[Ellipse An XVI] Nouvelles d'Ithri'Vaan

5ème ennéade de Karfias, An 16

“Quinze ans de répit, et nous y revoilà…” Un soupir échappe à la Dame Blanche.

Dans le salon où se découvre la plus belle vue que propose son palais, elle pèse l’importance des mots qu’elle couche sur le papier, la plume à la main. Elle ne doute pas, mais une peur viscérale la gagne. De sombres nuages paraissent à l’horizon et la perspective d’un Puy d’Elda restaurant son influence sur la région à partir de Sol’Dorn réveille ses souvenirs… Oh, certes, même le règne fantoche de princes placés et soutenus par les eldéens n’empêcha pas aux marchands de prospérer dans son ombre, elle-même tira profit de cette situation, de l’influence locale qu’une fortune accorde… Néanmoins, la Principauté avait arraché son indépendance lors de la confusion qui entoura l’implosion du IVème Ost, et il n’était à ses yeux pas concevable qu’on revienne en arrière.

Qu’importe les belles paroles et les promesses prononcées par la Maîtresse de la Corporation d’Argent, l’une comme l’autre, elles savent qu’il n’est pas nécessaire d’employer les armes pour s’emparer de cette cité. Par le jeu des influences, par de subtils calculs, par la corruption et le charme, on peut s’approprier des voix et mettre la main dessus, avec suffisamment de temps et de moyen, avec les bons leviers… Et les débats qui s’étaient produits plus tard avaient confirmés ses craintes… Le Conseil, majoritairement, avait refusé de prendre une position strictement neutre en cas de conflit, et de condamner ceux qui prendraient la suite d’un Ptolémée dans l’approvisionnement des eldéens en campagne. Des Prince-Marchands acceptaient d’ors et déjà, répondant à l’appel de l’or, l’idée de soutenir les eldéens dans leurs campagnes à venir… Ils ne se l’interdisaient pas. Quand bien même cela signifiait également qu’on pouvait soutenir et commercer avec l’autre camp, ça n’est certainement qu’une posture qui changera, en temps voulu.

A travers leur Maîtresse des Forges, le Puy d’Elda veut s’emparer d’une Principauté en la préservant pour qu’elle conserve son utilité, à son profit.

C’est pourquoi elle se trouve dans ce salon, songeant à l’avenir, le sien, celui de sa cité, celui de son fils, à l’abri dans une cité elfique depuis. Parce qu’elle ne peut rester indifférente, parce qu’elle ne peut se contenter de faire le jeu des eldéens et cueillir le profit immédiat qu’ils présentent en carottes pour les ânes qui sont prêts à tout pour y croquer, même à se laisser harnacher… Les relations avec le Puy ne sont possible qu’avec une certaine distance, c’est ce que l’histoire enseigne. Alors, écrivant, elle parie son avenir sur la défaite des drows et pose la première pierre de sa véritable résistance, bien au-delà des murs du Joyau, sans plus le consulter.

Elle scella le courrier, y apposa son sceau sur le cachet et le confia à son compagnon, Eärnil.

“Assures-toi qu’elle parvienne à Alëandir au plus tôt.”

Ce qu’il fit, et quoique plus long qu’à vol d’oiseau, le message fut transmit… En main propre si l’on peut dire. Le sang-mêlé fit le voyage lui-même, considérant l’opportunité de retourner à la Cité Blanche et de revoir le compagnon qu’il y avait laissé, cinq ans plus tôt autant que pour s’assurer qu’un message d’une telle importance parvienne à destination.
C’est avec un curieux sentiment qu’il s’avança dans le palais pour la première fois, appréciant du regard ce somptueux lieu qu’il n’aurait jamais considéré pouvoir arpenter. Il y fut accompagné jusqu’au souverain, sa fidèle dräke bleutée campant sur son épaule et se plia à l’usage, sans toutefois contenir totalement sa surprise devant le géant à la carrure imposante.

“Ar Aran” Y ajoutant une révérence. “Je suis porteur d’un message à ton attention de la part de la Princesse-Marchande de Thaar, Milynéa Lythandas.” Il joignit le geste à la parole, sortant de sa petite sacoche le précieux pli, toujours cacheté, s’approchant de quelques pas pour le lui tendre et le laisse à sa lecture, attendant une réponse éventuelle.  

Citation :

A l’attention du Trône Blanc d’Alëandir,

Nous ne nous connaissons pas encore, à mon grand regret, et il est malheureux que notre premier contact soit porteur de telles nouvelles, mais les circonstances ne nous laissent pas toujours le choix. Par la présente, trouvez le gage de mon amitié à votre endroit, de l’amour que je porte toujours envers ces forêts qui m’ont vu naître et grandir et qui ne me quitte jamais vraiment.

Je me dois de vous avertir de la menace que font peser les eldéens sur la région, ainsi que ma crainte que l’Anaëh, à nouveau, ne soit l’objet de leurs intentions. Sol’Dorn subit un siège, assurément différent des autres, lors duquel ils prétendent ne pas vouloir faire couler le sang, mais il est clair, depuis quelques temps déjà, qu’ils souhaitent voir leur influence s’étendre sur l’Ithri’Vaan, comme il y a quinze ans.
Et quoiqu’ils se soient engagés à ne pas pénétrer les terres de notre Principauté, il n’en demeure pas moins que leurs armées se sont déplacées et sont apprêtées. C’est pourquoi je crains qu’après ces années d’une relative tranquillité, ces mouvements ne préfigurent d’une attaque de leurs parts, j’ignore quand, j’ignore où, mais la prudence est de mise et l’avenir incertain.

Il me faut également vous avertir de la regrettable position de la Principauté de Thaar pour les hypothétiques conflits à venir.

Malgré mes efforts, le Conseil de Thaar se refuse à demeurer parfaitement neutre et à interdire le commerce de guerre avec les eldéens en cas de campagne. Il est donc évident que certains fourniront ressources et ravitaillements aux armées de vos ennemis, le moment venu, tout comme il est évident qu’alors, les eldéens tenteront d’empêcher les éventuels échanges, quand bien même ils se sont engagés à nous laisser commercer librement.
Néanmoins, c’est une partie qui se joue encore, et dans laquelle je continuerais de m’opposer avec la plus grande fermeté à l’idée de les soutenir dans leurs élans guerriers.

Avec votre bénédiction, je me rendrais en Alëandir l’année prochaine, et j’espère avoir alors l’opportunité de m’entretenir avec vous.

Mes amitiés,
Milynéa Lythandas, Dame Blanche et Princesse-Marchande de Thaar

Les migrations battaient leur plein. Les deux armées d’Alëandir se mêlaient timidement à la fois dans leurs entraînements et dans les travaux qui leur étaient assignés. La menace gobeline était contenue mais continuait de demander un effort de tous les jours. Les nouvelles des études venant d’Annon se faisaient plus éparses mais plus approfondies, et maintenant vous vous étiez attaqués à l’exploration d’un Aduram que l’on vous avait rapporté s’être assagi. En plus de tout cela il y avait tes problématiques personnelles. L’entraînement physique et martial que tu ne pouvais pas te permettre de négliger. L’éternel travail d’affûtage de ton Art, activité primordiale à ta survie. Et surtout, Kaëlistravaë qui était enceinte…

Beaucoup trop de choses à penser, beaucoup trop de choses à gérer, et aucune que tu ne pouvais te permettre d’abandonner, sous peine soit de sacrifier ton bien-être personnel et par la même occasion ton équilibre physique et mental, soit de trahir ton rôle d’Aran en te faisant grain de sable dans un engrenage qui pour une fois, tournait à une célérité décente. Le calme viendrait plus tard. Lorsque les surprises cesseraient de pleuvoir et que les grandes révolutions géopolitiques seraient définitivement actées, tu pourrais souffler. T’occuper plus paisiblement de ton épouse et de ton enfant à venir. À condition que tout cela s’arrête un jour.

- Donnez. tu itères en signe d’acceptation après de sommaires salutations Si vous voulez bien m’accorder un instant tu ordonnes plus qu’autre chose à tes Conseillers, qui sans s’éloigner acceptent de se ranger en second plan je préfère classer cette affaire au plus vite.

L’expérience des échanges avec le Magistère du Firmament t’avaient appris une chose : les rapports avec l’extérieur de l’Anaëh sont à la fois une problématique importante et extrêmement délicate. D’ailleurs, c’est probablement suite aux retours faits par Nakor lui-même que l’entrée du messager de Thaar avait été aussi facile. Pour l’instant tu n’avais pas à regretter cette décision. Et tu espérais ne pas la regretter plus tard.

- Par l’arc bandé d’Hiril Lôthren… que quelqu’un me ramène un pli.

C’est tout préjugé mis de côté pour celle qui s’était amourachée de Thaar que tu t’étais frénétiquement mis à calligraphier, les regards de tes Conseillers lorgnant par-dessus ton épaule eux-mêmes pris d’un mouvement de recul après qu’ils aient terminé de lire ce que tu venais de recevoir.

Heri Milynéa Lythandas

Bien que nous n’ayons jamais eu l’occasion d’être dignement présentés, les archives laissées par mes prédécesseurs suffisent à attester des sentiments que vous conservez pour l’Anaëh. Pour cette raison, et c’est finalement bien malheureux, je n’ai nulle difficulté à prendre au mot vos avertissements.

Malheureusement, s’il m’aurait été agréable de pouvoir me faire dès à présent force de proposition, je crains que les problématiques internes de l’Anaëh ne soient pour l’instant trop gourmandes en temps et en ressources pour me permettre d’avancer la moindre suggestion suffisamment éclairée.
Comptez cependant  sur moi pour que qui-de-droit soit averti, afin qu’en cas d’assaut précoce, nous soyons en position d’offrir digne réponse.

La guerre contre l’Elda malgré tout ne saurait être uniquement livrée à l’arc et l’épée quand il est possible de l’enrayer sans qu’aucune vie n’ait à se trouver sacrifiée. C’est pourquoi plutôt que d’offrir ma bénédiction à votre venue, je vous enjoint à venir me rencontrer au plus tôt, si possible avant que la prochaine année ne soit vieillie, afin que votre expertise puisse nous être profitable dans notre commune lutte contre la menace Sombre.

Puisse votre Souffle toujours se tenir auprès de La Mère, même par-delà les frontières de son Œuvre.
Artiön Laergûl, Seigneur-Protecteur d’Alëandir

Tu n’aimais pas ça. Tu n’aimais pas ça du tout. L’idée d’avoir le moindre lien direct avec Thaar te révulsait, mais entre ça et potentiellement voir s’éteindre les vies de soldats à la bataille, de civiles au mauvais endroit, de Chanteurs de la Prime-Œuvres incapables de se défendre, et d’autant d’elfes refusant de s’accrocher à l’existence après avoir été témoins de tant de destruction… n’étais-ce pas un moindre mal ?

Peut-être. Peut-être pas. La vie d’un peuple Sylvain ayant renoncé à son intégrité ne valait pas plus que la poussière des Terres Stériles. Te voilà maintenant… vous voilà maintenant, toi et tes conseillers, face aux quelques ennéades qu’il vous restait afin de réfléchir à une solution qui ne crache pas tout bonnement sur Les Voies. En espérant qu’il reste encore assez d’amour pour La Mère dans le cœur de la Dame Blanche de Thaar pour qu’elle vous rende le travail plus aisé.

- Remettez ceci à la Princesse-Marchande. tu tends le pli au messager Et dites-lui de prendre garde à elle.

L’Elda n’aime pas l’opposition. Et encore moins lorsqu’elle vient d’Anaëh.