Tout ça pour du bronze.

Début de la première ennéade de Bàrkios de l’an 17 : XI

L’équipage était joyeux, le navire glissait rapidement sur l’eau accompagnés et les marins chantaient comme si leurs souffles pouvait se conjuguer au vent pour faire accélérer le Katrian. Mais ce dernier n’en avait pas besoin, il n’était pas poursuivi et sa cargaison survivrait facilement jusqu’à leur arrivée à Thaar, qu’il s’agisse de marchandises ou des goules enchaînées dans les cales. Bien que l’équipage n’était pas spécialement de grands amateurs de ces créatures mortes-vivantes, il fallait admettre que c’était toujours utile lors d’abordage et puis, justement, lors d’abordages, c’était souvent ce qui faisait que les abordés se rendaient. Il faut dire que voir la façon dont on va finir suffit bien souvent à refroidir les plus ardents.

Le port de Thaar put donc accueillir un équipage de fort bonne humeur et, la nuit approchant, l’équipage en question, se partagea finalement le butin et il se dispersa dans les tavernes et autres bordels pour dépenser comme il se devait le fruit de leur dur labeur. Le capitaine quant à lui resta à bord et il observait les nombreuses lumières de l’immense ville, les gens qui passaient par là, une partie titubait, d’autres devaient se tenir aux murs où à leurs camarades mais la majorité n’en était pas là. Avec une main sur la barre, une bouteille à moitié vide posée sur le bastingage, il avait l’air mélancolique. Lilyanna monta les escaliers qui permettait de monter sur le château arrière et s’approcha pour se mettre contre ledit bastingage pour prendre la bouteille et en avaler une gorgée avant de le regretter. Elle se retint de peu de recracher la liqueur particulièrement forte mais sa grimace fit rire le capitaine.

« Alors tu nous quittes ? »
« Pas définitivement, ne t’inquiète pas, il faut que je retrouve un truc de très important. De capital. »
« En lien avec l’Unique j’imagine. »
« Tu imagines bien. »
« T’en as pour combien de temps ? »
« Aucune idée. Peut-être deux heures, peut-être deux ans. »
« Puisse ton Dieu te guider alors. »
« Puisse-t-Il vous guider aussi, est-ce que vous savez dans combien de temps vous allez revenir à Thaar ? »
« Sûrement une ennéade, peut-être deux, si les courants et le vent nous est favorable. » La prêtresse hocha la tête avant de regarder à nouveau la mer. « Lilyanna, avant de partir est-ce que tu peux balancer tes monstres par-dessus bord ? » La prêtresse se retourna brusquement en entendant son nom et la requête la fit sourire.
« Si tu t’éloignes un peu du port, oui. Je ne veux pas prendre le risque d’en voir une trouver le chemin de la côte. »
« On fera ça demain alors, l’équipage est… »
« Occupé? »
« Ouais on peut dire ça comme ça. »
« Je te retrouve demain alors, il faut que je trouve des gens pour m’aider dans mes recherches. »

Le capitaine hocha la tête et regarda Lilyanna repartir d’où elle était venue. Cette dernière passa par sa cabine pour aller chercher de l’argent puis elle mit pied à terre et fit le tour de plusieurs tavernes pour faire passer le mot : elle cherchait quelques personnes pour l’aider à recouvrer un objet qui lui était particulièrement important ; les intéressés étaient donc invités à se rendre au Katrian dans les plus brefs délais.

Deux jours plus tôt, il était encore en Anaëh et sans une rencontre heureuse et inattendue dans les bois, probable qu’il y soit encore…

C’est qu’après son petit détour par Nelen, il avait eu besoin prématurément de se tenir à l’écart de la région, de cette haute-prêtresse à laquelle il doit restituer une statue mais qui aurait très certainement posé des questions auxquelles il n’a pas envie de répondre… Sur Nelen, il a vu l’inévitable conflit qui se profile, quand bien même il pourrait encore s’écouler des années avant que les belligérants en soient conscients. Après une pareille déconvenue, forcément que se plonger dans ses études et dans un quotidien dans lequel tout ça n’existe pas, ça se prolonge autant que possible, en laissant les problèmes dans un coin, à prendre la poussière. Mais le revoilà…

Oui, le revoilà, mais il a pas l’intention d’aller restituer la breloque tout de suite, ça, non ! Alors forcément, quand, dans une taverne dans laquelle il étanche sa soif, tape le carton et plume gaiement des pigeons fraîchement débarqués mais déjà saoul comme cochon, se présente l’appel de l’aventure, ça le titille, ça prend le pas sur le reste. Celui-ci a cette fois les traits d’une hybride que la compagnie régulière d’un Ryltar lui permet d’identifier d’après les traits remarquables d’une engeance des deux peuples éternels et dont il ne peut donc pas estimer l’âge.
Non sans offrir une dernière tournée à ses camarades de jeu - avec une partie de l’or gagnée -, il leur fait ses adieux et se met en route vers le Katrian, manifestement un navire qui venait de faire escale, à en croire d’ailleurs l’un de ses partenaires de table et probablement membre de l’équipage - ou un familier ? On s’en moque, non ? Oui, effectivement.

Et le voilà donc, dans sa tenue plus… discrète, en route vers le fameux navire où l’appel de l’aventure l’emmène tant qu’il n’est pas refroidi par la pensée qu’il puisse falloir prendre la mer, une vieille cape sombre, des gants assortis ainsi que son masque, sobre et sans expression sur lequel il rabat la capuche pour couvrir ses traits remarquables et ses écailles et dissimuler ses deux dagues. C’est dans une telle tenue qu’il se présente sur le pont du Katrian une fois accueillit par le capitaine, après avoir informé ce dernier de la raison de sa présence, à savoir l’invitation lancée par une certaine hybride, sans encore rien savoir de ce qu’il faisait là.

Et pendant ce temps, dans une taverne mieux fréquentée pas si loin que ça à vol d’oiseau ou de dräke, une barde chante et joue, accompagnée par deux lézards volants, offrant un spectacle encore peu répandue à la salle.

« C’est donc ça le Katrian ? … Pas mal … un modèle pareil ferait une belle addition à ma flotte. »

L’alchimiste arriva quelques minutes après le dragonnier sur le pont du Katrian. Comme lui, elle avait été attirée par la promesse d’une belle aventure. D’ordinaire, la Princesse Marchande n’en aurait eu cure, mais elle s’ennuyait ferme depuis quelques jours et il lui fallait étancher sa soif de nouveauté. Les négociations avec les marchands de Thaar pour la mise en place des nouveaux protocoles de transport des marchandises venaient à peine de se terminer et la jeune sang-clair avait du temps à perdre avant de retourner à Ys. Ses compagnons avaient déjà repris le chemin de la cité et elle savait qu’ils sauraient parfaitement faire tourner la boutique pendant son absence. Elle pouvait donc se permettre quelques … fantaisies …

Ce n’était donc pas pour l’or, mais bel et bien pour la promesse d’une belle aventure que la maître-alchimiste monta à bord du Katrian par ce frais mois de Bàarkios. L’avantage d’être une Princesse Marchande mineure, c’est que peu de gens connaissent votre visage. Vous pouvez donc passer incognito dans de nombreux endroits de l’Ithri’Vaan et si le titre de Protectrice d’Ys était connu, peu de gens connaissaient le visage de Cassiopée. Après tout, elle n’avait sa figure frappée sur toutes les pièces de cette contrée et elle ne diffusait pas des portraits d’elle dans toutes les cités pour flatter son ego. Elle rit intérieurement. Si La Valériane savait ce qu’elle s’apprêtait à faire, elle n’hésiterait pas à la ramener à Ys en la traînant par les pieds pour lui rappeler ses responsabilités.

Aujourd’hui, elle n’était que Cassiopée, maître-alchimiste, accompagnée de Suie, sa petite noireaude de compagnie, bien lovée à l’abri dans sa sacoche d’alchimie. Vêtue de sa traditionnelle chemise blanche et de sa longue jupe bleue serrée à la taille, l’alchimiste s’était équipée de son arbalète et d’un carquois doté de ses carreaux spéciaux. Elle avait avec elle un sac rempli d’affaires et une cape de voyage noire pour les grands froids.

Le capitaine ne fit aucune difficulté pour la laisser monter à bord. Il n’avait suffi que d’une phrase pour qu’on lui désigne l’homme au masque sans expression qui se tenait sur le pont. Visiblement, elle n’était pas seule à avoir répondu à l’appel de l’aventure. L’homme la dominait d’une bonne tête et l’alchimiste se demanda un instant s’il s’agissait d’un elfe ou d’un drow sous son masque. Il dégageait une impression étrange, mais pas menaçante …

Elle se porta à sa hauteur et s’appuya sur le bastingage. Cassiopée avait le pied marin : c’était une condition nécessaire dans son métier. On ne contrôle pas une flotte marchande en restant au port, bien au sec. Elle huma l’air du port et écouta le chant des greuh-mouettes … se demandant à quelle sauce le grand échalas et elle allaient être mangés.

Lorsque suffisamment de marins étaient revenus plus ou moins en état de travailler jusqu’au Katrian, le capitaine lança des manœuvres pour faire sortir le navire du port tandis que les trois assistants de la prêtresse priait avec cette dernière. Dans les cales les plus profondes de la caravelle, des bruits de chaînes s’entrechoquant résonnaient de plus belle, les goules tiraient sur leurs liens pour se jeter sur Lilyanna et ses comparses ; les morts-vivants finirent par se calmer, leur soif de destruction, bien que toujours présente, n’avait plus pour cible les vivants. Enfin elle hocha la tête et lesdits assistants se levèrent pour aller défaire les liens des monstres comme les appelaient les membres d’équipage. Une par une les créatures se jetèrent hors de la pièce à la recherche d’une proie mais à chaque fois qu’ils tombaient sur quelqu’un, la prêtresse les retint jusqu’à ce qu’elle les pousse à attaquer les espèces vivant dans l’eau. Au large des côtes, entre Geresh et Thaar, des morts vivants sautèrent d’un navire pour couler lentement au fond de l’eau et après quelques instants le navire repartit vers Thaar.

« Tes monstres vont retrouver l’Ithri’Vaan? » Demanda le capitaine alors que Lilyanna montait vers la barre, il avait tout vu et malgré le caractère un peu cocasse de la scène, il n’avait pas ri, pas même souris.
« J’en doute. Ils vont sûrement se faire manger par des poisons. Ou par un dragon, je les ai envoyés en direction d’Ashid-Kamil. »

Le capitaine hocha la tête puis lança quelques ordres et le navire l’ancre remonta lentement, les voiles furent déployées et le Katrian prit de la vitesse.

Quant à Lilyanna, bien que se débarrasser de ses créations lui laissait un goût amer en bouche, elle savait que c’était nécessaire, l’équipage ne voulait pas prendre de risque et c’était compréhensible vu que si elle n’était pas là les goules étaient incontrôlables. Elle les comprenait même si ça la peinait un peu. Durant le bref voyage de retour elle retourna dans sa cabine pour se changer, avec un peu de chance suffisamment de gens allaient répondre à l’appel le premier jour et elle n’aurait pas à attendre bien plus ; en soit ce n’était pas un pari très risqué, en effet les tavernes du port de Thaar regorgeaient de personnes désœuvrées sûrement à la recherche d’un peu d’argent, plus ou moins facile, si ce n’était de sensations fortes. La prêtresse savait que la première impression était la plus importante alors elle décida de faire un effort. Elle sortit sa robe bleue à bustier blanc de sa penderie puis elle mit des boucles d’oreilles d’argent ornées d’un saphir, elle rajusta sa coiffure avant de se rendre compte qu’elle ferait mieux de refaire sa tresse. Elle sortit finalement de sa cabine après avoir enfilé ses gants et mit son manteau.

Depuis le château arrière du navire elle regardait les gens monter ou descendre, pour le moment il s’agissait de membres d’équipage jusqu’à ce que des gens se mettent à rôder autour du Katrian bien que pour le moment personne n’osa monter ce qui changea bien vite. Haussant un sourcil, Lilyanna regarda les deux étrangers monter et se douta bien qu’ils n’étaient pas là pour s’engager à bord du navire. Elle descendit lentement les escaliers pour arriver à leur rencontre les mains dans le dos.

« Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue à bord du Katrian. Je m’appelle Lilyanna, je suis la prêtresse en charge des Souffles à bord de ce navire. Puis-je savoir vos nom ? »

C’était un joli prénom. Aussi joli que la personne qui le portait.

La femme qui se prétendait prêtresse – pentienne visiblement ? – était à l’image du melting-pot qui constituait l’Ithri’Vaan. Cassiopée pouvait voir qu’en elle se battait deux héritages encore plus opposés que celui qui constituait sa propre existence. Elle était d’une espèce plus rare que la maître alchimiste … une véritable hybride d’elfe et de drow. Au cours de son siècle et demi d’existence, Cassiopée n’avait pas connu énormément d’hybrides. Généralement, ils vivaient des existences discrètes … ou pas d’existence du tout pour les moins chanceux. Les plus chanceux étaient ceux qui avaient réussi à adopter un mode de vie que n’importe quelle personne trouverait si dangereux qu’elle abandonnerait l’idée aussitôt. Prêtresse sur un navire était de ces métiers qui rebutaient les plus hardis. Ce n’était pas une vie … mais pour beaucoup, c’était l’une des seules vies possibles.

Cassiopée toisa la prêtresse de son regard gris clair et fit une légère révérence en guise de salutations.

« Merci à vous dame Lilyanna. Je suis Cassiopée, maître-alchimiste de Thaar, pour vous servir. »

Ce n’était pas vraiment un mensonge. Elle était effectivement alchimiste … et née à Thaar. Cela serait suffisant pour l’instant. Il n’était nullement besoin d’en dire plus. Chacun ses secrets. Elle restait cependant curieuse d’en savoir plus sur l’homme masqué qui se tenait à côté d’elle. Elle se tourna et un grand sourire illumina son visage cendré.

« Et vous messire ? »

De bonnes salutations étaient de convenance. Après tout, si une aventure se profilait à l'horizon, autant être en excellente compagnie, avec des gens plaisants. Et avec un peu de chance, ils auraient le sens de l'humour. Par la Damedieu, une équipe avec le sens de l'humour serait une bénédiction pour une fois !

Un joli nom, oui, qui lui évoque forcément des souvenirs pas tous aussi jolis, malheureusement, mais ces derniers s’en trouvent bien vite chassés pour pleinement apprécier la charmante compagnie que le présent lui offre, au sein de laquelle il ne ferait presque pas tâche si seulement il ne s’était pas dissimulé sous ces frusques. Mais c’est le jeu, son jeu.

Bon, bien évidemment, elle lui demande son nom après s’être présenté, convenance et automatisme, dirons-nous, mais cela convient-il lorsque l’on a face à soi un masque ? Point de nom alors, mais un surnom, celui qu’il reçut de la Grise, quand bien même il pourrait avoir une signification bien plus malsaine venant d’un type qui dissimule et couvre chaque centimètre de peau à la vue de tous mais ça fait parti du mystère.

“ L’Ecailleux qu’on m’appelle, maître-vagabond d’un peu partout où s’étend l’ciel, pour vous servir, m’dame ! “

Quoi ? Il ne pouvait pas faire trop petite figure devant une maître-alchimiste, donc voilà, il sera maître-vagabond, quand bien même ça n’a aucun sens - ou pas ? - ! Et puis, qui peut prétendre qu’il ne mérite pas un tel titre, hein, alors qu’il vagabonde depuis dix ans maintenant, et qu’il a bourlingué partout ou presque - les nains et les drows, il a pas trop tenté.  Il emploie bien évidemment un ton plus familier, cela fait parti du personnage et cela colle très bien à sa tenue, du moment que ses précieuses et coûteuses dagues demeurent dissimuler, accompagnant le tout d’une révérence légère à l’attention de l’une et de l’autre des charmantes dames devant lui.

“ Dites voir… On va devoir prendre la mer ? “ S’adressant à Lilyanna, plus curieux qu’inquiet dans l’intonation, mais autant dissiper la première interrogation qui lui était venu en apprenant que le lieu de rendez-vous était un bateau.

L’activité à bord du navire était lacunaire, parfois quelqu’un beuglait un ordre qui était souvent répercuté mais mis à part ça et quelques hommes d’équipages qui chargeait des caisses dans les cales, le pont était calme, propice à la discussion. Une discussion qui, n’était pas désagréable il fallait l’admettre bien que peu ordinaire. Cependant la prêtresse devait admettre que son annonce, et la tâche qu’elle voulait accomplir était tout aussi singulière. Toutefois elle ne doutait pas de sa faisabilité, d’où son air jovial, son sourire amène.

« Heureuse de faire votre connaissance, Cassiopée. »

Elle avait eu le loisir de l’entendre ce nom, parfois portée par d’autres personnes, c’était surtout à Mecca qu’elle l’avait entendu. C’était un nom qui portait malheur car il avait la réputation d’apporter l’ire de l’Eris sur les navires assez imprudents pour naviguer avec quelqu’un se dénommant ainsi à bord. L’idée lui arracha un frisson, elle n’était pas certain d’y croire, après tout des croyances sur le grand océan du nord il y en avait tout un tas à Mecca alors lesquels étaient fondées et lesquelles étaient des histoires que les marins se racontaient ? La prêtresse n’avait pas encore passé assez de temps sur ce rocher perdu au milieu de l’océan pour le déterminer et peut-être qu’elle ne le saurait jamais. Dans le doute elle décidait de lui apporter un peu de crédit, savait-on jamais, ça pouvait toujours s’avérer utile. Mais voilà, la question de l’alchimiste l’intéressait également alors elle se tourna vers l’inconnu qui ne daigna pas dévoiler un prénom, même un faux ce qui était bien dommage mais ça n’effaça en rien le sourire de Lilyanna, s’il voulait rester entouré d’autant de mystère que de vêtement tant pis pour lui. Elle hocha donc la tête.

« Heureuse de vous rencontrer, l’Ecailleux. » Son sourire revint avec la question de ce dernier et elle poursuivit. « Non, normalement nous resterons à terre, de toute façon le Katrian repartira bientôt, sûrement avant que nous n’ayons terminé. En tant que maître vagabond je ne doute pas que vous avez le pied marin, je suis certaine qu’on vous trouvera une place à bord. » Son sourire devint taquin. « E vous, Cassiopée, avez-vous déjà posé le pied sur un navire ? »

A l’évocation du titre de « maître-vagabond », Cassiopée faillit éclater de rire. Si elle avait pu virer au rouge pivoine avec son teint de cendre, l’Ecailleux et la prêtresse auraient eu tôt fait de la voir contenir un fou rire. Les choses commençaient bien. Au moins, l’un d’entre eux avait de l’humour. C’était des plus plaisant.

L’alchimiste déclara d’un ton jovial en joignant les mains :

« Et bien, si tout le reste de l’équipe a autant le sens de l’humour, nous ne risquons pas de nous ennuyer ! »

Mais à peine eut-elle le temps d’humer à nouveau l’air marin et de retourner compter les mouettes de Greuh en attendant le reste des « candidats » que déjà, la dénommée Lilyanna la questionnait sur ses compétences. Il était clair qu’elle ne pouvait l’engager sans s’assurer du fait qu’elle ait déjà navigué.

Elle toisa la prêtresse de ses yeux clairs et sourit d’un air énigmatique :

« Les hasards de la vie ont fait que j’ai déjà eu à mener mes propres équipages ... Mais je suppose que si nous restons à quai, ces compétences ne vous seront pas utiles. »

Cela faisait bien longtemps que l’alchimiste n’avait plus opéré elle-même sur un bâtiment. Désormais, elle avait des équipages pour ça et des cartographes pour naviguer en eaux sûres. Néanmoins, elle avait de beaux restes et pouvait parfaitement prendre le rôle d’un sous-fifre si les besoins s’en faisaient sentir. En revanche, porter des charges lourdes ou briquer un pont, … Elle avait beau venir du petit peuple, elle pouvait être employée à mieux …

Restait à savoir ce qu’allait proposer Lilyanna vu que le navire n’allait pas quitter le port. Qu’est-ce qui pouvait bien mener une prêtresse à recruter des gens pour une affaire sur terre ? Et surtout …

« Veuillez m’excuser dame Lilyanna, mais vous avez omis de nous dire quelle est votre divinité patronne. »

« Allez pas importuner vot’ capitaine avec ça, non qu’je sois malade en mer hein, mais j’en aurais vite fait l’tour, de ce bateau, et ça m’plait moyen de tourner en rond comme un estoniel en cage ! » Ou leomenis, mais le dragonnier n’en ayant que le nom elfique à l’esprit, c’est celui-ci qu’il emploie, avec la prononciation qui va bien.

C’est ainsi qu’il décline l’offre d’emploi, avec la légèreté et la jovialité d’un merci mais non merci. Y avait bien d’autres raisons, mais on ne va pas s’embêter à les énoncer, c’est pas le propos. Une ou deux traversée par décennie, en fin de compte, ça lui convenait fort bien, c’est tout ce qu’il faut savoir !
A la remarque de la maître-alchimiste, il lui offrit une petite référence.

« A vot’ service ! »

Et là-dessus, il écoute, parce qu’en soit, c’est une bonne question, et puis… La prêtresse d’on ne sait encore quelle divinité – mais elle n’a pas les attributs d’une servante d’Othar, ça, c’est certain – ne semble pas presser d’entrer dans le vif du sujet, probablement parce qu’elle attend d’autres candidats qu’eux… Inutile donc de l’accabler de question, pour l’instant…

Les mains toujours dans son dos, la prêtresse alla s’adosser au bastingage pour croiser les bras, son sourire toujours accroché à ses lèvres. Très franchement elle doutait qu’ils allaient s’ennuyer et c’était tant mieux mais elle en vint à se demander pourquoi est-ce que l’alchimiste était monté à bord du Katrian. Elle se retint d’hausser les épaules, peu importe pourquoi elle était venu, le plus important était qu’elle allait aider. A la place elle haussa les épaules, en effet que Cassiopée sache diriger un navire n’était pas des plus utiles, après tout elle avait déjà des gens pour ça mais savait-on jamais, ça pouvait être utile, un de ces jours.

« Très bien je ferais passer le mot. » Répondit-elle avec un nouveau petit sourire. Elle desserra ensuite ses bras à la question de l’alchimiste, elle posa ses mains sur le bastingage.

« C’est vrai et je vous présente mes excuses. Si vous êtes en Ithri’Vaan depuis un certain temps peut-être le connaissez-vous… laissez-moi reformuler, peut-être en avez-vous déjà entendu : je suis prêtresse au service de l’Unique, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai nommé ainsi le navire sur lequel vous vous tenez. Et comme je suis certaine que la question doit vous brûler les lèvres, l’objet que je recherche, qui m’a été dérobé, est une relique de mon culte. »

En réalité la relique en question ne lui avait jamais appartenu mais comme elle était, à sa connaissance, la dernière survivante de ce qu’elle n’admettrait jamais qu’une secte parmi tant d’autres.

« Quant à vous, en quells divinités croyez-vous? »

Gedra, fille d’Avisha, s’approchait du Katrian, comprenant que les voix qu’elle entendait étaient celles qu’elle cherchait.

Elle avait à peine célébré sa vingtième année mais sa tenue de voyage était fin prête. C’était une tenue d’un gris sombre dans laquelle elle avait mis plusieurs années de sa vie alors que sa condition n’aurait dû lui permettre de seulement en rêver. En fait sa condition lui avait tout juste permi d’en rêver, c’était un coup de pouce du destin qui lui avait donné ce qu’il fallait pour finalement y accéder. Il s’était matérialisé en un sac d’argent si lourd qu’en plus de s’acheter une bonne lame courte et de bonnes bottes Gedra avait pu payer les dettes engrangées dans le monde qui existait dans l’ombre de Thaar. Sa mère avait fait l’erreur de ne pas lui en parler, Avisha avait fait l’erreur de ne pas lui dire qu’un vieil homme avait envoyé une belle somme pour acheter sa fille. Ou bien rien n’aurait changé et même sans avoir l’impression que sa mère lui cachait des choses Gedra se serait quand même enfuie avec ce sac.

Ce qu’elle ne savait pas, c’est qu’un sac encore plus lourd aurait attendu la mère de la fuyarde si elle avait été livrée à Rauast Hiisi.

Mais ça, ce qu’il s’était passé en fin du mois de Favriüs, c’était déjà le passé, et la jeune femme aux yeux assortis à cette écharpe bleue qui lui encerclait le cou regardait vers le navire. C’était l’occasion ou jamais, se disait-elle, de faire ce qu’elle avait toujours eu envie de faire. Il était question d’un navire, il était question d’un objet à retrouver, quoi de mieux pour un garçon manqué qui n’avait qu’une envie, celle de quitter les ruelles puantes de cette cité ? Rien à priori, même si elle venait d’entendre avant de grimper à bord qu’ils resteraient à terre. Ce n’était rien, tant qu’on ne la forçait pas à retrouver ceux qui avaient par défaut été ses anciens collègues ou adversaires. Elle grimpa alors, et se posta près des trois personnes qui discutaient. Elle essaya de ne pas tout de suite se faire remarquer et nota chacune des informations qu’elle entendait. Et elle ne savait quoi penser du fait que l’aventure soit religieuse, comme elle ne savait pas qui était Katrian, comme elle ne savait pas qui était l’Unique. Mais elle apprendrait.

Elle fut bientôt obligée d’ouvrir la bouche et le fit d’une manière presque désinvolte, crachant avec la douceur de ses traits.

« C’est vous qui avez besoin de bras pour trouver votre… » Babiole ne ferait pas l’affaire, pas si l’affaire était religieuse. « …chose ? »

« L’Unique hein ? … »

L’évocation de l’Unique l’avait faite sourciller. Ce n’était absolument pas commun et à juste titre. Généralement, les gens qui se revendiquaient de l’Unique finissaient au bout d’une corde. Durant ses années comme prévôt de Thaar, Cassiopée avait eu à traiter des cas de sectes draconiques vénérant des formes bâtardes de l’Unique. La plupart des cultistes étaient des fanatiques, prêchant l’arrivée de l’apocalypse par le feu des dragons, ou des illuminés cherchant à s’assurer de larges revenus par le lavage de cerveau des masses crédules. Il lui en était resté une très mauvaise impression de cette divinité nisétienne tombée depuis longtemps en désuétude.

Néanmoins, l’arrivée des dragons avait largement rebattu les cartes et donné à ces bigots les preuves que leurs croyances étaient plus ou moins réelles. Suite à la nidification, les sectes draconiques avaient vu leur nombre d’« adhérents » exploser, ce qui inquiétait à juste titre les clergés bien établis, notamment ceux des Sombres. Ces prédicateurs constituaient des menaces certaines pour l’ordre public mais ces derniers temps, l’apparition des dragons leur avait fait acquérir un vernis de respectabilité. Après tout, les dragons … étaient réels … C’était bien une preuve que l’Unique envoyait ses hérauts dans les royaumes connus pour annoncer son retour.

Cassiopée n’adhérait pas à cette théorie. Bien que faisant les louanges de Néera à ses heures perdues, elle restait une femme de science et il manquait un lien logique entre le retour des dragons et les prophéties des illuminés de l’Unique. Quoiqu’il en soit, rencontrer une prêtresse de l’Unique qui ne semblait pas appartenir à une secte draconique – elle ne semblait avoir ni le charisme d’un gourou, ni leur regard fanatique – était en soi un petit évènement.

La cité dont elle avait la charge était autrefois une des grandes cités nisétiennes. L’Unique y était vénéré et malgré la destruction de l’ancienne cité, l’Unique était toujours bien vu à Ys, bien que restreint à des fêtes traditionnelles et à des rites privés pour les plus anciennes familles n’ayant pas basculé dans la vénération du panthéon pentien. Il n’en restait pas moins un souvenir lointain, de vagues traditions dont le sens avait été perdu mais qui étaient répétées inlassablement depuis des années …

La jeune femme sortit rapidement de ses pensées quand la prêtresse la questionna sur ses propres croyances. Mais elle n'eut pas le temps de répondre que la jeune femme qui venait de monter sur le pont éleva la voix.

Elle ne devait pas être bien âgée, ni même très capable ... Et elle venait de les interrompre pour simplement répéter une évidence. Bien sûr que c'était ici : cela devait même crever les yeux. Pour quelle raison un navire baptisé au nom de l'Unique pouvait rassembler une alchimiste au sang-clair, un homme masqué se présentant comme maître vagabond et une prêtresse d'un dieu mort ?

L'alchimiste recula d'un demi-pas pour laisser la demoiselle qui venait de les couper se présenter. Cela épargnait à Cassiopée de décliner ses croyances. C'était déjà ça de pris ...

Ah oui, l’Unique… Bon, forcé d’admettre qu’il en sait pas grand chose, et qu’il s’est épargné de fréquenter de trop près les adorateurs des diverses sectes draconiques, plus ou moins grosses, qui se partagent le gâteau et vendent leur propre lecture d’obscures, antiques - et certainement pour une partie, fictives - prophéties à propos des dragons, dont l’intérêt est reparti à la hausse depuis le retour des grands lézards. C’est qu’avec sa tête, il ne veut pas qu’on lui prête un sens, un rôle ou les dieux, réellement multiples ou simplement schizophrènes, savent quoi dans toutes ces histoires. Quand bien même il avait sa place réservée dans l’un ou l’autre des éventuels grands desseins divins, déjà, les mortels qui prétendent savoir sont de complets ignorants, faut pas les écouter, et puis, il veut pas savoir, tout simplement.
C’était donc une relique de l’une d’elle dont il est question, hein…?  Une cuillère à soupe sacrée ayant appartenu à un prêtre nisétien y a belle lurette, peut-être ? Bof, qu’importe, c’est à l’appel de l’aventure qu’il répond, il sera toujours temps sur place de juger si l’objet en question est une part d’un mystérieux rituel maléfique visant à faire sombrer le monde dans un cycle de chaos… Qui sait ce qu’on peut faire avec une cuillère à soupe sacrée, du sang de vierge et le pot de chambre d’une des abominations chaotiques d’antan, hein !

Toutes ces divagations pour dire qu’il en pense pas beaucoup, en fait, tout en souhaitant qu’elle ne verse pas trop dans le prosélytisme à outrance en cours de route… Mais c’est une prêtresse, c’est probable qu’elle le fasse sans en avoir conscience. Il observe, dans un certain silence l’arrivée d’une jeune femme, profitant également de son interruption pour éviter - ou retarder - une discussion théologique qui aurait bien triste mine sur ce navire, il faut en convenir. Et alors qu’elle débarque à peine, sans avoir pu faire connaissance, qu’en voilà deux autres…
Bon, y a un camarade masqué avec un cheveu sur la langue, mais c’est finalement l’autre… Un elfe ? Un jeune, ou alors un sang-mêlé particulièrement marqué ? Non, c’est un elfe, c’est certain… Et c’est lui qui, forcément, attire l’attention de l’Ecailleux qui ne peut s’empêcher de sourire derrière son masque… Fanfreluche ? Bon sang !

“ Tu d’vrais te méfier de tes amis du coin… Ce sont d’sacrés farceurs ! “ C’était la seule explication possible… Le type débarque d’Anaëh, il se fait des amis, il donne son nom en elfique, imprononçable, alors il tente d’en expliquer le sens - les noms en ont toujours un - et v’là pas qu’ils lui disent que Fanfreluche, ça colle et ça sonne bien ! Et voilà, il en est certainement fier, le bougre, et puis les rires et les sourires que ça suscite, ça peut le flatter, n’est-ce pas ?

Adossée au bastingage, Lilyanna avait une vue imprenable sur quiconque allait et venait sur le navire, et plus particulièrement sur qui descendait ou montait à bord. Ainsi elle haussa un sourcil juste après sa question en voyant la jeune femme les rejoindre puis elle hocha la tête pour répondre.

« C’est bien moi en effet, je vous en dirais plus à tous lorsque… et bien lorsque j’aurais suffisamment de monde. » Elle embrassa les trois autres personnes arrangées devant elle avant de poursuivre. « Ce qui ne devrait pas tarder mais en attendant je vous souhaites la bienvenu dans notre groupe. »

D’un geste de la main elle invita la damoiselle à prendre place à l’endroit qu’avait libéré Cassiopée. Mais avant que la prêtresse ne puisse reprendre la parole d’autres, deux autres, personnes montent à bord, faisant tourner la tête de Lilyanna dans leur direction. La prononciation assez hasardeuse de Mohatmar l’amusait mais elle se retint de justesse de sourire cependant lorsque l’elfe déclina son identité elle en profita.

« Vous m’en voyez ravie monsieur, trouver une chose dont on ignore la localisation est justement ce dont j’ai besoin. Je vous souhaite donc également la bienvenue et, si vous me le permettez, j’ajouterais que vous avez des noms peu communs mais au moins vous en avez. Inutile de faire une place pour les nouveaux arrivants, nous sommes suffisamment nombreux, il est temps de rentrer dans le vif du sujet. » Elle se tourna en direction du château arrière de la caravelle et commença à marcher. « Si vous voulez bien me suivre. »

Elle se dirigea donc vers sa cabine, tirant au passage sur ses gants pour les replacer, arrivée devant la porte elle l’ouvrit puis la tint le temps que ses invités rentrent. La pièce était grande, rivalisant sans peine avec les cabines de capitaine des navires de cette dimension, à moins qu’il ne s’agisse de la cabine d’ordinaire réservée au capitaine du vaisseau. Au centre se trouvait une table pourvue d’un siège qui ressemblait plus à trône qu’à un fauteuil et une fois que tous furent rentrés elle alla s’asseoir. Sur la table on pouvait trouver une lanterne, un livre qui était retourné pour présenter sa quatrième de couverture et deux tablettes sur lesquelles étaient gravés ce qu’on pourrait apparenter à du nissétien. Toutefois, pour ceux qui mettaient pour la première fois les pieds à l’intérieur même du Katrian c’était l’odeur qu’ils remarquaient en premier ; avant les étagères à moitiés vides sur lesquelles s’entassaient des ouvrages sur la médecine, avant le gros coffre posé contre le mur non loin du lit placé dans un coin et même avant les grandes vitres qui donnaient directement sur l’arrière du navire. L’odeur n’était pas forte, loin de là, elle vous effleurait à peine les narines, comme une femme s’étant déposé deux gouttes de parfum dans le cou, mais elle était omniprésente, elle était lancinante, presque omniprésente mais surtout bien différente. Différente de l’odeur du sel, de l’eau, du bois humide, de la sueur, de l’urine ou de l’alcool acheté pour une poignée d’écus et toutes les autres odeurs plus ou moins désagréables qu’on peut trouver sur un navire aussi peuplé que le Katrian. L’odeur de charogne, de viande faisandée un peu putride était remontée jusqu’ici, traversant les planches et pour ce faire elle avait perdu de la force à chaque fois qu’elle avait monté un étage mais elle avait réussi et elle ne le ferait oublier à personne et surtout pas aux nouveaux venus. Pour Lilyanna c’était une compagne qu’il était bon d’avoir car elle n’oubliait jamais l’odeur. Elle avait vu un nombre incalculable de cadavres depuis son entrée service de Tari, elle ne se souvenait plus des visages ni même des corpulences, les images elle les avaient oubliées, elle les avait laissés au temple mais l’odeur s’était collée à sa peau pour ne jamais la quitter. Elle s’était glissée sous le bras de la prêtresse pour partir avec elle.

Lilyanna ne sentait plus la mort mais elle se souvenait toujours de l’odeur.

« Mesdames et messieurs, comme deux d’entre vous le savez, je m’appelle Lilyanna et je suis prêtresse de l’Unique mais rassurez-vous je ne vais pas me lancer dans un long sermon, je n’aime pas le prosélytisme, je le trouve aussi ennuyeux qu’inutile. Je vais donc vous parlez de ce qui nous intéresse tous ici et je ne vais pas vous demander pourquoi, je me doute que vos raisons sont loin d’être spirituelles et ça ne me dérange aucunement. Ce que je recherche se trouve être une relique. Une relique que j’avais en ma possession il y a de cela trois ans et qui est apparue il y a neuf ans : l’une des écailles du grand dragon de bronze. »

Nulle réaction visible ne vient offrir de satisfaction à la prêtresse à ce qu’il considère être une remarque le visant tout particulièrement puisqu’à priori, il est le seul à avoir employer un surnom. Encore que le fameux Fanfreluche, ça pourrait également en être un autant qu’une mauvaise blague… Point de réaction, non, et pas de développement sur ce qu’il pense des noms… Encore moins alors qu’il porte un masque.

Non, il se contente d’offrir la politesse aux dames alors que leur « hôte » et commanditaire les invite dans sa cabine – ou celle du capitaine ? – et c’est à peu près là, au moment où il franchit le pas de la porte, qu’un malaise s’installe…
Bon, même si la cabine est spacieuse, le seul fait d’être dans un espace confiné, ça le travaille sans qu’il en est parfaitement conscience, mais non, ce n’est pas ça le problème. Enfin, ça n’en serait pas un s’il n’y avait que ça. Non, le malaise provient surtout de l’odeur qu’il perçoit, qui semble flotter dans l’air et lui parait presque suinter des murs et du plancher – ça n’est pas le cas, évidemment -, ça sent la vieille charogne, la chair putride. Elle est là, au milieu de tant d’autres, mais si caractéristique et évocatrice qu’elle ne lui échappe pas… Il n’avait pas les antécédents d’une prêtresse de Tari, mais ancien assassin et aujourd’hui chasseur, elle lui est certainement tout aussi familière qu’à l’une d’elle.
Et forcément, une telle odeur sur un navire… Non, ça n’est pas celle de denrées pourries au cours du voyage. Alors quoi ? Un navire esclavagiste dont une partie de la « marchandise » n’a pas supportée le voyage ? C’est une possibilité, oui, presque aussi répugnante à ses yeux qu’une autre possibilité. Des traités de médecines, une prêtresse et un dieu qu’il méconnait, les dieux seuls savent quelles expériences ou rituels ont pu être réalisé dans les profondeurs de ce navire…

Tout cela, il le garde avec soin dans un coin de sa tête, alors qu’il déambule pour « prendre place », autant en retrait que lui permet l’exiguïté d’une cabine, et c’est avec intérêt et curiosité qu’il écoute la suite, et donc, prend connaissance de l’objet de leur « quête ».
Point de sainte cuillère à soupe, pas non plus de pot de chambre chaotique, non, rien qu’une écaille de dragon… Pour les autres, c’est sans doute un objet extraordinaire, mais comprenez que pour lui, c’est très très loin d’être le cas.

« On peut savoir dans quelles circonstances vous l’avez perdu, cette écaille ? Parce que bon, là, pour c’que je comprends, vous nous d’mandez de trouver c’qui doit pas être bien grand, d’ailleurs, c’est comment une écaille de dragon ? Bon, il sait, mais il n’est pas supposé savoir donc il se comporte comme s’il ne savait pas, mais elle, si. Ça ne doit pas être si gros qu’ça, et vous semblez pas savoir du tout où elle se trouve depuis trois ans… C’est léger pour commencer les recherches, pour c’que j’en pense. »

Question légitime, parce que l’appel de l’aventure, oui, mais si en vérité, elle n’a qu’une maigre piste vieille de 3 ans et rien de plus, la donne est très différente, et le prix d’un tel service également !

L’odeur, même subtile, ne pouvait tromper les narines de l’alchimiste. On ne se remettait jamais de la fragrance d’un corps en putréfaction. L’odeur, dès qu’elle revenait à vos sens, s’emparait de vous et il devenait impossible de sentir autre chose. C’était un vieux réflexe acquis après des cycles d’évolution : les êtres humains étaient naturellement capables de se souvenir de l’odeur de la mort et, dans un réflexe purement animal, leurs sens se mettaient en branle. L’instinct de survie … selon les universitaires d’Estrevent, était toujours fort chez les humanoïdes et ces derniers avaient appris que l’on ne consomme ni ne se tient à côté de cadavres, sous peine de finir comme eux.

Il n’était donc pas étonnant que l’odeur des corps en putréfaction, même si ces derniers avaient disparu, agresse les narines de la sang-clair. En revanche, impossible de savoir si les autres avaient compris ce qu’il se tramait …

L’alchimiste se plaça aux côtés de l’Ecailleux, qui semblait être le seul à avoir l’air de ne pas être un idiot fini parmi ce groupe hétéroclite. Franchement … Franfreluche … c’était d’un ridicule consommé. Quant à son compère Mohatmar au visage masqué, il semblait capable de se battre, mais ne semblait pas avoir inventé la bougie éteinte. Et en ce qui concernait la demoiselle à l’écharpe bleue … Elle ne s’était pas présentée, mais Cassiopée ne ressentait rien d’étrange chez elle : elle ressemblait à une simple quidam.

Lilyanna exposa les tenants et les aboutissants de sa requête. Une écaille de dragon ? Rien que ça ? Et pourquoi pas un citron de Geresh pendant qu’on y était ?! Et à supposer qu’un tel objet lui appartienne, l’Ecailleux avait raison : pour l’instant, les informations délivrées restaient légères. Il allait falloir de bien meilleures pistes qu’un simple « c’est à moi ! » pour avancer.

Cassiopée faillit éclater de rire … mais se contint derrière une façade impassible. Décidément, cette journée promettait d’être intéressante. En tant qu’alchimiste, elle avait un intérêt tout particulier à obtenir un tel objet … Cependant, si les prétentions de Lilyanna dessus étaient légitimes, et Cassiopée n’était pas une voleuse, ne serait-ce que poser ses yeux dessus et la promesse d’une belle récompense pouvait « peut être » suffire à satisfaire sa curiosité.

Elle croisa les mains dans son dos et se contenta d’acquiescer aux propos de l’Ecailleux. Le temps de l’alchimiste était précieux et elle ne voulait pas le perdre à chercher des chimères. Néanmoins, une prêtresse de l’Unique ne s’abaisserait pas à faire appel à des mercenaires si elle n’avait pas une piste sûre. Après tout, payer des tire-laines à la journée pouvait revenir cher et la prêtresse ne semblait à première vue pas rouler sur l’or. Et … si elle avait eu des fidèles, elle aurait certainement fait appel à eux en premier plutôt que de déléguer à des inconnus.

Gedra avait eu la confirmation qu’il lui fallait mais tout était allé tellement vite qu’elle n’avait pas eu le temps de se présenter. Son nom aurait dû faire partie de l’aventure, autant que celui des autres, mais elle s’en passerait pour le moment car il y avait des nouveaux venus et qu’ils s’étaient présentés bien trop vite. Elle n’avait pas l’habitude de faire trop de vagues, elle était le genre de personne qui ne faisait que rarement l’effort de corriger les autres quand ils comprenaient mal ce qu’elle disait, elle n’aimait pas l’attention, surtout pas quand elle venait jusqu’à elle pour des raisons aussi futiles. Alors elle se fit assez sage pour obéir à la femme qui semblait avoir pris les commandes depuis un moment déjà. Entrer dans le navire donnait au moins l’impression que la mission était spéciale, qu’elle devait rester secrète, et que seul un groupe réduit devait entendre les prochains mots. L’odeur désagréable de la cabine lui sauta au nez instantanément, mais elle ne la raccrocha pas tout de suite à grand-chose et ne fit qu’à peine l’effort de se boucher le nez avant de se rendre compte qu’elle était plus supportable qu’elle ne l’avait pensé au début.

Peut-être qu’elle avait senti ça une fois dans Thaar, elle avait un doute.

Si on faisait abstraction de Gedra qui ouvrit la bouche d’incrédulité à la mention d’un dragon, il n’y avait pas grand-chose dans ce que Lilyanna avait dit mais la jeune femme ne s’en offusqua pas. Dans les missions qui avaient été siennes on respectait toujours qu’elle ne demande rien du pourquoi, car obtenir des réponses n’aurait fait que lui raccourcir la vie. Et le comment, quand ce n’était pas à elle de le deviner, on ne lui donnait qu’après qu’elle n’ait pas demandé le pourquoi. Alors de son petit monticule d’expérience, elle avait l’impression qu’il essayait de leur retirer à tous le droit de participer à cette aventure, et ça l’énervait. Surtout que la seule fois qu’elle avait entendu le masqué ouvrir la bouche, ç’avait été pour un commentaire idiot en entendant Fanfreluche se présenter. Elle était consciente de la frivolité de son nom, mais ce n’était pas un désavantage à son avis, des trois noms qu’elle venait d’entendre c’était sûrement son préféré.

« Soyez patient, elle aurait pas rassemblé que nous si elle avait pas une idée, partez pas du principe qu’elle a rien et posez les bonnes questions… puis, elle a dit un grand dragon, pas un pas bien grand dragon, je suis sûre que les écailles vont avec. » Elle marmonna, veillant tout de même à être entendue, avant de se tourner vers Lilyanna et de laisser ses traits se radoucir. « On pourra garder les histoires d’écailles de dragon qui disparaissent pour le chemin, c’est comment à six on va la retrouver qui devrait nous intéresser. »

Lilyanna se recula dans son siège et croisa les jambes pour écouter ses nouveaux compagnons qui, elle espérait, se montrerait à la hauteur de la tâche qu’elle leur confiait. Se taisant, elle regardait chacun d’eux de ses yeux rouge vif, son regard chageant d’une personne à l’autre lorsque quelqu’un prenait la parole. Lorsque finalement tous eurent posé leurs questions, du moins ce qui en avaient et qui voulurent les formuler, elle se leva en déposant ses deux mains sur la table centrale.

« Toutes vos questions sont légitimes et vous avez bien évidemment le droit de les poser mais avant ça laissez-moi vous proposer à boire. » Elle retira ses mains de la table pour aller chercher dans un buffet pour y prendre suffisamment de récipients et une bouteille de cognac qu’elle déposa sur la table et servit ceux qui voulaient l’être avant de reprendre en se tournant d’abord vers l’Ecailleux. « Je l’ai perdu en retournant à Thaar, une bande armée d’adorateurs de dragons a attaqué la caravane avec laquelle je voyageais. » Elle tendit ensuite un verre à quiconque en avait demandé. « Pour ce qui est de la taille... » elle chercha un instant sur la table à la recherche d’une chose de taille similaire sans en trouver, elle fronça le nez de dépit. « Elle fait plus ou moins la taille d’un gros plat. »

Son regard se porta ensuite sur la jeune femme à l’écharpe bleue.

« Avec sa taille et sa couleur il est en effet assez difficile de la manquer. »

Enfin le mercenaire posa la question qui, Lilyanna n’en doutait pas, devait aussi inquiéter d’autres personnes présentes. Elle aurait dû s’y attendre en ne fixant pas de de montant pour la récompense dans l’annonce mais si seulement une personne se posait la question alors c’était toujours ça de pris. La prêtresse retint en sourire en se disant que Mohatmar était visiblement le plus vaani de tous ici présents. Elle tira à nouveau sur ses gants avant de simplement hocher la tête.

« Ne vous inquiétez pas, vous serez tous amplement compensé pour le mal que vous vous donnerez et chacun de vous aurez recevrez le même paiement cependant nous pouvons discuter d’une prime pour celui qui trouvera l’écaille en premier. Cela dit, je sais où se trouve l’écaille. »

Elle avala une gorgée de cognac pour laisser quelques instants de silence afin que ses mots flottent un peu plus longtemps dans l’air.

« Elle est dans la demeure d’un marchand ici même, à Thaar et je sais où. Ar’Ozhar a sa demeure dans les soieries, il a acheté il y a peu l’écaille pour une somme… indécente. Vous comprendrez donc sans mal qu’il ne lésine pas sur la sécurité de son bien nouvellement acquis. Il va donc nous falloir trouver un moyen d’entrer, si possible sans rameuter toute la garde, trouver ce que l’on cherche et partir, de préférence en étant toujours entiers. »

Ça pue. Et rien à voir avec l’odeur de la charogne cette fois, non, c’est cette histoire qui sent vraiment pas bon…

Parce que répondre à l’appel de l’aventure, c’est une chose… Un campement de bandits à attaquer ? Pas de problème ! Même des bêtes ou des monstres à traquer dans leurs tanières dans l’absolu, ça n’en poserait pas tellement sur le papier. Mais c’est plus une aventure, là, c’est un vol, un acte criminel… Et sur la seule base de l’affirmation de cette supposée prêtresse que l’écaille a été sienne dans le temps, mais il est peu probable qu’elle ait quelques preuves qu’elle ait possédé cette précieuse écaille ! Bref, ça pue. Et si encore le jeu en valait la chandelle, mais même pas ! Aucune assurance, sinon sa parole, qu’ils seront effectivement convenablement récompensés, d’autant qu’action malhonnête oblige, un contrat en bonne et due forme est hors de propos.

Mais c’est que la surface, ça, les grandes évidences… Mais un autre point le chagrine, et non des moindres : les circonstances. Pas pour rien qu’il les réclame, outre le fait de savoir à quoi il pourrait avoir à faire et donc de bien se préparer en conséquence, et de négocier la prime sur cette base, ça permet de savoir dans quoi on met les pieds… Eh oui, n’est pas amateur celui qu’on pense ! Bref, un truc cloche. Ça aurait été un groupe de bandits lambda, à la limite, ils auront fourgué leur butin au plus offrant, nullement attacher à la symbolique de ce dernier, mais uniquement à sa valeur pécuniaire, oui, là, pourquoi pas... Mais c’est pas ce qu’elle a dit ! Oh, ça non ! Elle a bien précisé qu’ils étaient des adorateurs de dragons… C’est pas anodin, comme détail, et ce que ça peut signifier, c’est qu’on les convie dans une petite sauterie organisée par deux sectes draconiques concurrentes se disputant une relique et que ce marchand pourrait bien être le chef de file de l’une d’elle, sinon, pourquoi des adorateurs lui auraient revendus une relique inestimable…? A la difficulté - tant technique que morale - d’un cambriolage, s’ajoute les emmerdes qui suivront. Et cette garce, elle est venue dans des tavernes bien fréquentées, non dans les quartiers malfamés où elle aurait trouvé son comptant d’escrocs, de filous et autres voleurs professionnels, le tout pour monter une équipe dont on peut légitimement douter de la compétence pour un tel coup.
Quand on dit que ça pue… Une fosse à purin paraîtrait sûrement plus agréable que cette histoire !

Mais bien avant cela, il y avait eu l’inconnue… Charmante petite caille, au demeurant, qui, pour une raison qu’il ne cerne pas encore l’a prit en grippe parce qu’il a posé des questions… Pas les bonnes questions, mais c’est quoi, du coup, les bonnes, puisqu’elle n’en pose pas ? Et les questions en cours de route…. Évidemment ! A elle, il dit plus bas. “Parce que tu penses qu’elle sait faire la différence toi ? Il y avait de l’ironie dans son ton, prêtresse de l’Unique, peut-être, mais ça veut rien dire, ça, quant à sa connaissance concrète des dragons. Et elle n’a pas rassemblé que nous, je te ferais dire… Y a que nous qui nous soyons présentés.” Nuance qui a toute son importance, surtout à l’attention d’une petite maligne qui croit avoir le privilège du bon sens et des bonnes questions mais qui voit de l’intention là où il n’y en a pas.

A l’attention plus particulièrement de la commanditaire, il réagit d’une manière dubitative tout en se gardant d'y mettre le moindre jugement une fois que celle-ci s’exprime, l’attaque par des fanatiques, le marchand, les Soieries etc... Où il ne bu pas, évidemment… Pas envie de soulever même légèrement son masque et dévoiler ses écailles, ça perdrait tout son sens !

“Un vol. Vous nous d’mandez d’commettre un vol.”

Le mot est lâché, oui, pour faire réagir. Il réserve pour sa part sa décision pour plus tard, mais pour l’heure, il veut surtout jauger la réaction de ses éventuels compagnons en devenir, mais aussi et surtout, de la prêtresse.

Foutage de gueule.

C’était l’expression qui lui venait en tête à mesure que Lylianna détaillait son absence de plan. Il fallait être sacrément idiot pour expliquer à de parfaits inconnus récupérés dans diverses tavernes que l’on s’apprêtait à commettre un vol dans le quartier des Soieries, sans l’once d’une preuve que l’objet en question vous appartenait.

C’était de l’amateurisme pur et simple. Et Cassiopée n’aimait pas les amateurs. Les voleurs … à la limite … et encore ! Son passé de prévôt lui avait montré que la frontière entre le juste et l’injuste pouvait être floue, mais là, c’était juste risible … Les propos de l’Ecailleux étaient totalement sensés et Cassiopée le soupçonnait de n’avoir pas traduit l’entièreté de sa pensée.

Elle soupira intérieurement. La sécurité à Thaar s’était largement relâchée depuis son départ. Du temps où elle était prévôt, l’entièreté du navire aurait été saisi en moins d’une minute et la moitié des marins menottés et enchainés tandis que la prêtresse aurait été passée à la planche à eau pour qu’elle avoue tous ses méfaits avant d’être traduite devant ses pairs.

Clairement, ce plan sentait aussi mauvais que l’odeur pestilentielle qui suintait par les planches du navire. Cassiopée avait de plus bien trop à perdre pour se lancer dans cette aventure aussi fit-elle un pas en arrière et s’excusa :

« Vous me voyez fort désolée dame Lilyanna, mais quelles que puissent être vos raisons et à supposer que vos dires soient vrais, je ne risquerai pas ma peau sur des « plus ou moins » et l’hypothèse d’un plan qui n’existe pas encore, mais qu'il faudra inventer en cours de route. Cette aventure n’a même pas commencé qu’elle sent déjà autant le cadavre que vous tentez à peine de dissimuler dans votre cale. »

L’alchimiste passa derrière l’Ecailleux et se dirigea vers la porte.

« Cela sera sans moi. Au plaisir ! »

Elle sortit sur le pont et disparut dans les rues de Thaar.

Gedra avait été la première à accepter le verre proposé par Lilyanna et elle en était bien heureuse. Il y avait trop de choses qui n’intéressaient que le masqué, et l’autre – oui, il était aussi masqué – qui parlait déjà de récompense… Elle était devenue légèrement prétentieuse, avec le si lourd sac qu’elle avait volé à sa mère, et sa position bien confortable lui permettait de faire semblant que l’aventure était plus importante que sa finalité pécuniaire. Le pire était qu’elle ne pouvait être certaine de mettre à nouveau la main dessus quand elle retrouverait sa cache. Bon, l’autre se chargeait de faire valoir leurs services, c’était encore plus facile de ne pas s’inquiéter quand on le faisait à votre place. Elle écouta à peine le masqué qui l’avait précédée sur le Katrian mais voulut rire de ses manières et répondre même qu’elle ne s’était toujours pas présentée de toute façon, seulement il enchaîna trop rapidement sur ce qu’il voulait dire à Lilyanna.

« Écaille ou pas, vous avez déjà vu quelqu’un qui soit dans les Soieries sans être un voleur ? »

Elle marmonna encore, sans chercher à ne pas être entendue. Elle ne savait pas, on le lui avait dit. Bien sûr qu’elle n’y avait jamais mis les pieds, mais si c’était pour délester un de ces riches marchands de quelque chose ayant appartenu à un dragon qu’elle le faisait c’était assez amusant pour que ça en vaille le coup. Les autres ne la croiraient jamais quand elle le leur raconterait, surtout que dans son histoire il y avait de fortes chances qu’elle évoque un combat contre ce dragon. Mais ses délires de grandeur furent interrompus par le départ de celle à la chevelure blanche. C’était la deuxième fois qu’elle ouvrait la bouche et c’était déjà pour s’en aller ? S’il n’y avait pas de plan pour de bon peut-être qu’elle avait raison en fait, mais elle n’avait pas eu l’impression d’entendre parler d’une absence de plan. Gedra but dans le verre qu’elle tenait à la main et se rendit compte qu’il était déjà presque vide, mêlant un deuxième questionnement au premier et s’emmêlant les pinceaux en parlant trop vite.

« Je peux prendre le verre de… Il y a un plan hein ? Comment elle s’appelait ? »

Au train où ça allait, il ne resterait bientôt que Fanfreluche et son compagnon pour accompagner Gedra.

La prêtresse haussa un sourcil à la remarque de l’écailleux avant qu’un sourire ne vienne retrousser ses lèvres. Elle aurait volonté rit mais à quoi bon ? Elle tourna la tête ensuite vers Cassiopée et se contenta d’hausser les épaules, si ça ne lui convenait pas, tant pis pour elle après tout. La réaction de l’autre jeune femme, celle avec la jolie écharpe bleue, la fit sourire un peu plus. Bien que voir de beaux exemples d’hypocrisie en action était toujours divertissant elle n’avait pas de temps à perdre alors elle se tourna vers l’Ecailleux alors que Cassiopée partait.

« On peut dire ça comme ça, oui. » Répondit-elle avant de tourner la tête vers Cassiopée. « Je vous souhaites une bonne journée. » Se contenta-t-elle de dire avant de finalement se tourner vers les trois dernières personnes qui restaient dans sa cabine. Elle tira sur ses gants. « Si l’un d’entre vous a une quelconque objection il est toujours temps de partir. » Une fois qu’elle fut assurée que l’idée ne dérangeait plus personne elle hocha la tête, avala d’une traite son verre de cognac, un sacrilège s’il en était. « Je vous en prie, servez-vous. » Répondit-elle à la jeune femme en désignant la bouteille qui était resté sur la table. « Profitez-en pour remplir le verre de Fanfreluche tant que vous y êtes. »

Au lieu de jouer les hôtes exemplaires, la prêtresse se dirigea vers le gros coffre pour en tirer une feuille de papier plié qui était cachée sous ce dernier et la poser au centre de la table. Il s’agissait d’un croquis d’un pâté de maison. Elle s’en servit pour appuyer graphiquement l’exposé de son plan.

« J’espère que vous n’avez rien contre l’escalade parce qu’on va en faire un peu. Voici la demeure qui nous intéresse, nous allons escalader le bâtiment voisin pour passer directement sur celui dans lequel nous voulons nous introduire et passer par la salle de bain du second étage à partir de là il va nous falloir trouver où se trouve l’écaille. Des questions, des suggestions peut-être ? »