Je croyais avoir été claire... | Nehril & Sirène

Les quatre comparses s’étaient retrouvés dans la maison de Sirène. Celle qui n’appartenait qu’à son identité secrète et qui n’avait aucun lien apparent avec ce qu’elle était en réalité. Celle dans laquel elle avait aménagé une salle d’entraînement, un bureau, une salle de réunion ainsi que quelques chambres à l’étage. Réunis autour d’une table prévue pour accueillir jusqu’à dix personnes, le groupe aborda le sujet de leur future mission. Il fallut tout d’abord faire les présentations entre “la Grise” et Nehril avant que la chasseuse de mage n’expose la stratégie à laquelle elle songeait.
Le fait que la demie-drow pratique l’Art du mysticisme était un avantage considérable à ses yeux. Elle pouvait faire en sorte de la garder à l’abri des perceptions de la spiritualiste ainsi que du nécromancien tandis qu’elle approcherait par une autre voie que la leur. Une fois à portée, Mleshka n’aurait plus qu’à utiliser sa magie afin de perturber suffisamment l’une de leur cible, libérant suffisamment la concentration de Sirène pour lui permette d’empêcher leurs deux mages ennemis d’accéder aux flux eux-mêmes. Etant donné que les trois fugitifs s’étaient réfugiés dans un cimetière, leur priorité était bien évidemment le nécromancien.

Ils débattirent de cette stratégie un long moment, posant des questions, soulevant quelques éventuelles difficultés, avant de décider de mettre fin à leur réunion. Cependant, alors que ses trois invités s’en allaient, Sirène retint l’un d’entre eux.

-Nehril ? Je peux te voir un instant, s’il te plaît ?

Dès que Drystan et la Grise eurent quittés le bâtiment, entendant la porte se fermer mais sentant aussi leur empreinte s’éloigner, elle retira son masque et le posa sur la table. Elle approcha lentement de lui, les pans de sa robe de ville se mouvant avec grâce en même temps que ses jambes. Elle s’arrêta devant lui, plongeant son regard dans le sien. Elle n’avait pas oublié qu’il y avait une chose qu’elle devait éclaircir avant de songer à repartir en mission avec lui.

-M’aurais-tu menti ? Elle laissa flotter un moment de battement avant de poursuivre. Le jour de notre rencontre, tu semblais satisfait à l’idée que je ne veuille pas tuer nos cibles. Tu m’as dit être fatigué par la vie que tu mènes. Pourtant, l’autre jour, tu t’es presque emporté en disant que notre victoire n’en était pas totalement une parce qu’Ihisca, Habraen et Légende sont repartis vivants.

Elle pourtant si douce et bienveillante, elle ne cachait pas le fait que ses paroles l’avaient plus que contrariée. Elle avait été très claire sur ce point, même auprès de leur nouvelle recrue, et elle avait l’impression que le mercenaire l’avait trahie par les propos qu’il avait tenu ce jour-là. Il était bien placé pour savoir pourquoi elle ne voulait tuer personne. Pourquoi elle ne voulait pas offrir à Tyra les Souffles qu’elle avait pour mission de préserver.

Sirène ne voulait pas refaire le débat concernant la décision qu'elle avait prise de ne pas poursuivre leurs cibles ce soir-là. Elle s'était déjà expliquée à plus d'une occasion : s'ils avaient pris le temps de creuser un tunnel, qui savait quels pièges pouvaient les attendre à l'intérieur. Ils n'auraient pas survécu à l'effondrement d'une galerie sur eux et elle ne voulait pas risquer leurs vies bêtement alors qu'un peu de patience leur permettrait de retrouver les fuyards. Certes, ils avaient perdu quelques avantages mais la partie était loin d'être jouée. Elle regrettait que Nehril ait un point de vue aussi négatif mais elle ne pourrait manifestement pas le convaincre de voir le verre à moitié plein. Elle laissa donc passer l'expression de son point de vue sur cette soirée et s'attacha plutôt à ce qui affecterait bientôt leurs futurs.

Le mercenaire eut des paroles plutôt ambivalentes, reconnaissant aimer avoir des vies entre ses mains mais s'attachant à ne pas succomber à ses pulsions meurtrières afin de respecter non seulement son contrat mais aussi ses bonnes résolutions. Pour la convaincre de ses intentions, elle n'avait que sa parole et, pour une fois, cela ne suffirait à lui faire baisser sa garde. Et elle avait de bonnes raisons...

-Je ne demande qu'à avoir confiance en toi, Nehril, seulement je suis bien obligée de douter après ce que j'ai pu entendre. Dans ce groupe, toi seul sait pourquoi j'impose cette règle et j'attends que tu la respectes. Si tu tues l'une de nos cibles alors que ce n'était pas nécessaire, je te ne le pardonnerai jamais et notre collaboration sera terminée.

Elle ne pouvait être plus claire. Cependant, cette sévérité ne ressemblait pas à ce qu'elle avait pu montrer d'elle, que ce soit en tant que Sirène ou en tant que Lessie. C'était quelqu'un d'extrêmement doux et tolérant. Néanmoins, ce point lui tenait particulièrement à cœur, et pour cause...

-L'un de mes partenaires m'a déjà trahi par le passé, je ne tiens pas à ce que cela se reproduise demain. Ajouta-t-elle, non sans cacher que ce souvenir lui était douloureux.

Sirène ne sembla qu’à moitié satisfaite par la réponse du mercenaire. Il se “conformerait au contrat”... A première vue, leurs cibles n’avaient donc rien à craindre mais il était regrettable qu’il ne parle que de contrat et pas de conviction personnelle, même s’il continuait de lui assurer qu’il était toujours décidé à changer. Elle n’en montra rien mais elle attendait encore qu’il lui fasse la preuve qu’il croyait en ses propres paroles et qu’il changerait vraiment… Les émotions faisaient parler les coeurs plus souvent qu’à leur tour…

Nehril changea finalement de sujet, s’intéressant à l’homme qui avait tué un mage alors que c’était inutile. Lessie regarda le mercenaire s’asseoir avant de demander à en savoir plus sur cette histoire. Elle le toisa sans rien dire. Elle n’avait pas vraiment envie d’en parler mais elle lui avait confié bien pire. Et peut-être que cela lui permettrait d’évaluer davantage la sincérité de Nehril afin de mieux anticiper un éventuel débordement de sa part. Alors, restant debout, elle entreprit de lui raconter cette triste mésaventure, certes brièvement, mais en commençant par le début afin qu’il puisse juger de l’ampleur de la trahison de ce chasseur de prime.

-Trajan et moi avions été engagé pour retrouver un mage très dangereux. Nous ne nous connaissions pas auparavant mais notre mission a été très longue, nous avons donc passé beaucoup de temps ensemble. Nous nous entendions assez bien donc notre tâche n’avait rien de désagréable. Nous avons fini par débusquer notre cible et la maîtriser, nous n’avions plus qu’à la ramener à notre employeur. C’était un mage talentueux, même sans focaliseur, et cela allait me demander beaucoup d’énergie pour l’empêcher d’agir durant les quelques jours de trajet qui nous attendaient mais j’étais bien évidemment prête à le faire. L’annonce disait “mort ou vif”... Mon partenaire a choisi la facilité en le tuant de sang froid. Il a utilisé son âge pour justifier son geste.

Sirène marqua une pause. Elle était toujours en colère contre son partenaire de l’époque que rien n’aurait pu pardonner à ses yeux. Elle lui avait fait confiance et l’avait considéré comme un ami, chose normale après presque deux mois passés en étroite collaboration. Mais, lorsqu’il avait poignardé ce mage, c’était comme si c’était elle qui avait reçu la lame en pleine poitrine. Elle avait de la peine pour cet homme qui n’avait pas demandé à mourir, et encore moins de cette manière.
Après quelques instants, elle reprit.

-Il y a… un rituel que j’accomplis pour certaines de mes cibles, celles qui ont réellement commis des actes impardonnables. Il permets de marquer le Souffle de quelqu’un pour que, le jour où il tentera de passer les portes du Senarda, Tyra se penche sur lui et décide s’il a le droit d’entrer. Ce rituel n’a pas fonctionné sur lui et j’ai compris que son Souffle était déjà condamné à un sort terrible.

Lessie savait à présent que Trajan avait dû commettre des actes horribles pour recevoir un tel sort mais elle n’éprouvait manifestement aucune compassion pour lui. Si Tyra avait choisi de le punir, c’était qu’il le méritait. Elle-même n’avait pas à choisir qui devait être sanctionné ou non. Voilà pourquoi elle se contentait de marquer les Souffles pour la laisser juger de la mesure à prendre.

-Puisque je n’ai pas pu l’atteindre dans l’autre vie, je l’ai atteint dans celle-ci. Je me suis arrangée pour que nous ne soyons pas payés pour cette mission. Il était furieux mais c’était bien le cadet de mes soucis. Depuis, je refuse de travailler de nouveau avec lui et, puisque mon efficacité avec les mages n’est plus à prouver, j’ai souvent la primeur sur lui.

Nehril l'écouta avec une attention qui procura une certaine satisfaction à Lessie. Il découvrait sans doute une nouvelle facette de sa personnalité. C'était une personne bienveillante et d'une grande générosité mais son rôle de protection des Souffles de Tyra allait sans doute bien au-delà de que qu'il aurait pu imaginer. Tant qu'il respecterait la seule règle qu'elle avait imposé, il n'aurait aucun problème avec elle. Elle ne lui demandait pas de risquer sa vie inutilement, bien évidemment. Si la mort était la seule solution ou un accident, elle ne saurait lui en vouloir. Mais il y avait une différence entre la nécessité et l'acte gratuit... Elle tenait à le lui faire comprendre avant de se retrouver dans ce cimetière avec lui le lendemain.
Le mercenaire lui promit qu'elle n'aurait pas à regretter de l'avoir parmi eux et, après un seconde, elle hocha la tête. Elle devait remettre les points sur les i de manière efficace et c'était probablement réussi. Son expression se radoucit enfin tandis qu'elle prenait une longue inspiration. Puis Nehril reprit ses distances et choisit de changer de sujet. Sans doute ne voulait-il pas qu'ils se quittent sur cette note aussi froide. Elle fut amusée par l'analogie entre la chasse et le divertissement. Il était vrai qu'elle ne s'ennuyait jamais lorsqu'elle œuvrait pour remplir un contrat... Mais cette activité avait aussi une part de danger et elle ne saurait plaisanter avec la mort. Pas elle. Il le savait sans doute et le fait de le voir lancer ainsi un trait d'humour était aussi surprenant qu'agréable. C'était la première fois qu'il se détendait un tant soit peu en sa présence...

-Tu as probablement assisté à quelques soirées mondaines en travaillant pour Maralina. Ce n'est pas si distrayant en y regardant bien. Chacun y fait démonstration de sa richesse et de son pouvoir. J'y suis habituée et cela ne me choque pas mais ce n'est pas pour autant que j'apprécie. Je préfère des moments simples et plein de sincérité. Elle marqua une courte de pause avant de continuer en plissant les yeux. Un peu comme ma journée d'hier...

Un sourire amusé et espiègle ne quittait plus ses lèvres. Bien évidemment, la curiosité de Nehril fut piquée au vif mais elle n'avait pas pu s'empêcher d'évoquer cela avec lui... Ils avaient partagé le pire de leurs histoires respectives, acceptant par conséquent de se faire les confidents de l'un et de l'autre. Elle pouvait bien évoquer avec lui ce moment de joie inattendu et inespéré.

-Je me suis beaucoup isolée ces deux derniers siècles. Et n'entends pas par là que je vivais en autarcie. J'ai seulement tenté de me protéger car j'ai beaucoup souffert de la perte de mes proches et, parmi eux, de quelques amants. Je m'en suis parfaitement sortie durant toute ces années mais... il se pourrait qu'Arcam m'ait joué un tour à sa façon.

Un sourire amusé et tendre se peignit sur les lèvres de la sang-mêlée tandis qu'un visage se dessinait devant ses yeux. Elle savait ce qu'elle ressentait et, contrairement à ce qu'elle craignait quelques décennies plus tôt, cela la rendait heureuse. Certes, ce serait une relation compliquée si elle aboutissait mais elle s'en moquait pour l'instant et se contentait de la vivre pleinement et de profiter de ces petits instants de bonheur qu'on lui offrait. Tous deux s'étaient mis d'accord là-dessus.

-Tu as peut-être entendu parler des anedhels qui se trouvent en ville ? Du spectacle qu'ils ont donné il y a quelques jours et... de la femme qui s'est retrouvée sur scène avec leur danseur ?

-Pas avec “eux”. Avec l’un d’eux. Précisa-t-elle en faisant de ce détail un point important. Car oui, il avait toute son importance.

Nehril était surpris. Autant d’apprendre qu’elle était montée sur scène avec les elfes que de savoir qu’elle dansait. Cependant, le sujet sembla plus que l’intriguer. Il l’intéressait. Elle prit alors un siège à son tour. Cela faisait tellement longtemps qu’elle n’avait pas évoqué ce genre de choses… Mais le mercenaire ne semblait pas encore comprendre la portée de ses paroles ni leur rapport avec sa journée de la veille (car, rappelons-le, le spectacle s’était déroulé quatre jours auparavant). Une fois confortablement installée dans le second fauteuil, elle entreprit de répondre à ses questions.

-En réalité, je danse assez peu et ma participation n’avait rien de prémédité. J’étais là pour assister au spectacle. Un petit groupe a commencé à faire du grabuge. J’avais fait en sorte que ma fonction soit parfaitement reconnaissable donc je me suis levée pour m’interposer quand ils ont commencé à envoyer des projectiles sur scène. Les deux anedhels qui dansaient se sont mêlés au public et l’un d’eux m’a invitée à danser avec lui. Il m’a attirée sur scène pour me mettre à l’abri et je l’ai suivie. Je ne sais même pas pourquoi j’ai accepté... Mais je n’avais encore jamais dansé de cette manière…

Le regard de Lessie se perdit dans le vague alors qu’elle repensait à sa prestation avec Aîthruin. Elle s’était véritablement laissée aller, ce qui était difficile à imaginer lorsqu’on la regardait. S’il s’agissait de quelqu’un de sincère, elle était aussi parfaitement mesurée, sans être distante ou hautaine pour autant. Elle semblait réfléchir à chacun de ses paroles et chacun de ses gestes avant de faire quoi que ce soit. Alors la penser en train de s’adonner à une activité artistique aussi expressive et en parfaite improvisation…
Après quelques secondes, la prêtresse sortit de ses songes et poursuivit.

-J’ai recroisé mon partenaire de danse hier et… il se trouve que l’expérience a été aussi particulière pour lui que pour moi. Elle sourit discrètement, d’un sourire heureux plutôt reconnaissable. Le coeur s’était mêlé à l’affaire et peu lui importait que ce soit une bonne idée de se lier à un andhel ou non. Elle avait fait le choix de laisser Arcam jouer avec elle en étant parfaitement consciente des conséquences. Elle soupira de bien-être avant de conclure. Je n’avais pas vécu cela depuis très longtemps… Cela me fait du bien. Réalisa-t-elle, presque surprise elle-même.

Lessie afficha un sourire qui exprimait son accord avec les paroles du mercenaire. Afin de ne plus risquer de s’attacher à un être éphémère et de prendre le risque de souffrir inutilement, elle s’était plongée dans ses deux missions, ne voyant chez les autres que comme les Souffles qu’elle devait préserver. Cela l’avait empêché de retombée amoureuse durant deux siècles. Et là, sans prévenir, l’amour l’avait saisie sans lui donner la possibilité de s'en prémunir. Et, puisque c’était un éternel, ses défenses n’avaient pas pu se remettre en place. Alors, elle n’avait pas cherché à lutter… Ce devait être la volonté d’Arcam.

-Tu as manqué un très beau spectacle. Et je ne parle pas de ma prestation. Le peu auquel j’ai pu assister était… époustouflant.

La prêtresse laissa dire Nehril au sujet des sentiments qu’elle pouvait avoir à l'attention de l’anedhel. Elle n’avait pas l’intention de nier devant lui. Devant personne d’ailleurs. Son coeur battait plus fort à chaque fois qu’elle pensait à lui, elle ne pouvait le contrôler et tenter de le cacher serait une façon bien inutile de tenter de fermer les yeux face à l’évidence. Si la question du mercenaire aurait pu l’attrister, il n’en fut rien. Elle était consciente depuis le début qu’Aithruïn rentrerait chez lui plus tôt que tard. Alors elle lui répondit très calmement et sans se départir de son air bienheureux et satisfait.

-Je n’en sais rien encore. Nous avons choisi de nous prêter au jeu qu’Arcam à initier pour nous. Nous nous laissons porter pour la durée de son séjour en Ithri’Vaan. Nous verrons par la suite ce que nous déciderons de faire.

L’issue de tout ceci pourrait bien être douloureux pour l’un comme pour l’autre. Elle savait pertinemment qu’il ne quitterait jamais l’Anaëh et elle n’imaginait pas avoir sa place parmi les anedhels. Cela se transformerait peut-être en relation à distance avec quelques visites régulières. Mais cela pourrait-il durer sur le long terme ? Elle l’ignorait et ne voulait pas y penser pour l’instant. Elle avait choisi de vivre pleinement cette relation le temps qu’elle durerait et penser à son terme serait aller contre cette décision.

La suggestion de Nehril la laissa songeuse. Si elle ne connaissait l'Anaëh qu'à travers ce qu'elle en avait lu ou entendu, il ne lui semblait pas que les étrangers y étaient les bienvenus. Elle avait en mémoire la tentative de Maralina quelques années plus tôt qui s'était soldé par un cuisant échec. Elle connaissait cependant le personnage et l'imaginait sans mal parvenir à braquer ses hôtes avant même d'avoir pu mettre un pied par delà les frondaisons. Elle n'était pas habituée à ce qu'on lui dise non après tout... Cependant, Lessie savait que le mercenaire avait vécu parmi les anedhels. Aussi, s'il lui soumettait l'idée, c'était certainement qu'elle était réalisable. Elle avait toujours rêvé de visiter cette contrée et de rencontrer ce peuple qui vivait en autarcie et qui semblait si paisible. Persuadée qu'on lui en refuserait l'accès, elle n'avait jamais osé s'y rendre... Les choses seraient peut-être différentes maintenant qu'elle côtoyait l'un des leurs.
Il faudrait qu'elle en parle avec Aithruïn. L'idée lui plairait sans doute.

Gardant ses pensées pour elle-même, elle reporta son attention sur Nehril qui l'invitait à se joindre à eux lorsqu'ils fêteraient leur victoire une fois que tout serait fini. Elle étira un sourire amusé et se cala un peu plus dans son siège, allongeant les bras sur les accoudoirs.

-De l'optimisme ? C'est aussi surprenant qu'agréable venant de toi. Plaisanta-t-elle, le regard pourtant satisfait de le voir prêt à apprécier un moment de convivialité. Elle maintint son sourire avant de baisser le regard vers le plancher. Si vous vainquons demain, je ne pourrais pas le célébrer... Légende va lever des morts et si cela peut être un choc pour n'importe qui, c'est une expérience particulièrement déplaisante pour une prêtresse de Tyra. D'autant que je peux ressentir le contact de cette magie, la seule que je refuse de manipuler. Je n'aurais pas le cœur à faire la fête. Et, quoi qu'il arrive, mon culte et moi aurons à faire le lendemain. Alors... Célébrez notre victoire pour moi. Elle lui adressa un sourire sans joie. L'une des tournées sera pour moi.

Ce n'était pas la première fois que Lessie affrontait un nécromancien manipulateur de cadavres et elle savait déjà comment cela se terminerait pour elle. Le cimetière demeurerait un champ de bataille que seul des prêtres pouvaient remettre en ordre comme il se devait. Sans compter le nombre de rites qu'il faudrait réaliser entre le second enterrement des défunts et la protection contre ce genre de magie... Soit deux par corps... Suivant les dégâts que Légende ferait, elle pourrait y passer beaucoup de temps et n'aurait certainement pas envie de faire la fête à l'issue de tout ceci.

Lessie écouta Nehril sans l’interrompre. Elle le trouvait déjà changé comparé à leur première conversation. Un peu moins sombre, un peu moins résigné quant à son sort et à son avenir. Elle ignorait encore beaucoup de choses de lui mais elle discernait déjà une pointe de lumière dans la pénombre. C’était faible mais cela suffisait à la satisfaire.
Cependant, il y avait certains points sur lesquels elle n’était pas d’accord avec lui.

-Pourquoi devrions-nous nous dire adieu ? Si cela se passe bien, je serais amenée à vous reproposer du travail. Mais cela n’enlève rien au fait de célébrer la réussite d’un contrat, ce que je ferais certainement en d’autres circonstances. Quant à toi, l’aide que je t’ai offerte ne consistait pas en une simple conversation. Lorsque tu sauras vers quoi tu veux te diriger, si tu as besoin d’un contact, tu sais où me trouver. Sans compter que je serais toujours disposée à te prêter une oreille attentive, pour les mauvaises comme les bonnes nouvelles. C’est ce que font les amis, non ?

Elle l’observait d’un regard assuré et souriant. En lui parlant de ses propres tourments -quoi que plus anciens-, elle avait fait de lui bien plus qu’un Souffle auquel elle tendait la main. C’était une amitié certes improbable car ils venaient de deux mondes très différents et n’avaient a priori rien de commun. Rien, hormis le fait d’avoir un jour pensé que leur place n’était plus sur cette terre et d’avoir plus ou moins souhaité que la mort les prenne. Mais ce lien était bien réel pour elle et elle y tenait d’une certaine façon. Elle n’avait pas envie de perdre Nehril de vue et c’était sa manière de le lui faire savoir.

Lorsqu’il sortit, elle lui répondit un simple “à demain” et se retrouva seule dans cette grande pièce et, bientôt, sans cette maison. Elle resta là un moment à réfléchir à tous les sujets qu’ils avaient abordé, et particulièrement à Aithruïn, à Anaëh et au combat du lendemain. Puis, avant que la nuit n’assombrisse le ciel, elle se leva enfin et quitta les lieux pour rejoindre son véritable domicile.