L’héritière

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MessageSujet: L’héritière   L’héritière I_icon_minitimeDim 24 Nov 2019 - 22:26

Sissthylias Al’Chaszmyr

Tariho 45 Favrius de l’An 17:XI, entre Qiryah et Ys.

Sissthylias avait installé Aja sur le devant de sa scelle et l’éphémère était contre elle menue comme une enfant et silencieuse comme une morte. Plusieurs fois pendant leur équipée, elle manqua se convaincre que la gardienne était morte. Las, la gardienne était chaque fois sortie de sa léthargie, tantôt gémissant une supplique plaintive, tantôt marmonnant une réponse inaudible à une question qu’elle était la seule à entendre. L’ancienne mercenaire la côtoyait depuis assez longtemps désormais pour ne pas s’émouvoir outre mesure de ses égarements ; tout au plus s’amusait-elle d’en comprendre chaque jour un peu plus les ramifications.

Ils avaient quitté Qiryah depuis quelques heures à peine quand Yanit proposa qu’ils s’arrêtassent pour se reposer, ce qui ne manqua pas d’agacer Sissthylias. L’ancien tavernier avait longuement insisté pour les accompagner quand la gardienne avait annoncé qu’elle devait se rendre à Thaar ; depuis qu’il avait lui aussi reçu la bénédiction de la Voilée, la daedhel se montrait excessivement protecteur envers l’éphémère et Sissthylias était convaincue que sa principale motivation à se lancer dans ce pénible voyage était de s’assurer qu’elle ne maltraitait pas trop Aja.

« Ys est encore loin, soupira la fille de Munbebi et de Truan en dardant des prunelles impatientes sur son compagnon de voyage. Aja nous a bien fait comprendre que nous n’avions pas de temps à perdre, je ne pense pas…

Je le sais bien, la coupa le noirelfe avec humeur, mais si nous continuons à ce rythme, nous ne savons pas dans quel état elle sera quand nous arriverons à Ys. »

Les deux daedhels prenaient bien garde à maîtriser leur voix pour ne pas parler trop fort, désireux de préserver le sommeil troublé de l’objet de leur discorde. Le peu de cas que faisait Sissthylias de la santé de celle qu’elle avait renommé Aja était une source d’ire sans cesse renouvelé pour Yanit et ils s’écharpaient souvent à ce sujet. Toute leur communauté se souvenait de son ire quand il avait découvert les premiers tatouages — d’un bleu céruléen qui rappelait la teinte si particulière de l’encre du wagyl rivois qui barrait déjà son dos — qui recouvraient désormais l’épiderme de la mortelle. L’idée était venue à Sissthylias quand Aja lui avait conté l’histoire de son bâton, de ce qu’il avait représenté pour elle et de ce qu’elle avait perdu quand l’Aînée l’avait réclamé pour Elle-même. La daedhelle avait décidé de rendre à sa « protégée » une Histoire dont elle pourrait toujours en tout temps et en tous lieux se souvenir et avait décidé que celle-ci ne serait pas soumise aux caprices des Cinq. Sur la peau d’Aja, elle avait donc écrit et continuerait d’écrire la geste de la Troisième Voie. Quand Yanit avait compris le peu de cas qu’elle avait fait de l’avis de la principale concernée dans cette entreprise, il avait manquer cédé aux Chants du Prisonnier et retourner les armes du Guerrier contre Sissthylias. Non seulement les longues heures durant lesquelles la noiraude maltraitait Aja avec ses aiguilles laissaient cette dernière complètement épuisée, mais au demeurant c’était une véritable hérésie qu’elle gravait dans sa chair ; elle usait certes d’une graphie de son invention, savamment imaginée pour induire en erreur les Eldéens, mais c’était tout de même une Épée de Damoclès indélébile qu’elle avait accroché au dessus de la nuque de l’éphémère.

« Si nous continuons à ce rythme, nous pourrons embarquer pour Thaar demain, répliqua-t-elle avec un haussement d’épaules. Elle s’en remettra. Tu sais comme moi tout le bien que lui fait l’Olienne.

Embarquer à Qiryah nous aurait à peine retardé et lui aurait épargné bien des souffrances, soupira Yanit en dardant des prunelles inquiètes sur Aja.

Elle veut être à Thaar le plus rapidement possible, rappela encore une fois Sissthylias en roulant des yeux.

Tu veux surtout rentrer au plus vite, l’accusa-t-il avec un rictus dégoûté. Tu sais que là où nous allons, tu n’es rien et cela te terrifie.

Un jour, je comprendrai pourquoi tu m’en veux tellement qu’elle m’ait choisi, moi, contra la noiraude en feulant presque. Ou pourquoi tu es si ingrat que je t’ai choisi, toi, alors que j’aurais pu me tourner vers tant d’autres. » Quand Aja lui avait demandé de trouver d’autres doebens qui, comme elle, seraient susceptibles d’embrasser la Troisième Voie que Sa déesse pouvait offrir, elle avait tout de suite pensé à Yanit. Elle regrettait souvent cette intuition. Il allait d’ailleurs répliquer — comme pour confirmer ses griefs —, mais Aja choisit ce moment pour s’arracher à ses affres.

« Paix, Yanit, » souffla-t-elle si faiblement que Sissthylias fut bien forcée de reconnaître que son insupportable contradicteur était peut-être partiellement dans le vrai. La noirelfe la vit porter sa main à son entre-sein, ainsi qu’elle le faisait si souvent ; elle n’avait jamais compris ce geste. « Peu importe ses raisons, Sissthylias dit vrai : le temps m’est compté. Elle a besoin de moi. »

Elle prononça ces derniers mots avec une douleur évidente et les deux doebens ne surent que répondre. Ils échangèrent un long regard, puis Yanit opina lentement du chef ; de concert, ils lancèrent leurs montures au galop.

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MessageSujet: Re: L’héritière   L’héritière I_icon_minitimeLun 25 Nov 2019 - 7:53

Sanaa Noblegriffon

Calimehtarus 48 Favrius de l’An 17:XI, dans la demeure des Noblegriffon.

Très tôt après sa rencontre avec Aislinn, Sanaa avait décidé de haïr cette figure étrange et lugubre qu’elle appelait « Mère » et avoir rencontré le Vaisseau de la Voilée en personne n’avait guère changé la donne. Elle avait certes été impressionnée par le personnage, mais c’était à peu près tout ce qu’elle pourrait jamais lui concéder ; elle ne lui pardonnerait jamais ses crimes, au premier lieu desquels figurait l’abandon de cette enfant qu’elle appelait son « héritière ». Au moins la famille que Sanaa avait perdu était tombé sous les coups injuste du reste du monde… Katalina, elle, était juste partie.

Il est trop tard pour tes remords, vielle femme, grinçait-t-elle d’ailleurs en son fort intérieur tandis qu’elle dardait sur la gardienne des prunelles courroucées. Sanaa avait vite surmonté la surprise de voir la Péninsulaire se présenter sur le pas de « sa » porte : Katalina avait pénétré le domaine de ses héritières comme s’il était le sien propre, ce qui l’avait mise hors d’elle. « Aislinn n’est pas ici, asséna-t-elle. Si vous voulez mon avis, je pense que c’est là un heureux hasard.

Je ne suis pas sûre que ton avis l’intéresse, » fit doctement remarqué l’une des deux daedhels qui servaient de guide à la gardienne. Elle esquissa un rictus sardonique avant de baisser les yeux sur Katalina. « Que fait-on ? On se lance à sa recherche ? » Elle reporta son attention sur leur hôte. « Tu sais où on peut la trouver ?

Bien sûr, » répondit-il un peu crânement. Mais il est hors de question que je vous le dise, ajouta-t-elle par-devers elle. « Je ne sais pas pourquoi vous êtes revenue, mais Aislinn a déjà assez souffert comme cela, asséna-t-elle avec humeur.

Je le sais, répondit la Péninsulaire et sa voix était lourde de ses regrets. Je me souviens. »

Le second noirelfe, qui était demeuré silencieux et en retrait jusqu’alors, fit un pas de côté avant de s’avancer vers elle. Instinctivement, elle recula d’un pas ; ce n’était pas tant qu’elle craignait les enfants du Vatna plus que d’autres, mais elle n’ignorait pas leur réputation et la première était armée. Cette dernière ne chercha pas à cacher son amusement en ricanant devant ce manque de courage ; le daedhel ne fit rien de tel et arrêta plutôt son avancée en levant les mains dans un geste apaisant. « Dès qu’Aja s’est souvenue des épreuves d’Aislinn, elle nous a sommé de la conduire ici, lui apprit-il et sa voix était plus douce que Sanaa aurait voulu l’imaginer. Nous avons voyagé aussi vite que possible et elle a besoin de repos.

Elle a surtout besoin de voir la petite, objecta la première drow avec agacement.

Sissthylias, Yanit, les interrompit Katalina — Aja ? — en détournant légèrement la tête dans la direction du second. N’importunez pas Sanaa avec vos querelles. »

Les deux sombres se figèrent de concert et le dénommé Yanit ravala la réplique qui de toutes évidences lui brûlaient les lèvres. Sanaa haussa un sourcil surpris ; elle avait cru que ces deux-là étaient des mercenaires quelconques, recrutés par la dernière Noblegriffon de sang pour son voyage ; elle n’en était plus si certaine désormais. Les épées-louées qu’elle connaissait se serait bien moqué de ce genre d’ordres ; bien sûr, la Noblegriffon n’était pas une client comme les autres, mais il régnait en réalité entre ces trois-là une étrange complicité qui sous-entendait clairement qu’ils se connaissaient depuis quelques temps désormais.

« Pourquoi on perd notre temps avec elle, de toute façon ? » demanda Sissthylias en croisant ses bras pour mieux darder un regard impatient sur Sanaa.

Yanit darda sur sa congénère un regard dégoûté, mais ce fut Katalina qui répondit à sa question avec une douceur surprenante et en se tournant vers la Vaanie. « Parce qu’elle est la sœur de ma fille. » Sanaa posa un regard circonspect sur elle. Les deux femmes ne s’étaient rencontré qu’une seule fois, dans un temple de la Voilée ; elles n’avaient échangé que quelques mots. Elles ne se connaissaient pas. Il n’était guère surprenant, dès lors, que la gardienne ne la traitât pas de la même manière qu’Aislinn et pourtant… Pourtant ! Sanna se découvrit presque déçu de se voir ainsi désignée, alors même qu’elle avait tant et tant lutté pour que ce nom qu’elle avait reçu d’Aislinn fût connu et respecté à Thaar. Katalina, cependant, n’avait pas terminé et elle ajouta : « Parce qu’elle est mon héritière, elle aussi.

Je ne… » voulut protester Sanaa avant de se réfréner. Elle ne pensait pas la gardienne capable de lire dans ses pensées, mais préférait cependant s’épargner le risque de se trouver ridicule. Elle détourna le regard, un peu gênée, et voulut lisser les plis de sa robe pour s’occuper les mains. Cette sorcière se joue de moi, pesta-t-elle intérieurement. Elle finit cependant par rendre les armes et abandonna sa rancœur de façade pour adopter un ton plus sérieux. « Je ne comprends pas ce que vous espérez accomplir en venant ici après toutes ces années, » lui expliqua-t-elle et elle était la première à le regretter.

L’aînée des Noblegriffon, malgré tous ses efforts, continuait de se débattre avec un traumatisme plus insidieux qu’il n’y paraissait, mais son comportement continuait de la trahir. Elle était par exemple incapable de se nourrir d’un plat qu’elle n’avait pas elle-même préparé ou qu’elle avait quitté trop longtemps des yeux. Jadis trop confiante envers autrui, elle frisait désormais la paranoïa dès qu’un nouveau client se présentait à leurs portes. S’il avait existé un remède miraculeux pour guérir Aislinn des stigmates de l’emprise qu’avait eu Salem sur elle, Sanaa se serait lancé sans hésiter à sa recherche ; elle ne croyait plus aux contes et aux légendes de son enfance, cependant.

Ce dont la jeune Rivoise avait besoin, c’était du temps et l’amour de ses proches et rien d’autres. Les fantômes de son passé ne lui apporterait rien.

« Il est des mots qu’elle a besoin d’entendre et que moi seule peut lui dire, » déclara la gardienne.

Sanaa n’ajouta rien, mais après quelques secondes, ses épaules s’affaissèrent ; elle savait que son combat était perdu d’avance. Aislinn ne lui pardonnerait jamais si la Vaanie lui apprenait qu’elle avait chassé « Meavh » et moins encore de le lui cacher. La dernière chose dont la jeune femme avait besoin était que sa sœur de cœur cessât de lui faire confiance ; en l’état, c’était la pire chose qui pouvait leur arriver à toutes les deux. Après quelques instants de flottement supplémentaires, elle se tourna vers le daedhel Yanit — elle ne savait pas pourquoi, mais de ses trois visiteurs, il était celui qui la dérangeait le moins. « Je vais lui faire préparer une chambre, » annonça-t-elle d’une voix atone avant de prendre congé.



Dernière édition par Mémoire le Mar 26 Nov 2019 - 20:47, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: L’héritière   L’héritière I_icon_minitimeLun 25 Nov 2019 - 15:34

Aislinn Noblegriffon

« Je vais bien, Digne, » affirma Aislinn. en réponse à une question de son compagnon. Le regard du jeune homme trahit le peu de foi qu’il pouvait accorder à la réponse de sa compagne et l’aînée des Noblegriffon de se demander à quel moment il avait cessé de la croire quand elle répétait cette litanie. Quand j’ai commencé à lui mentir, soupira-t-elle intérieurement et cette pensée lui arracha un frisson lugubre. Il lui était devenu plus facile de garder par-devers elle certaines confessions, non plus pour préserver le Hadjaoui comme elle en avait eu la méchante habitude, mais pour se protéger elle.

Après la… mort de Salem, elle avait dû se sevrer de la drogue du traître ; elle avait souffert comme jamais auparavant et plusieurs fois, elle s’était demandé si sa douleur connaîtrait jamais de fin. Quand elle était au plus mal, à se tordre piteusement sur elle-même dans son lit, à pleurer toutes les larmes de son corps, elle s’était pourtant accrochée à l’idée que des jours meilleurs l’attendaient ; qu’il lui suffisait d’être forte encore un peu, puis qu’elle pourrait reprendre sa vie là où elle l’avait laissée ; qu’elle pourrait retrouver Digne et Sanaa et Aimé et ses nièces.

Elle avait eu tort.

L’angoisse et l’anxiété étaient devenues ses deux compagnes de marche ; elles lui emboîtaient le pas partout où elle allait. Même si elles étaient devenues beaucoup plus rares, ses migraines n’avaient pas totalement disparu et chaque fois qu’elle sentait un soupçon de douleur s’abattre sur ses tempes, elle ne pouvait pas s’empêcher de paniquer. On avait beau lui répéter que ces choses-là étaient normales et qu’il lui faudrait encore du temps et de la patience pour tourner la page, elle ne pouvait s’empêcher de craindre être à nouveau victime d’une machination.

Son tourment le plus cruel était autre, cependant : même plusieurs ennéades après sa chute, il suffisait d’un rien pour que l’héritière sentît l’ombre de Salem planer sur elle et elle avait l’impression que le Thaari continuait de la manipuler même depuis sa tombe. Elle dormait mal et quand elle fermait l’œil, elle retournait souvent dans son bureau pour confronter à nouveau son bourreau, mais cette fois-ci il trouvait les mots pour mater sa rébellion ; Digne accourait pour l’arracher à ses griffes, mais elle se retournait contre lui et c’était dans son flanc qu’elle plantait le tisonnier maudit.

La première fois qu’elle avait tué Digne était la première fois où elle lui avait menti. Elle s’était réveillée en pleurs et complètement paniquée et l’avait secouée par les épaules en sanglotant des propos incohérents ; le pauvre Hadjaoui avait eut toutes les peines du monde à comprendre ce qui était en train de lui arriver et à la calmer par la suite. Quand elle avait repris pris avec la réalité, la jeune femme avait cru perdre pied et s’était retrouvé incapable de lui avouer les détails de son cauchemar. Depuis, elle faisait son possible pour guérir, mais il lui semblait qu’elle ne faisait aucun progrès ; tout juste lui devenait-il plus facile de feindre aller mieux. Elle en était venue à se convaincre qu’il viendrait un jour où il lui serait devenu si naturel de présenter un visage heureux que son bonheur deviendrait réel.

Elle savait que Digne n’était pas dupe de son manège — il la connaissait bien et elle était une piètre menteuse —, mais estimait tout de même être parvenue à minimiser l’étendu de son mal-être. Il l’encourageait à lui parler et elle lui confiait certaines choses… tout en en dissimulant d’autres. Elle n’avait pas le choix, se répétait-elle à l’envie. Si elle cédait, si elle lui disait tout, si elle ne lui cachait plus rien, elle ne pourrait pas se relever ; alors elle s’accrochait aux défenses qu’elle avait péniblement érigé, parce qu’il lui semblait que c’était la seule chose qui pouvait la protéger.

Malgré toutes ces épreuves, la vie d’Aislinn avait peu à peu retrouvé un cours relativement « normal ». Sanaa continuait de gérer en grande partie les affaires des comptoirs, mais son aînée faisait son possible pour l’y aider ; elle demeurait en retrait et ne rencontrait plus grand monde, mais elle et sa sœur décidaient pratiquement tout de concert. Sa relation avec Digne pâtissait certes des non-dits des deux compagnons — Aislinn savait toujours bien peu de choses de ce qu’il avait vécu en Péninsule, par exemple —, mais ils avaient retrouvé une vraie complicité et elle n’avait jamais tant l’impression de redevenir elle-même que lorsqu’ils parvenaient à passer du temps ensemble, avec d’autres projets que de profiter de leurs présences respectives. Leur couple était comme prisonnier d’un temps très long — la Rivoise était bien incapable de se projeter et d’envisager de grands changements — et Digne savait que cette situation ne pourrait pas forcément durer éternellement, mais elle restait le roc sur lequel elle savait pouvoir se reposer.

Bien sûr, quand ils rejoignirent la demeure Noblegriffon ce soir-là, elle était loin de se douter que sa routine était sur le point de voler en éclats.

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MessageSujet: Re: L’héritière   L’héritière I_icon_minitimeLun 25 Nov 2019 - 21:46

Aislinn Noblegriffon

Lorsqu’elle avait posé son regard sur Meavh, Aislinn avait senti s’entrechoquer dans son cœur des émotions contradictoires ; il y avait de la joie et il y avait du soulagement et il y avait de la nostalgie et il y avait… des regrets ? De l’amertume ? De la rancœur ? Elle ne s’était pas senti capable de faire le tri dans ce marasme épais qui lui comprimait la poitrine, trop effrayée à l’idée de ce qu’elle pourrait y trouver. La gardienne n’avait pas esquissé le moindre mouvement quand Aislinn avait refermé la porte de l’ancien bureau de Varlar derrière elle ; sa fille adoptive avait passé assez de temps à ses côtés pour reconnaître entre mille l’expression perdue qu’elle abordait. Elle est ailleurs, avait-elle soupiré intérieurement ; depuis, elle attendait, indécise sur la meilleure marche à suivre. Plutôt que de prendre une décision, elle préférait la dévorer du regard.

Malgré les nombreux tatouages qui recouvraient désormais sa peau et malgré sa robe étrange qui laissait nues ses épaules et la terrible cicatrice de son entre-seins, elle n’avait pas changé. C’était comme si elle s’était arrachée au passage du temps. Elle ne se laissait pas tromper, cependant, par cet énième tour de la Voilée ; elle avait bien compris, lors de leur dernière rencontre, que la femme qu’elle avait connu n’était plus.

Meavh était morte ; il ne restait plus que Son Instrument.

Elle le savait, l’avait accepté et avait entamé son long travail de deuil ; les premiers mots qu’elle prononça, pourtant, furent pour sa mère perdue et ils n’étaient pas aussi résignés qu’ils auraient dû : « Est-elle toujours là ? »

Un violent frisson secoua l’échine de la gardienne à ce moment-là, mais elle ne répondit pas tout de suite et Aislinn se demanda si elle l’avait seulement entendu ou si elle devait blâmer le hasard pour cette réaction.

« Meavh… Ma mère, est-elle toujours là ? »

Le menton de la gardienne trembla légèrement et elle tourna subrepticement la tête dans la direction de la Rivoise ; son visage était un peu hagard et elle déglutit péniblement avant de répondre. « Je suis là, murmura-t-elle et sa voix était plus rauque que dans les souvenirs de son ancienne protégée. Si je suis là, c’est qu’elle n’est pas totalement partie. » Elle serra son poing en inspirant profondément, avant de poser sa paume sur sa cicatrice ; ce geste surprit Aislinn, autant qu’elle l’attrista. Meavh ne parlait jamais de sa cicatrice et moins encore la touchait. Il n’y a bien que son corps qui n’a pas changé…

« Un jour, Meavh m’a dit qu’Elle ne la laisserait jamais mourir, répondit Aislinn sans chercher à dissimuler toute la tristesse qu’elle pouvait ressentir. Lors de notre dernière rencontre, j’ai trouvé plus simple d’imaginer qu’elle avait trouvé un semblant de Paix. Que tu n’étais pas elle. J’avais tort, n’est-ce pas ? »

La gardienne eut un nouveau mouvement de menton, cette fois dans la direction opposée à son ancienne protégée. « Je me souviens de chaque jour que nous avons passé ensemble, » énonça la Noblegriffon avec difficulté. Aislinn se mordit violemment la lèvre inférieure ; elle en était venu à haïr ce leitmotiv de sa mère adoptive, car il symbolisait les affres dans lesquels elle se débattait. « Je me souviens de l’amour que j’ai pour toi, continua la gardienne sur le même ton. Je me souviens de la peur que j’éprouvais à l’idée de t’entraîner dans ma chute. » Elle marqua une pause. « Depuis qu’Elle a posé Son regard sur moi, la Voilée a tout fait pour conjurer les Chants que le Prisonnier a fredonné pour moi ; mais ceux qui comptent notre histoire ont toujours résisté à Ses assauts. »

Aislinn étouffa un sanglot, prise de cours par cette confession inattendue ; elle fit un pas dans la direction de Meavh et quand elle se rendit compte que la joue gauche de son aînée était elle aussi baigné de larmes, elle se précipita contre elle pour l’enlacer. Quand elle sentit sa mère adoptive l’enserrer de son bras, ses dernières murailles s’effondrèrent et elles s’affalèrent au sol en douceur, se berçant et câlinant l’une l’autre.

« Je ne serai plus jamais une mère pour toi, souffla Meavh à son oreille, mais les Chants qui nous unissent ne mourront jamais. » Et la gardienne d’ajouter, sur le ton de la confidence : « Elle le sait et Elle me maudira toujours pour cela. »

Avant longtemps, Meavh était assise en tailleur et Aislinn était allongée à ses côtés, la tête posée sur ses genoux, à profiter de ses caresses sur ses tempes ; elles parlaient depuis assez longtemps pour que la jeune femme eût perdu totalement la notion du temps.

Quand la gardienne lui avait avoué qu’elle savait les méfaits de Salem, la Rivoise — et elle en était la première surprise — lui avait tout avoué ; tous les secrets qu’elle avait désespérément voulu garder pour elle, qu’elle avait caché même à Digne parce qu’elle s’était vite convaincu que les divulguer la détruirait, elle les lui avait confié ; jusqu’à ce cauchemar horrible où elle tuait son compagnon après avoir cédé aux sirènes de son bourreau.

« Je ne sais pas quoi faire, murmura-t-elle en conclusion de ses aveux.

Continuer à lutter, souffla Meavh en réponse et c’était comme si la Rivoise retrouvait véritablement sa mère.

Je ne sais pas si je le peux, confessa encore Aislinn.

Tu le dois, s’entendit-elle répondre. Pour toi. Pas pour Digne ; pas pour Sanaa ; pas pour moi et surtout pas pour le nom que je t’ai légué. Pour toi seule. » Surprise, la jeune femme se redressa sur son bras droit et leva les yeux sur le visage de l’aveugle. Elle n’était pas certaine de comprendre. « Je me souviens, Aislinn, expliqua Meavh si doucement que ses paroles étaient à peine audible. Je me souviens avoir profité de toi, de ton innocence et de ton désir sincère de faire honneur à cet héritage qui t’a été imposé pour te manipuler. » Son visage se tordit sous les coups de ses regrets. « Je me souviens t’avoir vu te tuer à la tâche pour devenir un jour cette femme que tu imaginais que je voulais que tu sois. » Elle marqua une pause, profitant du lourd silence qui s’abattit sur elles pour lui caresser la joue. « J’ai fait de toi mon héritière, mais tu restes libre de tes choix.

Je voulais juste être à la hauteur de la femme que tu étais, avant… commença Aislinn avant de perdre ses mots.

Ô, ma douce enfant… » Meavh souriait. « Tu n’aurais pas aimé Katalina Noblegriffon. » Elle chercha ses doigts de sa dextre. « Il est grand temps que tu renonces à chasser cette chimère et que tu te mettes en quête de ta propre voie. »

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