Le masque qu'on ne voit pas | Ssol

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7e jour de la 1ere ennéade de Favrius ~ Automne
17e année du XIe Cycle
Camp Sud du siège eldéen
7h50

Un gros quart d'heure après s'être éloignée du centre du camp, Krish ressortait de sa tente, l'air plus posé mais le visage toujours crispé de douleur.

Lorsque Ssol'riss était arrivé sur les lieux, seul un garde de bas étage était planté à proximité, le dissuadant d'un regard de s'approcher de trop près à moins de vouloir être clairement annoncé. Des voix basses aux mots inaudibles s'échappaient par moment de la toile noire. Un éclat rire un peu poussif et rapidement coupé - surement par la douleur - sonna même dans l'air. Dans l'encadrement à la toile à moitié tirée, l'ombre de deux silhouettes enlacées s'allongeait sur le sol. Ils se séparèrent rapidement, mais restaient près l'un de l'autre, discutant avec vigueur échangeant des objets divers.

Rapidement, un Repentis portant targe au bras et sabre à la ceinture s'avança jusqu'à l'entrée. Il resta quelques secondes et repartit à grand pas. Deux bonnes minutes furent encore nécessaires pour que deux hautes silhouettes de noir et d'argent approchent à leur tour, brouillant définitivement les ombres indiscrètes.

Une poignée de seconde et la Triumvir apparaissait, ordonnant au garde d'aller chercher six gardes d'ébènes. Dès que la jeune femme eut décampé, Krish porta difficilement une main à ses lèvres, retenant visiblement un haut le cœur tout en se remettant en route, dents serrées et jambes raides.

« Vaisseau d’Uriz. » J’incline la tête assez bas avant de calquer mon pas sur le sien, ne martelant cette fois pas le sol de mon bâton alors que je veux le moment sans artifice. Toi, tu souris encore, après quelques boutades sur ce que j’ai pu voir et entendre, alors que tu as maintenant un accès direct à celui que tu veux, sans avoir à repousser l’autre. Il est des jours où je doute de ta déité, contrairement à Ssol’riss Ulnen, il est des jours où je pense que tu es simplement un parasite qui n’est là que pour se nourrir des faiblesses de ton hôte, mais il est également des jours où je pense que tu fais ce qu’il faut pour que ces faiblesses n’en soient plus. Quand c’est à celle-ci que tu t’attaques, je ne doute pas, et c’est le premier cas de figure qui l’emporte. Je ne sais même pas où elle est, en vérité, et je ne peux poser de tes yeux sur elle, ou tout le reste n’aurait servi à rien. Il ne me reste qu’un accès à Krish, et l’impossibilité de demander des nouvelles.

Mais quand la crise et une source de réconfort différente sont bien proches en arrière alors qu’une ordalie n’est pas loin vers l’avant, ce n’est pas le moment.

« Je vais passer mon tour et ne pas prendre de ticket pour le prochain duel, on connait tous deux déjà le résultat. » Je plaisante doucement, dans un murmure conçu pour ne pas être entendu par quelqu’un d’autre qu’elle, avec l’intention de détendre une atmosphère qui ne peut peut-être pas l’être. « Je ne viens pas te contester, ni te dire ce que tu devrais faire, ni faire gesticuler une autre statue… » Ssol’riss Ulnen n’a jamais eu ce genre de conversation avec qui que ce soit, et tu restes dubitatif, conscient que je joue aussi sur cet effet de surprise, mais pas convaincu par ce que je peux obtenir avec. « Je viens simplement… vérifier… que notre Reine… » Je mise là sur un vieux sourire joueur que j’ai toujours cru être une de mes armes pour gagner la confiance de la Triumvir pour ne pas perdre la tête à la mention de ce mot. « …va bien et que je peux m’occuper de cette affaire dans Sol’Dorn sans craindre que tout ne s’écroule ici. » Je marque une courte pause. « Je n’ai pas encore prévu d’y aller, on peut avoir besoin de Lui ici, j’imagine que tu te doutes qu’Il a déjà déplacé ses pions… » Je ne souris plus, tournant les lueurs mauves vers elle, explicitant ma pensée. « Mais si on nous confirme que c’est gros, quelque chose en rapport avec les dieux, quelque chose qui a eu un de ceux qui n’auraient pas dû être compromis, je suis prêt à y aller en personne. Si j’ai la bénédiction du Vaisseau du Père. »

Ces affaires concernent la suite, mais il n’y a pas que la suite qui m’amène ici, et j’enchaîne sans lui laisser le temps de parler sur une question qui sort de presque nulle part.

« Tu crois que le Silencieux a déjà trompé le Créateur avant de devenir l’un des onze ? »

- Tu gagnerais, sans aucun doute. " lâche-t-elle à la remarque du prêtre masquer, s'autorisant même un sourire amusé.

Elle ne l'avait salué que d'un mouvement de tête, incapable de desserrer les dents en étant sûre de ne pas se répandre en bile sur le sol. De prime abord, elle aurait donné beaucoup pour simplement le renvoyer mais sa légèreté et la façon dont il lui avait indiqué qu'il n'était pas là pour chercher querelle l'avait un peu radoucit. Personne n'avait interrompu les évènements du matin en la faveur de l'eldéenne mis à part cette prêtresse qui accompagnait toujours Kerath. Alors elle se doutait que ce calme et cette clarté inhabituels venant du Héraut des Mensonge n'était qu'un préambule à autre chose, mais depuis le début de la chasse au despote, elle avait l'impression de s'entendre un peu mieux avec lui. Il avait ce sourire joueur de ceux qui en savent long mais sont disposer à jouer une manche ou deux pour le plaisir. Un sourire qu'elle ne voyait que trop peu sur les mines bouffies de sérieux de l'Etat major. Et quitte à ce que quelqu'un lui fasse encore des remontrances, elle préférait que ce soit fait avec tact.

Le terme de Reine lui arrache même un rire de dérision.

- On s'en fiche de savoir si je vais bien. Mais je ne laisserait pas tout ce qui se passe ici me filer entre les doigts. "

Elle l'écouta jusqu'au bout, ses questions la ramenant à ce qui aurait du être au lieu de ce qui avait été. Un pan de l'histoire qu'elle avait reléguer au second plan pendant quelques minutes.

- Tant que nous n'avons pas eu de rapport concluent, mieux vaut ne pas y aller en personne. On ne sait même pas si les marques du messager étaient du à une maladie ou à un simple sort... Et avant de faire parti des Onze, le Silencieux n'a pas pu mentir au Père puisqu'il était un simple elfe, comme nous le sommes aujourd'hui. Et tant que j'y suis, prend ces confidences comme une offrande au Silencieux, je risque d'en avoir besoin dans les heures à venir : J'ai demander à Myr'Hennis de rentrer à Elda et il a accepté, alors qu'il risque de passer encore une fois pour un lâche par ma faute. Je pense que Sol'Dorn prépare un dernier coup pour partir avec panache. Je vais proposer à Viconia de se retirer d'elle même du poste de Triumvir pour qu'elle puisse garder la face. Si elle accepte, elle deviendra gouverneuse d'une province de notre empire. Sinon, Valsrik'Hrae trouvera peut-être une toute nouvelle utilité. D'ailleurs je ne compte pas le laisser filer pour l'instant. Il dit qu'il est fidèle aux dieux et bien nous allons voir s'il est capable de ravaler son égo pour ça. Il sera marqué, mais il aura encore une chance de s'en tirer à très bon compte. Perdre des mages intéressant, c'est toujours une mauvaise idée, mais les laisser à des rangs où ils peuvent faire chier le monde c'est encore pire. "

Elle l'écoute encore, s'efforçant de continuer dans la direction des soigneurs les plus à même de la remettre en état. Parler, en plus d'être une véritable offrande au Dieu, l'aidait à se focaliser sur autre chose que la douleur... Et se révélait curieusement facile.

- Et si je perds l'ordalie de ce midi, je n'ai absolument aucune idée de quoi dire à Kerath sur la raison du choix de notre Père. J'ai tenté de savoir pourquoi moi tellement de fois que je ne les compte plus. J'ai bien quelques idées mais ce ne sont que mes interprétations et la vérité c'est que celles qui me tiennent le plus à cœur feraient sûrement frémir d'horreur la majorité des nôtres.

Elle ratte un pas, buttant sur le sol de terre battu faute d'avoir assez lever le pied. Le léger choque se répercute le long de son dos et tend ses épaules. Elle se crispe intégralement et grimasse de douleur, mais ni gémissement, ni larme ne viennent obscurcir son jugement. Elle s'efforce de respirer correctement pour ne pas tourner de l’œil. Gérer la douleur et les séquelles d'une blessure, c'est quelque chose de graver en elle depuis sa plus tendre enfance.

- Je ferai en sorte d'être présente à la tente... de l'état major dans... deux heures. " gronda-t-elle, les dents serrées, en s'efforçant de reprendre la marche.

Il y a une époque dans laquelle ces confidences n’avaient pas été des offrandes à Toi. Il y a une époque dans laquelle elle me protégeait moi comme elle protégeait Myr’Hennis Vect. Il y a une époque dans laquelle ces discussions étaient beaucoup plus nombreuses. Et cette fois tu n’as pas à m’en parler. Mais le sourire est tout de même revenu, alors que comme à son habitude ce qui paraît n’est pas nécessairement vrai pour ce qui concerne la Triumvir qui va bientôt se retrouver seule. Ce qu’elle me dit concernant Valsrik’Hrae et Viconia est plein de sens, mais elle se rapproche bel et bien de la position que lui a prédite celui qui aurait pu être Prime Sorcier, et qui, s’il se comporte correctement, pourrait encore être vivant au-delà de la journée d’avance qu’on lui avait promis. J’espère juste dans une pensée fugace qu’il ne décide pas utiliser l’aide que je lui ai apportée pour fuir, ou les plans de Krish à son sujet n’auraient pas de quoi se manifester.

Mais je ne commente pas les dons qu’elle te fait, pour ne pas les corrompre.

Je ne les commente pas tous, en tout cas, alors que quand elle reprend la parole je l’écoute avec plus d’attention encore. Ce doute je peux le comprendre, car j’ai observé Ssol’riss Ulnen tout le temps qu’il lui a fallu pour se faire à l’idée que son dieu tutélaire était dans sa tête, et se demander pourquoi est – sinon la plus saine des choses à faire – parfaitement naturel. Elle manque tomber au sol mais je n’essaie pas de l’aider, devinant la fierté qui n’avait pas disparu après toutes ces années. On s’en fiche de savoir si elle va bien, après tout. Mais quand elle reprend la marche, je parle. « On peut rarement attendre de ceux qui font tourner le monde le respect des règles faites pour les insignifiants. » Il n’est aucun doute de qui fait tourner le monde et qui est insignifiant, dans un tel contexte, même si je ne me suis toujours pas positionné dans cette dichotomie. « Personne n’est régi par plus haute autorité que tu ne l’es, et que tu sois un défi à relever que nous présente le Père ou une guide à suivre, ta réponse n’y changera rien. » Mais je suis curieux, très curieux, et je ne peux que l’exprimer. « L’horreur de tes pensées ne l’a pas fait fuir Lui, en tout cas, et je doute qu’elles fassent fuir le Silencieux ou celui qui le sert si tu décides de les leur partager. »

Et comme la première fois, sans laisser le temps de répondre, une autre question fuse.

« Tu crois que le Père pourrait punir le Silencieux en découvrant un mensonge qui ne rapproche ni n’éloigne l’accomplissement de l’Eda Vengeur ? »

La perche qu'elle lui avait tendu pour s'en débarrasser ne semblait pas avoir effleurer le drôle de personnage près d'elle... Et elle n'était pas sûre de devoir en être agacée. Malgré la douleur, est-ce qu'il essayait de la... réconforter ?

Il se montre curieux, ça elle s'en serait douter. A force de gérer plus d'yeux et d'oreilles que quiconque ne pouvait en avoir, l'homme devait être accroc au savoir et aux rumeurs. Mais ses mots résonnaient avec douceur à son oreille. Un défi à relever... Une guide... De nouvelles idées venaient bousculer ses incertitudes. Il était franc. A la fois douloureux et apaisant. De nouvelles évidences laissaient entrer la lumière. Un défi à relever... Une guide... deux postures qu'elle pouvait endosser auprès du Peuple... Ou bien n'avait-elle qu'à être ce qu'elle était jadis ? Ce qu'elle s'était battu pour être ? Comme Myr'Hennis le lui avait rappelé ? Pourquoi s'encombrer d'une posture ? Quand avait-elle cessé de savoir ce qu'elle voulait faire et la voie qu'elle avait envie d'emprunter ?

Elda doit se souvenir...

Sa Foi est notre Force. Nous sommes son Éternité.

Les images qu'il lui avait donné. La Vérité qu'elle avait haït. Elle voulait créer ce futur, pour son fils. Pour son Peuple. Pour que ce monde qu'elle admirait tant soit chaque jour un peu plus beau. Mais si la fin n'était pas pour elle, quelle route lui convenait ?

Elle s'arrêta, se tournant vers le Haut-Prêtre pour le regarder face à face ce qu'elle ne prenait jamais le temps de faire.

- Et pour toi, qu'est-ce que l'accomplissement de Eda Vengeur ?

Le vent a tourné, et je ne suis pas sûr de pouvoir obtenir une réponse à n'importe laquelle de mes questions, désormais. C'est une question à laquelle Vaerian ne réfléchit pas, en réalité, alors qu'il s'est retrouvé bien longtemps privé de corps et de forme. Chacun à l'intérieur de nous a une réponse, et tu ris de cette situation à laquelle je ne me suis pas attendu. Peut-être que tu ris aussi parce que par moments je suis bien proche d'une hérésie que je ne peux avouer, pas sous cette forme. Et puis il y a ce regard, un regard plus direct que tous les précédents, un regard qui ne peut que me distraire. Je souris, d'abord. « J'ai bien des réponses à cette question, je n'aimerais pas dans la précipitation t'en donner une trop décevante. » Je prends un air faussement attristé. Puis une décision est prise à cet instant là, et la réponse que je dois lui fournir est presque évidente. « Pourquoi ne pas transformer tout ça en un jeu ? Il est déjà décidé que ta défaite apportera une réponse à ma curiosité, laisse moi te promettre une réponse si tu triomphes. »

Je marque une pause puis souris à nouveau. « Ne doute pas un instant que si tes effrayantes théories m'intriguent tu auras d'autres chances pour me soutirer cette réponse. Disons dans une de nos deux tentes, avant la tombée de la nuit ? » Tu ris à ce piège que je tends, un piège sans danger, et presque sans subtilité. Je me demande à cet instant si je m'en serais rendu compte, avec des rôles inversés.

Doucement, s'annoncant de loin, restant bien en évidence, une main se lève, un index se pose sur le front de la reine, dans un geste qui ne rappelle aucune tradition ou rituel. « Maintenant va, tu as des blessures à soigner et une ordalie à gagner. » Je reste là, immobile, attendant là, prêt à la laisser repartir et à ne pas la suivre.

Juste avant que ça ne se passe, je pense à une requête, et je l'exprime dans un murmure. « Le prisonnier, le Menteur peut-il lui rendre visite quelque part dans la matinée ? »

Elle fronce les sourcils. Elle n'a pas l'habitude que quelqu'un essaie de dicter son propre tempo face à elle. Habituellement, elle sourirait et d'une pirouette réaffirmerait sa position, mais elle a mal et son esprit n'a pas envie de jouer, pas plus qu'il n'a envie de se rajouter des questions. Elle a posé la sienne. Puisse-t-il y réfléchir comme elle réfléchissait. Elle reviendrait y jeter du sel plus tard si elle en avait envie. Pour le moment, il avait raison, elle avait autre chose à penser.

La main griffue de l'eldéenne empêcha le doigt de se poser sur son front, s'emparant à la volée de la main de l'homme masqué. Vu comme les choses s'annonçaient aujourd'hui, mieux valait qu'elle ne frappe pas le dernier Haut-Prêtre qui ne semblait pas l'agresser de face et en publique.

- Soit. Ce n'est pas comme si j'avais un siège et quatre opposants à gérer aujourd'hui." souffla-t-elle avec un sourire grinçant. Elle n'est pas à un rendez-vous près aujourd'hui. Son carnet de bal était très loin d'être plein, elle avait encore le temps de manger quelque chose entre 11h00 et 11h05.

La dernière question par contre... justifiait tout le reste de ce court échange. Il n'y avait sans doute pas à chercher plus loin que cette demande en fin de compte, même si elle y avait gagné quelques pistes.

Son sourire amusé revint.

- Le Menteur le peut, mais il doit se douter que les murs ont des oreilles. " féline, oubliant un instant ses épaules qui se rappelèrent à elle en une fraction de seconde, elle recula de deux pas avant de se retourner, ravalant un grondement de douleur. Il fallait vraiment qu'elle fasse examiner son dos. Ce mage était plus tenace qu'elle ne l'aurait pensé !