Et si je pleure, c'est bien: riez [ssol]

Soirée du 5ieme jour de la 2ieme enneade de Karfias, deuxième mois d'été
An 17 du XIe Cycle

La drow gisait dans le sable sur le ventre, la douleur battant son corps au rythme des palpitations rapides de son cœur. L'épée d'entrainement reposait juste en dehors de son éteinte. Sa main droite s'appuya sur le sol et elle commencer à se redresser pour la énième fois ce soir, malgré le vertige qui la saisit. Ses muscles protestèrent… C'était trop lent. Bien trop lent cette fois-ci. Sans crier gare, une botte frappa son bras droit, lui arrachant un gémissement et la faisant retomber, avant de s'appuyer sur ton dos.

L'aimait-il?

- Pas très concentrée ce soir, aspirante… Debout!" Le ton du mage de guerre était sec, sans appel. La daedhelle posa les deux mains par terre, une determination sans faille dans les yeux, et poussa contre le drow impassible qui reposait son poids sur elle.

La magicienne grimaça, ses muscles bandés, la colère lui donnant la force…

Mais son bras gauche céda aussitôt. De longues secondes s'écoulèrent jusqu'à ce qu'épuisée par l'effort inutile, son corps gracile la força à renoncer.

Le mage appuya sa botte plus lourdement jusqu'à couper sa respiration…

- Pathétique… Ce sera tout pour ce soir. N'oubliez pas de ranger, aspirante."

Le drow jeta son arme qui s'écrasa sur le sol non loin de son visage, projetant un peu plus de poussière sur son visage. Le bruit de ses pas diminua, puis s'éteint, la laissant seule couchée sur le sol froid. Il lui parut aussi confortable que s'il s'était s'agit de la couche la plus confortable qui soit.

L'aimait-il vraiment?

Dans l'océan de douleur, elle ne pensait qu'à ca. Elle aurait du maintenant s'atteler aux tâches du Phor'dur qui lui incombaient: les rapports de ses subordonnés à lire et à résumer, dont probablement celui que le mage allait écrire sur ses propres piètres performances.

Mais elle ne le pouvait pas, pas tout de suite. Il fallait qu'elle se libère l'esprit d'abord.

***

C'était une tente anonyme, une tente comme une autre. La Phor'dur n'avait eu aucun mal à obtenir l'information qu'elle cherchait, et cette information l'avait conduite ici. Elle leva la tête, au dessus d'elle les étoiles brillaient dans le ciel d'un noir d'encre.

Suis-je jalouse?

Elle se retourna, dos à la tente, et s'apprêta à faire demi tour, ses yeux rubis hésitants. Et si elle se trompait? Quelles en seraient les conséquences? Ses pieds nus firent quelques pas hésitants dans la direction opposée, la gorge sèche. Elle s'arrêta à nouveau. Les passants l'ignoraient, continuant leurs activités sans remarquer son trouble

Et s'il ne l'aimait pas?

Son visage se fit dur, impassible, et, le cœur battant, elle se retourna d'un mouvement vif, faisant valser sa longue tresse comme le tissu de sa jupe.

Quelques instants plus tard, elle se glissait dans l'ouverture de la tente pour en distinguer l'interieur. La drow fronça les sourcils et ses oreilles se tendirent, abaissées devant l'inattendu.

La tente était vide.

Non, pas totalement vide. Au milieu, un drow attendait, assit sur le sol(1). La magie était vivante en lui, et quelques lueurs immatérielles tissaient des ombres mouvantes qui dansaient tels d'envoutants fantômes sur la toile.

Il était devant elle. Son cœur battit plus fort dans sa poitrine. Plus moyen de faire demi tour maintenant.

La drow n'était pas bien grande, et ses formes auraient pu croire qu'elle était dans l'adolescence. Mais le mâle connaissait celle que la Ditrown Da're avait nommé Phor'dur pendant la durée du siège. Bien que contusionnée et griffée, Malgré ses yeux cernés et son air fragile, il était clair qu'elle avait fait grand effort pour son apparence.

Elle s'inclina aussi profondément que si elle avait voulu mettre sa tête au niveau de celle du haut prêtre et ignora la protestation de ses muscles endoloris. Puis elle s'introduisit troublée et plus hésitante qu'un Phor'dur aurait du l'être.

- Haut prêtre, auriez-vous un peu de temps à m'accorder? J'ai… un conseil à vous demander. Permettez-moi de m'asseoir?"

(1): Car, comme chacun savait, Ssol s'asseyait sur le sol.

L’eldéenne ne m’aurait pas trouvé là la veille ni le lendemain, mais au moment où elle entre dans la tente, le temps est ce que j’ai en de très larges quantités. « J’ai du temps… asseyez-vous. » Je ne me lève pas, je ne me retourne pas, je tapote seulement la place juste à ma droite d’une main pour lui désigner l’endroit où elle doit se placer. Sinon, je reste concentré. Concentré sur cet objet qu’elle ne peut voir tant qu’elle n’est pas passée à côté de moi, une petite sculpture. Une forme féminine effilée qui tient plus de l’elfe que du drow se tient à genoux. Une trouée la traverse de part en part au dessus de son nombril et elle y a passé ses deux bras, alors que ses mains dépassent de son torse. Elle est tournée vers le ciel et prie comme un humain, les mains en coupe. Le jeu de lumière la rend comme vivante, et beaucoup auraient l’impression qu’elle respire.

Quand Shyn’tae s’assied, la sculpture tourne la tête vers elle, alors que ma voit rompt le silence. « On m’a offert cela trois jours plus tôt. Elle vient de Sol’Dorn. » La forme sourit, comme si entendre son lieu de naissance lui rappelle des souvenirs joyeux. « Je la trouve fascinante. » Je suis impassible et neutre, il n’y a que mes mots qui s’échappent de mon être. « Je ne connais pas les intentions du sculpteur, mais elle s’offre à un dieu, elle s’offre au monde. » Comme je m’offrais à Toi. « Dans toute sa fragilité, elle n’hésite pas un instant. » Les deux mains semblent se tendre un peu plus vers les cieux et du plafond de la tente une petite boule de lumière descend pour se poser au creux des deux paumes. « Elle donne… ou bien elle prend. » Je souris sans regarder l’eldéenne, ne brisant jamais ma concentration, alors que les mains se referment.

« Dites moi ce que vous voyez puis posez moi votre question, et je vous conseillerais. » L’offrande faite à toi ne va pas être grandiose, mais je sais que tu es curieux de sa réponse maintenant.

Un visuel de la sculpture:

La daedhelle s'avance dans la tente d'un pas léger. Ses pieds nus donnent l'impression de ne faire qu'effleurer le sol, en silence, l'amenant aux cotés du haut prêtre. Là, elle s'agenouille avant de poser les deux mains sur ses cuisses en partie dénudées, son regard se posant enfin sur ce qui absorbait la concentration du drow.  La magicienne hausse un sourcil devant la sculpture élégante qui se tourne vers elle, et sourit aux mots du haut prêtre. Malgré elle, son cœur bas plus fort dans sa poitrine.

La Phor'dur a longtemps été professeur au sein de l'étude noire, la magie de la lumière et ses illusions n'ont rien d'extraordinaire pour elle,  mais cet art n'en est pas moins fascinante pour autant. Son oeil exercé cherche sans le vouloir les erreurs. Ses yeux de la daedhelle, grands ouverts, sont fixés sur la statuette dont elle boit chaque détail. A quel point est-elle réelle? Existe-t-elle même vraiment? Shyn'tae est incapable de s'en assurer.

« Dites moi ce que vous voyez puis posez moi votre question, et je vous conseillerais. »

Est-ce une coincidence? La jeune noirelfe hésite, prise au dépourvu. Le silence revient dans la tente. Combien de temps? Difficile à dire. La sculpture la regarde. Finalement, sa voix crystalline s'éveille, incertaine.

- Vous avez raison, elle s'offre…  Ce n'est pas un acte passif." La jeune drow s'arrête. Elle doit regrouper ses pensées. La part la plus rationnelle d'elle-même se dit que le prêtre n'a pas choisi cette sculpture pour elle, que c'est un hasard. Pourquoi est-elle allée rencontrer le messager de Tesso? "Elle s'offre, volontairement… nue, sans défense… entièrement exposée, mais libre de toute crainte."

Elle incline la tête, la sculpture fait de même, souriante comme pour l'encourager. Elle est certaine que leurs regards se croisent. Une illusion, souffla la raison. Mais elle est si parfaite… Peu à peu sa voix devient un murmure. "Soumission... et fierté en même temps. Une contrainte qu'elle s'impose à elle-même. Elle se délite, mais c'est sans importance. Elle a choisi sa place, elle est heureuse." Le murmure devient un soupir, puis s'éteint.

Est-ce suffisant? L'éldéenne espère que ce soit le cas. Elle baisse les yeux pour les poser sur  ses cuisses et ses bras exposés, sa main droite serrée autour du tissu noir comme le ciel d'une nuit d'été, la gauche étrangement détendue.

Sa bouche s'ouvre, se referme. Un instant s'écoule à nouveau. Finalement, sa voix s'élève, d'abord le soupir de celle qui voudrait tant ne pas réveiller le silence, avant de monter crescendo.
- Haut Prêtre… Comment… Comment savoir si un drow en aime un autre.. d'un amour réel?

J’écoute ses mots et je suis surpris à certains d’entre eux. Tu bois aussi ses paroles, chose assez rare pour que décide de le garder en mémoire. Trop tard, finalement. J’aurais dû m’en douter, alors que j’entends la question de l’eldéenne. Je m’apprête à répondre et quelque chose en moi refuse de me laisser le faire.

Le premier assaut est ridicule et permet tout juste à Ssol’riss Ulnen de comprendre que son dieu va tenter une nouvelle fois de le renverser. Il ne sait pas avec quelles intentions tu t’en viens vers lui mais il érige ses défenses et est prêt à encaisser le deuxième choc. Le choc arrive, le Haut-Prêtre ne sourcille presque pas. Mais un instant plus tard, alors qu’il pense avoir plus de temps pour se préparer au prochain, une tempête déferle telle une vague et balaie tout sur son passage. La statuette perd toute vie et devient comme morte. Les vents hurlants empêchent de Ssol’riss Ulnen de retrouver sa place et je me retrouve forcé de lutter une nouvelle fois contre Toi en le remplaçant. Nul ne sait ce qui arrivera si tu fais tienne cette enveloppe et je ne suis que la première barrière à la protéger, ils sont nombreux à rester aux aguets au cas où je tomberais moi aussi. Les scintillements mauves s’éteignent à travers le masque et Shyn’tae ne peut voir de nous qu’une forme immobile, un Haut-Prêtre de Toi méditant.

Tu cesses ton jeu et tu me laisses affronter celui que tu as délogé, celui qui veut toujours répondre à l’eldéenne en face de nous. Je te sais rôdant dans l’ombre silencieusement, je sais ton calme être un mensonge, je ne lâche pas ma position. Mais je peux tromper Ssol’riss Ulnen et j’aligne mes pensées sur les siennes alors que nos objectifs fusionnent. Les billes mauves envoient à nouveau ces deux points de lumière vers le monde extérieur et nous nous tournons vers le regard de Shyn’tae, délaissant la statuette. Je m’exprime d’une voix chaude, d’une voix qui détonne avec celle que je sers depuis le début à l’eldéenne. « Observe les sacrifices qui ne servent ni les dieux ni l’égo. » Le Haut-Prêtre se débat, comme s’il veut revenir sur ces mots, comme s’il veut que j’arrête, mais je continue et pris de cours il ne peut plus me rattraper. « Ecoute les confidences qui fermeraient les portes du Nahali, écoute celles qui mèneraient aux P’leik, écoute celles que seuls nos dieux devraient avoir à juger. »

Ssol’riss reprend le contrôle à ce moment là, et je le laisse faire. Il est frustré, il m’en veut, il t’en veut à Toi, mais il sait qu’aller avec le courant est sa seule option, qu’il perdrait tout ce qu’il avait construit sinon. Tout ce que j’avais construit. Je me fonds en lui, sa frustration devient mienne, et je comprends à quel point son avis diverge de celui qui était mien en l’instant précédent. Mais nous ne sommes finalement qu’un et tu n’essaies plus de nous affronter. Tu maudis certainement, et je crois entendre un vous accompagné d’une insulte, ou plusieurs, mais tu n’agis pas. Ma voix neutre retentit alors que je me détourne de l’intérieur pour aller vers l’extérieur. « Mais est-ce le genre de question qu’on pose à un Haut-Prêtre de Lui, est-ce le genre de rumeur qu’on aimerait voir se répandre dans un campement tel que celui-ci ? » Je souris en poussant l’objet devant moi vers l’eldéenne restée assise. « Prenez cette statuette, vous y voyez des choses plus importantes pour vous que ce que j’y vois ne l’est pour Lui. »

Je reste immobile, les deux étoiles violacées ne quittant pas Shyn’tae, je n’ai pas prévu de dire un seul mot de plus.

La jeune drow écoute, comme une apprentie écoute le maitre.

Mais d'abord la réponse ne vient pas. Elle fronce les sourcils, ses oreilles tendues. A-t-elle fait une erreur? La question avait surgi comme un serpent et le haut prêtre l'avait encaissée en silence, bien plus immobile que la statuette qu'il lui présentait.

Le silence s'empare de la tente, pesant comme un ciel d'orage dans le desert. Les yeux de la daedhelle vont et viennent entre les deux silhouettes qui semblent se répondre: la statuette animée, le haut prêtre figé. Elle attend.

Un frisson la parcourt lorsque soudain, la magie s'éteint, la statuette maintenant aussi immobile que le représentant du dieu dans la pénombre de la toile. La sculpture est donc réelle, souffle la petite voix qui analyse sans relâche au fond de l'esprit vif de la noirelfe.  Dehors le vent hurle un instant, Zhak'bar est le seul à oser briser le mystère de l'instant. Quant à la magicienne, sa tension s'accroit. Son bras gauche est secoué un instant d'un frémissement incontrôlé, et elle en saisit le poignet d'une main ferme sans que le reste de son corps n'esquisse le moindre mouvement.

Puis le haut prêtre s'éveille. Shyn'tae retient sa respiration alors que les yeux mauves se posent sur elle. La tonalité de sa voix surprend la daedhelle, qui écoute sagement comme l'élève devant le maitre. Oui, c'était logique.  La Phor'dur baisse les yeux, pensive, et serre un peu plus fort son poignet. Elle ne sent rien de plus que s'il avait été celui d'un étranger. Tesso a manifestement jugé son offrande suffisante. Et quelque chose la fait frémir dans cette réponse, quelque chose sur lequel elle ne parvient pas à mettre le doigt… pour l'instant. Car les idées sont dans sa tête un maelstrom incontrôlable. Et Ssol'riss lui a donné matière à penser.

Alors le prêtre prend à nouveau la parole, et le corps de la drow se tend, sa bouche s'ouvre, sans qu'un mot n'en sorte. Il a le loisir de voir une expression paniquée brièvement traverser le regard de la drow, évènement bien rare. Car elle n'avait pas pensé à l'évidence. Car la question a l'air dirigée vers un éventuel amant. La Phor'dur est-elle amoureuse? L'idée était si inconcevable que Shyn'tae n'y avait même pas pensé. Elle n'a aucune idée de ce qu'est l'amour.

Et c'était stupide. Elle se maudit, se tend un peu plus. Le mâle vient de lui tendre la statuette, et elle reflechit en regardant le petit objet, comme ce qu'il signifie pour elle.

Tesso a raison. Son visage s'éclaire, elle sourit malicieusement, les beaux rubis de la demoiselle dans les améthystes du prêtre. A quel point sait-il? Elle tend la main pour saisir délicatement la statuette, s'incline avec humilité puis se relève avec souplesse, ses douleurs bien lointaines à cet instant.

- Les mensonges valent mieux que certaines vérités, haut prêtre." lui répond-t-elle un peut trop sereinement. Etrangement, il l'a libérée d'un poids. Tout parait plus simple, alors qu'elle sait pertinemment que rien ne l'est.

- Merci. Nous nous reverrons." Son salut militaire est rigoureux, et dans un mouvement de tissu leger, elle disparait dans la nuit, la petite sculpture à la main.

Que va-t-elle bien pouvoir en faire?