois ne coupe les bredouillements ineptes du gamin... Et le sauve peut-être d'une femme dont la patience déjà limité en temps normal, avait été balayée par le sang sur le sable de l'arène.

La jeune visiteuse se retourna, vrillant ses pupilles étrécies sur...

- Vous... "

La femme qui avait combattue. Son épaule en témoignait et ses yeux légèrement voilés semblaient combattre une autre sorte de douleur. Le regard glacial de l'humaine semblait une fois encore désajusté malgré son intensité, comme si elle ne voyait pas exactement de la même façon que le reste du monde ou qu'elle n'avait jamais apprit la portée significative que pouvait avoir un regard dans une discussion.

La garce.

Une rancœur aussi inutile qu'intense lui chopa le ventre.

- Je m'appelle Irulan. Il faut que je vois votre adversaire. Alors dites moi où il est, maintenant. "

L'accent étrange de sa voix cristalline était quoi ? Gereshois ? Naelisien ? Péninsulaire ? Il n'était quand même pas Zurthan... En tout cas il était étrange.

La drow n'avait qu'à peine répondu lorsqu'un rugissement éclate dans la pièce. Une sorte de cri de rage et de frustration. Un animal contraint et blessé se préparant a faire payer cher pour sa vie, plutôt qu'un prédateur en traque. L'humaine se retourne sans plus prêter la moindre attention à la drow.

Cette porte.

Se repérer aux son, ça elle sait faire. Ses oreilles sont même bien plus exactes que ses yeux. Elle contourne un siège à la forme imprécise et s'élance vers le battant clos pour l'ouvrir à la volée. Ses yeux s'arrondissent légèrement. La magie lui gratte le nez. Cette drow. Qu'est-ce qu'elle lui fait ?!

- Lâchez-le ! "

Autant un ordre qu'une menace. Sa voix de chanteuse habituée depuis sa plus tendre enfance à tenir une audience par dessus la musique et les discussions claque sans effort dans la petite salle de soin. Les yeux de la belle glisse sur le rouge... tout ce sang... jusqu'au masque blanc qui l'empêche de voir pleinement son visage et son regard.

Que les soigneurs et la drow sur ses talons lui laissent la moindre possibilité d'approcher et elle se précipiterait à son chevet. Sinon... Et bien sinon elle ne savait pas encore. Pour l'instant elle était tout entière tendu vers la grande carcasse sur le lit.

La prêtresse n'avait pas anticipé la réaction de l'humain. Alors qu'elle le portait, il se débattait et plus ils approchaient de l'infirmerie, plus il était devenu compliqué de le maitriser seule. Au moins, admit-elle, qu'il s'agite était la preuve qu'il était encore vivace… ou qu'il n'allait pas tarder à ne plus l'être.

Non j'ai pas le temps… La soignante soupira, elle comprenait l'Oliyan mais le parlait mal. Si mal qu'elle répondit pour elle-même en Eldéen.
- Et bientôt plus…

Un pied devant l'autre, le lit était enfin en vue. Un pied devant l'autre, doucement mais surement. Plus l'homme remuait, plus l'étreinte de la prêtresse se faisait ferme. Elle en avait tristement l'habitude. Les infirmiers arrivèrent pour l'assister. Et ensemble, ils réussirent à le coucher. Le bougre s'excitait tant et plus, râlait, pestait.

Pour un soigneur, les hommes d'armes n'était pas les patients idéaux. Il y avait à cela plusieurs raisons. Tout d'abord la plus évidente. Ils avaient tendance à se blesser des manières les plus originales et dommageables qui soient. Ensuite leurs armures, leurs plastrons et toutes les couches intermédiaire  rendait toujours le déshabillage long et fastidieux. Heureusement, elle avait acquis fil de siècles de champs de bataille une technique élaborée pour les ouvrir comme un crustacé. Si seulement il pouvait cesser de se débattre comme si elle allait le sacrifier à un dieu noir et se laisser faire. Au prix d'efforts de plus en plus difficiles, alors que son sang coulait de plus belles des blessures laissées par son adversaire, l'éldéenne faisait de son mieux pour le conduire jusqu'à un lieu propice aux soins.

Mais l'homme était de plus en plus récalcitrant et beugla son opposition. Il trouva soudain moyen de produire une dague venue de nul part. Ni une, deux, la prêtresse réquisitionna la lame en un tour de passe-passe qui aurait fait sourire les petits et les grands.
Calme… baragouina t'elle en se penchant sur le visage masqué, avant d'entreprendre de couper le cuir du baudrier… Avant de découvrir d'un coup d'œil que la dague n'était pas prévue pour trancher. Sans perdre de temps, Na'ri la laissa tomber au sol et en subtilisa une autre plus adaptée. C'est que le guerrier était  fichtrement bien équipé en la matière : à sa ceinture se trouvait un véritable arsenal. La prêtresse vérifia le tranchant, puis s'attaqua au cuir du baudrier et de la ceinture qui cédèrent rapidement. Mais elle n'osa aller plus loin tant le lascar s'agitait. Na'ri était quelqu'un de patient. Mais elle n'appréciait pas les personnes de mauvaise volonté. Pourquoi exactement Shyn'tae lui infligeait-elle de tels canards boiteux. Mais que leur faisait-elle exactement pour les mettre dans des états pareils?

Calme. La voix de la pretresse se voulait douce et apaisante. De sa main de libre, elle caressa la peau du cou du bout des doigts. Dans sa main droite, la lame de la dague pivota contre son avant-bras pour éviter les mauvaises surprises. Ainsi elle entama une prière à Kiran. Elle savait ce qu'elle allait faire… ce n'était pas forcément très canon, mais elle avait besoin de temps pour qu'elle puisse le maintenir en vie.

Petit à petit, les membres du blessé cessèrent de s'agiter et les aides purent relâcher leur étreinte. Toujours pas repus de son combat dans l'arène, l'homme porta un coup… qui atterrit dans le nez de la sombre dans un craquement. De surprise et de douleur, son sort s'interrompit brutalement.

- Bon d'accord… râla t'elle en serrant les dents dans sa langue maternelle.

Non… La drow en eut assez. Il ne voulait pas ? Tant pis pour lui, elle ne lui laisserait le choix. Qu'il ne vienne pas râler ensuite. Décidée, elle reposa la main dans le cou et le caressa à nouveau. Vigilante, elle surveillait d'un coin de l'œil les moindres mouvements et éviter à nouveau de se faire prendre au dépourvu.
Elle se replongea dans sa magie, dans se corps qui se vrillait et cette fois, se fut du côté de la colonne vertébrale qu'elle opéra. Non… rien de définitif, mais ca l'arrangerait bien qu'il perde pour quelques temps l'usage de ses membres. Les connaissances en biochimie des prêtres étaient certes inexistantes, mais les siècles de pratique, les millénaires d'expérimentation lui permettait de faire sans comprendre. La magie apportait du changement. Des synapses perdirent leur capacité à échanger les neurotransmetteurs. Et sans eux, nul mouvement. Elle avait réfléchi à l'assommer proprement, mais dans son état, toutes les options lui avaient semblé dangereuses  à court ou long terme d'une façon ou d'une autre.

Petit à petit, les membres s'amollirent, le laissant conscient, horriblement conscient de son environnement et de ce qui se passait autour de lui. Avait il enfin compris? Il n'y avait rien à faire, si ce n'est de se calmer. Effet du sort ou fatigue ? Peut-importe, la medecin en profita pour ouvrir l'armure avec efficacité tandis qu'il s'était remis à mugir tant et plus. Na'ri l'ignora. Tant d'énergie. Au moins elle n'avait pas à vérifier qu'il était encore vivant.

D'un geste rapide, elle donna un coup de lame dans la tunique pour accéder enfin à la blessure.

Du sang. Trop. Et une entaille, propre et nette, s'où s'écoulait le fluide vital. Encore et toujours.
La pretresse relâcha son sort, et l'autre ver se remit à se tortiller. Les infirmiers qui s'occupaient de la jambes bataillaient tout autant, sinon plus qu'elle pour commencer à panser la plaie et limiter la perte du précieux liquide.

C'est alors qu'une femme aussi avenante d'un glaçon, fit irruption dans la pièce déjà trop petite.

- Lâchez-le ! somma l'intruse.

La drow ne releva pas la tête. Mais elle jeta la dague immaculée sur le sol, laquelle glissa sur la pierre jusqu'aux pieds de l'humaine.

- Non. Moi travaille Le ton du médecin était concentré, son Oliyan digne de l'éldéen de l'esclave Grayle. Elle avait un but : arrêter l'hémorragie et sauver cet homme. Alors, la prêtresse tourna le dos aux arrivants, aux mains rageuses de l'homme. Il devenait plus faible, nota-t-elle. Elle pouvait le laisser tambouriner sur son dos rond. Une guerre pouvait se dérouler, elle n'en avait cure. Elle avait un patient à sauver, malgré lui.
Plaçant ses deux mains sur la plaie en exerçant une pression, la prêtresse savait ce qu'elle avait à faire : cicatriser les vaisseaux sanguins.

Sur le visage concentré de la soignante, l'étoffe du masque se teintait peu à peu de rouge.

-Vous…" Les oreilles de la daedhelle s'étaient tendues au ton glacial de la nouvelle arrivante. Se connaissaient-elles? Si oui, manifestement Shyn'tae avait fait particulièrement mauvaise impression. Elle supposa que la nouvelle arrivante s'était trouvée dans le public. Lui en voulait-elle d'avoir vaincu X'andarin?  Ah moins que ce ne soit un simple préjugé?  Même en fouillant dans sa mémoire, l'humaine ne disait rien à l'Eldeenne. Et il fallait admettre qu'elle s'en serait souvenue.

Car maintenant que la demoiselle lui faisait face, la magicienne lui trouvait en elle quelque chose d'étrange que son esprit mit de longues secondes à définir. Son regard. C'était le genre de regard qu'elle imaginait donner à voir lorsqu'elle se plongeait dans les beautés infinies et cachées du tissu de la réalité. Sauf que… comment celle-là pouvait-elle à la fois être ailleurs, donner à voir un regard si intense et nourrir  un seul mot de tant de rancœur. Cette contradiction laissa la drow  un instant interrogative, instant dans lequel l'inconnue s'engouffra.

- Je m'appelle Irulan. Il faut que je vois votre adversaire. Alors dites moi où il est, maintenant. "

L'interrogation grandit. En clair, elle n'était rien, et elle attendait une obéissance. Sinon? Sinon quoi exactement? La daedhelle sentit la rage monter en elle. Extérieurement, elle haussa un sourcil, la toisant aussi froidement que l'interlocutrice. Cette Irulan à l'accent si inhabituel n'était soit rien, soit cachée. Nulle arme visible. Était-ce une bluffeuse sans carte en mains ou avait-elle un plus d'un tour dans son sac?  Et que voulait-elle exactement à X'andarin? Ce n'était pas l'attitude qu'elle aurait attendue d'une parente inquiète. Pour qui se prenait donc-t-elle?

- Enchantée… Irulan. Le ton de la daedhelle était tout aussi glacial. A votre avis? Il est blessé. Que lui voulez-vous? Pour une raison bien étrange, La plupart des drows étaient plutôt de nature méfiante. Et Shyn'tae se sentait fatiguée. Douloureuse. Le sang ne coulait plus, c'était déjà ca, mais la douleur ne diminuait pas, elle. Sa main valide s'était mise à serrer la poignée de l'épée lorsque le cri sauvage retentit, et attira aussitôt son invitée.

Elle aurait eu envie de jurer. Ce n'était pas prévu. De toute manière rien ne se passait comme prévu. La drow s'élança à la suite d'Irulan, oubliant ses propres blessures. Ce n'était pas pour le guerrier qu'elle s'inquiétait, mais pour la prêtresse.

L'humaine ouvrit la porte de l'infirmerie et hurla sur Na'ri. Shyn'tae ne put s'empêcher de confirmer qu'elle avait une fort jolie voix. Mais elle l'oublia bien vite. Autour d'elle, la sombre avait vu les motifs palpitait. C'était une mage. Une mage qui s'apprêtait à faire appel à sa magie. De quoi était-elle capable? Shyn'tae n'en avait aucune idée. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'elle était fâchée. Peut-être finalement tenait-elle vraiment à X'andarin? La sensation qu'elle ressentit alors était la même que celle qui accompagnait l'effondrement d'un sort. Celle d'une catastrophe imminente.

Pourquoi ce couillon s'était-il donc mis à hurler ainsi! Une petite part de la drow fut bien forcée de se dire que la finesse coutumière de Na'ri y était peut-être pour quelque chose.

A l'instant où l'humaine allait s'avancer plus loin dans la pièce, la daedhelle saisit son épaule pour la ramener contre elle. Ne pas la laisser lancer de sort. Des étoiles dansèrent devant ses yeux lorsque le dos de la dame frappa son épaule.

- Arrête! Pas de magie dans l'infirmerie. Je ne le fais pas soigner pour voir quelqu'un tout gâcher. Et si c'était justement tout ce qu'elle désirait? La voix de la drow était tout aussi forte et glaciale que celle de la demoiselle.  Il fallait être honnête, elle n'avait pas grand chose pour appuyer son propos. Et espéra surtout qu'elle n'allait pas se retrouver avec une dague au travers du corps. Une autre.

Elle aurait aimé demander à Na'ri qu'est ce qui se passait, mais la drow semblait.. en quelque sorte… maitriser la situation. Pour l'instant en tout cas. Shyn'tae pensa qu'il faudrait un jour lui donner de vrais cours d'Oliyan. C'était tout simplement catastrophique.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la jeune femme n'était pas spécialement enchantée, non. La tentative de mondanité de la drow, alors qu'il y avait urgence, ne fit que rendre l'humaine encore plus glacial et lui donner des ailes pour rejoindre l'infirmerie.

Même sans ce dernier sprint, il était clair qu'elle avait couru. Elle n'avait jamais vraiment brillé par son endurance et l'arène n'était pas si petite que ça. Le fait d'être rentré en douce aurait du la pousser à faire profil bas une fois de plus, mais quand elle découvrit ce groupe de personne en train de contraindre son Chasseur, une drow au dessus de lui, une dague à la main, elle faillit ne pas réussir à se contenir.

Heureusement pour tout le monde, la drow - si elle ne lâcha pas Dante - lâcha immédiatement la dague qui ne portait pas la moindre trace de sang. Son travail ? Une soigneuse ?

Elle voulu s'élancer une nouvelle fois, mais une main la tira en arrière, manquant de lui faire perdre l'équilibre. Elle se raidit. Elle n'avait pas les réflexes pour se retourner, prête à encaisser un coup ou à être entravée à son tour. Rien ne vint. Elle heurta simplement la haute femme qui portait toujours une épée au clair... Et qui vacilla sous le très léger impact que représentait la frêle stature de l'humaine. Irulan n'attendit pas d'en savoir plus pour la repousser d'un coup de coude dans le ventre. Certes, la force n'était pas au rendez-vous, mais d'expérience, ce genre de coup vicieux faisait toujours au moins un peu mal selon le point qu'elle touchait au petit bonheur la chance. Son coup atteint la drow à la fin d'une phrase dont elle n'avait compris que l'essentiel : c'étaient bien des soigneurs.

Toute tension magique retombe de son côté, mais elle ne fait que s'intensifier de la part de la drow. La sensation chaude et poisseuse du sort lui colle à la peau. Si elle a fait le mauvais choix, elle les chassera et les tuera un par un. D'abord la soit-disant Championne qui la retenait, puis la guérisseuse, les soigneurs, et jusqu'au dernier des spectateurs de ce jeu stupide. Pourquoi tenait-il à se donner en spectacle comme ça de toute façon ?! Mais elle n'avait pas le temps d'y réfléchir plus avant pour le moment.

Elle se dégage, fait un pas. Où tente de le faire. La main de la combattante l'attrape de nouveau, la tirant une nouvelle fois. Elle se cabre et gronde d'un feulement aiguë parvenant à se tourner à moitié pour décocher un violent coup de pied dans le tibia de la Championne de Mamba.

- Mais laissez-moi... ! " Sa voix tonne une nouvelle fois, laissant malgré elle pointer une goute d'angoisse dans cette banquise de colère. Elle s'échappe. Les détails lui importent peu alors qu'elle couvre les quelques mètres restant en de longues enjambées. Dans un mouvement fluide, elle contourne la drow dont le visage n'avait pourtant rien d'engageant et sa petit main capte la grande paluche du challenger.

Elle la serre. De toute ses forces. Rien par rapport à la poigne de l'homme. Impérieuse. Rude. Il ne la lâchera pas. Enfin son œil brun. Elle s'y plonge intensément, prenant tout ce qu'il y a a prendre et lui offrant ses pupilles redevenues à peu près normales. Soulagement. Besoin. Et son éternelle Avidité. Mais... Son œil...

Sa main libre se pose sur le bord gauche du masque.

Un haut le cœur s'empare d'elle en notant enfin le voile derrière l'orbite creuse du masque blanc. Non... Sa mâchoire se crispe. Non ! Un frisson de rage remonte le long de son dos, s'étendant à ses bras jusqu'à ses longs doigts. Ce n'est pas le moment ! Qui ?! Eux bien sûr ! Tous ces soigneurs incapables. Tout juste bons à laisser mourir ! C'est ridicule. Il a besoin de soin. Il faut qu'elle se calme. Ou qu'elle les dévore et qu'elle le sorte d'ici ! Son visage se tourne vers la mage de la vie sans, se regard pesant sur elle d'une étrange façon. Affamée. Empreint d'une rage dont la laisse est sur le point de rompre. Un regard a faire frissonner un tueur professionnel. Oui. Bien mieux. Bien plus sûr ! Il n'y a aucune confiance à avoir ! Trop tard, la drow a déjà tissé son sort. Si elle l'interrompt, ça pourrait le tuer. Sauf si elle absorbe son sort, lui aussi ! Se repaitre de ce qu'ils lui avait fait ! Leur rappeler leur fausseté ! Leur inutilité face à cette mascarade qu'est la mort ! Elle peut. Elle sait qu'elle en est capable. C'est simple. Elle n'a qu'à... Plus tard. Elle aura tout le loisir de faire payer aux coupable plus tard. Et Ils lui apprendront le goût de la peur.

Cela n'a duré qu'une bref instant. Ses pupilles redeviennent normales bien que son regard soit toujours un peu décalé. Elle repousse la faim. Elle repousse l'instinct. Elle les tempère. Comme elle apprenait à le faire depuis son départ, trois ennéades plus tôt... Comme ils lui avaient conseiller de le faire. Elle lâche la magie dont elle s'était emparé par réflexe. Les deux marques apparues sur son ventre disparaissent, à l'abri de sa robe. La brusque et brève manifestation magique à travers la trame, disparait comme un mirage. L'hostilité et la tension de son langage corporel s'évanouissent à leur tour. Une telle dichotomie alors qu'elle est repue... C'est la première fois.

Une longue inspiration succède au chaos qui s'est abattu derrière ses yeux bleus et elle se concentre à nouveau sur son Chasseur. Le sang. La sueur. Le cuir. Les herbes. Les huiles. Des odeurs fortes qui gomment toutes les autres. Malgré la prise inconfortable pour tous les deux maintenant qu'elle est penchée sur lui, la grande main est toujours à deux doigts de lui broyer les os et elle ne tente rien pour s'en défaire.

- Lâchez-le, s'il vous-plait. " lance-t-elle par dessus son épaule, soudainement humble. Elle se fout des mensonges et des pincettes qu'elle aura à manier du moment qu'ils le laissent, mais son aplomb est bien réel. Une certitude toute simple. On entrave pas un fauve sans qu'il ne se défende. " Il ne se débattra plus si vous le lâchez. L'entraver ne mènera nulle part. " Enfin sauf à plus de mort... Même si de ce côté, il était peut-être déjà trop tard. Peu importe combien de ces soigneurs étaient sur la liste du Chasseur, elle n'aurait rien contre.

Retrouvant le regard tristement unilatéral du blessé, un sourire moqueur assez hautain se dessina sur les lèvres de l'humaine.

- Un peu plus et tu perdais la partie. " Un murmure adressé à lui seul. Sa main libre vient entourer la pogne qui lui broie les doigts avec une douceur gracieuse. Il lui avait bien dit qu'il était plutôt bon à 'Qui crèvera en dernier ?', alors il avait intérêt à le prouver.

Le bordel, le pur bordel. Non, il voit rien… Juste des bras des jambes et des oreilles plus ou moins pointues, des carnations aléatoires… Il voulait juste aller la rejoindre et voilà qu'on l'en empêche… Toutes ces mains sur son épidermes sont remplies de menaces, elles lui font mal et ce n'est pas une douleur souhaitée… Il tourne la tête à gauche et à droite, cherchant… de l'air. Mais son épaule gauche est fermement retenue par le genou d'un humain… L'oeil couleur ambre se pose sur la physionomie ingrate du gus… Un grognement tandis que son bras droit est dûement immobilisé après qu'il ait tenté de prendre la drow balafrée à la gorge pour l'empêcher de découper son plastron, sa tunique… Ils sont pas capable de le laisser tranquille bordel?

On le tient, sa jambe droite, il y a un con couché dessus… Sa gauche, il ne sais pas trop combien, mais il s'en fout… Toutes ses mains, menaçantes le parcourent et le triturent, amenant avec elles la douleur de leur toucher… De sa position, il ne voit pas ce qu'ils lui font… Il ne voit qu'un amas de viande lui tomber sur le lard…

Flashback: Un monceau de cadavres jetés dans les fosses… Des rires dans les gradins… Des crocs qui se plantent dans sa chair… Qui le tirent… Le mange vivant tandis que, trop épuisé, il ne peut même pas bouger… Juste subir… Des morceaux de chairs qui sont arrachées de son dos… Des crocs qui se plantent dans son bras.

Une main qui prend la sienne… La chaleur, il la reconnait. Il reconnaitrait cette main n'importe où. Il prend et retourne l'étreinte avec force… Il est là pour elle, il ne la lâchera pas.

Zhak'Bar qui, par une bête, le sauve de la mort… Le pacte…

Cecilie qui, par son retour, le sauve de la solitude… lui rappelle le pacte…  Il voulait inconsciemment crever les armes à la main et la rage au coeur avant qu'elle n'arrive… Voilà trois ennéades qu'elle est partie sans rien dire…

Elle caresse le masque. Fermant son œil ambré, le gladiateur donne un léger coup de celui ci sur la paume de la femme, en signe de reconnaissance.

Il se tord pour pouvoir la voir… et finit par y parvenir… Entre une épaule et une jambe… Ces prunelles bleues… Il gronde qu'on le lâche… X'Andarin est incapable de formuler ses besoins, pris comme il est dans ces étaux. Mais Irulan sait, elle parle pour lui… Pour eux… Alors qu'il n'est physiquement en état de le faire.

Lâchez-le, s'il vous-plait....  Il ne se débattra plus si vous le lâchez. L'entraver ne mènera nulle part.

La grande main tiens toujours celle de la mage, ne la lâche pas, mais tremble d'épuisement… Avec un soupir, le gladiateur se détend. Il n'est pas capable de parler, ses mâchoires bloquées par toutes ces putains de mains qui le touchent en même temps refusent de s'ouvrir. La prunelle se foncit sensiblement, redevenant miel. Le sourire hautain le percute en plein coeur… Un coeur battant follement pour pallier le sang qui traine un peu partout… L'oeil miel redevient marron et pétille un peu. On peut deviner qu'il sourit. Il y a un moment de suspension dans l'air, les aides de Na'Ri attendant manifestement ses instructions. La poitrine de l'humain se soulève rapidement… Sous les doigts de la drow, ses scarifications s'enfoncent dans sa chair meurtrie.

- Un peu plus et tu perdais la partie.

Un grondement doux acceuille la remarque, avant que le corp de Dante ne lui rappelle cruellement le sang qui s'est écoulé en si peu de temps. L'oeil marron devient terne et roule dans son orbite. Le monde se referme en deux points de glace hautains avant de sombrer dans le noir.

Le coeur bat… Rate un coup…. Puis un autre…. S'arrête. Mais la main de X'Andarin ne lâche pas l'humaine.



   

Boum Boum

Ses deux mains sur la plaie, dont le sang voyageur infatigable arrivait à se frayer un chemin à travers les doigts fins, Na'ri priait. Elle priait et dessinait des petits dessins abstraits sur la peau scarifiées de l'homme.

Boum Boum

Pour la prêtresse, le monde avait changé pour devenir plus chaud, plus gluant aussi. Et cette sensation de picotement liée à la cicatrisation. Priorité aux veines et aux artères. Depuis le temps, les capillaires devaient déjà être obstrués.

Boum Bo

De fils en aiguille, le sort s'enroulait et rappareillait les vaisseaux sectionnés. Les moitiés se retrouvaient pour ne plus se quitter, jusqu'à la prochaine fois. Dorénavant le précieux liquide ne s'écoulait plus autant sur les mains d'ébène.

Bo Bo

Bo ?  Oh non…
Na'ri se redressa et pivota pour voir le visage… Mais un infirmier lui barrait la vue.
Bougez ! Pas le temps de réfléchir au vocabulaire. C'était les sonorités sifflantes d'Eldéen qui furent utilisées.

Bo …

Le ton de la drow avait été suffisamment impératif pour que les aides reculèrent. A moins que cela ne soit la demande de la belle rousse qui s'était enfin imprimé dans leur caboche. Les doigts de la pretresse continuaient leur mouvement pour maintenir son sort.

… …

Après le torse, c'était un masque qui gênait le diagnostique.  
Ôter tout ! Surtout le masque. Mettez sa tête légèrement en arrière. Ouvrez la bouche et assurez vous que la langue ne bloque pas la respiration.
Par tout les dieux, qu'ils étaient lents… tous autant qu'ils soient. Même la pretresse. Que faire ?

… …

Dilemme. La pretresse devait réfléchir vite et bien. Elle était partagée. Action magique ou méchanique ? Si c'était magique, elle ne pourrait surement plus s'occuper de sa championne. Un humain ou une drow ? Elle devait choisir. Un inconnu complètement suicidaire ou une rare, trop rare, presque amie ?

… …

Professeur, je ne peux rien faire pour vous.
Na'ri avait cédé à l'urgence. Elle modifia son sort et remonta au coeur.
A présent, c'était avec les mains qu'elle tissait, laissant des dessins abstraits sur la peau du ventre avec le sang qui s'était écoulé. Cela donnait un ensemble encore plus dérangeant aux symboles gravés dans la peau du patient.

… …

Le cœur. Dans sa magie, le cœur était doux, ferme et vibrant. Même éteint comme celui là. Mais là, ce n'était pas son aspect extérieur qui intéressait la soignante. Il fallait entrer et trouver le bon endroit : celui qui permettait les battements. Et vite !

… …

Alors la pretresse s'orienta vers la droite. La majorité était à droite. Mais elle n'avait pas encore fini de tisser correctement le sortilège. Malgré l'urgence, elle ne pouvait se permettre la précipitation. Elle ne voulait pas échouer. Pas maintenant. Pas avant avoir vraiment tout fait pour lui.

… …

Encore, encore un peu.
Le sort n'était pas facile. Et elle avait également besoin de se lier aussi pour qu'elle puisse puiser en elle, l'énergie et la force qu'il fallait pour faire repartir ce cœur et prévoir l'après.

… …

Le dessin de sang était devenu extrêmement complexe. Mais faute de nouveau liquide, il était incomplet pour les yeux.
Ça y était. Elle allait pouvoir le faire ! Dans l'oreillette droite, elle donna un impulsion.

… …

Rien… Toujours silencieux, les muscles ne se contractèrent pas. Alors la medecin redonna une nouvelle impulsion. Plus forte que la première.

… …

Pas mieux.
Ce que la soignante cherchait n'était pas à l'endroit majoritairement attendu. Alors, elle changea de côté. Et renouvela la manipulation.

Bo Bom

Trouver !
Na'ri prit le temps de souffler. Le tissus de son masque s'agita.

Bom Bo

Pour le moment, le rythme n'était pas parfait. Il était reparti. C'était déjà cela !

Boum Bo

Bon. Ce n'était pas encore gagné. Il fallait revenir à un état plus stable. Il fallait du sang.
D'une main, la medecin restait en surveillance des battements de l'organe capricieux. De l'autre, elle changea à nouveau les motifs de son sort.
De la pièce, des gens autour, de sa personne, Na'ri n'en avait plus conscience. Elle s'était coupé de ses sens pour cet homme.
Elle espéra de tout son être qu'on la laisserai tranquille.

Boum Boum

Le sang, qu'est ce que c'est ? De l'eau, des cellules et des composites. Alors la soignante alla faire ses courses de droite et de gauche, là où elle le pouvait, sans tout dérégler. Sans trop déréglé. Et pour le reste, elle le créa à ses dépends.
La partie n'était pas encore gagnée et il ne fallait pas que cela dure trop longtemps.

Certains pensent qu'il y a des jours avec, et des jours sans. Vu qu'elle venait de gagner un tournoi, Shyn'tae aurait supposé que si cette hypothèse était vraie, cette journée aurait du être une journée avec. Le coup de coude dans l'abdomen l'avait pour le moins prise au dépourvue, lui coupant le souffle, et ouvrant facilement la voie à un coup de pied dans le tibia excessivement douloureux. La sensation de chaleur sur son épaule blessée l'informa que sa blessure venait de se rouvrir sous l'impact. Un flot de rage s'engouffra dans son esprit. Sa main valide lâcha l'épaule, et elle saisit Eveil, avant que la voix de Cécilie ne résonne, forte. C'était de l'angoisse. La drow lâcha l'arme pour appuyer sur sa blessure. L'humaine s'était enfuie aussitôt pour se placer au chevet du blessé et prendre sa main.

L'instant d'après, les motifs de l'humaine s'animaient à nouveau. Les oreilles de la drow se dressèrent, mais… Cela n'avait duré qu'un instant, au point qu'elle se demanda si ses perceptions ne lui jouaient pas des tours. Cette magicienne était… impulsive? Ceci étant dit, la contusion qui marquait son tibia était déjà un indice. S'arrêter, bloquer l'affût sanguin. Il n'était pas trop important, tout irait bien.

Lâchez-le, s'il vous-plait.... Il ne se débattra plus si vous le lâchez. L'entraver ne mènera nulle part. Le ton était plus conciliant, sincère ou parce que c'était ce qu'il fallait dire? Cela n'avait guère d'importance, car la drow supposa que s'ils en avaient été réduit à ces extrémités il devait y avoir des raisons. Quoique. Ces soigneurs de gladiateurs manquaient de subtilité avait-elle remarqué, et elle avait entendu Na'ri s'en plaindre plusieurs fois.

Soudain, la voix de Na'ri résonna dans la pièce, forte, autoritaire alors que la prêtresse redressait brusquement le visage.
Bougez ! Le sang de la drow ne fit qu'un tour. Le soignant qui s'était juché sur la poitrine de X'andarin pour le retenir regarda la prêtresse, interrogative. Il ne parlait pas la langue Eldéenne. Shyn'tae si. Avec la vitesse d'un serpent, elle tenta de saisir l'homme des deux mains, maculant ses vêtements blancs de son propre sang, pour le projeter en arrière. Son bras droit céda aussitôt alors que la douleur dans son épaule devint presqu'insupportable. Qu'est ce qu'elle détestait être impotente, et cette colère, dirigée contre elle-même autant que contre le pauvre humain, donnait à son visage une allure particulièrement effrayante.

"Degagez! Tous!" La drow n'avait pas eu besoin d'hurler, et l'homme compris aussitôt son Oliyan. Il commença à bouger, mais sans attendre, elle bascula son poids sur son bras valide. La main de Cécilie apparut aux cotés de la sienne, et, entrainé par le poids des deux femmes, qui bien, que légères toutes deux, commençaient ensemble à représenter une masse certaine, l'homme bascula sur le sol, entrainant avec lui quelques pots qu'on avait posé sur la table voisine au lit. Les autre ne se firent pas prier et évacuèrent promptement l'infirmerie, les laissant seules.

Seules avec Na'ri qui dessinait avec une maitrise et une vitesse qu'elle n'avait jamais vu sur la peau du combattant. Peau que l'éldéenne regardait attentivement pour la premiere fois. Tant de scarifications… Quels étaient tous ces motifs?

Ôter tout ! Surtout le masque. Mettez sa tête légèrement en arrière. Ouvrez la bouche et assurez vous que la langue ne bloque pas la respiration. La voix de Na'ri la tira de sa contemplation, et elle se pencha aussitôt sur le visage encapuchonné de la victime. Son oeil était si terne. Un frisson la parcourut. L'avait-elle laissé vivre pour rien? Elle glissa la main dans la capuche pour soulever sa nuque, s'agenouillant pour ne pas avoir à forcer sur sa patte inutile.

-Faut lui enlever ca, Irulan. Aide-moi… Ajouta-t-elle. L'humaine, qui ne semblait pas comprendre l'éldéen, s'exécuta vivement, libérant la nuque et les cheveux du mâle. Il ne bougeait plus du tout. La daedhelle déglutit, craignant le pire. Pourtant, Na'ri continuait, imperturbable. Il restait donc une chance. Peut-être. Tourner la tête de l'imbécile, à gauche, à droite, pour trouver les attaches du masque. Oh, elles étaient là, trois lanières de cuir retenues par de solides attaches. Manifestement, il ne voulait pas que le masque tombe par inadvertance.

La tête de la drow toucha celle de la rousse, alors qu'elles examinaient toutes deux le complexe réseau d'attaches. Shyn'tae fronça un sourcil, dépitée.
- Il ne pouvait pas faire plus simple… Murmura-t-elle, sa voix pleine de dépit. Ses doigts fins se posèrent sur le cuir, hésitèrent. Vite. Ah, elle avait compris. Du moins le pensait-elle. Elle tendit une lanière.

-Tire. là. L'humaine hésita, et s'exécuta. Non, pas là! là! ajouta-t-elle aussitôt, l'angoisse perceptible. Devant l'incomprehension manifeste de sa partenaire, Shyn'tae dut bien reconnaitre que ses explications manquaient de substance. Elle se força à se calmer en prenant une profonde inspiration, puis lacha la laniere pour montrer du doigt en expliquant.

Mes excuses. Tire ici, pendant que je le retiens là. On fera pareil pour les autres ensuite. Et aussitôt, elle se prépara à accomplir sa part. Quelques instants plus tard, la première lanière se détendait. Sans attendre, elles continuèrent, et eurent tôt fait de retirer le masque.

La daedhelle lui ouvrit la bouche et exécuta les instructions de Na'ri. Que pouvait-elle faire d'autre? Mais à ses yeux, il lui semblait bien mort. Cette journée de victoire était la pire qu'elle n'ait jamais affronté, décida-t-elle.

- Non. Non. Non. Non... " L'oeil révulsé est à peine visible. Il est inerte... Son rythme est toujours là. Le tambour de guerre est toujours là. Mais il frémis. Il vacille. Quelques secondes, quelques minutes. Tout ce qu'il lui reste. Elle serre davantage la main crispée. Elle entend distinctement ses poumons se relâcher. Le raclement de l'air sur sa gorge sans qu'il ne reprenne le moindre souffle. " Je t'interdit ! " rugit-elle juste avant qu'une voix étrange ne tonne derrière elle.

- Mumbaro ! "

Une voix pressente, mais qu'elle ne comprend pas. Plusieurs soigneurs se tournent, indécis entre l'ordre étrange, la demande de la petite humaine et le calme soudain du gladiateur. Elle se sent... figée... Mis à part la grande main qu'elle sert entre les siennes, tout est... curieusement vide. Le Voile de Tyra frémis. Un frisson de panique remonte le long du dos de la jeune femme.

Le Néant guette.

Elles seront plus rapides.

- Degagez! Tous!

L'humaine s'ébroue. La voix, parfaitement compréhensible cette fois, claque avec force. La noiraude blessée agrippe au soigneur qui oppresse Dante. L'homme n'a pas le temps de bouger. Le bras de la rouquine l'attrape violemment et les efforts des deux femmes l'envoient valser au sol dans un craquement de meuble. Lequel ? Peu importe. Elle n'a vu qu'une forme flou et une explosion de senteurs médicinales. La drow qui utilise sa magie incante plus vite. Plus fort. Elle sent sa magie poisseuse lui coller au flanc.

- Inbau rilbol tir ! lil' orbdrin ust ! ... " Elle n'écouta pas plus loin. Elle ne comprenait rien ! De nouveau maîtresse d'elle-même grâce à l'intervention de la grande gagnante du jour, elle tentait de ne pas regarder l'être allongé là et de se contenter du pragmatisme le plus froid. Elle se tourna donc à nouveau vers cette dernière pour gronder sans attendre :
- Qu'est-ce qu'elle dit ?!
- Faut lui enlever ça, Irulan. Aide-moi…

Elle ne se fit pas prier. La capuche glissa sur sa tresse de cheveux sombres, révélant ses tempes rasées... Mais les attaches du masque étaient faite de cuir solide et parfaitement ajustées. Il ne tenait vraiment pas à ce qu'il glisse pendant un combat. Elle n'avait qu'une seule main à disposition et l'idée de se débarrasser des grands doigts rigides ne lui traversa pas même l'esprit. Elle se contenta de pester, comme l'eldéenne, et de chercher comment étaient fichues les attaches. Malheureusement, les attaches ajustées du masque étaient aussi mystérieuse aux yeux de la mage que l'agencement des courroies d'un plastron...  

- Bon sang... C'est quoi ces choses ?
- Tire. là.

Elle tenta. Scrutant les doigts de la noire elfe en plissant les yeux.

- Non, pas là! là!
- Arrêtez de paniquer et soyez plus claire !
- Mes excuses. Tire ici, pendant que je le retiens là. On fera pareil pour les autres ensuite.
- Ici... D'accord.

Enfin elles avançaient ! Quelques secondes de plus suffirent à libérer le visage du jeune homme. Tout ce qu'il y avait de plus humain. Sale. En sueur. Un nez droit. Une bouche trop large pour l'harmonie d'un visage qui était sinon assez agréable. Et il avait deux yeux intactes ! Un soulagement réel si ce regard n'avait pas été tout ce qu'il y avait de plus éteint... Son teint livide tirait sur un gris révulsant. Ses narines ne frémissaient pas le moins du monde. Ses lèvres n'étaient même pas totalement fermées.

La jeune femme s'obligea à l'ignorer pour se coordonner avec la noiraude. Elles avaient chacune une main de disponible. Elles redressèrent la tête du blesser, lui ouvrirent plus franchement la bouche et la noiraude y mit franchement deux doigts pour vérifier que la gorge n'était pas obstruée.

Il ne bougeait toujours pas... Depuis combien de temps ? Combien de secondes avaient-elles mis à faire tout ça ? Combien de minutes ? Combien d'heures ? Le Rythme était toujours là. Sa main tenait bon.

Et elle n'avait plus rien à faire. Qu'à regarder son torse couvert de sang. Son faciès figé. Gris...

Mort...

Elle lui avait promis... Elle le lui avait dit... Pacte ou nous...

Ses pupilles s'étrécissaient, ne laissant à nouveau qu'une immensité de glace braquée sur les yeux ternes et un monde flou. Une dernière pensé lui vint pour la façon dont la noiraude avait tenté de l'empêcher d'approcher. Si elle ne tourna pas les yeux vers elle, elle parla d'une voix affreusement calme et distincte en faisant un pas pour s'agenouiller près de l'épaule du blessé.

- Je ne gênerai pas votre amie.

Son attitude était toujours froide, même lorsqu'elle se pencha pour embrasser la première once de scarification dénudée sur l'épaule encore à demi empaquetée de cuir. Elle l'effleura tout juste. Son odeur.. Ses mouvements devenus parfaitement contrôlés depuis qu'elles s'étaient coordonnées, restait étrangement précis. Même lorsque sa main libre regagna sa place sur celle de son Chasseur, la serrant de toute ses forces, la façon qu'elle avait eu de placer sa paume sur les doigts sanglants cramponnés aux siens donnait une impression d'importance. A force, le rouge qui teintait la peau du jeune homme et de la noiraude s'était imprimé sur les petites mains d'un blanc laiteux sans qu'elle n'y prête attention. Et au dessus des tâches, d'autres marques discrètes.

Des étranges symboles se déroulaient sur sa peau depuis le drapé noir de sa robe jusqu'aux doigts emprisonnés par ceux de Dante. Ce bras en retrait, presque caché entre le corps de la jeune femme, le bras du patient et le bord du lit, se colorait doucement de tatouages. L'encre revêtait des couleurs variées, vert, bleu, violet, une palanquée de rouges et de jaune, mais toutes semblaient sombres, passées, vieillies. Les lettres qui apparaissaient, Shyn'tae les avaient déjà vu dans d'antiques grimoires de ses bien aimées bibliothèques. Des grimoires oubliés aux pages rescapées d’autodafés pratiquées pendant des siècles. De l'ancien nisétien. Pourtant, certains symboles inconnus étaient ajoutés. Certaines lettres en étaient distordues. Et les deux ou trois mots qu'elle pouvait en apercevoir n'avaient aucun sens.

Les lèvres de l’humaine se mirent à murmurer sans émettre de son. Vraiment ? Murmurer ou fredonner ? Un chant sombre. Un simple bourdonnement au fil du souffle dans une gorge tendue. Des sifflantes heurtaient parfois l'oreille de de la noire elfe. Les lamentations s'étiraient avec leur joie habituelle. Moins chaotiques que lorsqu'elles frappaient uniquement pour se nourrir. La volonté de la jeune femme guidait le pouvoir immatériel vers Dante. Une force que les drows pratiquant la nécromancie spirite aurait pu assimiler à la leur, sans la confondre malgré tout. Elle était différente... Boursoufflée. Un pouvoir étrangement puissant guidé par une volonté étonnamment aiguisée pour une humaine si jeune. Une incantation bien naturelle pour un acte de magie touchant quelque chose d'aussi particulier que l'essence des êtres conscients.

Elles rampaient en lui, les yeux et les dents cherchaient de concert quelque chose qu'elle entendait encore.

De très loin, une vois associée à un rythme bien plus pur. Innocent. Docile.

- Laisse une chance à Na'ri avant de faire un truc que tu pourrais regretter.
- ... Rien de regret... " La litanie ne s'était arrêté que le temps de ses mots, prononcer sur le même souffle. Elle ne devait pas être déconcentrée.

Les âmes à l'agonie étaient plus tentantes. Leur énergie filait déjà à moitié, leurs attaches se brisaient d'elles-mêmes. Elle ne pouvait pas se permettre de laisser son appétit aller à sa guide. Elle frémit. Une chaine de plus venait de se rompre, mais les autres tenaient toujours bon.

Le mourant avait déjà pu sentir cette menace planer. Ces crocs dégoulinant d'une bave abstraite prêt à se refermer sur lui. Mais cette fois, nulle violence dans le geste. L'avidité était inévitable, mais par sa litanie, Cécilie restait devant au lieu de suivre là ou la guidaient les Lamentations. Même avec le peu de temps qu'ils avaient passer ensemble, le Rythme du jeune homme lui paraissait toujours aussi familier. Même distordu comme aujourd'hui, il était toujours aussi sauvage.

Elle était là pour une chose... Elle était là pour le sauver de la mort, quoi qu'il en coute. Mais en attendant que la dernière chaine ne saute, elle resterait là. Elle avait dit qu'elle ne le toucherait plus, mais elle ne voulait pas le laisser seul. Elle ne pouvait pas. Sa magie se referma sur l'âme du jeune homme, violant la plus haute intimité de son être. Une morsure aussi douce qu'elle le put. Un contact qui la fit frissonner des pieds à la tête. Une hérésie indicible. Un appel au delà de n'importe quel nom ou titre. Mais au lieu de le garder en son pouvoir ou de déchirer ce qui faisait de lui ce qu'il était, elle le laissait évoluer, battre et lutter. Elle ne prenait rien et ne voulait rien prendre, tenant les Lamentations affamées d'une main de maître. Elle restait là. Sa conscience tout contre la sienne.

Elle n'avait aucune façon de savoir ce que son esprit voyait, ou vivait. Ni accès à ses sentiments, ni à sa mémoire, encore moins à ses perceptions ou à ses pensée. Sa magie jouait à un autre niveau. Plus profond. Plus éthéré. Suspendue à un endroit ou elle n'aurait pas du rester... laisser deux essences s'approcher sans fard, c'était contre-nature... Qui sait quelles pouvaient être les conséquences ? Elle n'en savait rien, mais elle sentait son Chasseur vivre en elle et elle en lui. Pour tout ce qu'elle prenait, sa magie lui offrait au moins ça. C'était dangereux. Mais ainsi, elle était sûre qu'il sentirait sa présence. Jusqu'au bout si cela devait advenir. Ils étaient liés d'une façon que les mots seuls ne pouvaient décrire. Elle tiendrait.

Quelques chaines revinrent s'accrocher peu à peu. Le cœur était reparti. Difficilement.

Soulagée, elle ne bougea pas cependant. Elle resterait jusqu'à ce que chaque chaîne soit de nouveau en place et que sa vie ne soit plus en danger. Elle resterait malgré son envie compulsive de le dévorer de l'intérieur, parce que le sentir exister était plus important.

... Et si le cœur vaillant flanchait à nouveau, elle serait là pour fermer les mâchoires avant que le Néant ou la Bête ne l'emportent.

Cent. Unité de mesure des intervalles musicaux.
La musique vitale était revenue : les battements de cœur était à nouveau régulier, la cage thoracique se soulevait en rythme et le cerveau de l'huluberlu pouvait recommencer à délirer.
Na'ri était parvenue à un point où il devenait difficile de faire deux choses à la fois. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas réalisé ce type d'opération seule. Les fois où elle avait dû y avoir recours, c'était sur un champs de bataille à proximité de gus qui en tabassaient joyeusement d'autres. Et en ces temps de paix, même avec des compagnons autant amoureux de leurs lames que pouvaient être les drows, elle n'avait pas encore eu la possibilité de s'entrainer à cet exercice ardu. L'attention soutenue commençait à avoir un effet partiellement délétère sur sa concentration même dans le calme de la petite pièce.
Après avoir vérifié que le cœur battait son plein, la medecin le libéra de sa surveillance.  

Sang. Liquide visqueux de couleur rouge qui circule dans le corps.
Que cela soit pas assez comme trop, il en faut une juste quantité. Et pour l'instant, le malade en manquait clairement.
En digne horloge bien huilée, les différents mécanismes s'étaient déjà lancés. La médecin les aida un peu en apportant des composants tout frais, tout prêts. Et par la même occasion, elle en profita pour augmenter aussi la production de ces grosses cellules qui régulait l'intrusion intempestive d'agents étrangers.
Petit à petit, les constantes revenait à la normale. Progressivement, la medecin commença à se détacher de son patient. Ses sens lui revenaient plus ou moins en bloc. Des tâches de lumières, le froid lié à la fatigue, l'odeur du sang, la douleur de son nez, le bruit des respirations. Avec précaution, elle se réappropria tout, laissant son sort coulait dans les veines de l'homme.

Sans. En absence de, en excluant. Le fait d'être privé de quelque chose.
Maintenant que le plus urgent avait été paré, il fallait en finir avec les blessures. Le flanc puis la jambe. Cette fois ci, plus de magie, juste avec les moyens du bord. Alors, elle tendit le bras pour attraper quelque chose sur la table, mais ne trouva pas. La soignante se retourna et découvrit les pots et le matériel au sol.

- Tttssssss… Sur l'autre desserte, la petite boite avec les aiguilles. Puis le pot d'erboas.

Na'ri profita de ce temps pour inspecter la blessure. La lame avait surtout endommagé les muscles. Pas de perforation des intestins. Heureusement. Puis elle passa à la jambe.

- Il a toujours son pantalon ?

Après avoir fait une moue, elle se baissa et ramassa la dague. Pas celle de jet qui ne coupait rien, l'autre, la plus grande. Avec la lame, elle voulait le déshabiller aussi efficacement que pour l'armure. En tranchant.

La drow faisait confiance à la prêtresse de Kiran. Pourtant, le doute étreignait quelque peu son esprit, car personne ne pouvait accomplir l'impossible. C'était ennuyeux. Le mâle resterait peut-être une énigme, à moins que sa compagne n'en dise plus, même si la sombre supposa qu'il était plus probable qu'elle lui en veuille. Son esprit rationnel considéra un instant l'injustice de cette situation, vu que lui était prêt à la tuer, mais elle ne parvint à l'en vouloir, le cœur n'était pas raisonnable. Son cœur se serra légèrement. Angoisse, compassion? Elle aurait du s'en ficher, car c'était là des humains qu'elle ne les connaissait pas et cela la perturba. La drow ramassa délicatement Eveil qui gisait encore à ses pieds, et recula d'un pas pour laisser à la jeune femme la pleine jouissance de son companion.

Un frisson parcourut les motifs. Similaires et différents. Cette fois-ci, l'effet se diffusait plus loin. Ils pénétrait les motifs de la carcasse du gisant, lentement.  La drow se pencha légèrement, distinguant les dessins qui naissaient sur la peau nue de l'humaine à mesure que le pouvoir se déployaient. Shyn'tae était certaine qu'ils n'étaient pas là auparavant. Etaient-ils lié à son pouvoir? L'encre se teintait couleurs passées. La drow se concentra un peu plus, certains lui évoquaient quelque chose, la plupart étaient distordus. Elle fouilla dans sa mémoire, se souvint de ses longues nuits à parcourir en secret de vieux grimoires oubliés à la recherche de réponses à tant de questions.  Là, quelques mots de Nisétien. Les oreilles de l'érudite s'aplatirent. Cela n'avait aucun sens, certains étaient déformés, et.. le reste avait-il représenté quelque chose, autrefois? Ou avait-elle devant les yeux le mélange de plusieurs textes, qu'un esprit dément aurait emmêlés, amalgamés et fondus en un seul tatouage? La magicienne se rapprocha un peu plus, fascinée.

Fascinée oui, Elle retint son souffle son souffle en distinguant la magie fit ondoyer les motifs si complexes qu'elle associait au guerrier blessé. Mais cette fois-ci, ce fut pas un sursaut. Non, l'effet s'amplifia, la surprenant par une puissance qui l'aurait impressionnée chez un Maitre. Qui était donc réellement cette jeune femme? Sans y penser, la drow serra plus fort sa lame. Les ondes que laissaient la magie derriere-elle et qui se diffusaient au travers des motifs étaient dérangeantes. Elle avait quelque chose qui heurtait l'esprit de la magicienne à un niveau instinctif. Puis elle réalisa, ce qui lui donna la chair de poule. L'effet nageait dans les motifs comme un serpent aurait nagé dans l'eau. Là où elle voyait la plupart des jeunes mages contrôler laborieusement leur art, Il avait là l'air presque doté d'une vie propre.

On ne peut vivre toute sa vie à l'étude noire sans s'intéresser à autre chose qu'à sa spécialité. Enfin, si on peut, mais Shyn'tae ne le pouvait pas. Alors que les litanies, murmures indicibles (sic) échappées des lèvres de la rouquine, s'attardaient dans sa mémoire, son esprit, avide de rapprochement et d'analyses, rapprocha ce qu'elle voyait avec quelque chose de familier. L'âme. Elle… travaillait sur l'âme de l'individu. Entendons-nous bien. Shyn'tae, en bonne Eldéenne, n'était pas particulièrement choquée qu'on puisse travailler sur l'âme d'un sujet. Par contre, elle ne connaissait aucun processus de ce genre qui se terminait bien pour le sujet en question. Et cette magie, aussi envoûtante soit-elle pour sa curiosité maladive, Repulsait son esprit à un niveau primal, comme un lapin confronté à un renard. Malaise ou excitation? Il aurait été bien difficile de distinguer les deux.

-"Tu..." La drow avait murmuré, hésitante. Aucune idée de ce qu'elle pouvait réaliser, mais elle n'avait jamais vu la magie des âmes faire quelque chose de bénéfique à quiconque. "Laisse une chance à Na'ri avant de faire un truc que tu pourrais regretter." Parce que Shyn'tae, à cet instant, était absolument certaine que quoique soit en train de tenter cette jeune femme, c'était à coup sûr une très mauvaise idée.

Le temps s'arrêta sur la réponse d'Irulan. La magie de Na'ri et celle de la rouquine s'étaient toutes deux emparées de l'agonisant, corps, et âme. Shyn'tae observait, se raidissant, le cœur battant. La douleur était secondaire. Devait-elle arrêter la mystérieuse magicienne? Quelles seraient les conséquences d'un tel acte, sur le blessé et les autres? Et s'il se réveillait en effet mort et vivant à la fois? Elle prit note qu'elle avait les doigts dans sa bouche. D'un point de vue entièrement rationnel, elle savait que ce n'était pas là qu'il fallait placer ses appendices en de pareilles circonstances. La magie l'appelait. Elle serra plus fort Eveil, à en avoir les doigts légèrement blanchis. Pouvait-elle parier sur Na'ri?

Puis, brusquement, le cœur du guerrier repartit, et il prit une profonde inspiration. la drow retira aussitôt ses doigts avant qu'il ne prenne à l'idiot l'idée de la mordre. Car pour ce qu'elle avait vu, c'est ce qu'il ferait dés qu'il aurait retrouvé un semblant de conscience, avant probablement de s'étouffer sur ses doigts. Na'ri eut un mouvement de recul et reprit son souffle. La magie d'Irulan libéra à son tour son emprise sur le malheureux. Shyn'tae souffla, momentanément soulagée, et contempla les deux étranges tourtereaux, absente.

- Tttssssss… Sur l'autre desserte, la petite boite avec les aiguilles. Puis le pot d'erboas. La daedhelle sortit de sa torpeur. Oh. On lui demandait quelque chose. Elle se releva, hésita quelques instants en proie à un léger tournis, puis s'élança sans un mot pour apporter à la prêtresse ce dont elle avait besoin. Elle vit la soigneuse s'assurer de la propreté de la blessure, puis saisir promptement le fil et l'aiguille, avant de refermer le flanc du blessé comme si cela avait été un tissu déchiré avant d'enduire la blessure de baume.

Puis elle passa à la jambe, ouvrit son pantalon dans toute la longueur d'un coup de dague vif et précis. Sa dexterité à l'exercice était impressionnante, nota encore une fois la daedhelle avec détachement, le spectacle auquel elle venait d'assister toujours à l'avant plan dans son esprit. La profonde coupure au mollet fut pareillement traitée, le travail approximatif des soigneurs du coin refait avec maitrise, puis Na'ri recula finalement pour contempler son oeuvre et souffler un peu.

Le regard de la magicienne se porta à nouveau sur les deux humains. Qui étaient-ils donc… La raison lui disait qu'elle serait bien mieux à s'en tenir écartée. C'était bien suffisant pour qu'elle ait envie d'en savoir plus. Mais les circonstances étaient-elles favorable? La daedhelle avait la sensation qu'un continent inexploré venait d'apparaitre sous ses yeux. Mais elle en avait assez vu d'Irulan pour savoir qu'elle n'en tirerait aucune réponse dans l'immédiat. Mieux valait laisser un peu de temps aux deux amants. Était-ce ca, l'amour? Curieux.

D'autant plus que Na'ri jetait un oeil critique à son épaule, comme une mère qui s'apprêtait à reprocher à son enfant d'avoir cassé un pot de confiture. Et tout comme pour un enfant, répondre que ce n'était pas elle mais lui aurait certainement été une mauvaise réponse.

Trop loin ! Elle avait du allé trop loin !

Son corps réprime un hoquet. Ses yeux s'agitent derrière ses paupières closes. Un filet de sueur glacé coule sur sa tempe. Les marques sont plus intenses, leur couleur plus soutenues. Elle tangue légèrement. La pièce flou disparaît. Il n'en reste que deux rythmes lointain et un lieux sombre aux odeurs de plantes.

La conscience qu'elle approchait précautionneusement ne se contente pas d'un contact. Elle se plie. Elle lutte. Elle s'accroche. Elle tire. Elle serre. La mage n'a pas l'habitude de laisser ses proies agir selon leur volonté. Elle n'a pas l'habitude de les laisser réagir. Elle les soumet. Elle les ouvre. Elle les pétrifie et les avale. Le suivre sans la briser ni la faire souffrir est plus complexe. Cette danse n'a rien d'intuitif. Se tenir hors de portée non plus. D'autant plus qu'elle n'en éprouve ni l'envie, ni le besoin.

Mais à ce moment précis, pendant un instant infime, le lien n'est plus à sens unique.

Les larmes lui montent aux yeux. Ça fait mal... et c'est terrifiant. Sa voix tremble un peu, devient plus rauque, mais la litanie ne se brise pas. Elle ne doit pas se briser. Elle ne respire plus vraiment, comme si ce qui faisait vibrer ses cordes vocales était moins constitué d'air que de magie pure. Sur un dernier effort de concentration, elle démêle. Les dernières chaines se rattaches. Elle reprend pleinement le contrôle. Elle recule. Elle s'en arrache.

Les marques sur sa peau refluent instantanément. Elle prend une inspiration digne d'une noyée et pousse un grondement de douleur lorsque la grande main se repositionne pour lui broyer littéralement les doigts. Ses os compressés jouent les uns sur les autres et ses muscles ne peuvent plus se tendre pour résister. Sa main libre vient serrer plus encore cette main forte. La douleur - surement bien faible du point de vue des autres personnes présentes dans la pièce - pulse le long de son bras. Son visage reste contracté, sa respiration poussive et tendue. Son cœur bat comme celui d'un moineau.

A genoux sur le sol, elle se laisse retomber sur ses talons, percevant encore difficilement la salle autour d'elle. Des pas. Du tissus qui se déchire. Toujours cette odeur de sang et d'herbe. Un rythme dissonant. Un autre innocent. Elles. Lui. Et cette impression qu'elle ne peut décrire.

Peu à peu, elle reprend conscience des contours de son corps et de la présence des Lamentations. Peu à peu, elle se calme. Elle sert les dents pour supporter la douleur de sa main. Lorsqu'elle ouvre les yeux, c'est un monceau de cuir disparate qu'elle voit en premier. C'est vrai que la guérisseuse a ouvert cette armure comme une coquille... Et les marques sont exposées aux quatre vents. Tournant la tête du côté des deux drows, ses yeux on du mal à se focaliser.

- Sserh... " un borborygme prend la place du premier mot qu'elle essaie d'articuler, l'obligeant à se racler la gorge avant de réussir à obtenir la coopération d'une voix rauque et encore un peu voilée. " S'il vous plait, il peut avoir une couverture ? " Et s'attardant plus particulièrement sur la silhouette qui lui semble être celle de la guérisseuse. " Et... Merci. "

Puis elle se retourna, presque mécaniquement vers le blesser. Sa main libre se posa doucement sur son crâne, caressant du bout des doigts la tresse qu'elle aurait bien défaite.

Le noir... total... Dans ces ténèbres nulles sensations conscientes. Nulle pensée consciente. Les délires, les expériences spirituelles sont aussitôt oubliées, annihilées par la conscience qui redémarre, telle l’étincelle qui embrase tout.

Pour la première fois de sa vie, Dante ressent la magie. Celle de Na’Ri d'abord qui parcoure ses veines en des ondées de magma, douloureuses. Les lamentations de Cécilie ensuite, il sent l’encre ramper sous sa peau, avide, bavantes et affamées. Il ressent leur Maîtresse aussi. Volontaire, être d’acier sous ce corp si frêle. Il aimerait répondre à cette magie, il se sent.... violé d’une façon si intime! La Bête fait partie de lui, certes. Mais fourrager dans son âme et son corps de cette façon! C'est comme si on l'avait inversé, la peau à l'intérieur, les organes, la chair et l'âme exposée à tout vent.

Il est faible en ce moment. Dante ne peut résister à cette déferlante arcanique qui le traverse de part en part... Il se sent faire mettre sans dessus dessous... ses muscles dans leur intégralité semblent fondre, brûler, carboniser. Son âme lui semble écorchée vive... démembrée, eventrée. L’assassin  n’est pas capable d’aligner une seule pensée cohérente. Il ne lui reste plus que ses perceptions, son instinct.... il ne peut se fier à sa peau hypersensible dont chaque cellule lui envoie une onde de douleur hurlante. Il est brûlant et glacé, plein de quelque chose séchant lentement. L’odorat sursaturé d’une odeur cuivrée, entêtante qu’il reconnaît instinctivement comme étant son propre sang, son ouïe reconnaît des sonorités suintantes qu’il associe à la langue Eldéenne quelque part dans son subconscient. Puis une voix féminine qui, même s’il n’a pas la capacité de nommer la propriétaire, résonne directement dans chaque cellule de son corps meurtri par les choses que Na'Ri lui a arrachée pour réorganiser son métabolisme. Les prunelles dichotomiques s’ouvrent avec difficulté... La bouche sèche, Dante déglutit péniblement. Chaque mouvement lui coûte une énergie qu’il n’a pas.  Cependant, à son habitude, il s'obstine et s'entête… et réussit. La vue ne s'Ajuste pas tout de suite… Tout est lumineux et flou. 

Puis il la sent. La ressent plutôt, lui caresser les cheveux. Las, épuisé, l’humain relâche sa prise sur la main meurtrie. La vision aussi floue que celle de sa compagne, il la cherche avec le peu d'énergie qu'il a... et ne finit par voir qu’un cercle embrouillé sertis de deux prunelles glacées. Ca lui suffit. Il entend les drows mais ne réussit pas à les comprendre.

Un infinitésimal sourire fatigué effleure la grande bouche.

avoir su.... j’aurais essayé de crever avant

Murmure t’il, avent de détourner sa tête, enjoignant sa maîtresse de le débrider à sa guise. Détournant le regard, lui offrat sa jugulaire en ultime signe de confiance et d'abandon. Alors les voit elles, Shyn’Tae et Na’Ri. Il essaye de murmurer quelque chose qui se perd dans l’épuisement physique. Il ne veut pas resombrer.... 

" S'il vous plait, il peut avoir une couverture ? " La requête passa d'une oreille et ressortit par une autre.

Deux patients. Deux opposants. Deux opposés.
Le premier, un humain à la peau de miel et entièrement marbrée. Encastré dans sa carapace de cuir, il avait refusé tant et plus les soins.
La seconde, une drow dont la soie noire était immaculée. Docile, dans sa tunique de lin, elle se plaçait pour aider au mieux les soins.

Après le combat, la prêtresse trouva presque rafraichissant de suturer la plaie de sa camarade. Cependant, assez rapidement des personnes se présentèrent et l'emmenèrent voir l'organisatrice des jeux. Impuissante, épuisée, la sombre leur laissa la championne. Sa championne.
Au grand soulagement de Na'ri, Shyn'taë s'en était plutôt bien sortie. Sans trop de blessures. Sans blessures trop graves.

La pièce parut soudainement vide à la medecin. Elle se sentait également vide. Mais elle avait une dernière chose à vérifier. D'un geste vif, elle ôta son masque et vérifia son nez. Rien de grave. Elle pouvait enfin se reposer. Enfin.

Elle posa ses yeux sur son premier patient. La demoiselle encore était accrochée à la main. Il fallait encore finir de le déshabiller… et éviter qu'il n'ait trop froid. Plus tard. Cependant, elle donna une couverture à l'humaine.
Elle laissa les questions et les interrogations pour plus tard.
Le dos, callé par le coin d'angle de la pièce, la  prêtresse se laissa glisser.
Tout le reste attendra plus tard.
Les jambes tenues dans ses bras, la drow ferma les yeux.
Plus tard…

La daedhelle dormait.