[Solo] Bidonvilles | Une tentative

Fin de la 2nde ennéade de Karfias
17e année du Onzième Cycle
Bidonvilles de Thaar

Des tissus et des cuirs de qualité médiocre, mais de la matière tout de même. L’intégralité du petit pécune que tu avais rassemblé à te servir des riches marchands et de leur entourage comme haltères lors de tes séances matinales y était passé. Il ne restait plus qu’à espérer que cela suffirait à produire quelque chose de percevable comme décent en dehors des bas-fonds de la Cité coupe-gorge.

- Ça n’a pas à être confortable, juste présentable.

- Vaut quand même mieux éviter que celui qui le présente aie envie de s’gratter au sang.

- Ou qu’à la fin ses pieds finissent en charpie.

Pas de papier, pas de parchemin, pas de crayons. Seulement des gestes plus ou moins aléatoires à n’en plus finir, des mesures prises à l’à-peu-près, et d’incessantes reconsidérations. Quelle vision avait-il pour ces créations, le tailleur dont le talent s’était retrouvé enfermé dans une boutique miteuse de l’autre côté des murs le jour où son bienfaiteur s’était fait égorger au détour d’une ruelle ? Comment voulait-elle agencer les matériaux, la cordonnière Zurthane dont l’art n’a plus touché qu’à du bric et du broc depuis que sa lignée s’est échouée dans la Cité ? Comment pourrait-il mettre ses talents au service des leurs, l’ébéniste dont les bras entouraient son enfant à défaut de faire le même travail que ceux de son épouse actuellement ?

- Je sais !

L’illumination de la femme est contagieuse au point de transformer le visage de ses deux collègues… et le tien par la même occasion. Tes sourcils s’envolent, puis retombent bien bas, alors que tu essaies de te figurer si tu as bien compris ce qu’elle essayait de vous montrer. Fonctionner sans patrons était pour le moins compliqué, mais force d’avoir côtoyé les artisans vêtementiers…

- Ce n’est pas un peu risqué ? tu t’enquières auprès des trois

- Un peu. Mais pour une fois que j’ai matière à faire quelque chose d’un peu plus complexe !

- De même pour moi. Si la poignée de tenues qu’on réussira à faire avec ce qu’on a là doit nous sortir d’ici, alors autant tout faire pour ne pas rater le coche.

Des outils de mauvaise qualité vous ayant coûté à vous trois l’intégralité de vos restes d’économies, des tissus et des cuirs récalcitrants qu’il faudrait apprendre à dompter sur le tas, aucun moyen possible de se représenter l’objectif final sans endommager un objet dont servir de support à la gravure n’était pas la fonction première… tenter de présenter une pièce présentant le moindre degré de complexité serait un véritable challenge. Mais c’était un challenge qu’ils semblaient se sentir capables de relever.

- Je vous fais confiance alors. tu leur adresses un sourire Mais faites attention. Et faites attention à vous. sur ces mots tu te retournes et commences à t’éloigner De mon côté il est temps que je m’éclipse. Dès que j’ai du nouveau je vous le fais savoir.

Attirer l’attention de Milynéa ou de n’importe quel riche marchand. Leur offrir une plateforme, de véritables ressources, un véritable public. Leur permettre de faire retomber leur inévitable succès sur leur communauté. Avec un peu de chance, il suffirait juste d’eux trois pour insuffler une bouffée d’air frais dans les ruelles viciées des bidonvilles Thaaris. Avec moins de chance, après que leur travaille ait attiré les curieux, leur succès attisera la haine, et le fruit de leur labeur partira en fumée… en même temps que leurs vies. Tu ne mentiras pas. Ton cœur bat fort, et tes yeux se posent suspicieusement sur les passants de plus en plus nombreux autour de leur atelier improvisé. Mais ils savent les risques, et ils connaissent les lieux. Ne restait plus qu’à espérer qu’ils sachent faire comprendre à leurs compères qu’il y a là une occasion à prendre.