Accorder les violons | Shyn'tae & Viconia

2ème jour de la 2ème ennéade de Barkios
Demeure des servants de Zhak'Bar

En ce jour, le Haut-Prêtre de Zhak'Bar se trouvait parmi ses suivants, en fin d'après-midi, à quelques jours de la finale des jeux. Sa plus grave blessure avait été largement soignée. Ne lui en restait qu'élancement douloureux, bon souvenir de la lance du Gorlock, qui s'était frayée un chemin sous son omoplate, jusqu'à l'un de ses poumons. Cela était presque de l'histoire ancienne. A présent, il pensait davantage à ce qui s'annonçait. Dans la grande salle servant aux entraînements arcaniques, comportant un bassin, Urgoll'Ven avait assemblé moult élémentalistes. 'Une ode au Prime Dragon', telle était la consigne donné par le Haut-Prêtre. Depuis lors, la magie était régulièrement tiraillée par les démonstrations deservants. L'un projeta une ribambelle de boules de feu; une autre fit se retourner le sol en vagues, telle une mer de roche, un autre encore combina vent et feu en une petite tornade rougeoyante... Tout ceci sous le regard sanglant d'Urgoll'Ven, amusé... Concentré.

"Bien trop rustre, Dovryys ! Ils ne verront rien si ce n'est leurs yeux fondus...
- Qu'en serait-il d'ériger une réplique de la cité, puis de la raser grâce à...
- Briguerais-tu le poste d'assistante du Grand Architecte, très chère Vyrna ?
- Le feu est son langage ! Faisons rugir... !"

Les suggestions s'enchaînaient, tandis que prêtres et prêtresses montraient, argumentaient et critiquaient à tout va, semblant prêt à se sauter dessus à chaque mot. Que l'un s'emballe, et Urgoll'Ven s'animait alors, tonnant, leur rappelant leur place et leur devoir. Faire hommage au Prime Dragon au cours des jeu, cela seul importait ! Alors, avec servitude et dévotions, les sombres se remettaient à l'ouvrage, les rugissements des éléments ne s'interrompant que rarement pour entendre les échos de rugissements bestiaux ou de gémissements humanoïdes. Leur 'bonne volonté', couplée à l'euphorie de la magie qu'ils employaient comme un jouet destructeur, avaient cependant tôt fait de raviver leurs rivalités... Que le Gobelin écrasaient quand il le jugeait bon. Un spectacle... Cette notion semblait faire naître une joie enfantine chez les sombres, à chercher comment mettre au mieux en valeur leur puissance, cadeau de leur dieu.

Qu'une création aqueuse et une enflammée se heurtent, et la salle de pierre brute fut emplie d'un nuage de vapeur brûlante. Rires moqueurs, cris agacés et injures venimeuses retentirent alors, les deux élémentalistes concernés ne manquant pas l'occasion de se jeter l'un sur l'autre, tandis que leurs semblables subissaient les retombés. Dans un même temps, une voix se fit entendre, appelant le Haut-Prêtre. Sans se départir d'un rictus amusé, ce dernier enhaîna quelques gestes puissants... Et d'un geste, balaya la pièce, jetant sur les deux drows s'écharpant le résultat condensé de leur labeur. Se retrouvant trempés et plongés dans un liquide bien trop chauds, les daedhels se concentrèrent aussi sur autre chose qu'arracher la gorge de l'autre.

Tournant la tête, bientôt imité par d'autres prêtres et prêtresses, le Gobelin avisa un novice s'approchant nerveusement, dans la salle à l'air encore chargé d'humidité... Suivi par des silhouettes bien familières pour le grand sombre.

Placidement en apparence, nerveuse dans un des innombrables compartiments de son esprit, Viconia s'avance, flanquée de Varg, le chien-ours qui a pris quelques bons kilos de muscles fermes supplémentaires dû aux nombreux exercices que la triumvir le gratifie, entre ses nombreuses tâches. Bien élevé, il ne lève ni la patte ni ne bavouille sur les tapis tout compte fait. La seule chose à déplrer fut la perte de bottes de cuir sous les crocs de la bête. Avant que Viconia ne comprenne le besoin et ne le gratifie d'os à volonté.

Ca fait des mois qu'elle attend l'occasion d'offrir à Urgoll quelque chose d'aussi significatif. Mais quoi offrir à quelqu'un qui se fout de tout ou presque? Elle a bien remarqué ses lames, portées, usées. De bien belles lames qui ont connu des jours meilleurs. fidèles, certes, mais fatiguées… La Sesmika pourrait lui offrir n'importe quoi, on n'est jamais sûr de rien avec le Grand gobelin. Aussi s'est elle contentée de rester pragmatique dans son choix.

Utilisant une des innombrables marques de battoirs qu'il lui laisse sporadiquement sur le corp, la drow a fait faire des empreintes et a fait forger, dans la plus grande discrétion de nouvelles lames. Deux couteaux papillons d'Acier Drow, de facture Eldéenne, par le meilleur forgeron (après Krish, bien sûr) Faites sur mesure pour les immenses battoirs. Simples, sauf pour le prime Dragon qui court discrètement sur le côté de l'arme.

Elle ne se fait pas d'illusion par contre. Au mieux il va les utiliser, au pire il va s'en débarrasser. Et dans la moyenne mesure, il va s'en rappeler le jour où une de ses vieille lame tombera. En ce moment, elle les portes contre son sein, enroulées dans une étoffe soyeuse d'un noir absolu. Viconia est vêtue d'une ample pèlerine noire qui oblitère sa silhouette… Mais qui ne la rend pas moins reconnaissable. Des Eldéennes si grandes au port si royal ne sont pas courantes. Elle a baissé sa capuche, laissant voir son jeune visage décidé. Ses prunelles d'émeraudes rougeoyantes.

Un claquement de langue et Varg s'assied docilement, langue pendante de bonheur semble t'il.

Bonsoir Triumvir Urgoll'Ven. Je sais que tu es très occupé. Je fais le tour des temples aujourd'hui et je me suis mise dans l'idée de prier les douzes pour que le défi final soit à la hauteur de tes talents. J'en profite donc pour te rendre visite… As tu du temps pour prier?
 

Elle ne dit pas qu'elle termine avec le Prime Dragon, qu'elle a fait les onzes autres et qu'il y a un but précis à la demande… Mais est ce nécessaire?

Les jeux toucheraient bientôt à leur fin. Le public connaissait maintenant l'identité des deux finalistes. Urgoll'ven le Gobelin, haut prêtre du dieu sombre des cataclysmes, contre Hanegard le tueur de rois. Il fallait bien admettre que c'était une affiche charmante, lourde de symboles et apte à embraser le public. Certains en avaient fait une métaphore de la lutte du bien contre le mal, et d'autres y cherchaient un présage pour l'avenir. Shyn'tae voyait plutôt ca comme la lutte à mort de deux égos hypertrophiés, peut-être simplement parce qu'elle n'en faisait pas partie.

Quoiqu'il en soit, elle avait autre chose à quoi penser. Car en parallèle, le tournoi secret de Mamba arrivait aussi à sa finale. Elle en était, et le fait que les initiés se comptent par dizaines plutôt que par milliers n'était pas un problème: Elle ne se battait pas pour ce public ingrat.

Le rythme était soutenu. Entrainements, soins, batailles. Toutes difficiles, dangereuses. Elle savait que la plupart des étrangers haïssaient les éldéens, et c'était quelque chose que chacune de ses batailles avait confirmé. Tous auraient pris un plaisir immense à la voir tomber. Et pourtant elle avait triomphé. Était-ce par talent, audace, entêtement ou en vertu d'une chance insolente? Les dieux devaient apprécier la voir se démener ainsi.

La sombre avait ainsi accompagné Viconia dans sa visite des temples. Elle leur avait fait faire le tour de la cité, car la croissance anarchique de Thaar y avait dispersé les temples dédiés aux dieux sombres. Sans avoir eu besoin de se consulter, les deux éldéennes avaient décidé de terminer par le prime dragon, où elles pourraient saluer le haut prêtre.

Shyn'tae ne l'avait pas revu depuis sa chasse jusqu'aux marais de Faelia. Les impressions que lui avaient laissé le Gobelin étaient contradictoires. C'était un drow fort peu loquace, mais elle avait apprécié son pragmatisme dans la résolution des problèmes. Était-il fait pour la politique? Elle lui avait laissé l'impression d'une profonde sincérité dans sa foi et ses actions. Elle devait bien avouer qu'il lui faisait peur et la fascinait à la fois dans ses réactions violentes et bestiales. Le parfait serviteur du prime dragon en quelque sorte.

Vêtue d'une robe tunique courte, pieds nus comme à son habitude, elle trottait au cotés de Viconia, Eveil au coté.

Na'ri avait comme d'habitude fait un excellent travail, et la profonde coupure que lui avait infligé son dernier adversaire n'était plus qu'une cicatrice rectiligne et bien dessinée sur son avant bras, là où la lame coupante avait glissé au delà de son bracelet. Quelques contusions décoraient sa cuisse et le coté de son visage fin, mais la demoiselle comptait bien les voir disparaitre bientôt. D'autres traits fins décoraient la peau de ses bras et de ses jambes, l'un sur sa joue, fruits des combats qu'elle enchainait en secret. Sa chevelure coiffée en une longue tresse se balançait dans son dos au rythme de ses pas légers et félins.

La daedhelle n'avait jamais vraiment apprécié les chiens ours, dont elle trouvait l'obéissance sans borne agaçante et la laideur excessive. Peut-être Viconia trouvait-elle dans ce fidèle compagnon ces deux chose qui manquaient à ses autres alliés et serviteurs. En tout cas Shyn'tae prenait bien garde à rester à distance de la créature. Il paraissait que c'était un cadeau du haut prêtre de Zhak'bar, la bête cachait forcément une face plus sombre.

Lorsqu'elles avaient été mis en présence du haut prêtre, Shyn'tae s'était respectueusement et souplement inclinée, et avait offert un sourie malicieux au mâle. La triumvir et la magicienne formaient toute deux un couple fort contrasté mais étrangement complémentaire. Au port droit altier de la Triumvir, répondaient les mouvements vifs, souples et félins de sa petite congénère.

- Salutations Triumvir Urgoll'ven. C'est un honneur de vous revoir. J'ai hâte de vous voir combattre à nouveau.

Reconnaissant à leur tour la jeune triumvir', prêtres et prêtresses s'inclinèrent dans sa direction, trempés comme secs, ou légèrement roussis. Le grand sombre, quant à lui, observa l'approche des deux daedhelles avec un détachement légèrement intrigué. Sans un mot, il se tourne vers sa consœur, dont le corps familier est à peine perceptible à travers le vêtement, à l’exception de son visage à la perfection d'immortelle, habité par un regard fier et hautain... Une drow jusque dans le moindre plis de ses lèvres arrogantes. Une visite qui le surprend, mais à peine, contrairement à sa compagne... Vive comme dans son souvenir, davantage vêtue, avec l'ombre d'un sourire malicieux rôdant toujours, sourire qu'elle lui offrit, sans qu'il n'y réponde. Croisant les bras, il les surplomba froidement, comme dérangé par leur présence, ce que ne démentit en rien ni ne confirma son ton solennel.

"Triumvir' X'Ianxin. Mage Vaen're. Plaise au Prime Dragon que le combat soit à son goût. Tournant la tête, sa voix tonna pour renvoyer les servants à leurs devoirs, de même que le novice fébrile, achevant de dissiper leur entrain. Le prier où préparer une ode à sa gloire... Dans tous les cas, mon temps est sien. Suivez-moi."

Sur ces mots, il passe près d'elles, les menant à travers le temple, sans une hésitation ni un regard vers les drows y officiant, qui n'ont de cesse de s'incliner à leur vue. Au rythme de son pas lourd et régulier semblent faire écho les plaintes bestiales et humanoïdes qui retentissent occasionnellement dans le bâtiment de roche rude. Bientôt, le trio et l'animal parviennent là où demeurent la figure du Dragon : une statue de pierre massive et brute, surplombant les lieux lui de sa gueule carnassière et de son poitrail écailleux. Prières et plaintes s'entremêlent au gré des fervents, prostrés pour certains, résolument debout pour d'autres, offrant chair et sang au dieu  des cataclysmes. Faisant halte à distance respectueuse de ceux dont les sens se sont déjà égarés dans leur hommage, le grand sombre invite sa cadette, d'un geste du bras et d'un regard, à prendre place. De mots, il n'en offrira qu'à son dieu, en une litanie sombre et mille fois scandées, clamées avec une ferveur sanglante comme murmurées avec une dévotion ancienne.

Les grandes salles du temple de Zhak'bar étaient à la hauteur de la majesté du prime dragon. Du moins c'est ce que se disaient Shyn'tae en accompagnant les deux autres drows, deux triumvirs ni plus ni moins jusqu'à la demeure de la status du dieu, écrasante et inquiétante. Un dragon prêt à vous dévorer, vous intimidant à la fois de sa masse que nul ne pourrait stopper, de ses crocs aiguisés et de son armure infranchissable. Le cataclysme. L'artiste avait fait un beau travail, fut la premiere pensée qui émergea de la soupe d'idées au cœur de l'esprit de la magicienne.

Devant l'effigie, la drow fut un instant intimidée. Était-ce le lieu, le dieu, la qualité de ses compagnons? Elle n'était pas totalement certaine d'être à sa place.  La voix de Viconia résonna, forte et puissante. Elle devrait l'accompagner, ce serait la meilleure chose à faire. Sauf que… La sombre s'agenouilla à coté de la triumvir.

Mais elle voulait prier pour qu'Urgoll ait un combat à sa hauteur, que son combat soit digne de lui, et que les dieux soient plus satisfaits de la victoire du Triumvir qu'elle ne l'avait été de la sienne propre.

La drow ouvrit la bouche, et… accompagna sa partenaire, en murmurant plus que chantant. Cette voix, ce chant parfait. Elle l'aurait accompagné à plein poumon qu'elle aurait certainement brisé l'enchantement, et ca, la daedhelle ne l'aurait voulu sous aucun prétexte.

Viconia avait reposé la premiere lame ensanglantée. La magicienne s'en saisit avec délicatesse et respect, puis, d'un geste vif et gracieux, suivit le même rituel. Douleur vive mais fugace, comparée à celle qu'elle avait tant de fois vécu. Leurs sangs, tous les deux mêlés en offrande pour un dieu dont elle n'attendait ni bienveillance ni aide, mais juste la chasse.

La deuxième lame bénéficia du même traitement, se nourrissant du fluide vital, de la douleur et des peurs de la deuxième servante. Du sang contre une bonne chasse. Shyn'tae pensait que le Haut Prête n'en avait cure de vivre ou de mourir. Tout ce qu'il désirait, tout ce que le Prime Dragon désirait, c'était cette chasse. Ce plaisir que provoque le danger. Ce plaisir d'affronter un adversaire qu'on croit invincible.

Lorsque Shyn'tae pria, elle pensa certes à Urgoll, mais aussi à elle-même. Elle aurait tant aimé pouvoir ressentir ce plaisir elle aussi, juste encore une fois. Mais elle avait perdu trop tôt, et ce que les dieux lui avaient donné était déjà bien assez bien, et tout à fait à sa hauteur. Non, ce qui comptait, c'était que le Haut prêtre affronte une bête à sa hauteur. Il aurait été par contre malvenu de prier qu'il en revienne vivant, car les dieux sombres étaient joueurs.

Le grand sombre ne prit pas place à leur côté. Demeurant en retrait, il les observa prendre place, son épiderme gris frémissant alors que s'élevait, peu un peu, la voix de la jeune triumvir'. Le chant était son art, à n'en point douter, pourtant, le rictus qui naquit un bref instant sur le faciès buriné ne fut pas de satisfaction. Les paupières se baissèrent un temps sur le regard sanguin, tandis que la voix, à l'agréable maîtrise modulant les accords rudes des chants offerts au Prime Dragon, était rejointe par d'autres. Un temps, où le grand sombre demeura debout, écoutant seulement, ombre parmi les croyants emportés. Puis...

Un son grave naquit, emplissant la grande salle, résonnant dans les corps. C'était quelque chose de sombre, quelque chose de profond, un son qui habitait les lieux comme une flamme son foyer. Il enfla, naissant dans un torse massif, vibrant dans les suivants agenouillés devant la statue de pierre brute du Dragon. A croire que l'animal s'éveillait, sa masse grondant, à l'approche d'un rugissement monstrueux. Il n'en fut rien. Rude, la voix - car s'en était une - se tordit pour reprendre les mots qu'entonnait la jeune triumvir, leur créant un écho sombre, à l'agressivité couvant, dans cette litanie louant le Prime Dragon, promettant défi et destruction au Dieu des Cataclysmes. Il y résonne une ferveur ancienne, qui semble aussi inaliénable que les ombres courant sur la pierre, au rythme de la danse des feux éclairant les lieux.

Vint un temps où les voix se turent, où les corps plièrent et se prosternèrent, l'esprit oublié dans la présence de ce chant. Au même titre que ses semblables, le Haut-Prêtre s'agenouilla, laissant une dernière note grave mourir dans sa gorge, l'imprégnant un dernier instant. Finalement, il se releva, se dirigeant à grand pas vers l'une des ouvertures... Et attendit les deux drows là. Sans prêter attentions aux autres daedhels présents, il les guida de nouveau au sein du Temple, rejoignant un bureau mis à sa disposition. Celui du plus haut-gradé bien sûr. La porte se referma sur eux trois, presque avec violence, avant que ne tombe un silence froid, qu'Urgoll'Ven brisa, impassible, en se tournant vers sa cadette.

"Tu n'as nul besoin de ma présence pour Le prier. fit-il remarquer sans détour. Que veux-tu ?"