[La prime justice] Etape 1 : Signer un contrat | Sirène, Drystan & Nehril

Douzième jour de Karfias
An 17:XI

Stephen devenait trop vieux pour ces conneries. Tous ces secrets, tous ces mystères. Il ne continuait que pour elle. Par amitié. Il avait chassé tant de fois avec elle qu'il n'avait plus besoin de lui parler pour savoir ce qu'elle pensait. Mais comment elle avait réussi à obtenir les clef de cette grande baraque du quartier bourgeois ? Ça le dépassait un peu. Il fallait dire qu'elle avait toujours été pleine de surprises.

Entendant des pas approcher, le vieux chevalier sortit de ses pensées. Il décroisa les bras et releva son dos du mur contre lequel il s'était appuyé. La veille, il avait passé sa soirée dans une taverne à attendre et à s'entretenir avec différents candidats. Ils avaient été nombreux d'ailleurs... Il fallait dire que l'annonce était alléchante. Un contrat qui s'étalait sur au moins plusieurs ennéades avec une grosse prime à la clef : plus d'un avait été alléché. Stephen en avait refusé beaucoup pour de multiples raisons. Trop inexpérimenté, trop vieux, trop instable, trop indiscipliné... Finalement, seuls quatre avaient vraiment retenus son attention si bien qu'il leur avait donné rendez-vous à l'arrière de cette maison une fois la nuit tombée.
Il n'eut pas à attendre longtemps pour que ses présélectionnés soient tous là. En même temps, il avait prévenu qu'il n'aurait pas la patience de poireauté pendant une heure. Il ouvrit donc la porte et leur fit signe d'entrer à sa suite. Il referma à clef derrière eux pour que personne ne les suive puis il ouvrit la voix à travers le bâtiment. Pour ne pas attirer l'attention, il n'avait pas de bougie et se contentait des rayons de lune qui passait à travers les multiples fenêtres. Si tout le monde parvint à le suivre, l'un d'eux se cogna plus d'une fois à un pied de chaise ou un lustre.

Finalement, Stephen ouvrit une porte et entra le premier.

-Les voilà.

Une femme se tenait là, au fond de la pièce qui était plutôt modeste étant donné la taille de la maison. De grandes bibliothèques remplies de libre recouvrait tous les murs et deux grandes tables trônait entre la porte et l'inconnue. Cette dernière était habillée d'une cape de couleur sombre tirant sur le bleu. Elle tenait dans une main un grand livre ouvert devant elle dont elle parcourrait les lignes.
Le chevalier fit entrer les candidats sans que la femme ne bouge d'un cil. Les trois premiers passèrent sans encombre mais le dernier se prit le montant de la porte dans l'épaule, pestant après sa maladresse. Cela provoqua enfin une réaction chez l'inconnue qui tourna sensiblement la tête vers les nouveaux venus.

-Celui-là peut repartir.
-Je suis assez d'accord... Enchérit Stephen qui regrettait de plus en plus d'avoir choisi ce jeune homme.
-Mais j...
-Sans vous, je n'aurais pas su que vous arriviez avant que Stephen n'ouvre la porte. Vous n'êtes pas retenu. Attendez dans le couloir que nous ayons fini.

Le novice voulut protester une nouvelle fois mais l'ex-chasseur de prime ne lui en laissa pas le temps. Il l'attrapa par le col et le mit dehors, refermant la porte de la bibliothèque. Tournant toujours le dos à ses interlocuteur, la femme leva un bras, cherchant visiblement un autre ouvrage parmi les étalages.

-Bien. Présentez-vous et donnez-moi vos références, je vous prie.

Tandis que le mercenaire entamait son curriculum vitae, Sirène continuait d’effleurer les ouvrages du bout des doigts, cherchant toujours un livre en particulier. Mais, à l’énonciation du nom de Maralina, elle s’arrêta et éloigna sa main dans un geste gracieux. Elle resta ainsi, comme si le temps s’était arrêté, tandis qu’il poursuivait. Tout ce qu’il avait accompli était assez impressionnant. Pourtant, quelque chose la chiffonnait dans son récit. Lorsqu’il eut terminé, la femme encapuchonnée se retourna pour voir son interlocuteur. Elle n’eut aucun mal à l’identifier. Sa voix trahissait son âge et il n’y en avait qu’un, en dehors de Stephen, qui corresponde. Une lumière passa dans ses yeux, tel le reflet d’un miroir. Elle se concentra sur lui et se mit à l’observer d’un regard nouveau, comme si elle voyait à travers lui. Pourtant, aucune intrusion dans son esprit ou son corps. Ce n’était pas ce qu’elle cherchait.

Finalement, elle posa délicatement le livre sur une des deux tables et s’approcha lentement de lui dans le doux bruit de froissement de tissu. Elle était vêtue d’une robe d’excellente facture, à la fois résistante et élégante. Le haut de son visage était dissimulé sous un masque assorti et brodé d’or. Lorsqu’elle fut près de lui, elle rejeta sa capuche en arrière, ayant la même politesse que le demi-elfe. Ses longs cheveux noirs étaient laissés libres et abritaient ses oreilles. En avait-on seulement besoin pour distinguer la grâce des elfes dans ses traits visibles et sa silhouette. Elle faisait presque la même taille que le mercenaire devant lequel elle se tenait.

-C’est impressionnant, je l’admets. Mais je ne sens aucun orgueil ni aucune satisfaction en vous à l’énoncé de tous les actes que vous avez accomplis. Vous devriez en être fier pourtant.

Sa voix était douce et elle posait sur Nehril un regard intrigué et bienveillant à la fois. De son côté, Stephen avait croisé les bras et observait la scène avec un sourire en coin, yanat parfaitement conscience de ce que Sirène était en train de faire. Il savait déjà que le mercenaire était engagé, même si ça allait coûter un bras.

Mais bon, ce n’était pas lui qui payait… Il rendait juste service.

Sirène dardait sur Nehril un regard particulièrement intéressé. Quant à savoir ce qui éveillait ainsi son intérêt, c’était difficile à dire d’un point de vue extérieur. Pour les mercenaires, il devait s’agir des compétences du demi-elfe. Pour Stephen, il était évident que c’était un tout autre sujet. Sujet qui n’avait pas sa place dans cet entretien.
Dans tous les cas, son discours sur la façon de voir sa vie passée sembla la satisfaire. Cette philosophie lui parlait, c’était évident.

-Nous devrions très bien nous entendre. Déclara-t-elle un doux sourire aux lèvres et le regard rieur.

Elle pencha la tête légèrement sur le côté tandis que Nehril revenait sur ses compétences martiales, ajoutant qu’il était également mage. Le sourire de la jeune femme s’étira un peu plus, amusée.

-Cela, à vrai dire, je le savais.

Sans rien ajouter de plus, elle tourna son regard vers Stephen. Ils n’avaient rien à se dire pour se comprendre. Ils avaient recruté tant de partenaires ensemble qu’ils savaient lire dans le regard de l’autre. Et puis, la décision était facile dans le cas du demi-elfe. Ses faits d’arme parlaient pour lui et elle connaissait suffisamment la réputation de Maralina pour savoir qu’elle n’aurait pas employé le premier guerrier venu.
Elle revint sur le mercenaire.

-Restez donc avec nous. Nous parlerons du contrat dans un moment.

Elle se détourna définitivement de lui et porta son attention sur l’homme qui se tenait à sa droite. Maintenant que Nehril avait ouvert le bal, les choses étaient plus faciles pour les suivants.

-Chassak. J’étais soldat dans l’armée de Naelis. J’ai fait la campagne d’Ydril. Je suis à Thaar depuis deux mois. J’ai rempli quelques contrats d’escorte de marchandises.

Le mercenaire s’arrêtant là dans sa description, Sirène cligna des yeux et tourna légèrement les épaules vers lui.

-C’est tout ?
-Hm… Oui. Enfin, j’ai cru comprendre que c’était pas une mission pour fillette et je manque pas de courage.
-Certes, mais ce n’est pas d’un soldat dont j’ai besoin. Vous êtes habitués aux grandes formations, je me trompe ?
-Non, c’est vrai… Mais je sais m’adapter.

La jeune femme quitta enfin le vis-à-vis de Nehril pour s’approcher du soldat. Elle l’étudia avec attention, avec une intérêt bien différent de celui qu’elle avait porté à au précédent candidat. Elle était bien sceptique quant à sa présentation et son curriculum vitae.

-Et pourquoi avez-vous quitté l’armée, dites-moi ?
-Bah, j’avais plus envie de servir les yeux fermés.

Les yeux de Sirène ne quittaient pas ceux du mercenaire qui commença à se trouver peu à peu gêné par ce regard droit qui ne quittait plus le sien. Il ne lui disait pas tout et elle le savait. Finalement, ses épaules s’affaissèrent.

-Abandon de poste. J’étais de garde, je m’faisais chier. J’ai fait venir une minette pour m’occuper et on n’a fait nos affaires dans une rue voisine. J’étais pas là quand mon supérieur est passé et c’était pas mon premier écart de conduite.

Cette fois, la sang mêlée fut satisfaite de la réponse qu’elle estimait sincère.

-Merci. Lui dit-elle avec un sourire sincère aux lèvres.

A peine avait-elle formulé cette phrase que son bras se leva en direction de la porte. Chassak suivit la direction indiquée du regard puis revint aussitôt vers Sirène en comprenant qu’il était congédier.

-Mais…

Il n’eut pas le temps d’en dire davantage. Stephen était déjà là qui insistait par son silence et son regard plein de sens qu’il n’avait pas intérêt d’insister de quelques manières que ce soit. Il était certes vieux mais il en avait vu passer des plus coriaces que lui et saurait s’occuper de son cas même sans arme. Le mercenaire pesta et sortit en claquant la porte derrière lui.
Sirène se tourna enfin vers le dernier candidat qui avait été retenu par son ancien collègue. Elle lui adressa un sourire à la fois doux et chaleureux.

-J’ose croire que vous valez plus la peine que celui-ci. Dit-elle en visant sans le montrer l’homme qu’elle venait de faire sortir.

Y a que les idiots qui changent pas d’avis, à ce qu’on raconte…

Quelques années plus tôt, il ne lui serait certainement pas venu à l’esprit de se présenter pour ce genre de boulot. Trop noble et droit dans ses bottes, Arthur, et trop craintif à l’idée qu’on tente de se servir de lui pour exploiter ou atteindre son dragon. Autant de considérations que n’a pas le nouveau venu sur la grande scène de Thaar qui sait pertinemment qu’il y en aura pour le croire et autant pour se mordre les doigts - et pas que - devant le caractère hautement imprévisible d’un tel pari : l’homme saura se montrer fiable, le dragon n’aura pas de tels impératifs.
Mais tout ça, c’est que des hypothèses, et cette aubaine, c’est la toute première à laquelle il se présente.

Pour l’heure, il accompagne la joyeuse petite bande des sélectionnés du vieux chevalier qui les conduit à travers une demeure tout juste éclairé par la lune - et un ciel fort heureusement dégagé -, dissimulant avec soin son visage avec la capuche de sa pèlerine, ménageant son petit effet après avoir fait le strict nécessaire pour convaincre l’examinateur, il ne se présente pas en tenue de combat, son épée suspendu à sa taille pour seul attribut guerrier “visible”, et sa dague soigneusement dissimulée dans son dos. Il observe et jauge ceux qui constituent à cet instant encore des concurrents dans la course aux faveurs du commanditaire - en l’état après tout, rien n’indique qu’il est supposé bosser avec - et la maladresse du novice réduit à néant ce qui était jusque là un sans faute.
Bon, le mystérieux rendez-vous nocturne dans une vaste demeure vidée de ses occupants, ça fait son petit effet… A voir si c’est de l’esbroufe ou si ça cache une histoire plus complexe, mais tout au présent, le dragonnier laisse les événements se découvrir, conscient qu’il faudrait au commanditaire découvrir son jeu et qu’il sera toujours temps, à ce moment là, de se poser les bonnes questions. Mais pas totalement imprudent, il avait une vigie à l’extérieur, empruntant les traits d’un Monarth guettant les signes d’un éventuel traquenard venant de l’extérieur.
C’est dans la bibliothèque - avec un chandelier - que semble devoir se produire la suite, et une nouvelle fois, le jeune, ayant prit le parti de fermer la marche après s’être cogné à plusieurs reprises remit le couvert… Une fois de trop et devant la patronne - ? - qui plus est. Un de moins, mais clairement pas le plus inquiétant du lot.

Et voilà que vient les présentations et les références dont il n’a pas forcément l’habitude, alors grand seigneur, il laisse les autres, peut-être plus coutumiers, ouvrir le bal. Il se prend à observer le premier à se lancer, un cador. En admettant que ce qu’il raconte est la vérité, le type n’en est pas la moitié d’un, pour sûr ! Et là, forcément, y a menace et surtout, y a compréhension. Parce que l’annonce précisait pas le nombre de gars dont le commanditaire a besoin, alors pour arracher le contrat, va falloir faire mieux, ou aussi bien. En un mot comme en cent, le Drystan comprend que ces présentations reviennent au même que d’exhiber ses parties pour affirmer qu’on a la plus grosse.
Bon, hormis cette conclusion, avec un certain intérêt, il observe l’attitude très ténébreuse du-dit Nehril, ça joue les durs au coeur de glace - à dessein ou non -, détaché des horreurs qu’il aurait pu commettre… Et à la cliente d’essayer de fendre la carapace de dignité en tendant la carotte de la fierté, qu’il refuse l’air de dire avant d’en remettre une couche, le bougre. Un cador qu’on vous dit !

Bon, dans tout ça, il observe aussi et surtout l’attitude de la femme, parce qu’après un tel client, il va falloir la jouer fine.

Le second… Que dire… Rien, en fait. Il écoute d’une oreille distraite, réfléchissant à son approche, à ce qu’il peut dire ou non pour aller titiller le Nehril sur sa colline et capter l’attention de la dame. Sans grande surprise, il est invité à sortir après sa brillante démonstration, et se fut son tour. Et l’amorce qu’elle lui tend, il s’en saisit évidemment avec une légèreté qui tranche sévère avec l’atmosphère.

“Ma foi, ça va pas être facile de faire mieux… Il s’est levé une petite, tout de même, c’est pas rien.” Son visage toujours dissimulé sous la capuche, laissant entrevoir quelques écailles, il décroche un sourire à la jeune femme, lui faisant face.

“Drystan, ma dame.” Le surnom soufflé moins d’un an plus tôt par la Grise dans une caverne trotte toujours dans un coin de sa tête, mais c’était probablement pas le moment de le sortir. “Par où je commence…” Feinte ou non, il se laisse quelques instants de réflexion et enchaîne finalement. “Y a bien des années, j’ai assuré la protection de plusieurs ducs d’Erac, de l’autre côté de l’Olienne, en qualité de maître-espion avant qu’une série d'événements ne me pousse à me remettre en question et à me reconvertir. Je suis alors devenu chevalier sous le règne de Trystan d’Erac, avant qu’un bout de papier n’en fasse un roi, et je me suis battu pour lui lors de la Révolte des Barons de l’Hiver 998 et il en fut ainsi jusqu’à ce que l’Ivrey décide de devenir un régicide.” Jusque là, c’était presque la vérité, en occultant le fait qu’il ait été maître-espion de la Couronne et élevé au rang de baron, mais il était pas là pour raconter sa vie. “Après… Un sage a dit un jour qu’il fallait savoir choisir ses batailles, quand se battre, quand se retirer. J’aurais pu me battre, en vain, mais j’ai choisi de vivre et me suis exilé. De là, rien de bien glorieux à vrai dire, pour certaines raisons, j’ai pas mal voyagé, un temps chevalier errant, on peut même dire que j’ai fini par devenir un vagabond, toujours sur les routes, vous voyez le tableau. Dans la Principauté, et au-delà, dans les Terres Stériles pour digérer mes pertes, et par la suite, j’ai un temps monté une petite troupe en Péninsule, à nouveau, pour escorter des convois dans les terres, que j’ai dû lâcher parce qu’une tâche plus importante s’est présentée, qui m’a amené à vivre auprès des elfes, en Anaëh, une tâche que je continue de poursuivre.” A ces mots, il eut un sourire énigmatique, et s’arrête là, inutile d’en dire plus si ça ne mord pas, il garde ses plus grands atouts dans sa main et la laisse saisir ce que suggère un tel parcours, en supposant qu'il soit vrai.

Sirène sourit, amusée par la première réponse de l’homme encore encapuchonné. L’humour était une chose qu’elle appréciait même s’il était vraiment qu’elle n’était habituellement pas dans le même registre. Sa réplique était un peu vulgaire à son oreille mais elle sentait que ce n’était que de l’esbrouffe pour attirer son attention, et peut-être aussi se démarquer de Nehril qui avait fait montre d’un grand sérieux qui, pourtant, avait éveillé son intérêt. Il était vrai qu’elle n’avait pas mentionné de combien de personnes elle avait besoin mais c’était volontaire. Elle faisait monter les enchères… L’argent n’était pas vraiment un problème pour elle.
La sang mêlé écouta son récit avec un intérêt bien différent de celui qu’elle avait porté au demi-elfe. Son profil était différent et démontrait certaines capacités mais ce n’était pas aussi attrayant que le demi-elfe et son parcours assez exceptionnel. Tout en l’écoutant, elle hésita à se dire s’il ferait l’affaire ou non… Peut-être bien.

Et puis, Drystan laissa volontairement échapper une phrase des plus intrigantes. Elle n’était pas tout près de lui mais elle distinguait des anomalies à demi dissimulées sur son visage. Simple malformation, cicatrice ou autre chose ? La curiosité de Sirène était piquée au vif. Dans ses yeux passa le même reflet furtif que lorsqu’elle s’était tourné vers Nehril mais elle ne trouva pas la même chose que chez le mercenaire. Lentement, elle s’approcha de l’humain.

-J’ai tellement de sang elfe dans les veines que je pourrais pratiquement être considéré comme une des leurs. Pourtant, je ne pourrais pas me présenter à leurs portes telle une fleur et espérer qu’on me laisse entrer. Elle s’arrêta à deux pas de lui, intriguée par ce qui se cachait sous cette capuche. Je vous en prie, ne nous faites pas languir plus longtemps ! Dites-nous ce qui vous a valu d’être accepté pour un temps parmi eux !

Et voilà le travail ! Bon, il y a pas tant de mérite à en tirer, la ficelle est flagrante et son efficacité n’est plus à démontrer car bien que connu, la curiosité fait son oeuvre, tout autant que la crainte d’avoir perdu une occasion, à la condition toutefois d’avoir du sensationnel sous la main sous peine de voir la déception abattre plus lourdement son jugement. Notre serviteur n’en manque toutefois pas, et maintenant qu’il a ferré la cliente, il peut déballer la marchandise, ou presque. Presque oui, parce qu’à son insu, elle lui tend une perche - on ne parle pas ici du poisson - et  il se tâte à s’en saisir et à la faire languir un peu plus avec un apéritif. Quoi ? Toute cette mise en scène n’est-elle pas un jeu après tout ?

“Il est vrai que vous semblez particulièrement marqué, mais le sang n’est pas tout, n’est-ce pas ?” Entre un sang-mêlé thaarie et un elfe pur, ça n’est pas qu’une partie du sang qui fait la différence, c’était même la plus insignifiante part du fossé qui peut exister. “Bien évidemment, si je m’étais moi-même présenté comme une fleur, on m’aurait certainement renvoyé tout aussi rapidement ou transformé en hérisson avant que j’ai l’occasion de regretter ma démarche. Pour y pénétrer, il vaut mieux y être convié et accompagné, surtout lorsqu’on s’aventure jusqu’à la Cité Blanche.” Quelque chose dans sa voix, dans le léger sourire trahit le petit plaisir qu’il a à prendre le temps d’introduire son petit secret, tout autant que la confiance qu’il a en lui pour ne pas décevoir son auditoire. “Avec mes maigres moyens, impossible, avec les contacts que possèdent là-bas une certaine Princesse-Marchande et un sujet suffisamment intéressant pour qu’on veuille en voir davantage, d’impossible, les choses deviennent compliquées mais possible… Reste à apprendre à un sauvage à parler et à se comporter comme il convient à leurs yeux et pour ainsi dire, le tour est joué.” Et pour un tel service, il s’était endetté auprès de la Dame Blanche - qu’il ne nommait pas à dessein -, une dette symbolique dont il devait d’ailleurs toujours s’acquitter.

Bon, parvenu ici, il ne peut pas continuer de suspendre son auditoire, ça va finir par se voir, et raconter davantage serait perdre l’éventuel crédit de conversations futures, alors sur cette introduction où fut glissée son voyage jusqu’au coeur de l’Anaëh, rien que ça, et ses relations - très floues - avec une Princesse-Marchande, il décide de se mettre à table, là, comme ça… Enfin, en poursuivant le petit jeu qu’il a installé.

“Reste qu’il faut un sujet… Et forcé d’admettre que sur ce point, on y a mit les formes.” Il ne pouvait pas s’en empêcher, souriant lui-même de l’excès. “Aujourd’hui, ça n’est plus un si grand secret, ils s’épanouissent de nouveau au grand jour pour qui y est attentif sans qu’on sache bien comment, dans les mers, sur la terre et dans le ciel, mais il y a encore quelques années…” Il l’observe, tentant de voir si elle commence à saisir, ne serait-ce qu’un peu ce qu’il était en train de lui vendre. “Il y a encore quelques années, l’évoquer était une folie, un fantasme ou les mots de quelques fanatiques et que dire du fait d’imaginer des êtres qui y soient liés…” Il marque un dernier temps avant de conclure finalement son petit jeu. “Il y a dix jours encore, une telle idée tenait certainement du fantasme ou du conte, une fable.” Il découvre finalement son visage, exposant ses traits comparable à ceux d’un sang-mêlé, sa peau et sa longue chevelure blanche, à la différence notable que s’y épanouit de fines écailles aux reflets d’or et de bronze - et à la Sirène de remarquer que ses mains en portent également les trace. “Il y a des années, on me confia l’oeuf d’un dragon et lia mon destin à celui qui y attendait.”

Drystan tourna un moment autour du pot, voulant probablement accroître l'effet de surprise. Loin de s'en lasser, Sirène joua le jeu et patienta. N'était-elle pas elle-même adepte du mystère après tout ? Elle ne présélectionnait jamais ceux avec qui elle allait traiter, elle donnait rendez-vous dans les lieux improbables et elle commençait à converser avec eux bien avant de leur dévoiler son nom... Elle était mal placée pour reprocher sa démarche au dernier candidat du jour.

Finalement, il décida de lever le voile mais en prenant le temps de révéler son secret. Ses paroles étaient pleines de sous-entendus mais ils prenaient forme dans l'esprit de la femme masquée.
Une idée impossible, presque un mythe... Jusqu'à il y avait une dizaine de jours... Se pourrait-il... ? Tandis qu'il parlait, Drystant put voir le visage de Sirène traverser de multiple expressions, passant de curieux à intrigué puis interloqué à mesure que le message passait. Enfin, lorsqu'il fit retomber sa capuche et qu'elle découvrit sa peau couverte d'écailles, elle n'essaya pas de cacher sa réaction. Sa bouche entrouverte exprimait la surprise tandis que son regard brillait d'émerveillement.

-Dragonnier... Souffla-t-elle à demi-voix.

Puis, ses lèvres s'étirèrent en un sourire doux et satisfait en même temps qu'elle intégrait l'information. Il avait largement mérité sa place parmi eux... Lorsqu'elle eut repris contenance, elle poursuivit.

-Je n'ai malheureusement pas pu admirer votre arrivée en ville, je me trouvais sur la route. Cependant, j'en ai beaucoup entendu parler. Je serais honorée de pouvoir rencontrer votre compagnon un jour.

Ce n'était pas une demande, simplement un souhait. Si elle avait la chance de rencontrer une de ces créatures, cela ferait son bonheur mais elle pouvait comprendre que l'homme cherche à protéger celui à qui il était lié. Surtout alors que les dragons faisaient désormais plus partie des légendes que de la réalité et plus encore en sachant ce dont Humains, Nains et Drows étaient capables... Puis elle continua.

-Est-ce avec lui que vous maintenez ce lien ouvert vers votre esprit ?

Sirène souriait, particulièrement amusée. Drystan avait-il remarqué qu'elle lui parlait sans avoir ouvert la bouche ?

Ce genre de tour surprend certainement les non-initiés, mais pour celui qui passa l’essentiel des dix dernières années dans ce genre d’échange, un tel contact est reconnaissable sans l’ombre d’un doute. Imperceptiblement, presque instinctivement, il renforce ses défenses quand bien même ce dernier n’a été que superficiel et certainement sans mauvaise intention, car si il ne s’étonne pas qu’elle lui ait “parlé” sans ouvrir la bouche, il est tout de même surprit qu’elle l’ait fait, tout simplement. Elle dévoile son jeu, et le dragonnier ne peut s’empêcher de revenir quelques instants en arrière, lorsqu’elle sous-entendait déjà savoir que Nehril touchait sa bille, question magie. Un rapport ?
Le dräke aussi s’est laissé surprendre, et le voilà qui se montre plus présent et pesant sur l’esprit du dragonnier, il ne s’y laissera pas prendre deux fois.

Il pourrait essayer de lui répondre sur le même terrain, mais il n’en est pas là dans son apprentissage, et il s’est engagé à ne pas griller les étapes fixées par son maître durant ses voyages, et n’a pas l’occasion de manquer à sa parole, surtout face aux risques de saborder prématurément un talent si longtemps attendu. C’est donc à voix basse qu’il lui répond, lui rendant son sourire.

“Non, ça, c’est Monarth, un dräke.” C’est dit comme une évidence alors qu’il met en lumière le lien qu’il partage avec une autre créature peut commune, sans l’expliquer davantage, et de poursuivre. “Heureusement pour vous, lui, il est trop loin pour réagir à ce petit tour. Il est assez possessif, et à part Monarth qui était là avant lui, il ne tolère pas trop les intrusions, même avec les meilleures intentions du monde.”

Et moi non plus ! On touche pas !

Le contact s’est fait aussi soudainement que le sien avant de se retirer aussitôt le message délivré, avec une subtilité et une finesse propre à l’art naturel des dräkes.

“Quant à le rencontrer, qui sait, l’occasion se présentera peut-être.”

Cela tient davantage du bon vouloir du dragon, même si il est probable, si ils devaient travailler ensemble un certain temps, qu’elle vienne naturellement. Mais pour cela, fallait-il encore qu’ils travaillent ensemble, justement, et c’est le sous-entendu qui se glisse évidemment et naturellement dans ses derniers mots. Même si en vérité, il est tout à fait possible qu’elle le croise autrement, mais cette éventualité, là, tout de suite, on y prête pas trop d’attention.

Info:

Sirène tendit l'oreille aux paroles basses de Drystan, découvrant ainsi qu'il n'avait pas un mais deux compagnons écaillés. Cela l'intéressa fortement mais par pure curiosité intellectuelle, quoi qu'elle entrevoyait les possibilités du point de vue de leur mission à venir. Elle comprit néanmoins le message et l'engueulade du dräke étira ses lèvres dans un sourire amusé. Derrière eux, elle entendit Stephen se mettre en mouvement, intrigué et surtout inquiet par ce qu'il se passait. La femme au masque leva une main pour le rassurer et lui intimer de rester là où il se trouvait. Elle n'avait pas terminé.
Elle répondit sur le même ton au dragonnier.

-Je suis très joueuse, je vous prie de m'en excuser. Et quand je dis vous, je parle de tous les trois. Vous me direz comment me faire pardonner. Je ne voudrais pas froisser ces magnifiques créatures. Puis, tournant légèrement la tête sur le côté pour lui adresser un regard en biais. Vous y compris.

Elle tournait cela sur le ton de la plaisanterie mais elle ne pensait pas que l'homme méritait moins de considération que ses compagnons. Au contraire, il avait du mérite de s'être fait des amis de ces animaux si rares.

Se détournant finalement de Drystan, elle porta son regard sur Stephen qui comprit parfaitement le message. Il inclina la tête en signe d'accord puis sortit. A peine la porte ouverte, il indiqua aux deux éliminés de le suivre. Il les raccompagnait à la sortie. Puis il ferma derrière lui, laissant les deux candidats avec leur rendez-vous du soir.
La sang mêlé eut un nouveau sourire et posa son regard tour à tour sur Nehril et Drystan.

-Bien, je suppose que c'est à moi ? Elle appuya son regard sur chacun d'eux avant de continuer. Puisque que vous ne semblez pas fréquenter le milieu des chasseurs de prime, j'imagine que le nom de Sirène ne vous évoquera rien. Je suis spécialisée dans la traque des mages et, vous l'aurez compris, j'en suis une moi-même. Elle se tourna brièvement vers le dragonnier. Non, je ne suis pas mage de l'esprit. Mon Art ne s'exprime qu'à travers la magie des autres. Cela me rend redoutable envers mes confrères. En revanche, je n'ai aucune compétence martiale. C'est pourquoi j'ai besoin de m'entourer de quelques lames à l'occasion. Mes partenaires habituels sont soit absents soit déjà pris, j'ai donc lancé cette annonce et nous ne serons pas trop de trois pour l'affaire qui nous occupe.

Sirène fit volte-face et retourna près de l'une des deux tables. Fouillant parmi les livres qu'elle y avait déposé, elle en sortit bien vite un parchemin avant de retourner auprès des deux hommes.

-Connaissez-vous les Delzeenil ? Il s'agit d'un frère et d'une sœur -même si j'ai ouïe dire qu'ils étaient un peu plus que cela...- demi-drow par leur mère. Elle tendit le parchemin devant elle qui n'était autre qu'un croquis des deux individus, certaines informations les concernant étaient notées au dos. Ihisca manipule la magie de l'esprit. Et le mot "manipuler" est ici volontaire. Elle a fait quelques victimes parmi les grands de cette terre en les dépouillant de leurs biens, en brisant leur couple, et j'en passe. Elle fait cela par amusement et goût de l'argent mais elle a détruit quelques vies par ses jeux, si bien que sa tête a été mise à prix. Son frère est son complice, même s'il joue surtout le rôle de protecteur. C'est un guerrier-mage. C'est à cause de lui surtout que j'ai besoin d'aide pour ce contrat. Rassurez-vous, la récompense est bien suffisante pour trois.

Nos cibles:

On entre enfin dans le vif du sujet alors que la surnommée Sirène - il doute que cela soit son vrai nom, et l’idée d’employer un surnom refait surface - se présente en même temps que le sujet qui les réunit. Une traqueuse de mage, donc, certainement reconnue dans le milieu, à l’en croire, qui exploite la magie des autres à son avantage, c’est commode.

“Après un tel compliment, on ne peut raisonnablement pas garder rancune.” Et puisque c’était le jeu, il se permit une légère révérence, une main sur le coeur, jouant le rôle de l’obligé. Il était courtisan et chevalier dans une autre vie, après tout ! Être assimilé à une créature ne le dérange nullement - d’autant si cette dernière est magnifique -, puisqu’il est le premier à ne plus se considérer tout à fait humain ou sang-mêlé et dès lors qu’elle tient compte du message préventif, il n’y a effectivement pas lieu d’en vouloir - d’ailleurs, ni ses mots, ni même l’intervention du dräke n’était frappé du sceau de la condamnation.

Bon, là-dessus, ils reprennent un minimum de sérieux le temps qu’elle se présente, elle et les deux individus qu’elle a dans le collimateur. Quoiqu’il n’apprécie pas la perspective de devoir prendre des vies, forcé d’admettre que plus aujourd’hui qu’hier brûle dans sa poitrine le coeur d’un chasseur. Il laisse l’initiative des questions à un Nehril manifestement plus à l’aise, quoiqu’il eut l’impression d’une certaine réticence lorsque s’impose à son esprit l’idée qu’elle ne les veut pas vivants - ce qui serait raisonnable étant donné les capacités de la soeur.
Il n’en dit rien pour l’heure, jusqu’à ce que Nehril ne lui adresse une petite boutade et il répond d’abord au sourire, avant d’offrir une réponse honnête, qu’il veut également adresser à la Sirène.

“Ça peut les faire gamberger, mais comptez pas trop dessus. Mon dragon n’est pas une arme, et j’ai pas l’intention de le suggérer en le brandissant comme une épée.” Et plus directement à l’adresse de la Sirène. “Je m’assurerais qu’il soit pas loin quand on se lancera, sa présence seule devrait me prémunir contre la frangine, ça vous fera ça de moins à gérer, et il sera là si ça tourne au vinaigre et qu’il faut prendre la tangente.” Bon, on ne s’attardera pas trop longtemps sur son langage, un peu de familiarité, ça vous renforce l’esprit de corps !

Sirène fut amusée par la réponse de Drystan. Il avait de l'humour mais il lui montrait également qu'il avait un peu plus d'éducation qu'il n'avait bien voulu le montrer jusque là. Sa phrase était joliment tournée et sa révérence bien faite. Cela aiguisait la curiosité de la dame qui était toujours intéressée par les Souffles qui l'entouraient. Elle avait l'intime conviction qu'ils sauraient bien s'entendre. Mais ils auraient tout le temps de le vérifier...
La mage reporta ensuite son attention sur le mercenaire qui entamait le bal des questions. Elle aurait été déçue qu'il n'en pose aucune et ne cacha pas son air satisfait. Cependant, il faisait erreur sur ses intentions. Il était vrai qu'il ne savait pas grand chose d'elle, sa réputation ne la précédant pas dans son cas.

-Eh bien c'est là que nous devrions bien nous entendre cher Nehril. Lui répondit-elle avec un doux sourire. Vous n'aimez pas prendre des vies inutilement ? Je n'aime pas envoyer à Tyra des Souffles qu'elle n'a pas réclamé elle-même. Je ne tue pas si je peux l'éviter et je n'accepte jamais de contrats où la seule issue réclamée est la mort. Dans le cas des Delzeenil, ils sont demandés morts ou vifs. Je préfère les ramener et laisser leurs victimes décider de leur sort. Mais, je vous l'accorde, ce sera difficile d'arrêter Ihisca. Je peux nous protéger contre la magie de cette femme mais il faut espérer que nous n'aurons pas à trop nous éloigner de Thaar sans quoi les ramener se compliquera avec la longueur du trajet de retour.

Sirène étudia les expressions des deux hommes tandis qu'elle venait de réclamer que leurs cibles soient prises vivantes dans la mesure du possible. L'évocation de Tyra avait peut-être chatouillé l'oreille de Drystan. Les religions en Ithri'Vaan étaient aussi variées que les cultures et il devait être un peu surpris d'entendre le nom d'une déesse connue dans la bouche d'une sang mêlée.

-Quant au montant de la récompense, disons qu'ils ont amadoué les premiers qui ont essayé de s'en prendre à eux et qu'ils s'en sont servi de garde du corps et qu'ils ont fini par se faire tuer. Ceux qui veulent les voir hors d'état de nuire ont gonflé la prime pour attirer les amateurs mais ils ont tous eut le même raisonnement que vous, Nehril. Nous n'avons donc pas de concurrents à ma connaissance.

C'était un poids de moins. Il lui était déjà arrivé de devoir faire la course avec d'autres qui visaient les mêmes cibles qu'elle. Si elle voulait gagner, ce n'était pas tant pour la prime que parce qu'elle savait que les autres chasseurs ne faisaient pas dans la dentelle d'ordinaire. Ils tuaient si c'était une éventualité du contrat et que cela ne baissait pas leur prime, c'était plus commode de ramener un cadavre plutôt qu'un prisonnier.
Elle écouta sagement l'échange entre les deux hommes au sujet du dragon. S'il pouvait être un atout, Sirène n'avait pas l'intention d'en abuser. Si son expression restait douce, son sourire avait disparu. Elle reprit la parole avec un sérieux qu'ils ne lui connaissaient pas encore.

-Ihisca peut aussi influencer les animaux. Si votre dragon ne peut se prémunir de ses intrusions, je préfère qu'il reste à distance. Je ne tolèrerai pas que qui que ce soit prenne des risques inconsidérés. Vos compagnons également. Puis, elle se tourna vers Nehril pour répondre à sa question précédente. Je n'ai que peu d'informations sur Habraen hélas. Il me semble qu'il combat à l'épée et qu'il utilise la magie de l'illusion pour perturber ses adversaires. Je devais nécessairement me concentrer sur Ihisca pour qu'elle ne parvienne pas à utiliser sa magie, je ne pourrais donc pas vous aider face à lui.

“A-t-on une petite idée de la nature de leurs focaliseurs ?” Outre le fait de suggérer en passant qu’il en sait un peu en matière de magie, ce qu’il n’a pas fait jusqu’à présent, l’intention est plus qu’évidente à présent que la Sirène a émit le souhait de les prendre de préférence vivant : que ce soit éventuellement au cours de la capture ou après, il fallait leur rendre particulièrement pénible l’usage de leurs arts.

Ce souhait d’ailleurs le soulagea, même si il rend la suite plus délicate : Il est plus simple d’éliminer des éléments dangereux que de faire l’impossible pour les garder en vie. Quant à l’évocation de Tyra, il n’en fut pas si surprit que cela. La Sirène lui apparaît de plus en plus une sang-mêlée originaire de cette région où le Culte des Cinq est mieux installé que le Culte Ilethien, qui n’a peut-être pas même eu l’opportunité de se rendre une seule fois en Anaëh, aussi les noms pentiens sont les premiers qui s’imposent.

Quant à la réponse qu’elle offre à leur petit échange, il ne peut complètement en vouloir à l’estime qu’elle porte pour un “animal”, à moins que cette Ihisca ne soit particulièrement puissante auquel cas, la présence d’un dragon sous influence sera le cadet de leurs soucis. Qu’elle s’y essaie, à influencer un dragon, et même un dräke pour le compte… Qu’elle s’éparpille à essayer d’influencer des créatures aussi singulières, elle ne s’épuisera que plus rapidement sans avoir la garantie d’un résultat qu’un souffle du dragon peut balayer.
Et à Nehril de reprendre la même incompréhension, il aurait pu se passer d’une mise au point et se garder d’en dire davantage.

“Vulnérable, je ne crois pas, encore moins en ma présence.” Parce qu’alors, il y aurait non plus un, mais deux esprits - et même trois - à gérer en même temps.  A l’usure, il est probable que séparément, ils soient l’un et l’autre vulnérable, lui plus que son dragon, mais ensemble, il fallait certainement réussir le coup magistral de les prendre en même temps et ce, sans que le dragon ne décide de mettre à l’oeuvre sa propre magie. “Sans trop en dire, s’en prendre à l’un revient à s’en prendre aux deux, en même temps, et si elle s’en prend à lui… Je ne promets rien quant à son état quand il en aura terminé avec elle.” Si il ne voulait pas en faire une arme, ça n’est pas parce qu’il n’en a pas les moyens, mais précisément parce qu’il en a le potentiel.

“Il sera là, à proximité, il me protégera et assurera nos arrières en cas de problème.” Cette fois, il ne semble pas laisser la place à une négociation sur ce sujet.

Sirène suivait les échanges avec grand intérêt et fut ravie de constater que les deux hommes n'omettaient aucune objection quant au fait de ramener leurs cibles en vie. La discussion s'écoulait fluide et claire et elle observait leur trio avec une intérêt nouveau. Elle avait désormais l'intime conviction qu'ils formeraient une bonne équipe.
Nehril s'inquiéta de savoir comment se protéger de la magie d'Ihisca. Malheureusement, se première réponse ne lui conviendrait sans doute pas.

-Hormis avec un entraînement de longue haleine vous voulez dire ? Ce sera mon rôle. Je peux détourner ses sorts à ma guise et même couper toute arrivée des flux magiques vers elle. Tant que je serais en état de pratiquer, vous ne risquerez rien. La priver de son focaliseur sera en effet une bonne option pour la ramener, dit-elle en se tournant vers Drystan. Mais elle est suffisamment douée pour que cela nous oblige à rester vigilants, et moi à continuer de l'empêcher de manipuler son Art. Leurs catalyseurs seront tellement imbibés de leur magie que je devrais pouvoir les identifier sans difficulté si nous parvenons à les capturer.

La femme au masque sourit alors que le dragonnier leur donnait une infime subtilité concernant son lien avec son compagnon. Les deux êtres étaient si liés qu'il faudrait maîtriser leurs deux esprits simultanément pour parvenir à en plier un seul. Plus encore que le côté rassurant que cela représentait, cela la fascinait de plus en plus. Et que l'animal couvre leurs arrières lui convenait parfaitement. Si elle avait montré un certain intérêt à l'égard de la créature, elle n'avait jamais eu l'intention de le mettre en première ligne.

-Très bien. Conclut-elle. Si vous n'avez pas d'autres questions pour le moment, je vous propose d'en rester là pour ce soir. En revanche, j'aimerais que vous vous pliez à un petit exercice dès demain.

Faisant volte-face, elle retourna une nouvelle fois auprès de la table et récupéra deux nouveaux documents qu'elle leur apporta pour en tendre un à chacun. Il s'agissait de petits morceaux de parchemin pliés en deux sur lesquels étaient dessinés une petite carte.

-Retrouvez-moi ici lorsque vous serez prêt. Nous ne pouvons espérer agir de concert sans avoir jamais combattus ensemble. Je vous propose de nous entraîner et d'apprendre à connaître les capacités des uns et des autres. Puis elle ajouta à destination de Drystan. Dans la mesure du possible, bien sûr.

Elle ne voulait pas le contraindre à dévoiler ce qu'il ne voulait pas de son lien avec son dragon. Trop en dire serait les rendre vulnérables pour qui sauraient comment utiliser ces informations. Elle était certes chasseuse de prime mais elle avait une morale indéniable, cherchant à préserver jusqu'à ses propres cibles. Alors, ses partenaires, il était hors de question qui leur arrive quoi que ce soit. Découvrir comment il se battait serait déjà suffisant.

Les deux hommes acquiescèrent simplement avant de commencer à prendre congé. Elle vit les expressions défiler sur le visage de Nehril, il semblait connaître plus ou moins le lieu du rendez-vous mais ne semblait pas très emballé par l'idée de l'entraînement. Elle aurait cependant tout le loisir de l'interroger à ce sujet le lendemain car il n'objecta pas. Elle lui rendit son salut, non sans une certaine élégance, et fit de même pour le dragonnier.
Alors que ses nouveaux partenaires s'en allait, une pensée amusante traversa l'esprit de Sirène qui n'hésita pas un instant à la formuler à haute voix.

-Drystan, l'interpella-t-elle avant qu'il ne s'éloigne trop. Elle tourna son regard vers lui, presque sérieuse. Vous n'avez rien à envier à Chassak. Puis, ses lèvres s'étirèrent dans un sourire. Avec une langue pareille...

Ce n'était en rien une invitation ou une suggestion, simplement un trait d'humour sur la façon dont il avait aborder sa présentation un peu plus tôt. Il était vrai qu'il s'était montré très habile dans la façon dont il avait abordé la chose et c'était sa manière de lui faire savoir qu'elle avait apprécié sa prestation.

Stephen attendait à la porte donnant sur l'extérieur. Il vit passer les deux hommes sans rien dire, se contentant de leur ouvrir la porte. Dès qu'ils furent sortis, il referma à clef et alla rejoindre Sirène dans la bibliothèque. Celle-ci avait déjà repris la recherche de cet ouvrage qu'elle n'était pas parvenu à trouver auparavant. Elle reconnut le pas de son ancien coéquipier et n'eut pas besoin de se retourner pour l'identifier.

-C'était parfait. Je sens que nous allons faire de l'excellent travail ensemble.
-Sois prudente quand même et n'accorde pas ta confiance trop vite. Ça fait longtemps que n'as pas travaillé avec de nouveaux partenaires.

La femme se tourna vers l'ancien chevalier.

-C'est justement cela qui est excitant. Lui assura-t-elle.

Il ne rétorqua rien, se contentant de soupirer par le nez dans un sourire. Il la connaissait suffisamment pour savoir de quoi elle parlait.

-Tu en as encore pour longtemps ? Il se fait tard.
-A peine à la retraite et voilà qu'il se couche avec les poules...

Stephen ricana. Elle n'avait qu'à moitié tort à vrai dire... Maintenant qu'il ne battait plus la campagne et le pavé en devant sans cesse guetter les alentours, il appréciait la vite simple et tranquille du citoyen lambda et s'y était habitué. Il le méritait après tant d'années de service.

-Si tu m'aidais, nous serions plus vite parti.

C’est avec plus de chaleur qu’il accueille la perspective d’un exercice, comme pour équilibrer la balance. Quand bien même ça ne permet pas de créer l’authentique cohésion qui naît d’une pratique régulière des personnes, ça aura le mérite de permettre de se jauger davantage, ce qui n’est pas négligeable lorsqu’on a à l’esprit la préservation de chacun, et non uniquement la sienne propre et qu’il faut pouvoir déceler des signes de moins bien - ou d’influence ennemi. Bien sûr, il ne démontrera pas l’étendue de ses talents et capacités le lendemain, non pas parce qu’il compte se retenir mais parce que ses qualités d’épéiste n’en sont qu’une part et qu’en un laps de temps si court, il n’aurait pas les moyens de préparer le reste. Il se garde bien de préciser la pensée qu’à déjà la Sirène, même si celle-ci n’envisage certainement que les capacités du dragon lorsqu’elle le suggère.
Lorsqu’elle leur tend un parchemin à chacun, une petite carte dessinée dessus, il ne peut s’interroger sur le reste du programme qu’elle semble déjà avoir en tête en même temps qu’il identifie l’endroit, et repose finalement le parchemin à sa place.

Avant qu’il n’ait quitté à son tour la pièce, la Sirène l’interpelle pour finalement offrir une réponse à son trait d’ouverture, ce à quoi il sourit, avant de répondre simplement, dans ce qui semble tout à la fois léger mais emprunt d’une certaine philosophie. “Oh, en cherchant bien, ça doit se trouver. A celui qui aspire à troquer la rigueur pour de la légèreté, le simplet est un modèle.” Il lui offrit une véritable révérence de cour, l’accompagnant d’un souriant “Ma Dame” avant de se détourner, le pas nonchalant, et à peine quitte t-il la bibliothèque que son esprit renoue avec celui de Monarth alors qu’il parcourt la maison pour en rejoindre la sortie en saluant Stephen. Marquant une nouvelle fois, à son insu, le contraste avec Nehril.

Il jette un oeil derrière lui, songe à celle qui y réside encore et à son probable parcours.

Chasseur de prime, c’est peut-être pas si mal.
T’es sûr ?
Ça a le mérite de donner d’emblée un cadre très précis à la relation qu’on noue avec les puissants.. Faut voir.

A voir comment les évènements se passent, mais pour celui qui se cherchent et ne négligent aucune piste, celle-ci peut lui convenir, avec quelques ajustements.