Regarde, tout va bien ! [Sauveur]

Karfias, deuxième moitié de la sixième ennéade
An dix-sept du onzième cycle

Le corps avait été réparé, il ne manquait qu’une moitié d’oreille qui par choix était restée telle quelle.

L’esprit avait été guidé par la bonté et la chaleur de l’une et la froideur et le dégoût des autres, il se remettrait, il saurait vivre avec le drame, il saurait se reconstruire par-dessus.

Les doutes étaient partout, eux, et ils prenaient bien des formes, attendant les pires moments pour surgir, attendant les pires moments pour me rappeler que je n’avais pas réponse à tout, et que j’avais à faire si je voulais qu’ils s’en aillent.

Il m’avait fallu deux ennéades complètes pour me faire à l’idée que j’allais devoir revoir Sauveur, que j’allais devoir lui partager mon drame, que j’allais devoir reconstruire avec lui, que j’allais devoir faire en sorte que notre relation reparte après cette trop longue interruption. Et je m’étais faite à cette idée, seulement il m’avait fallu presque une ennéade de plus pour le faire chercher. La vie entre temps avait été une vie de diversions, une vie où j’avais profité de tout ce qui pouvait me faire du bien en éloignant tout ce qui pouvait m’apporter la moindre émotion négative. J’avais écarté Ketill et j’avais même fait chercher Magyaok pour qu’il me distraie avec sa magie, qu’il me montre ces moments qu’il avait enregistré à mon ordre, et même qu’il me montre mon père et le message qu’il avait protégé pour moi, un message où le père autorisait à la fille d’oublier Geresh le temps qu’il lui faudrait. La vie était simple et me rappelait ce qu’il y avait avant, avant que Geresh ne nous appartienne, avant qu’Aethka n’existe et disparaisse.

Mais éventuellement la vie s’était figée, trop à mon goût, et si j’avais reçu un message le matin même, une invitation à Baaz’Hima, c’était Sauveur que j’avais fait chercher pour y remédier.

Et Sauveur était là, face à moi, dans la même pièce où l’on s’était retrouvé trois ennéades plus tôt, et son apparition était comme un miracle. Je souriais comme une idiote en m’avançant vers lui, parce que jamais nous n’avions été séparés aussi longtemps depuis que ça avait commencé, parce que je me rendais compte à quel point j’avais été idiote de ne pas oser le faire chercher plus tôt, parce que j’avais presque oublié à quel point je l’aimais. Heureusement, ces choses là ne s’oubliaient jamais vraiment et juste le voir avait tout réparé. Je n’allais pas me jeter sur lui cette fois, j’étais plus calme alors qu’il restait quelques hésitations dans mes gestes après tant de temps en convalescence, j’allais juste m’en approcher, me hisser sur la pointe des pieds et déposer un baiser sur ses lèvres. « Sauveur… je suis désolée de ne pas avoir donné de nouvelles si longtemps, j’espère que tu ne t’es pas inquiété ? » Mon sourire était devenu plus inquisiteur, j’étais toujours de bonne humeur mais je me rapprochais d’un sujet plus compliqué. « J’ai eu un accident… je ne voulais pas que tu me voies aussi abîmée… mais attends, regarde ! »

Me dégageant du petit baiser je reculai de deux pas avant de tournoyer dans cette robe blanche qui dévoilait mes flancs, mes jambes, et peut-être un peu trop la naissance de ma poitrine, mais c’était Sauveur, et lui montrer qu’il n’y avait plus ces grotesques cicatrices de la dernière fois était important alors que je voulais utiliser cette coquetterie pour adoucir la nouvelle. Je confirmai ce qu’il devait déjà avoir remarqué d’une voix enjouée qui s’accompagnait d’un petit rire. « Plus rien ! »

Découvrir Aerianna là, debout dans cette pièce, avait été un véritable soulagement pour Sauveur. Elle s'était avancée vers lui tandis qu'il allait lui aussi à sa rencontre. Alors qu'elle le saluait d'un baiser, ses bras enveloppèrent la jeune femme contre lui. Il aurait plongé la tête dans son cou si ses paroles ne l'avaient détourné de son idée première. Il fronça légèrement les sourcils tout en redressant la tête.

-M'inquiéter ? Pourquoi je me serais inquiété alors que tu étais à Thaar mais que tes gardes n'ont fait que me repousser à chacune de mes visites ? Répondit-il avec sarcasme. J'ai fini par croire que tu ne voulais plus me voir jusqu'à ce que je croise quelqu'un à qui on n'a donné la même réponse qu'à moi. Ajouta-t-il plus sérieusement.

Le mercenaire aurait eu du mal à cacher qu'il avait été plutôt contrarié par l'attitude des hommes de la Princesse et qu'il avait commencé à se faire un certain nombre d'idées... La première fois, alors qu'il venait juste en visite, il n'avait pas été surpris et était reparti sans broncher. La seconde, il voulait lui faire savoir que Sanaa était au courant pour eux mais il ne put pas entrer davantage. La troisième fois, il était même retourné à l'entraînement pour se défouler alors qu'il se disait qu'elle était en train de rompre avec lui de la pire des manière. Une fois calmé, il avait retenté quelques jours plus tard et c'était là qu'il avait vu un marchand se faire rembarrer tout comme lui. A partir de là, la colère avait cédé la place à de l'inquiétude doublée d'amertume. Qu'y avait-il pour qu'elle ne veuille plus voir personne et pourquoi ne l'avait-elle pas appelé à ses côtés pour la soutenir ?

La réponse que lui fit Aerianna ne le satisfaisait pas et il la regarda tournoyer devant lui sans rien dire. Ses paroles le laissait songeur. Il se souvenait très bien des cicatrices qui recouvraient le corps de la jeune femme quelques ennéades plus tôt et il n'était pas mécontent de voir qu'elles avaient disparu mais quelque chose le gênait dans ce qu'elle venait de dire.

-"Aussi abîmée"... Répéta-t-il. Ça veut dire : plus que tu ne l'étais déjà ? C'est ça ?... Il ne marqua qu'une courte pause avant de continuer. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Si Sauveur était toujours vexé qu'elle ne l'ai pas fait appeler, il était prêt à mettre cela de côté pour un temps. Elle n'avait sans doute pas besoin qu'on lui fasse de reproches pour le moment. Mais plutôt qu'on la réconforte peut-être ? Son air jovial semblait cependant dire le contraire mais elle ne serait pas la première à tenter de cacher ce qu'elle ressentait vraiment derrière un sourire.

Qu’il ne se joigne pas à ma bonne humeur me frustra un peu, un seul instant, avant que je n’admette que c’était bien normal, et que j’aurais dû m’y attendre. Je m’y étais un petit peu attendue, en réalité, même si j’avais fait semblant que ce ne soit pas le cas pour que ça ne me complique pas une tâche déjà bien effrayante. Il me posait bien des questions, et je me rendais compte ne m’être pas préoccupée de tout ce qu’il me disait. Forcément il voulait comprendre, il voulait comprendre de quel genre d’accident je parlais, il voulait comprendre à quel point j’avais souffert, et il voulait comprendre pourquoi je l’avais repoussé, ou en tout cas, pourquoi il n’avait pas eu le droit d’être là. Je ne savais même pas qu’il était venu, on ne me l’avait pas rapporté. Mais je n’avais personne à accuser de quoi que ce soit car c’étaient mes ordres, et je ne me rendais compte que maintenant à quel point ils étaient horribles. Les réponses allaient venir, pas toutes, mais elles viendraient.

Mon visage se ferma quelque peu, il n’y avait plus de rire, et mon sourire s’était fait triste. Je me rapprochai à nouveau pour me blottir contre lui, pensive.

« Le drow, l’eldéen, le monstre… il s’est libéré. » Ma voix n’hésitait pas mais elle traînait légèrement, alors qu’elle n’était habitée d’aucun enthousiasme. « Il s’est déchaîné sur moi… j’ai failli mourir, Sauveur. » Je me blessais toute seule, en gardant les circonstances exactes secrètes, et si je n’avais pas été collée à lui j’aurais fondu en larmes. J’en parlerais, éventuellement, juste pas maintenant. « Je n’ai pas fait assez attention, j’avais peur d’affronter ton regard, au début. » S’il savait pour quelle raison il avait failli me perdre… Ce n’était pas pour être malhonnête que je ne lui racontais pas tout, ce n’était pas parce que j’avais honte, ce n’était pas non plus pour le protéger, ou pas complètement. J’avais peur qu’il me repousse, j’avais peur qu’il décide que j’étais un trop gros danger pour moi-même et qu’investir son amour dans quelqu’un qui risquait sa vie plusieurs fois par ennéade à cause de pulsions qu’elle n’essayait pas de contrôler était le meilleur moyen de souffrir. « C’est la deuxième fois que j’essaie de me défaire de toi par la mort, après tout. » Je ris, tristement, en faisant référence à cette boutade quelques ennéades plus tôt.

« Puis les soins se sont terminés, puis mes cicatrices se sont effacées, puis je n’arrivais plus à me décider, puis je n’arrivais plus à te faire venir. Ça faisait trop longtemps, et plus le temps passait plus j’avais du mal à prendre cette décision, plus j’avais peur que trop de temps ne soit passé… » Là je ne cachais plus rien, là j’étais honnête, et là les émotions commençaient à venir. Si aucune larme ne coula, il y avait une légère vibration dans ma voix qui d’habitude était si claire pour les trahir. « Je ne savais même pas que tu étais venu… si j’avais attendu quelques jours je pense que je n’aurais pas trouvé la force… mais ce matin je l’ai fait, j’ai donné l’ordre, et je m’inquiète depuis que mon messager est parti… » Un rire nerveux, alors que j’étais vraiment restée complètement immobile depuis que je l’avais fait chercher, que c’était comme s’il me redonnait vie par sa présence.

« Mais tu es là maintenant, et je ne sais pas comment j’ai fait pour autant douter, parce que te voir devant moi… je t’aime, Sauveur, même si je peux parfois ne pas le voir… et je ne peux imaginer ne plus t’aimer un jour… » Je m’étais décollée de son torse pour prononcer ces mots, pour pouvoir le regarder dans les yeux en prononçant ces derniers mots, car ils étaient sincères, même après quatre ennéades entières.

Sauveur n'avait pas décroché un mot de tout le discours d'Aerianna et il n'avait pas bougé non plus. Il avait offert une étreinte à la Princesse lorsqu'elle l'avait réclamée mais il restait désespérément passif dans l'histoire. Les paroles de sa bien-aimée le perturbait sur plus d'un point. Quelque part, il avait l'impression de se retrouver face à Sanaa lorsqu'elle prenait encore les décisions toute seule sur un certain nombre de sujets. Certes, l'héritière n'avait pas choisi de faire un bébé avec lui sans le consulter mais qu'elle ait pris le parti de ne pas faire appel à lui dans un moment aussi critique lui faisait beaucoup de peine.
Lorsque la jeune femme trouva son regard, elle put découvrir une expression un peu plus contrariée que tantôt. Cette fois, il aurait de la peine à ne pas dire ce qu'il avait sur le cœur mais il se maîtrisait encore suffisamment pour parvenir à l'exprimer à peu près calmement.

-Ce qui me blesse vraiment, c'est que tu ne m'aies pas fait appelé dès le début. J'ai failli mourir moi aussi donc je sais exactement par quoi tu es passé. Et puis, je t'aime ! J'étais la personne la mieux placée de toute la cité pour te soutenir ! Nous sommes un couple, ça signifie affronter les difficultés ensemble. Tu n'avais pas à supporter tout ça toute seule.

Blessé, oui. Blessé dans son affection pour elle. Blessé dans la confiance qu'il accordait aux sentiments de la jeune femme. Blessé dans l'assurance qu'elle était capable de se reposer sur lui lorsqu'elle en aurait besoin. Pourtant leurs débuts n'avaient pas été tout roses. Elle avait vaincu sa peur des hommes avec lui. Elle l'avait vu s'emporter et avait su le réconforter. Elle avait surmonté l'idée de devoir le partager avec une autre. Alors pourquoi ? Pourquoi n'était-elle pas venu le trouver ? Cela faisait des ennéades qu'elle allait mieux et toujours aucun signe de vie ? Elle l'avait laissé sans nouvelles durant tout ce temps alors qu'il aurait pu être à ses côtés, s'aménager du temps pour être avec elle.
Cela le ramenait à l'une des première question qu'il s'était posé...

-Et je ne comprends pas en quoi tu aurais dû avoir honte. Tu es la victime dans l'histoire. Tu n'as pas demandé à ce que ce drow s'attaque à toi !

Il avait raison, je savais qu’il avait raison. J’aurais dû m’appuyer sur lui dès le début, j’aurais dû réaliser qu’il n’y avait pas meilleur soutien que lui, j’aurais dû faire plein de choses que je n’avais pas faites, et je lui en voulais un peu de me le reprocher, parce que ce qui avait été fait ne pouvait plus être changé. Et puis, il ne connaissait pas encore l’ampleur du drame, il ne pouvait comprendre que tous les efforts que j’avais faits pour pouvoir l’approcher, pour pouvoir faire l’amour avec lui, un homme, tous ces efforts avaient été fragilisés par le traumatisme et par l’identité de celle qui m’avait sauvé, celle qui le lendemain m’avait empêché de sombrer dans la folie. Il ne pouvait le comprendre parce que je ne lui avais pas encore dit, il ne pouvait le comprendre par ma faute, pas par la sienne. La situation était si compliquée, je ne savais tellement pas quoi faire, il fallait que je sois honnête, il n’y avait que ça.

Et il allait m’aider à m’ouvrir, en exprimant à quel point il n’avait pas compris, en m’aidant à corriger le tir.

« Si, je le lui ai demandé. » J’avouai à mi-voix, les yeux fermés, trop peureuse pour affronter la réalité, consciente que la nouvelle devait l’atteindre comme un coup de poing. « Il ne devait pas me tuer, il ne devait pas presque me tuer, il ne devait pas me… » Le mot ne vint pas, c’était trop dur, même maintenant qu’il me demandait d’être honnête, même maintenant que je voulais l’être, ce mot là restait coincé dans ma gorge. Et il y avait la voix de la jeune femme rousse qui résonnait, qui me disait que c’était l’inverse qui s’était passé. Ce furent bizarrement les pensées que j’avais eues après la rencontre qui allaient faire pencher la balance. Mon regard vint se poser à nouveau dans celui de Sauveur alors que mes yeux brillants s’ouvraient. « Il ne devait pas me violer… » Ce n’était pas mon objectif, de lui envoyer les coups sur ce ton bien trop neutre, mais je ne me rendais compte de l’horreur que je disais que quand il était trop tard.

Je m’écartai de lui vivement, pas pour le fuir, pour me poster devant et simplement le regarder dans les yeux. Ma voix gagna en volume alors que dans la précipitation j’essayais de lui expliquer ce que ça impliquait, et à quel point ça justifiait mon silence et mon envie de ne voir personne, surtout quelqu’un que je voulais continuer de regarder sans crainte, ce qui n’avait pas été évident. « Tout ce temps, à cause de lui, j’ai eu peur d’avoir peur de toi, j’ai eu peur que ce qu’on avait construit pour repousser cette crainte de tous les hommes s’effondre. » J’avouai enfin alors qu’une première larme coulait pour un aveu que je n’avais encore pas fait jusque là. Je souris tristement alors que le ton redescendait d’un cran et devenait plus paisible. « Je me suis rassurée, j’ai pu m’approcher de toi sans avoir peur… » Mon sourire s’effaça. « Mais maintenant que j’ai tant attendu j’ai peur de ton regard, Sauveur, et je m’en veux, pour tout. »

-Quoi ? Fut la réaction de Sauveur au premier aveu de la jeune femme, saisissant ses bras pour la reculer légèrement de lui et chercher des yeux noirs qu'il ne trouva pas. Elle le lui avait demandé ? Mais de quoi parlait-elle ? Elle ne pouvait pas lui avoir demandé de la battre à mort ! Les paroles suivantes de la Princesse l'éclairèrent davantage et il comprit alors quel avait été l'enjeu pour elle. De la même manière qu'elle usait de la magie pendant leurs ébats, qu'il lisait la frustration lorsqu'il lui évitait de se faire mal, qu'il avait soigneusement évité de toucher à ses cicatrices si sensibles, elle avait eu envie de ressentir la douleur et s'était alors tournée vers le seul qui lui ait jamais fait de mal physiquement...

Mais c'était de la folie ! Le mercenaire s'apprêtait à réagir lorsque son regard retrouva enfin celui d'Aerianna. Il n'avait même pas besoin des mots...

Jusque là contrarié, voire en colère, Sauveur se figea de stupeur, retenant l'horreur que lui inspirait cette révélation. Pour savoir ce que sa sœur aînée avait vécue, il ne pouvait pas garder le même regard sur ce que l'héritière avait fait. Elle avait voulu joué avec le feu et cela s'était retourné contre elle de la pire des manières. Silencieux, il l'écouta lui expliquer ce dont il se doutait à présent. Un homme lui avait fait peur un jour et elle avait craint tous les hommes par la suite. Qu'en serait-il alors que l'un d'eux l'avait violée ? Elle connaissait son amant suffisamment bien pour savoir qu'elle n'avait rien à craindre de lui. Après tout, ne lui avait-il pas refusé de la blesser alors qu'elle ne demandait que cela ? Cela, elle ne semblait l'avoir réalisé qu'en le voyant sur le pas de sa porte...

Lorsqu'elle eut fini, il resta à la regarder sans rien dire, prenant le temps de mûrir ses réflexions quant à la réponse qui allait lui apporter. Finalement, il soupira.

-Au moins, tu ne m'as pas mis de côté par souci d'indépendance. Dit-il d'une façon qui transpirait le vécu. Et je suis d'autant plus convaincu que tu aurais dû faire appel à moi plus tôt au lieu de passer autant de temps à t'inquiéter.

L'Hadjaoui tendit une main vers elle et, lorsqu'elle posa ses doigts dans sa paume, il ferma sa prise et l'attira à lui pour la prendre dans ses bras. Il l'entoura pour former un cocon autour d'elle et posa sa tête sur le sommet de son crâne, non sans y avoir déposé un baiser au préalable. Il maintint ainsi son étreinte un petit moment avant de poursuivre à demi-voix.

-Ce n'est pas moi qui te jugerai pour ce qu'il t'a fait. Puis il se recula juste assez pour voir à nouveau le visage d'Aerianna. Mais je ne me doutais pas à quel point tu aimais qu'on te fasse du mal...

Là encore, il n'y avait aucun jugement dans son regard, sa voix ou son attitude. Plutôt de l'incompréhension et de la stupéfaction. Même s'il ignorait ce qu'elle avait demandé exactement à l'eldéen, étant donné ce qu'il lui avait fait la première fois, cela ne pouvait qu'avoir des conséquences dramatiques. A ses yeux, il était évident qu'il risquait de la tuer mais le désir de la jeune femme avait été si fort qu'elle n'en avait apparemment pas eu conscience. Ce n'était pas le moment de le lui balancer en pleine figure mais cela soulevait d'autres questions qui le concernait forcément.

-Est-ce que ça risque de devenir un problème ? Pour nous j'entends. Parce que -je te l'ai dit- il est hors de question que je te fasse le moindre mal.

J’étais soulagée, toutes ses réactions n’étaient pas allées vers mon soulagement mais ses mots oui, et j’étais douée pour ce qui était de ne que retenir ce qui m’apportait des émotions positives. La stupeur, l’incompréhension, tout ça passerait. Cette main dans laquelle je glissai mes doigts, ces bras dans lesquels il m’étreignit, ce baiser qu’il déposa sur mes cheveux, tout ça resterait gravé dans mon esprit. Parce que tout venait après une des plus terribles des révélations, et que tout avait quand même la même saveur. Et la chose la plus étrange se produisait, alors que je comprenais que si je ne le craignais pas c’était aussi grâce à l’Enchanteresse, et dans une moindre mesure le fou qui l’avait accompagnée. Il y avait quelque part la possibilité que je n’aie pas été la victime, il y avait quelque part la possibilité que j’aie été le monstre, et le monstre pouvait-il être traumatisé de ses propres actes ? Cette ligne de pensée n’atteindrait sûrement jamais mon amant, elle était trop sombre pour lui, je pensais.

Il continua de parler après avoir rompu son étreinte, et j’allais encore m’exposer à lui, avec la quasi certitude qu’il n’y aurait pas de jugement. Car il ne se doutait pas, il n’avait pas compris, et je ne lui avais pas bien expliqué.

Je me rappelais de cette fois où je lui avais dit que la douleur me faisait du bien, mais je n’étais pas allée plus loin, emportée par la passion et légèrement déçue de son refus de me faire mal. Maintenant, avant de répondre à son autre question, je voulais être la plus explicite possible, lui expliquer, puis lui dire à quoi il devait s’attendre. C’était un sujet compliqué, c’était comme expliquer à un homme à quel point je ressentais un plaisir différent lorsqu’un autre me faisait l’amour, et si notre relation n’avait pas été clarifiée comme très ouverte dès le début j’aurais été incapable de lui dire. Même là c’était désagréable, mais bon, il fallait. « Je ne ressens pas la douleur, pas du tout, c’est même tout l’inverse. » Je commençai, en levant un regard brillant vers lui. « C’est du concentré de plaisir, comme quand on… » Je continuai sans terminer cette phrase. « C’est un peu différent, quand même, mais je pense que j’ai besoin des deux, et la magie que j’ai peut suffire mais le plaisir qu’on s’offre n’est jamais le meilleur… »

Je fermai les yeux, battis des paupières lentement, et repris la parole, doucement. « Ce ne sera jamais un problème pour nous deux… » Je me repris, alors que je savais avoir fait une erreur dans mes propos. « Ce ne sera plus un problème pour nous deux. Plus que le plaisir que tu m’as apporté c’est de ton amour dont j’ai besoin. » Je me perdais dans des méandres de réflexions et j’avais du mal à exprimer quelque chose que je ressentais, quelque chose que je voulais exprimer, c’était si compliqué, mais si important. En temps normal je lui aurais fait une promesse, celle de ne jamais l’y confronter, et j’aurais essayé de m’y tenir, avec un échec au bout, sûrement. Mais là, je me souvenais de ce dont la prêtresse de Néera avait eu besoin pour faire monter le plaisir, et si je savais que c’était près d’être impossible, je n’avais eu aucun rapport de cette nature avec quelqu’un depuis, et peut-être qu’en quelques ennéades ma condition n’était plus.

Si elle était encore là, il y aurait une nouvelle révélation à lui faire.

Ou je pouvais essayer d’obtenir une concession de sa part, une seule, maintenant. Il fallait prendre le risque… Je demandai, doucement, dans un souffle. « Tu ne veux pas me faire de mal, mais est ce que… » Je repris ma respiration une fois, deux fois. « J’ai besoin de savoir. S’il n’y a pas de différence quand je gémis, quand je crie, quand j’exprime mon amour pour toi, s’il n’y a pas d’autre différence que des lignes d’énergie magique sous ma peau, aimerais-tu quand même me faire l’amour, m’aimerais-tu quand même ? »

Les révélations d'Aerianna étaient confuses. Elle oublia d'achever certaines phrases, en lâcha d'autres sans utiliser aucun filtre, repris des gants pour l'interroger... Sauveur avait du mal à savoir où se positionner dans tout ceci, d'autant que les paroles de sa bien aimée l'embrouillait un peu plus encore. Elle avait besoin de la douleur pour ressentir pleinement le plaisir et cela le troublait. Voire le dérangeait. Il se souvenait de cette fois dans les bains du Palais de Geresh... Des heures pendant lesquelles les murs de marbre avaient vibré sous les gémissements de la jeune femme et de son cri lorsque l'extase l'avait enfin saisie. De la façon dont elle était écroulée ensuite, s'abandonnant entièrement aux attentions de son compagnon qui l'avait ramenée dans sa chambre puis couchée. De l'amour sincère qui était né de ce moment unique entre eux... Et elle lui disait que tout cela n'était rien en comparaison d'une pincée de souffrance ?
L'expression du mercenaire s'était fermée au fur et à mesure que ses réflexions avançaient. Elle lui demandait d'ajouter son propre piment à leurs ébats. Elle ne pouvait pas se contenter de ce qu'il lui offrait -et on ne pouvait pas dire qu'il ne se donnait pas corps et âme dans ces instants-là-. C'était vexant d'un certain côté mais aussi blessant car il n'aimait véritablement faire l'amour que lorsqu'il avait des sentiments pour sa partenaire. Ce qu'il lui faisait n'était autre que l'expression de ce qu'il ressentait...

-Tu es entrain de me dire... que je ne te suffis pas. Que tu ne prends pas assez de plaisir quand on fait l'amour... Que te faire du mal t'en procurerait plus ?

Il n'était en train de l'accuser de vouloir coucher avec d'autres. Il avait toujours été clair sur ce point, elle pouvait faire ce qu'elle voulait de ce point de vue. En revanche, il avait du mal à admettre que ses attentions ne lui faisaient pas autant d'effets qu'il le pensait. Soit elle n'était plus la même, soit elle était une fabuleuse comédienne pour lui avait faire croire le contraire. Il savait qu'elle aimait la douleur mais ne s'était pas douté à quel point...

-Ce n'était pourtant pas l'impression que tu me donnais. J'étais persuadé que tu prenais vraiment du plaisir avec moi. C'est nouveau ou tu as réussi à me le cacher jusque là ?

Bien sûr qu’il l’avait pris de cette façon, et j’entrai dans un moment de panique en me rendant compte que c’était tout à fait normal, même si j’étais tout de même surprise. « Je suis une idiote. » C’était la chose la plus simple que j’avais à lui dire, et dans la précipitation c’était ça qui était sorti en premier. Dans beaucoup de situations j’aurais pensé que l’autre avait compris de travers, dans beaucoup de situations je me serais agacée de voir l’autre ne pas me comprendre alors que j’avais été parfaitement claire, mais Sauveur était l’exception, et s’il me comprenait de travers, c’était parce que je m’étais exprimée de travers. Je tentai de me calmer en respirant profondément, mais rien n’y faisait… J’avais tellement peur que tout n’explose à cet instant là, bêtement. Ma voix était plus aigüe qu’à son habitude, moins maîtrisée, et je me mis enfin à parler, à essayer d’expliquer.

« Ce n’est pas ce que… pas ce que tu dis… pas ce que je voulais dire… » La maladresse et la précipitation ne s’étaient pas estompées et je m’y heurtais en hésitant bien trop, laissant mon discours s’entrecouper alors que mes yeux s’étaient refermés. « Je n’ai pas joué la comédie avec toi, tu m’as poussée au bout, et chaque son, chaque cri, tout était vrai… » L’honnêteté, une honnêteté pure, sans le moindre doute. « La douleur… c’est juste une autre façon… d’arriver au même résultat, aux mêmes sons, aux mêmes cris, pas à plus… » Une vérité qui contournait mes doutes. « Je ne pense pas avoir changé, je t’aime toujours autant, et il n’y a que toi que j’aime, Sauveur. » L’honnêteté, encore, et mes yeux qui s’étaient ouverts, plus humides que je ne les voulais. « C’est juste que… je jouis aussi quand j’ai mal… et j’ai… » Non, je ne pouvais pas lui dire ça de cette façon, c’était logique, je ne pouvais pas être plus explicite, il en souffrirait trop. « Je suis désolée… j’ai l’impression d’être un monstre quand j’essaie d’expliquer ça… » Et il y avait au moins un homme qui l’avait pensé, un jour, que j’étais un monstre.

Je respirai profondément quelques instants, pas assez pour qu’il ait le temps de tout digérer, juste assez pour être plus calme. Le calme ne dura que quelques instants, juste assez pour que tous mes prochains mots ne s’alignent dans mon esprit, juste assez pour les lui lancer à une vitesse folle, même s’ils allaient tous rester bien compréhensibles. « Quand je t’ai dit que je te voulais, à chaque fois, je ne te mentais pas. Et en te disant que je te veux, là, maintenant, je ne te mens toujours pas. »

Je ne me jetai pas dans ses bras en terminant, il fallait encore qu’il m’accepte.

Une fois encore, Sauveur écouta sans un mot. Son visage était bien plus fermé et dur que ce qu'elle connaissait de lui. Ils ne s'étaient que très peu fréquentés avant qu'il ne réclame son aide quelques ennéades plus tôt et, s'il était un peu austère les premiers temps, il était devenu de plus en plus chaleureux à mesure qu'elle s'approchait de son cœur.

Le mercenaire ne disait rien mais il observait et réfléchissait beaucoup. Il voyait l'état dans lequel sa question avait plongé la jeune femme, la peur soudaine qui l'avait envahie, la sincérité dans ses yeux, les tremblements dans sa voix. Et l'expression de l'Hadjaoui s'adoucit presque imperceptiblement à mesure qu'elle parlait. Il avait toujours des doutes et des interrogations mais il était assez enclin à la croire lorsqu'elle lui assurait avoir toujours été naturelle avec lui et il le lui exprima par un signe d'apaisement.

Les dernières paroles d'Aerianna lui firent fermer les yeux dans un très bref soupir amusé. Si elle était d'humeur, lui ne l'était pas tout à fait. Entre le silence de la Princesse au cours des ennéades passées, la teneur de leur conversation actuelle et ce que ce drow lui avait fait subir, il n'avait pas vraiment la tête à lui faire l'amour pour l'instant et encore moins avec elle. Après tout ce qu'elle avait traversé, cela lui semblerait horrible, même si l'initiative venait d'elle.
Après quelques secondes, il rouvrit les paupières et observa l'héritière un instant.

-Tu n'es pas un monstre Aerianna... J'ai juste... du mal à comprendre comment c'est possible. Et j'ai peur aussi que, même si notre relation n'est pas exclusive, elle ne te satisfasse jamais vraiment. Il marqua une pause avant de poursuivre. Je ne peux pas te combler sur cet aspect-là donc j'imagine que tu le chercheras ailleurs. Je n'ai évidemment aucun avis à donner sur tes autres partenaires ou compagnons mais j'aurais juste une requête. Si tu en prends un pour te faire ce que tu aimes, que ce soit quelqu'un qui se maîtrise et en qui tu puisses avoir confiance pour ne pas aller trop loin... Je ne supporterai pas qu'on te fasse encore du mal.

Il se détendait, il acceptait mes assurances, il s’apaisait, assez pour me le montrer en tout cas. J’avais moins peur, mais parce qu’il ne faisait encore que m’écouter j’avais peur que tout change, surtout quand ses yeux vinrent se fermer. Mais il les ouvrit à nouveau, et il parla. C’était peut-être normal mais il exprimait encore beaucoup de doutes, c’était peut-être normal mais il ne me croyait pas tout à fait, c’était peut-être normal mais il tentait de me contraindre pour la suite, là où j’avais tout accepté sans une hésitation. Je secouai la tête, doucement, laissant ma chevelure s’écouler gracieusement d’un seul côté de ma tête, laissant par inadvertance se dévoiler une moitié d’oreille qu’il n’avait peut-être pas encore vue dans cet état. Je voulais pouvoir répondre favorablement à sa requête, je voulais pouvoir lui dire que notre relation me satisferait pleinement et pour toujours, mais j’aurais menti, et je ne pouvais que secouer la tête, comme ça, comme une idiote.

Un timide sourire s’était affiché sur mon visage mais il ne communiquait pas grand-chose.

Je m’avançai vers lui avant de poser une main sur son torse, sans coller le reste de mon corps à celui qui semblait ne plus avoir été mon amant depuis bien longtemps. « Tu ne me comprendras peut-être jamais à ce sujet, comme je ne te comprendrais pas. » Le constat venait avec un pincement de frustration, mais il fallait l’établir. « Mais ce n’est pas un problème pour moi, Sauveur, je n’ai pas besoin de tout comprendre pour t’aimer. » Une larme que je ne pouvais comprendre glissa contre ma joue, s’élançant au même moment qu’une symétrique, pour plus tard la rejoindre sur mon menton. « Dis moi que c’est pareil pour toi, s’il te plaît. Dis moi que ça ne suffira pas pour empêcher ce qui a existé de revenir, s’il te plaît. Dis moi que je n’ai pas besoin de te faire une telle promesse, s’il te plaît. » Lui faisais-je du mal en lui demandant tout ça ? Je n’en savais rien, peut-être voulait-il me comprendre entièrement, peut-être ne voulait-il pas reconstruire, peut-être voulait-il me contrôler, peut-être ne voulait-il pas me dire tout ça.

« Si tu as besoin de temps, je peux te l’offrir. » Je conclus, en réaction à cette impression de vouloir lui faire dire des choses dont je ne pouvais être certaine, avant de baisser la tête et les bras.

Sauveur ne manqua pas d'apercevoir l'oreille d'Aerianna et l'observa l'espace de quelques secondes. Elle avait fait effacer toutes les traces de ce que cet être -à défaut d'un meilleur mot- lui avait fait subir... sauf cela. Pourquoi ? La raison lui échappait mais il venait de réaliser que ce n'était pas la seule chose qu'il ne comprendrait peut-être jamais. Et, comme un écho à ses propres pensées, la Princesse formula la même idée à voix haute dans un constat lourd de sens.

En fait, l'Hadjaoui se rendait compte que la femme qui se tenait devant lui était très différente de ce qu'il avait imaginé. Avec sa peur des hommes, il la pensait sensible mais pourvue d'une grande force en elle étant donné le courage qu'elle avait déployé pour le côtoyer seul à seul et apprendre à lui faire confiance. A présent, il découvrait ses penchants et se demandait légitimement s'ils étaient réellement compatibles. Il en avait eu l'impression jusque là, même si elle avait déjà essayé de l'attirer plusieurs fois sur un chemin qui n'était pas le sien.

Elle lui avait assuré qu'elle avait toujours été sincère avec lui, alors...

-La question n'est pas vraiment de savoir si je peux t'aimer malgré cela. Je l'ai toujours su, c'est juste que je n'avais pas réalisé à quel point ça t'attirait. Tout ce que je te demande, c'est de faire attention à toi... Parce que je t'aime.

Il porta alors une main sur la joue de la jeune femme, séchant quelques larmes avant de la poser là. Ses sentiments ne s'effaceraient pas aussi facilement mais il était normal que quelques petites choses soient remises en question ou l'interrogent au vu des révélations qu'Aerianna venait de lui faire.

-Je crains seulement que tu te lasses de ce que j'ai à t'offrir pendant nos ébats. J'ai besoin de m'assurer que ma façon de faire te convient aussi. Moins pour moi que pour ma famille...

Le regard de Sauveur se fit assez explicite en évoquant la notion de "famille". Il voulait bien évidemment parler de Sanaa et de leurs filles. Lui serait capable d'encaisser s'il s'avérait que leur histoire ne pouvait perdurer à cause de certaines divergences. En revanche, il ne voulait pas faire entrer une autre figure maternelle dans la vie de ses enfants pour qu'elle disparaisse inexplicablement quelques temps plus tard. Et, maintenant que sa compagne était au courant pour son second amour, la chose devenait tout à fait possible. C'était le message caché de cette phrase : il avait tenu parole et avait tout dit à Sanaa.
Lui aussi avait été sincère depuis le départ.

« Je ne me lasserais pas de toi, je te le promets. Je le dis pour toi et pour ta famille. »

Cela faisait partie des choses qui étaient difficiles à contrôler, difficiles à promettre, et je n’aurais peut-être pas dû le faire comme ça, mais là, avec sa main qui s’arrêtait sur ma joue et mon cœur qui s’emballait, j’essayais de me convaincre autant que j’essayais de le convaincre lui, et il n’y avait qu’une véritable promesse pour remplir cet office. Il ne parlait sûrement pas de sa famille en vain, elle était trop importante pour lui, et si je ne compris pas tout de suite où il voulait en venir je savais que c’était important et qu’à son contact je devrais faire un effort pour ne rien perturber. Un effort auquel je consentais par amour, un amour que je démontrai une nouvelle fois en me hissant sur la pointe des pieds pour l’embrasser. Quand je me détachai de lui, faisant quelques pas autour de lui, je n’avais plus qu’un sourire aux lèvres, alors qu’à cette nouvelle épreuve une conclusion qui n’était pas désastreuse avait été trouvée.

Après un court silence la discussion reprit, arpentant des sentiers bien différents de ceux qui venaient d’être arpentés, des sentiers où il n’y avait pas de douleur, juste des sujets qui nous tenaient à cœur mais qui ne jouaient pas sur la relation fragilisée. Je ne le poussai pas pour que l’échange devienne charnel, alors qu’il n’avait pas été très réceptif à ma proposition, et que s’il ne m’avait pas répondu je devinais qu’il avait bel et bien besoin de temps. La discussion s’étendit légèrement et en rapport avec ma position en Ithri’Vaan je lui annonçai que si peu de temps après nos retrouvailles le devoir m’appelait dans la principauté de Baaz’Hima, alors que le Prince Marchand de la cité voulait rencontrer celle qui le rejoindrait un jour au Conseil de Thaar. Pour ne prendre aucun risque je lui annonçai que je ne savais pas quand je rentrerais, uniquement que ce ne devait pas être avant la seconde moitié de la prochaine ennéade. Le lendemain nous nous étions rencontré à nouveau, pas longtemps, juste assez pour une discussion dans laquelle je lui demandai des nouvelles de sa famille, des nouvelles de Sanaa, alors que je n’en avais pas trop parlé la veille.

Puis vint le moment de notre séparation, une séparation qui fut difficile, mais bientôt nous nous retrouverions, et j’avais hâte.

***

Karfias, première moitié de la huitième ennéade
An dix-sept du onzième cycle

Cela faisait quelques jours que j’étais rentrée, et je n’avais pas perdu de temps pour retrouver Sauveur.

Quelques mots furent échangés à propos d’Ethirëlon, le Prince de Baaz’Hima, mais pas un instant je ne m’étais amusée à parler de lui en mal, car même si tout ne m’avait pas plu, il était important que je ne risque strictement rien, car même si Sauveur n’allait rien répéter, les murs étaient couverts d’oreilles. Je restais honnête sur tout, néanmoins, et de nouvelles discussions allaient fleurir. Des discussions importantes, car elles l’étaient toutes quand elles étaient avec le mercenaire, mais encore une fois, sans couvrir les sujets de conversation minés, par peur de heurter un point sensible et de détruire tout ce qui avait été reconstruit. La bonne nouvelle, car il y en avait une, c’était que je pouvais écouter le son de sa voix pendant des heures sans me lasser, même quand ce n’était pas la voix que j’avais entendue pendant ces multitudes d’ébats qui semblaient désormais lointains. Trop lointains ?

Il m’avait fallu une poignée de jours pour que finalement je parle de ce sujet, d’ailleurs, et le moment était arrivé quand je l’avais convaincu d’essayer à nouveau.

J’étais encore consciente de quelques dysfonctionnements mais j’avais réussi à me convaincre petit à petit qu’il fallait que j’essaie, ou je risquais de tout perdre par peur de le décevoir. Tout commença parfaitement, alors que j’avais l’impression de n’avoir plus aucun problème, plus aucun d’aussi important que le précédent, en tout cas. Mon corps était particulièrement réceptif à ses attentions, et si j’étais légèrement plus silencieuse qu’à mon habitude, je ne me rendis pas compte que c’était l’anticipation et une idéalisation du moment qui me permettait de répondre favorablement à ses caresses, et à tout ce qu’il osait me faire. Et puis, il était si doux, si attentionné, qu’aucun souvenir de cette terrible soirée ne vint m’empêcher de fonctionner, aucun souvenir de cette terrible soirée ne vint le remplacer par un monstre hideux, une réalisation que je ne fis pas dans le moment, car elle m’aurait emmené exactement là où je n’aurais voulu aller.

Puis vint le moment où je me positionnai sur lui, puis vint le moment où il entra en moi, puis vint le moment du drame.

Je ne le sentais pas, aussi fou que cela puisse paraître, je n’étais même pas sûre de ce qu’il se passait, c’était comme s’il n’était pas là. J’avais oublié, et quelque chose m’empêchait de me souvenir. Quelque chose qui tint bon plusieurs instants, plusieurs aller-retours, avant que je ne comprenne et que les souvenirs reviennent. J’aurais pu le lui expliquer, j’aurais pu lui dire que j’avais perdu quelque chose, et que même si on m’avait dit que ça reviendrait éventuellement, pour le moment ce n’était pas là. Mais la surprise, alors que je pensais toutes mes sensations revenues, la surprise m’arracha des larmes, des sanglots, alors que j’étreignais Sauveur de toute mes forces, comme si j’avais peur que ce qui était en train de m’arriver le fasse disparaître, purement et simplement. Je pleurais, comme trop souvent je l’avais fait dans aussi peu de rencontres, et je ne savais pas quoi dire, alors je ne dis rien, le laissant dans un doute qui ne faisait aucun sens.

Seuls quelques mots franchirent mes lèvres, pour se glisser directement dans son oreille.

« Je ne sais pas ce qui m’arrive… »

Sauveur sentait qu'Aerianna évitait certains sujets mais, discernant sans mal desquels il s'agissait, il ne fit rien pour l'en empêcher. Ils avaient besoin d'un peu de temps pour se retrouver. Surtout après ce qu'elle avait vécu. Surtout après ce qu'il avait appris d'elle. Surtout après des ennéades de silence durant lesquels il avait craint le pire pour eux. Curieusement, alors qu'elle lui avait fait comprendre qu'elle était prête à reprendre leur relation là où elle s'était arrêtée, lui ne l'était pas. Il était pourtant connu pour être insatiable en matière de plaisir de la chair mais il ne voulait pas s'y risquer si tôt. Quoi qu'elle en dise, un viol restait une épreuve très lourde. Patience avait connu ça, même s'il n'en connaissait pas les détails. Toujours était-il qu'elle en portait les stigmates aujourd'hui encore, et ce alors qu'elle avait eu un enfant avec un homme qu'elle aimait. Alors, si peu de temps après l'épisode du drow...
Non, il ne pouvait pas s'y résoudre.

De son côté, il évoqua l'annonce qu'elle avait faite à Sanaa depuis quelques temps déjà. Elle n'avait pas sauté de joie, bien évidemment, et elle se montrait méfiante quant aux intentions d'Aerianna. Elle ne comprenait pas quel intérêt elle pouvait avoir en couchant avec un homme comme lui et lui recommandait d'être prudent. L'Hadjaoui chercha à rassurer la Princesse sur ce point, elle était ainsi par nature et pour de bonnes raisons. D'autant plus après l'épisode de l'associé de sa sœur qui l'avait empoisonné un an durant. Il était persuadé que cela lui passerait.
Il lui donna quelques nouvelles de Sagesse et Liberté puisque l'héritière semblait s'y intéresser. Il avait du mal à cacher son affection pour celles qui étaient devenues bien malgré lui le joyaux de sa vie. Il lui avoua d'ailleurs qu'elles n'étaient pas désiré. Du moins pas de son côté. Sanaa avait choisi seule d'arrêter de faire le nécessaire pour ne pas tomber enceinte et l'avait mis devant le fait accompli. Elle avait eu l'impression que jamais il ne voudrait d'enfants alors que l'envie la tiraillait de son côté. Pourtant, la question n'était pas là... Il sortait à peine de l'Aile Blanche à l'époque et se retrouvait dans une nouvelle forme d'esclavage avec ce contrat passé avec Maralina. Il ne pouvait pas envisager d'être père dans ces conditions. Il avait eu besoin de temps pour lui pardonner et faire de cette nouvelle une bonne nouvelle.

Lorsqu'ils se quittèrent ce jour-là et le lendemain, Sauveur n'était pas encore pleinement serein et ne pouvait pas vraiment s'en cacher malgré ses efforts. Il n'était pas encore totalement convaincu que leur relation pouvait fonctionner malgré leur affection sincère. Puis Aerianna s'absenta quelques jours durant lesquels il prit grand soin de ne pas parler à Sanaa de la conversation qu'il avait eu avec la Princesse. Après tout, elle n'avait pas à savoir qu'elle avait été violée, ni qu'elle aimait la douleur. Il se changea les idées en prenant soin de sa petite famille autant que son travail le lui permettait.

L'Hadjaoui fut rassuré de voir l'héritière le recontacter dès son retour de Baaz'Hima et ne manqua pas de répondre au plus vite à son appel. Rapidement, la question du sexe revint sur le tapis. Si lui était toujours réticent, il sentait l'insistance de la Princesse sans vraiment la comprendre. Il était vrai qu'ils avaient rapidement entamé ce sujet dans leur relation mais quelle urgence y avait-il à reprendre leurs ébats ?

Après plusieurs jours, il finit par accepter de retenter l'expérience et se laissa aller aux baisers voluptueux d'Aerianna. Au début, tout allait très bien et Sauveur sentit la passion lui revenir bien vite. Il évolua prudemment, encouragé cependant par les soupirs de la jeune femme. Il restait plus attentif que d'habitude aux réactions de sa partenaire, lui ayant bien dit qu'elle pouvait l'interrompre à tout moment. Et puis, elle prit le dessus sur lui et il la laissa faire si c'était ainsi qu'elle se sentait le plus à son aise pour cette seconde première fois. Elle le fit entrer en lui et, si le plaisir de se sentir à nouveau à l'étroit était bien là, il n'y goûta pas tout à fait. Son attention était portée sur tout autre chose. Il guettait les réactions de son amante, s'assurant que tout allait bien pour elle avant d'accepter de se laisser emporter par les sensations que lui provoquait ses va et vient sur lui.
Très vite, il comprit quelque chose n'allait pas et, quand elle se mit à le serrer de toutes ses forces, il lui rendit la pareille. Il ne put alors s'empêcher de penser qu'il n'aurait pas dû céder, que c'était trop tôt... Pourtant, il n'avait pas la moindre idée de l'origine des pleurs d'Aerianna. Elle n'émit que quelques mots et il y réagit bien vite. Il sortit d'elle et l'allongea sur le côté, la gardant toujours contre lui dans une étreinte rassurante. Il glissa plusieurs phrases à son oreille pour essayer de l'apaiser, la serrant avec cette délicate force mesurée dont il faisait plus preuve que jamais.

-Ce n'est rien. On va en parler si tu veux, calme-toi. Ce n'est que moi...

Il n’y avait jamais rien eu de plus rassurant dans ma vie que l’étreinte de Sauveur, mais même cela ne suffirait pas, pas cette fois. Ils n’étaient pour l’instant que des pleurs de frustration et pas encore de profonde tristesse, mais les larmes n’en étaient pas moins véritables, les larmes n’en étaient pas moins réelles, et elles envoyaient une quantité de messages que je ne voulais pas envoyer à Sauveur, pas maintenant. Je ne voulais pas que ça se termine comme ça, je ne voulais pas qu’on parle, je ne voulais pas qu’on parvienne à une conclusion catastrophique, je ne voulais pas que tout s’arrête. Ce n’était pas rien, c’était quelque chose, et c’était important. Dans une envie désespérée de me montrer plus forte que je ne l’étais j’essayai d’arrêter les sanglots, puis les larmes, parvenant à peine à me calmer comme il me l’avait demandé. L’effort était immense, mais il valait le coup, il était même vital, car si je perdais Sauveur, j’étais convaincue de tout perdre. Mais c’était peut-être trop tard, car il s’était retiré de moi, et que s’il me gardait contre lui, ce n’était pas ce que je voulais à cet instant.

Je balbutiai une réponse à son questionnement, encore légèrement secouée par des hoquets. « Je pensais que c’était passé… j’ai un problème, depuis… » Une pause qui avait pour objectif de rendre évident de quoi je parlais, sans le nommer. « … je ne sens plus rien… mais… je pensais que c’était passé… »

L’explication était partiellement donnée, mais la ligne de pensée suivante était simple, et elle exigeait de moi que je ne m’arrête pas, elle exigeait que j’aille au moins au bout de son plaisir. Même si le mien n’était pas rassasié, d’ailleurs, car il importait plus que je n’importais, et que mon impossibilité de ressentir la moindre goutte du plaisir que j’aurais dû ressentir ne m’empêchait en rien de m’offrir à lui. Je souris à travers mes dernières larmes, je souris dans un regard brillant et embrumé, je souris et je le regardai. D’abord dans les yeux, longuement, alors que les hoquets s’arrêtaient peu à peu, puis un peu plus bas, puis beaucoup plus bas, avant que mon regard ne revienne se fixer au sien. Je voulais qu’il oublie, un seul instant, le temps de me donner l’autorisation, le temps de profiter de ce que je pouvais lui apporter, avant de me confronter à nouveau à lui et à ce qu’il ne pouvait m’offrir à cet instant.

Je continuais de sourire, et une petite voix vint faire une proposition qui ne devait pas faire beaucoup de sens dans la situation, une proposition qu’il refuserait sans doute, mais qu’une certaine avidité retrouvée m’empêchait de repousser. « Laisse moi… te… comme dans les bains… s’il te plaît… avant de… discuter… »

Contrairement à ce qu'il pensait, les larmes d'Aerianna n'avaient rien à voir avec lui ou ce qu'ils étaient en train de faire. Leurs ébats ne lui rappelaient pas le sombre, ni ce qu'elle avait enduré. Il n'y avait rien qu'il ait mal fait, pas même d'accepter de se laisser aller dans ses bras après l'une de ses nombreuses demandes. Non, ce qui la meurtrissait n'avait rien à voir avec tout cela. Sa réaction n'était pas tant dû à un problème psychologique que physique.
Elle ne sentait rien... Vraiment rien ?! Cela avait de quoi le perturber et ne faisait que lui faire réaliser l'ampleur des dégâts que son corps avait subit lors du viol. Ce monstre l'avait meurtrie jusqu'à ce point-là... Cela fit monter en lui une colère qu'il s'évertua à faire taire aussitôt. Il ne fallait pas que son amante prenne cette réaction pour elle. A ses yeux, elle restait la victime d'une situation qui certes était de son fait mais qui l'avait dépassée, et de loin.

Aux dernières paroles de la Princesse, Sauveur fronça les sourcils. D'abord d'incompréhension puis de surprise alors qu'il faisait le lien entre le précédent regard de la belle et les souvenirs de ces heures passées dans l'eau chaude à Geresh.

-Je te dirais sûrement oui... si je ne t'aimais pas. Répondit-il doucement.

S'il était un homme quelconque, plus intéressé par son propre plaisir que par celui de sa partenaire au point de ne faire que peu de cas de ce qu'elle pouvait ressentir, alors il aurait très certainement sauté sur l'occasion. Mais comme toute personne réellement engagée dans une relation affective, il plaçait sa compagne bien avant lui. Il n'avait pas besoin de voir le bout de son plaisir du moment qu'elle avait connu le sien. Alors, si elle ne pouvait sentir le bien qu'il voulait lui procurer...

-Si tu ne peux pas jouir, je ne jouirais pas non plus. Déclara-t-il, un sourire rassurant et déterminé se dessinant aux coins de ses lèvres.

Et puis, il ne pourrait pas... Pas après avoir réalisé à quel point on lui avait fait du mal. Pas après avoir entendu les sanglots de son amante et vu couler ses larmes sur ses joues. Quel genre d'homme serait-il s'il acceptait une telle chose ? D'ailleurs, son désir disparaissait déjà peu à peu.

Avec douceur, il porta une main sur le visage de l'héritière et caressa sa joue, effaçant quelques perles salées au passage. Ce n'était pas la première fois qu'il avait ce geste envers elle et ce ne serait certainement pas la dernière... Pas dans un tel contexte. Et il n'avait pas l'intention de l'abandonner ainsi.

-Parle-moi. Qu'est-ce qu'il se passe ?

Il m’enlevait une façon de passer à autre chose, de me libérer de ces doutes, au moins un certain temps pour me distraire de tout ça. Je ne pouvais lui en vouloir, car ce qu’il m’exprimait n’était pas dénué de sens, et aussi très rassurant, alors que c’était motivé par son amour plus que par autre chose, un amour qui dépassait le plaisir charnel que nous pouvions mutuellement nous prodiguer, un amour qui lui empêchait de recevoir ce que je ne pouvais recevoir. Mais il y avait une pensée sombre que j’essayais de chasser, c’était bien facile, pour lui, alors que ce plaisir qu’il refusait que je lui donne il pouvait l’obtenir d’une autre femme. « Je suis désolée, je ne devrais pas, je n’aurais pas dû… » Je m’excusai d’une voix qui tremblait légèrement, alors que je prenais conscience de ce que je lui avais demandé, avec une nuance qui ne s’en allait pas, avec l’impression qu’il m’interrompait dans ma guérison. « …mais j’ai l’impression d’en avoir besoin… » Je m’en voulais, de rajouter ces mots, mais ils étaient venus tous seuls. Je secouai alors la tête, comme pour lui signifier que c’était dommage mais que j’acceptais sa décision.

« Je ne sais pas ce qu’il se passe, personne ne sait ce qu’il se passe. » Je commençai, alors que le regarder et laisser retomber l’excitation ramenait les larmes, qui n’étaient plus accompagnées de soubresauts. « On m’a dit que ça pouvait passer, on m’a dit que c’était à cause de… ce qu’il s’est passé… » Je marquai une pause, pour chasser les souvenirs avant qu’ils ne reviennent, chasser l’ombre, la laisser lointaine, emprisonnée. « On m’a dit que c’était peut-être dans ma tête, on m’a dit qu’il me fallait le temps de passer à autre chose. » J’avais demandé à l’argenté, j’avais demandé aux autres soigneurs qu’il avait invité, et ils me répondaient ce genre de banalités, comme si je n’étais pas déjà passée à autre chose. « Mais ça fait longtemps, et j’ai fait l’effort d’oublier tout ça… » Je ne me rendais pas compte que je n’arrivais toujours pas à en parler, au-delà de l’annonce faite à Sauveur plus d’une ennéade plus tôt. « Il ne devrait plus y avoir de problème… mais… je ne sens toujours rien… »

« Si ça ne revient pas… je ne sais pas… j’ai peur… » J’avais peur que les pensées sombres puissent bien facilement revenir, j’avais peur que je finisse par lui en vouloir d’être avec une autre femme qui fonctionnait correctement, elle. Et j’avais peur qu’à terme, si ça ne changeait pas, je ne puisse le garder, alors qu’il ne pourrait que continuer de refuser mes attentions.

J’aurais peut-être dû lui mentir, je pensai, mais aurais-je pu jouer la comédie jusqu’au bout ?

-Parce que tu crois que j'ai envie de ça après t'avoir vu pleurer ? Demanda-t-il sans une once de reproche dans la voix, comme pour lui faire réaliser l'évidence. Je crois que tu me connais encore bien mal, mon amour... Et que tu sous-estimes les sentiments que j'ai pour toi.

Dans une relation, tout ne tournait pas autour du sexe. Alors oui, certes, il pouvait toujours être comblé par Sanaa en rentrant mais croyait-elle vraiment qu'il pouvait compenser avec l'une ce qu'il n'avait pas eu avec l'autre ? Cela reviendrait à penser à une autre femme en plein ébat à ses yeux et, en la matière, il vivait uniquement le moment présent. Pour lui, l'acte de chair représentait un partage d'amour et il ne saurait donner l'affection qu'il ressentait pour Aerianna à une autre femme...
Ce serait probablement ce qu'il lui aurait dit si elle avait évoqué cette pensée à haute voix.

Il l'écouta lui expliquer ce qu'il venait de se passer et le lien que cela avait avec le traumatisme qu'elle avait subi. Mais les explications qu'elle lui transmettait de ses médecins étaient plus que nébuleuses. Un problème d'ordre psychologique ? Elle devait penser à autre chose ? C'était tout ce qu'on lui avait prescrit ? Il était plutôt sceptique.

-Honnêtement, j'ai pas eu l'impression que tu pensais à ce qu'il t'est arrivé. Tu étais avec moi, pas ailleurs... Observa-t-il, plutôt contrarié par le verdict des éminents soigneurs de la Princesse.

Certes, elle n'avait pas fait preuve d'autant d'entrain que d'habitude mais quoi de plus normal ? Elle appréhendait sans doute... Un peu leurs premiers ébats et un peu le fait de ne rien sentir. Cela ne le choquait pas plus que ça et il ne voyait pas de raison pour que le fait d'entrer en elle ne provoque absolument aucune réaction physique...
Mais à peine avait-il prononcé ces mots qu'Aerianna exprima ses craintes. Aussitôt, il la prit dans ses bras de plus belle et la serra tendrement.

-On trouvera une solution, ne t'en fais pas. Lui susurra-t-il, se voulant aussi convainquant que possible.

Il n'avait en effet aucune certitude mais il savait par expérience que le moral jouait pour beaucoup dans la rémission de n'importe quel mal. En attendant, il avait bien l'intention d'être présent à ses côtés autant qu'il le pourrait.

Ses mots étaient doux, ses mots étaient apaisants, ses mots étaient rassurants, ses mots étaient comme son étreinte, et ils effaçaient d’autres mots qui n’avaient que fait grandir ma peur. Si j’avais déjà dépassé le drame et que ce n’était pas ça qui m’empêchait de sentir quoi que ce soit, la seule porte de sortie qu’on m’avait proposée était déjà condamnée ? Mais comme précisé, cette pensée avait été balayée, et si ce n’étaient pas mes soigneurs qui devaient trouver la porte de sortie, ce serait Sauveur, je voulais que ce soit Sauveur. Les larmes ne se renouvelaient plus et l’étreinte achevait de me calmer, de me permettre de penser à la suite plutôt que de rester coincée dans un présent qui avait été frustrant. « Oui, on trouvera, on ne peut que trouver. Si tu restes près de moi je ne craindrais rien, et tout ça n’existera plus, ce n’est pas… »

J’avais beaucoup d’autre choses à dire, plus ou moins intéressantes, qui reprenaient tout ce qui avait été dit et servait à me rassurer, mais j’étais aussi épuisée, et toute cette tension, tous ces doutes, ils me poussaient vers un état dans lequel rien de tout ça n’existait, ils me poussaient vers un état de tranquillité. Mes bras se crispèrent autour de lui, comme pour l’emporter avec moi là où j’allais, ma respiration se fit plus lente, plus douce, mon visage se détendit, puis je glissai légèrement contre lui, puis je glissai en dehors d’un monde de conscience, et je m’endormis là, contre lui, en un temps record. Il n’y avait que lui qui puisse faire ça à cet instant là, il n’y avait que lui qui m’aimait assez pour que je n’aie aucun doute que tout s’arrangerait et que je pouvais dormir sans me soucier de quoi que ce soit, dans un énième sommeil sans rêve.