Pour la beauté du geste [solo]

Le début de la  journée avait été particulièrement agité.  Aegden avait eu l’impression que ça ne s’arrêtait plus entre les problèmes par-ci par-là, les rapports de mission etc. Et en même temps, rien n’était particulièrement sortit de l’ordinaire, ajoutant une sorte de lourdeur désagréable à une journée déjà pesante de par sa chaleur d’été.

Les rayons du soleil commençaient à peine  à décliner lorsqu’il décida de prendre l’air un petit moment. Pourtant le mainyth n’avait pas fait deux pas en dehors de la caserne qu’un soldat l’abordait à nouveau.

-Bonjour ?  Dites Commandant, j’ai une demande à vous  faire à propos d’une de mes affectations….

- Est-ce que ça peut attendre  un moment? Le coupa-t-il calmement.

-heu, Oui, j'imagine… Répondit l’autre un peu  surpris.

-Alors ça attendra. Aegden lui sourit montrant qu’il n’y avait pas de problème mais montrant aussi que là, il  avait autre chose à faire.

-Vous partez quelque part ? Demanda alors l’elfe à la fois curieux et rassuré de voir qu’au final son interlocuteur n’avait pas l’air si importuné que ça.

-Juste sur le terrain d’entrainement. Aegden haussa les épaules.

‘’Comme ça ?’’ Sembla soudain vouloir dire le soldat. Suivant le regard perplexe de son interlocuteur, Aegden posa les yeux  sur la tenue qu’il avait pris le temps d’enfiler à la place de son uniforme avant de sortir du grand bâtiment.  Il ne portait qu’une simple chemise dont les manches se terminaient aux coudes ainsi qu’un pantalon ajusté. A la place de ses habituelles bottes montantes il portait d'étrange chaussures basses*, serrées grâce à un lacet qui évitait probablement de les perdre bêtement. Sa chevelure rousse quant à elle était comme d'habitude nouée en queue de cheval haute. Il n'avait pas l'air de porter d'armes sur lui. Un sourire amusé étira ses lèvres. Certes de loin cela pouvait paraître étrange.

-Ne t’inquiète pas, je ne vais pas m’entraîner au combat comme ça. Il rit. Tu es relativement nouveau n’est-ce pas ?

Si le soldat hocha la tête, Aegden n’avait de toute façon pas besoin de réponse pour le deviner. Il savait parfaitement reconnaître les novices des vétérans, et heureusement d’ailleurs… Le fait qu’il s’étonne de voir le commandant dans cette tenue renforçait  un peu plus cette impression. Il n’y avait pas un soldat ayant passé plus d’une année au sein de la caserne qui pouvait encore prétendre ne jamais avoir croisé le lancier partir danser ainsi. C'était une habitude connue.

-Bon tu m’excuseras, je dois vraiment y aller .Fit il pour prendre congé de l’elfe. Revient dans une heure ou deux je verrais ce que je peux faire.

Ce n’est pas qu’il n’aimait pas discuter, mais là il perdait du temps. L’autre, compréhensif lui adressa un salut amical avant de s’éloigner.

Il ne fallut pas plus de quelques minutes pour arriver sur le terrain d’entrainement. Celui-ci était pratiquement désert. Ça n’était pas étonnant si on prenait en compte le fait que la chaleur de la journée commençait à peine à s’effacer.

Ça ne dérangeait absolument pas Aegden. Au contraire peux être même. C'était la tranquillité qu'il était venu chercher après tout.

*:

Il prit une grande inspiration, entamant quelques pas lents. Il évalua rapidement le terrain, fixant mentalement les limites de l'espace qu'il occuperait.

Une pirouette elle aussi très lente. Il pencha sa tête en arrière, son dos accompagnant gracieusement le mouvement, son bras gauche dans le prolongement de son corps. Tout en souplesse il se redressa, lança sa jambe droite dans une vrille puis l’elfe bondit soudain ne laissant la pointe de son pied retoucher le sol qu’à peine une demi-seconde. Il s’envole un court instant, puis retombe avec légèreté. Le rythme s’accélère soudain, à peine au sol le danseur bondit à nouveau. 

Alors tout commençait réellement.

Il n’y avait, autour du danseur, que le vague murmure de la nature. Point de symphonie non plus ne résonnaient dans les oreilles de l’elfe sourd à celle-ci. Dans cette mélodie simple quasi-inexistante, il avait réellement l’impression de se perdre. Et c’était peut-être ce qu’il recherchait au final…

Seconde vrille, prise d’élan, le corps de l’acrobate penche soudain légèrement vers l’avant, un seul pied pour appuis, il bondit, tourne, valse, redessine une planche alignant jambe et buste, avant de se stopper de nouveau. Le temps d’une inspiration et la dance reprend.

A chaque sauts, l’elfe semble voler. La gravité semble ne pas avoir d’effet. Tantôt l’elfe pose la pointe de ses pieds sur le sol, aussitôt il semble à nouveau dans les airs s'aidant de tout son corps pour bondir plus haut à chaque fois. Il s’élança vers l’opposé du terrain, la seconde moitié de sa course se changea en un saut acrobatique. Une roue au cours de laquelle il ne pose qu'une main au sol.

 La dance se transformait peux à peux en un jeu d’équilibre compliqué.

L’elfe, agile, léger, aérien même, était fait pour enchaîner les acrobaties de cette manière. Il était  dans son élément dans cette dance.
Nombre de fois lorsqu’il était venu à se demander ce qu’il serait devenu s’il n’avait pas été militaire, il s’était imaginé mettre ces compétences à profit. Devenir réellement et seulement  danseur. Et pourtant il était pudique le jeune elfe…Mais peux être cela aurait-il changé justement.

La danse c’était probablement ce qui le faisait tenir dans les pires moments et peux être même dans les meilleurs aussi. Catharsis ou bien simple passe-temps, c’était dans tout les cas une partie de sa vie à part entière. Une chose si banale et pourtant si complexe.

Le danseur entama un nouvel enchaînement. Il lança sa jambe sur le côté tournoyant sur lui-même dans l'élan de sa course, s’élança tournoya une seconde fois dans les airs, recommençant ces geste deux fois encore avant de ralentir. 

Son souffle s’intensifiait au fil de ses acrobaties. Il s’efforça de stabiliser sa respiration au maximum. Nul doute qu’une fois cette douce folie éteinte, il se retrouverait plus qu’éreinté.
Peu importait. Tandis que les enchaînements de valses mêlées d’envolées ne semblaient jamais cesser, l’elfe avait l’impression de voir le monde disparaître autour de lui. Il avait l’impression de disparaître. 

A cet instant il n’était plus mainyth de la capitale de l’Anaëh. Il n’était plus militaire. Il n’était même plus elfe. Il n’était qu’une silhouette en mouvement. Il ne pensait plus, il agissait d’instinct.

De nouveau le rythme de ses pas ralentit. Le jeune homme forma une énième arabesque avec ses bras tandis qu’une autre demi-pirouette marqua un demi-tour complet. La pointe de ses pieds touchait à peine le sol à chacun de ses pas.

Chaque mouvement, même s’ils pouvaient en donner l’impression inverse, était calculé et maîtrisé à la perfection. Combien de temps lui avait-il fallu pour atteindre ce niveau ? Depuis combien d’années dansait-il ? Aussi loin que remontait sa mémoire, il se souvenait s’être adonné à cet art. Il dansait évidemment même avant d’avoir envisagé de prendre les armes. Après tout sa manière de se battre était dérivée de cela et non l’inverse… Il était danseur avant d’être militaire, même si dorénavant c’était le second qui prenait à juste titre le dessus.

Certain pouvaient d’ailleurs certainement s’étonner de le savoir continuer de danser sans ses armes. D’aucun aurait pu commenter cela, dans un élan de mauvaise langue, en disant que c’était profondément inutile.

Oui ça l’était quelque part. Et en cela ça n’en était que plus agréable.

Ses gestes n’avaient d’ailleurs pas grand-chose à voir avec ce qu’il faisait une arme en main, semi-lance ou épée. Lorsqu’il se battait, c’était un autre monde devant lui. Un monde où danser signifiait survivre, défendre, tuer.

Ici, maintenant, ses gestes n’avaient pas d’autre sens que leur simple élégance, c’était...satisfaisant.

Un dernier enchaînement, une dernière envolée , et il se retrouva sur ses deux pieds, bras tendus vers le ciels, puis sur ses genoux. Cette fois c’était terminé.

Aegden rouvrit les yeux, la respiration rapide. A quel moment avait-il fermé les yeux ? Il ne s’en était pas rendu compte. Il attendit quelques instants, le temps que son cœur cesse de tambouriner dans sa poitrine avant de lentement se relever.

Inconsciemment il balaya le paysage du regard. Il était soulagé de constater à nouveaux  la rareté des elfes présents. Les seuls qui entrèrent dans son champ de vision lui offrirent un sourire chaleureux auquel il ne répondit que par un ténu hochement de tête. Il était de toute façon encore trop essoufflé pour parler intelligiblement.