Retrouvailles [Pv Neassa]

Il n'avait pas du s'écouler une seconde sans qu'Aegden n'ait l'esprit préoccupé depuis qu'il avait appris, d’abord par hasard puis en se renseignant plus avant, que Neassa-Laella était en Anaëh, mieux, dans cette ville même.

Le choc de la nouvelle, il l'avait surtout encaissée lorsqu'il avait apprit qu'elle était très probablement venue alors qu'il se trouvait à l'autre bout d'Anaëh. Il s'était alors dit qu'elle avait dû le chercher partout, et son cœur avait raté un battement lorsqu'il s'était rappelé le mensonge dans lequel il l'avait laissée... Il aurait dû être là pour l’accueillir et au lieu de ça , il avait disparu sans pouvoir donner d'explication à qui que ce soit...

Quoi qu'il en soit, dès qu'il put se défaire de ses responsabilités, le commandant n'avait eut qu'une seule idée en tête : la retrouver.

Il voulait tant la revoir. Il avait besoin de la revoir. Elle lui avait tant manqué et elle était si proche...
Autre raison, peut être un peu moins heureuse, il voulait le plus vite possible mettre fin une fois pour toute à ce mensonge qu'il n'avait put éviter. Il ne savait pas ce que sa compagne croyait à l'heure actuelle. Peut-être ne se doutait-elle de rien, peut-être savait-elle l'entière vérité, il n'en avait aucune idée mais dans tout les cas il fallait qu'il éclaircisse tout cela pour de bon.
 C'est ainsi qu'il se retrouva à marcher d'un pas plus rapide que naturellement vers l'hospice des libertaires. C'était là bas qu'il pensait avoir le plus de chance de la retrouver. 

L'adepte d'Elenwë a qui il demanda si le refuge ne comptait pas une prêtresse Vaanie du nom de Neassa-Laella eut l'air plutôt surpris mais ne rechigna pas à vérifier dans un registre. Ce fut au tour du soldat d'être surpris lorsque, quelques minutes plus tard après s'être éloigné le prêtre ne revint pas avec sa compagne mais lui proposa de le suivre.

Ils marchèrent dans l'hospice pendant à peine quelques minutes et pourtant Aegden eut l'impression de traverser des centaines de couloirs... Jusqu'à une porte à laquelle l'adepte frappa. Il l’entrouvrit, puis après un sourire vers l'elfe aux cheveux roux s'en retourna à ses propres affaires.

Presque timidement Aegden poussa le battant de la porte et entra en la refermant aussitôt. Si Neassa-Laella avait demandé un tel lieu ce n'était certainement pas pour laisser la pièce grande ouverte.
Et soudain, l'espace de quelques secondes peut-être, il se retrouva sans voix, incapable de faire autre chose que de se tenir là, à fixer la femme qu'il aimait comme si elle était une apparition. Elle était bien là pourtant, il ne rêvait pas.

Tandis qu'elle défaisait ses bagages, on frappa à la porte de la jeune femme. Neassa-Laella n'était revenue dans la capitale que depuis quelques heures à peine. Cela faisait un mois maintenant qu'elle était arrivée en Anaëh et elle avait tant appris... Elle parlait bien mieux le langage local, comprenait une partie des coutumes anedhelles, faisait la différence entre les deux cultures qui cohabitaient dans cette forêt. Holimion n'était pas la cité la plus attrayante ni la plus chaleureuse par laquelle elle était passé mais elle n'avait pas eu le temps de s'y ennuyer. Les rituels de Tari étaient à la fois nombreux et complexes. Elle avait eu beaucoup à apprendre si bien que les premiers temps avaient été intellectuellement épuisants. Cependant, elle avait dû partir avant que son enseignement ne soit pleinement achevé. Elle avait appris le nécessaire pour lui permettre de combler les manques cruciaux que sa propre religion ne pouvait apporter aux Ilethiens mais elle devrait probablement revenir pour terminer son apprentissage. Elle aurait pu s'en faire une joie si une ombre ne planait pas encore sur son cœur. Une ombre qui s'était faite de plus en plus présente à mesure que ses pas la ramenaient à Alëandir.
Son escorte n'avait -semble-t-il- rien remarqué de particulier si ce n'était qu'elle était plus silencieuse que d'ordinaire. En temps normal, la prêtresse les noyait de questions sur leur culture mais ces dernières s'étaient faites de plus en plus rares au cours de leur trajet de retour. Si son activité religieuse avait occupé son esprit un moment, ses angoisses l'avaient bien vite rattrapé avec la perspective de croiser à nouveau l'homme pour qui son cœur battait et saignait en même temps.

Neassa-Laella délaissa sa valise et alla ouvrir. Sans grande surprise, elle découvrit un prêtre d'Elenwë devant sa porte qui lui demanda de confirmer son nom. Ce qu'il avait à lui dire par la suite, en revanche, sortait de l'ordinaire.

-Pardon pour le dérangement mais quelqu'un est à l'entrée, il voudrait vous voir.
-Vraiment ? Qui est-ce ?
-Il n'a pas donné son nom, désolé.

Devant l'embarras du jeune homme, la vaanie étira un doux sourire amusé et attendri.

-Ce n'est pas grave. Mais s'il vous a donné mon nom, j'imagine que je le connais.
-Peut-être... Il est assez bien bâti, roux...
-...avec deux cicatrices sur la joue... Interrompit Lessie sans même s'en rendre compte.
-Oui, c'est ça ! S'enthousiasma le prêtre en voyant sa petite maladresse réparée. Je lui dis que vous êtes d'accord ?

Neassa-Laella dut fournir un effort immense pour ne pas laisser apparaître sa surprise ainsi que sa soudaine angoisse. Ainsi dont, il avait appris qu'elle était en ville et n'avait guère tardé à se rendre auprès d'elle. Elle ne savait plus quoi penser... Était-ce bon ou mauvais signe ? Mais elle n'eut guère le temps d'y réfléchir car la question du jeune homme la contraignait à se reprendre promptement.

-Oui... Bien sûr. Fit-elle en lui adressant un sourire qui se voulait plus assuré que ne le laissait suggérer sa première réponse. Pourrions-nous bénéficier d'un espace pour discuter en privé ?
-Il doit y avoir des salons de libres, suivez-moi.

A ces mots, la jeune femme se força à faire le premier pas qui devait l'extirper de sa chambre. Elle referma derrière elle et le prêtre l'accompagna jusqu'à un salon confortable qui était disponible. Elle entra et attendit derrière la porte close. Cela ne dura que quelques brèves minutes mais elles lui semblèrent chacune telle une éternité. A chaque son qu'elle percevait, elle tendait l'oreille en espérant et craignant que ce ne soit son visiteur qui arrivait. Son cœur se mettait à battre si fort qu'elle l'entendait dans ses oreilles et sa respiration était lourde et presque douloureuse. Les paroles d'Eraïos lui revenaient en mémoire mais elle avait tant de mal à leur prêter foi en cet instant... Elle saurait bientôt la vérité et elle avait si peur de l'entendre, si peur que cela ne corresponde pas à ses désirs qu'elle aurait presque envie de s'en aller sur le champ.

On frappa de nouveau contre le bois et la porte s'ouvrit. Neassa-Lealla tarda à se retourner vers l'entrée si bien que, lorsqu'elle le fit, l'anedhel se tenait déjà là, à la regarder sans parvenir à prononcer le moindre mot. Il avait opté pour une tenue civil. Ignorait-il qu'elle savait ? Voulait-il continuer à le lui cacher ? Tant de questions, encore...
De le voir ainsi, elle ne pouvait que sentir sa poitrine se serrer sur elle-même. En l'absence de réponse sur les véritables intentions de son compagnon, ses sentiments n'avaient pas faibli. Une part d'elle même devait bien reconnaître qu'elle était heureuse de le revoir... même si elle aurait préféré que ce soit en de meilleures circonstances.
Finalement, après un long silence, ce fut elle qui brisa le silence qui s'était installé. Et elle n'avait pas l'intention de passer par quatre chemins. Elle avait attendu trop longtemps déjà...

-Bonjour... Aegden.

C'était la première fois qu'elle l'appelait ainsi et la simple prononciation de son prénom causa un grand trouble en elle. Elle sentait déjà une multitude d'émotions se réveiller. Le doute, la peur, le sentiment de trahison, la tristesse... Elle prenait sur elle pour ne pas s'effondrer maintenant et demeurait la tête haute, le fixant d'un regard entre colère et peine, teinté d'un brin de méfiance et d'hésitation. Qu'avait-il à dire pour sa défense ? Comment allait-il justifier qu'il ne lui ait jamais avoué son nom, à elle ? Quels arguments allaient-ils avancer pour l'avoir laisser venir jusque ici chercher un Aithruïn qui n'existait pas ?...

Evidemment qu’elle savait. Il avait fallu qu’il soit idiot pour envisager qu’elle ne sache absolument rien.  Ou en tout cas qu’elle ne se doute de rien. Elle parlait un elfique remarquablement compréhensible d’ailleurs. Avait-elle appris avant de venir ou était-elle là depuis suffisamment longtemps ? De son côté, en un mois, il n’avait pas eu l’impression d’améliorer son Oliyan….

Son cœur se serra d’avantage encore lorsqu’il croisa le regard brillant de colère et de tristesse de la dame. Elle avait dû souffrir de cette révélation et il n’avait rien pu faire  pour lui éviter cela. Ou peut-être aurait-t-il pu mais dans ce cas il avait échoué et c’était bien pire encore.

"-Bonjour..." Répétât-il presque sans s’en rendre compte, récupérant enfin sa voix.

Sur son propre visage aussi il y avait de l’appréhension, de la tristesse, de l’hésitation…Allait-il la perdre à cause de ce foutu mensonge ? Il le craignait et une partie de lui se brisait en sachant que la femme était tout à fait dans son droit si elle prenait une telle décision.

Et pourtant c’était injuste ! Il n’avait pas eu le choix et il en souffrait autant qu’elle en souffrait. Sur cet aspect-là Arcamenel se montrait particulièrement cruel.

"-Neassa, je…"

Il stoppa net son geste et sa phrase lorsqu’il se rendit compte qu’après s’être approché, il avait avancé sa main comme pour saisir celle de Neassa-Laella comme il l'avait si souvent fait a Thaar. Il avait peur de la brusquer et de déclencher sa colère par la même occasion. Elle faisait une dizaine de centimètres de moins que lui, il se battait depuis des centaines d’années et pourtant il était parfaitement conscient qu’une explosion de colère de la trois-quarts elfe lui ferait bien plus de mal que n’importe quel combat.

Il voulait s’expliquer étant donné qu’elle savait la vérité, au moins une partie, il l'aurait fait de toute façon. Il voulait réparer la confiance qu’il avait lui-même brisé dans le cœur de sa compagne. Si Neassa avait encore un minimum de confiance en lui, si elle essayait de lire en lui comme elle l’avait tant fait, sans doute pourrait-elle apercevoir la culpabilité qui le rongeait à nouveau.

-"Je sais que ça ne suffira pas. Mais sache que je suis désolé pour..."Il secoua la tête."Je suis désolé pour ce que tu as dû subir par ma faute. Je…J’aimerais tout t’expliquer. Si tu désires encore m’écouter. Et si tu ne le désire pas…. "Il ferma les yeux une seconde à peine, pour éviter que des larmes apparaissent en prononçant ses derniers mots."Tu ne me croiras sans doute pas non plus maintenant mais laisse-moi juste te dire que dans chacun des gestes que j’ai pu avoir, de notre danse, à cette dernière soirée, j’étais sincère."

Il n’ajouta rien de plus. Il attendait qu’elle prenne une décision, rivant ses prunelles anxieuses sur celle qu’il aimait. Il avait basé toute leur histoire sur des mensonges. Elle lui en voulait comme il s’y était attendu. C'était normal, aux yeux de la prêtresse, il devait apparaître comme tous ces vaanis, un hypocrite et un manipulateur. Pour lui le verdict était aussi douloureux qu’il était clair...

Il fixait son regard au sien et elle n'eut aucun mal à comprendre le message. Il voulait qu'elle lise en lui, comme elle l'avait si souvent fait à Thaar. Il n'avait pas besoin de le lui demander pour qu'elle le fasse et elle voyait dans ses yeux qu'il était sincère. Ou bien qu'il voulait le paraître... Elle n'était plus sûre de rien à présent. Quant à elle, son souhait le plus cher était de le croire mais son inconscient ne pouvait s'empêcher de la protéger en conservant sa méfiance active. Cependant, elle distinguait une forme de culpabilité dans ses traits à laquelle elle ne s'attendait pas.

-Très bien. Finit-elle pas répondre. Explique-moi pourquoi. Pourquoi tu ne m'as rien dit, même quand les choses ont commencé à changer entre nous. Pourquoi tu es parti en me laissant dans le mensonge. Pourquoi j'ai dû venir jusqu'ici et chercher un Aithruïn qui n'existait pas pour découvrir la vérité. Pourquoi j'ai dû apprendre ton nom de la bouche d'un autre.

Tandis qu'elle parlait, une larme se mit à perler lentement sur sa joue. Enfin, elle pouvait exprimer à voix haute tout ce qui la hantait depuis des ennéades. Certaines semblaient trouver leur réponse du simple fait de la présence d'Aegden. Elle pouvait enfin le voir, l'observer et remarquer que chacun de ses mots lui faisait l'effet d'un coup de couteau tandis qu'elle appuyait sur chaque aspect de son mensonge. Alors soit, il disait peut-être vrai. Ses sentiments étaient peut-être bien réels, de même que sa honte de n'avoir pas pu tout lui dire. Eraïos n'avait parlé que d'un seul élément pour justifier son acte... et lui aussi lui posait question.

-Tu dis que tu étais sincère, donc que tu n'as pas cherché à me manipuler. Alors explique-moi ce qui justifie que tu m'aies menti si longtemps. En quoi je représentais une menace pour toi, ta mission ou Anaëh. Pourquoi tu n'as pas assez eu confiance en moi...

Sa voix s'étrangla sur ses dernières paroles qui étaient sorties telles un murmure. Elle ne pouvait plus parler, attendant la réponse à toutes ses interrogations, et restait suspendue aux lèvres du militaire.

Par les Dieux, un militaire... Même maintenant, alors qu'il se tenait devant lui, elle avait du mal à y croire.

Il y eut une très maigre pointe de soulagement lorsque Neassa fit mine d’accepter de l’entendre. Cependant ce soulagement était caché derrière l’incrédulité. Que savait-elle exactement ? Ses derniers mots, aussi durs que de la pierre lui paraissaient sortis de nulle part. Ses oreilles s’agitèrent un instant, trahissant les questions qui traversèrent son esprit. Pourtant il n’en émit aucune. Ce n’était pas à lui de questionner. Elle n’avait pour l’instant pas de compte à lui rendre.

"-Je ne sais pas trop ce qu’on t’a dit…"Soupira-t-il.  "Mais peu importe puisque je vais tout reprendre."

Il avait mal. Presque physiquement. Son visage exprimait toute la tension qu’il pouvait ressentir, la peine, la culpabilité. 
 
-"Tu sais visiblement comment je m’appelle." Il faisait de son mieux pour garder une voix intelligible malgré le tremblement qui l’agitait. "Non pas Aïthruin mais Aegden." Une larme apparut au coin de ses yeux sans qu’il ne puisse rien y faire. "Je ne suis pas vraiment danseur, de profession du moins, mais…Soldat. Mainyth. "Il marqua une pause se rendant soudain compte que Neassa ne comprendrait probablement pas ce mot, il chercha la traduction dans sa langue à elle." Commandant de l’armée de ce protectorat. Tu peux demander confirmation à un soldat dehors si tu le souhaites. 

Son visage s’assombrit davantage. Ce n’était pas ainsi qu’il avait voulu tout lui avouer. Il ne voulait pas se retrouver forcer de lui lancer toutes les informations qu’il pouvait dans l’espoir de l’apaiser. Il ne voulait pas le faire au milieu des larmes et de la colère, même s’il se doutait qu’elle aurait été là de toute façon.
 
-"Je ne pouvais pas me permettre d’aller en Itrih’vaan avec ce nom. Pas plus que celui que tu appellerais Norui, ou les autres. Moi je danse depuis toujours, alors j’ai pris cette identité. Norui celle d’un acrobate."

Quelque part si Aïthruin n’était pas son vrai nom, une part de ce danseur fictif existait bel et bien au fond de lui. 

"-Nous n’étions à l’abri de rien, mais je n’étais pas le seul à porter des responsabilités ici. Mentir c’était nous protéger de ceux qui veulent nous anéantir. Des oreilles indiscrètes auraient porté préjudice à tout le monde, mes compagnons, les vaanis que nous avons croisés…"Il fit un geste vers elle, la désignant." Toi. A ton avis, comment auraient réagi les drows en te sachant proche d’un militaire gradé Anedhel ?

Il ne pouvait supporter l’idée que des drows s’en prennent à elle par sa faute. 

"'-Tu n’as jamais représenté une réelle menace pour moi Neassa." Cette fois les larmes roulèrent bel et bien sur son visage. "Lorsque nous ne nous connaissions à peine, je ne pouvais me permettre de te révéler tout ça. " Il déglutit, cherchant ses mots. "Et puis je suis tombé amoureux. " Il baissa les yeux, incapable de soutenir le regard de la jeune femme. "Le mal était déjà fait et j’ai eu peur. Peur que tu partes. Que tu me détestes. "Il réprima un sanglot. " Peur…d’être…seul dans cette foutue ville."

Qu’elle le pardonne, quelque part, il y avait eu une part d’égoïsme dans son comportement. Si la culpabilité ne l’avait jamais lâché, chacun des moments qu’il avait passé avec la prêtresse était trop beau pour qu’il ait eu le courage de le briser par des révélations brutales. Ni leur seconde rencontre, ni leurs rendez-vous à droite à gauche, ni leur au revoir qui resterait à jamais gravé dans le cœur de l’elfe.
 
Il se força à reprendre contact visuel avec elle avant de continuer prenant une inspiration un peu forcée.

"-Pour ce qui est de te laisser me chercher. Encore une fois, tu ne me croiras peut-être pas après tout ce que je t’ai fait, mais je pensais pouvoir te l’expliquer dès lors ton arrivée ici. Te l’expliquer moi-même. "Précisa-t-il." Il y a eu un souci et j’ai dû partir longtemps loin d’ici pour une autre mission. Visiblement je t’ai raté...

Neassa-Laella l'écouta sans l'interrompre. La vérité était si différente de ce à quoi elle aurait pu s'attendre. Il y avait des raisons tout à fait logique à son mensonge dont elle comprenait sans mal l'origine, mais il y en avait d'autres qu'elle n'avait pas anticipé. A commencer par le fait qu'il ne souhaitait que la protéger...

-Pourquoi crois-tu qu'aucun de mes proches ne sache qui est cet homme qui fait battre mon cœur depuis quelques mois ? Il n'y a qu'une seule personne qui soit au courant que tu es anedhel. Je le lui ai confié parce qu'il en a été un lui-même, parce que j'ai confiance en lui, parce qu'il sait garder un secret, parce qu'il ne connaît pas ma famille et parce qu'il n'a aucun intérêt à parler de cela à qui que ce soit. J'ai conscience d'être un accès direct vers le cœur-même d'Anaëh, que ce soit pour un Prince Marchand ou les drows. Je vis dans cet univers de pouvoirs et de manigances depuis suffisamment longtemps pour savoir comment m'en préserver.

Les intentions d'Aegden sur ce point étaient louables, elle ne pouvait que le reconnaître. Cependant, elle se devait de lui faire prendre conscience qu'elle était parfaitement capable de gérer cela elle-même. Lui révéler son nom n'aurait en aucun cas mis leurs vies en danger. Le jour de leur séparation, il n'y avait personne chez elle hormis eux deux et ce n'était pas la seule fois que cela était arrivé. Il avait eu l'occasion de lui parler sans que personne ne les entende mais il ne l'avait pas saisie...
Mais il avait d'autres explications à lui fournir à ce sujet. La culpabilité. L'impression de ne plus pouvoir revenir en arrière. La peur de la perdre... Et, ce qu'il prenait pour une motivation purement égoïste, elle la perçut différemment. Elle l'observait, observait ses larmes, observait l'expression de son visage. Tout ce qu'il lui disait résonnait avec sincérité et elle ne pouvait que le croire. Mais il restait encore quelque chose à éclaircir...

-Seul ? Répéta-t-elle après que le silence se soit de nouveau installé.

D'accord, il aurait voulu pouvoir lui parler de tout cela lui-même et sa fonction faisait qu'il ne lui aurait pas laissé le temps de le chercher avant de venir la trouver. Aujourd'hui en était la preuve. Mais elle ne s'expliquait pas la raison pour laquelle il aurait eu l'impression de se sentir isolé à Thaar. Car, seul, il ne l'était pas.

-Combien étiez-vous dans votre groupe ? Pourquoi te serais-tu senti seul si je partais ?

Il n'y avait plus de colère dans les yeux de Neassa-Laella, seulement de l'incompréhension suite à ses dernières paroles. Aegden ne s'était pas caché derrière ses obligations comme elle aurait pu le craindre. Là encore, il semblait vouloir jouer la carte de la sincérité et elle lui accordait plus de crédit qu'elle ne s'en serait cru capable après son mensonge. Mais la seule question à laquelle elle n'avait jamais pu attribuer la moindre hypothèse, c'était ce qu'il avait eu à gagner à la séduire et à lui mentir... Un pied dans la haute société vaanie ? Il avait croisé le chemin de personnes bien plus puissantes et influentes qu'une simple prêtresse qui se tenait éloignée des jeux de pouvoir et qui ne possédait aucun commerce. Le plaisir ? Leur relation était purement romantique et, là où un estrevin se serait montré bien plus charnel dès le second rendez-vous, Aegden ne lui avait jamais fait part du moindre désir d'aller plus loin. Alors, à le voir souffrir presque autant qu'elle et à lire cette crainte dans ses yeux, elle ne pouvait que croire que ses sentiments étaient bien réels.

Il pencha légèrement la tête sur le côté, l’air de réfléchir. Machinalement sa main vint faire disparaître ce qu’il restait de ses larmes. Il ne s’attendait pas à cette question. Peux être parce que pour lui la réponse était évidente autant que paradoxalement difficile à exprimer.

-Parce que je t’aime. Finit-t-il par lâcher après un silence.

C’était la première fois qu’il le lui exprimait aussi clairement et à nouveau il regrettait que le contexte fût celui-ci... 

Doucement, presque au ralentit, il vint prendre l’une des fines mains de la jeune femme pour la poser contre son cœur, sa propre main par dessus. Au moindre signe de rejet de sa part, il la lâcherait. En rien il ne voulait la forcer. Il avait l’intention, peut-être un peu maladroite, qu’elle sente son cœur battre comme il avait battu lorsqu’ils s’étaient embrassés une première fois. Ça, il ne pouvait pas l’inventer aurait-il été le meilleur menteur de Miradelphia, elle s’en doutait bien. 

-Parce que j’aurais pu être entouré de dizaines d’Anedhels ou d’un seulement. Eux ne sont pas toi. Ajouta-t-il d’une voix un peu plus basse en fixant à nouveau ses prunelles acier dans celles saphir de son aimée.

Neassa-Laella se figea dès les premiers mots d'Aegden. Elle le laissa lui subtiliser sa main pour venir la poser sur son torse. Sous ses doigts, elle sentait le cœur du Commandant battre la chamade à un rythme irrégulier. Elle avait déjà vécu cela... Elle avait sentit son palpitant s'emporter alors que leurs lèvres s'apprêtaient à se rencontrer pour la première fois. Le rappel de ce moment était subtile et à la fois percutant. Il lui rappelait à sa façon que même le plus habile des menteurs n'aurait pas pu simuler cela. Ni maintenant, ni jamais.
Alors qu'elle restait incapable de la moindre réaction, il poursuivit sa réponse et elle sentit son être tout entier devenir subitement plus léger et fondre en même temps. Les doutes s'étaient envolés et elle eut un soupir de soulagement dans un sanglot. Une nouvelle larme roula le long de sa joue tandis qu'un fin sourire étira ses lèvres.

Oui, elle le croyait. Et la beauté de sa déclaration lui faisait admettre la sincérité de tout ce qu'il venait de lui révéler. L'ultime motivation de son mensonge résidait finalement en un tendre sentiment... Celui qui faisait d'elle la personne la plus importante aux yeux du militaire. Plus importante encore qu'un membre de son propre peuple...
Et cet instant s'acheva de la même manière que la dernière fois, à ceci près que ce fut elle qui fit le premier pas. Lentement, elle combla l'espace qui les séparait jusqu'à ce que leurs mains se retrouvent piégées entre leurs corps. Puis elle s'étira afin que ses lèvres vinrent trouver celles de l'anedhel. Elle l'embrassa avec tendresse, sentant le cœur de son aimé vibrer au même rythme que le sien. Ce baiser ne dura que quelques instants avant que la prêtresse ne l'interrompe pour plonger à son tour son regard dans celui de son compagnon.

-Je t'aime... Aegden.

Neassa put voir les yeux du jeune elfe briller et un sourire éclairer son visage jusque-là fatigué. Une dernière larme se mis à arpenter les crevasses de son visage. Larmes de joie. Elle ne partirait pas. Il n’avait pas irrémédiablement tout brisé entre eux. Elle l’avait embrassé à nouveau.

Elle l’aimait.  

Il ne résista pas à la serrer à nouveau contre lui. Se blottissant contre elle autant qu’il le pouvait avec leur différence de taille. Il était heureux, soulagé. C’était comme si un poids s’était soudain envolé de sur ses épaules. Son contact l'apaisa plus qu'il ne l’aurait encore imaginé. Étouffant petit à petit le chagrin qui enserrait son cœur. Elle était bien là, tout contre lui. Il n'avait plus osé le rêver lorsqu'il avait croisées ces étincelles de colère au fond de ses mires.

"-Si jamais tu as d’autres doute sur quoi que ce soit me concernant." Murmura-t-il à son oreille avant de s’éloigner un peu, après un petit moment. L’une des mains de l’elfe vint s’aventurer sur le visage de la prêtresse,son pouce séchant tendrement les dernières perles d’eau sur ses pommettes. "Demande et je te répondrais."

Il n’était pas du genre à parler de lui en règles générales. Il y avait même des sujets sur lesquels il bloquait toujours et finissait irrémédiablement par contourner. Pourtant, il était prêt à répondre à n’importe qu’elle question que lui poserait la jeune femme, s’il était en mesure de le faire, bien entendu. Il ferait un effort parce qu'elle méritait d'être certaine de ce qu'elle savait. 

Tenant toujours l'une de ses mains, l'elfe guida doucement la jeune femme jusqu'à l'un des divans que contenait la petite salle. Si le malentendu semblait être dissipé au prix de nombreuses larmes, il était conscient qu'ils n'en avaient encore pas fini, d'où sa proposition. Et quand bien même ce fusse le cas, elle lui avait trop manqué pour qu'il re-disparaisse maintenant. Les miliciens sauraient se débrouiller sans lui.

S'ils comptaient bel et bien passer du temps ensemble, autant qu'ils ne restent pas tout deux debout jusqu'à épuisement.

L'étreinte d'Aegden fut la bienvenue et Neassa-Laella ne chercha pas à s'en soustraire. Bien au contraire, elle y plongea avec lui, cherchant à lui procurer autant de réconfort qu'elle en prit pour elle-même. Malgré ses mensonges, ses sentiments étaient sincères et c'était tout ce qui importait à ses yeux. De plus, il ne lui avait pas menti dans un but malveillant ou pour se jouer d'elle. Sachant cela, elle se serait contenté de n'importe quelle justification pour lui accorder son pardon. Cependant, le souhait de poursuivre ou non leur relation n'était pas acquis pour autant. Mais les paroles de l'anedhel l'avait à ce point touchée que la question ne se posait même plus...

La voix de son compagnon s'immisça jusqu'à son oreille et elle posa sur lui un regard plus doux qu'à son arrivée. Il lui offrait l'occasion de répondre à toute les interrogations qu'elle pouvait avoir à son sujet et c'était une démarche des plus précieuses. A présent, il n'avait plus aucune raison de lui mentir. Mieux encore, il semblait soulagé de pouvoir se montrer parfaitement honnête envers elle. Elle ferma brièvement les yeux en sentant sa main sur sa joue et l'accompagna jusqu'à l'un des canapés qui se trouvaient dans la pièce et qu'aucun d'eux n'avait ne serait-ce que regardé jusque là.
Neassa-Laella prit place à ses côtés, une main toujours dans la sienne. Elle ne chercha cependant pas à la récupérer, la trouvant bien là où elle était. Elle observa Aegden un petit moment sans rien dire ni rien demander, pas encore certaine de ce par quoi elle voulait commencer. Finalement, elle prit sa décision, et cela ne serait probablement pas ce à quoi son compagnon s'attendait.

-Je sais que tu ne pourras pas toujours me dire ce que tu fais, où tu vas et qui tu fréquentes. Je peux parfaitement l'entendre et sache qu'il en sera de même pour moi, en tant que prêtresse de Tyra. Mais promets-moi que tu ne me mentiras plus jamais. Demanda-t-elle avec douceur, ne souhaitant pas qu'il prenne cela pour un ultimatum.

Du fait de leurs positions respectives, ils vivaient et entendaient des choses qui ne souffriraient pas d'être répétées, même au sein d'un couple. Elle ne pourrait jamais s'épancher avec lui des histoires qu'on lui comptait et qu'elle devait porter. Les seuls auxquels elle pouvait parler, c'était ses confrères avec qui ils s'entraidaient afin de ne pas risquer de sombrer dans l'amertume et la dépression à force d'entendre les pires récits que ce monde pouvait connaître. Elle comprenait qu'il aurait nécessairement ses propres secrets, qu'il le veuille ou non, et elle était prête à l'accepter. Sa seule exigence, c'était qu'il sache lui dire quand elle ne devait pas poser de questions.

Elle avait mis un moment à répondre et cela avait intrigué l’elfe. Ne savait-elle simplement pas quoi dire ? Hésitait-elle ou bien n’osait-elle pas ? La pointe de ses oreilles s’était légèrement relevée démontrant sa curiosité lorsqu’à nouveau la voix de la jeune femme s’était fait entendre.

Il ne détourna pas une seule fois le regard pendant qu’elle parlait. Certaines vérités faisaient mal mais il fallait les accepter. Il y aurait toujours un risque de non-dit entre eux. Il devrait lui taire certaines choses comme elle devrait aussi le faire. C’était ainsi. Il en avait, lui, été conscient dès le début et il avait choisis de ne pas reculer pour autant. Il fallait assumer maintenant.

-"Plus jamais." Répondit-il, l’air sérieux. De nouveau il regardait sa compagne droit dans les yeux. Pour lui autant que pour elle, l’elfe était conscient que c’était là une promesse plus qu’importante. Il tenait à signifier qu'à nouveau il était sincère et que ces mots, ils n'étaient pas lancés en vain.

Il n’aimait pas mentir, n’avait jamais aimé  et n’aimerait jamais ça. Thaar et les froides retrouvailles avec Neassa avaient achevé de lui montrer à quel point il n’y avait rien de bon à tirer des mensonges. Quand bien même ne lui aurait-elle pas fait promettre qu’il se le serait promis à lui-même. Il ne mentirait plus à la femme qu’il aimait. Il éviterait autant qu'il le pourrait le mensonge envers ses autres camarades.

-Il y a des choses que je ne pourrais sans  doute pas t’expliquer cependant. Une pointe de tristesse illumina un instant son regard. Des choses que je ne pourrais pas non plus expliquer à n’importe quel elfe... Il y a des informations trop cruciales pour être dévoilées, même au sein d'Anaëh, tu t'en doute. Mais si je ne peux pas t’en parler, je te le ferais savoir, sans mensonges. Ça je te le promets.

Neassa-Laella ne répondit rien mais conserva un regard franc, une respiration calme et un sourire des plus discrets aux lèvres. La vérité, même si elle se résumait à une impossibilité d'en dire plus, c'était tout ce qu'elle demandait et tout ce qu'il obtiendrait en retour. En cet instant, elle était aussi sereine et assurée que son compagnon dans la promesse qu'il lui faisait. Elle était désormais prête à le croire car elle avait lu la sincérité de sa déclaration dans ses yeux.
Alors la prêtresse emprunta le chemin qu'il lui avait proposé en l'interrogeant sur lui. S'il n'avait plus rien à cacher, alors sans doute répondrait-il et il y avait tout bonnement trop de questions pour qu'un menteur parvienne à s'y retrouver sans se trahir. Ce ne serait donc qu'une formalité qui non seulement permettrait à la jeune femme de confirmer l'aveu d'Aegden mais aussi d'apprendre à mieux le connaître.

La première chose qui l'interpella fut bien évidemment son véritable statut. Aussi voulut-elle savoir comment il en était venu à rejoindre l'armée mais aussi comment il avait atteint à un tel grade. Car, même parmi un peuple tel que les doux elfes, ne devient pas officier qui veut. Elle était également curieuse de savoir quelles armes il maniait, ignorant s'il était archer ou guerrier. Elle ne connaissait guère les spécificités du combat elfique, plus accoutumée aux arènes -qu'elle dédaignait- et aux miliciens, mercenaires, et autres gens d'armes d'Ithri'Vaan. Elle chercha à comprendre la mission qui était la sienne en tant que Commandant et à qui il devait répondre de ses choix. Le fait qu'il soit aussi bon danseur l'intrigua également. Même si elle voyait des points communs entre ces deux disciplines, elles étaient malgré tout opposées de par leurs finalités et les associer était une chose assez surprenante en fin de compte.
Tous deux parlèrent ainsi longtemps, les questions de la vaanie s'orientant uniquement vers ce qui se cachait derrière le mensonge d'Aegden afin de découvrir toute la vérité sur lui. En soi, elle avait bien d'autres questions à lui poser, sur lui, sa vie, ses proches... Mais ce n'était pas sa priorité pour l'instant. Lorsqu'elle estima avoir obtenu suffisamment de réponses, elle marqua une longue pause et le silence s'installa enfin dans le salon de l'hospice des libertaires.

Pensive, le regard de Neassa-Laella s'égara à travers une fenêtre. Ce fut un frisson qui la tira de ses songes après quelques instants et elle se tourna de nouveau vers son compagnon. Ils étaient immobiles depuis bien longtemps et elle commençait à avoir un peu froid. Une des rares manifestations de son sang humain... Elle ne s'en préoccupa cependant pas davantage et initia ce qui devait suivre cet échange à présent.

-Pour ma part, je ne t'ai pas menti... Mais je ne t'ai pas tout dit. Avoua-t-elle.

Qu'il ne sache pas encore tout d'elle n'avait rien d'anormal en soi. Malgré tout le temps qu'ils avaient passé ensemble, ils ne pouvaient se connaître parfaitement. Cependant, dans sa déclaration résonnait le poids de ce qu'elle s'apprêtait à lui révéler à son tour. Car, puisqu'ils en étaient à tout se dire...

-Il y a une chose que très peu savent sur moi. Pour ma propre sécurité, mais surtout pour celle de mes proches. Une chose dont tu es protégé ici. Acheva-t-elle avec un sourire paisible qui se voulait rassurant. Ce qu'elle allait lui annoncer n'avait rien de dramatique, contrairement à un autre passage de son histoire qu'elle n'était pas encore prête à partager avec lui. Aussi ne voulait-elle pas qu'il s'inquiète outre mesure. Elle était calme et très assurée, essayant de transmettre par son regard le sentiment que tout allait bien. Ce qui la tourmentait, c'était surtout la façon dont il allait accueillir la chose...

Il remarqua le frisson qui parcouru le corps de la jeune femme parès un plutôt long silence. Cependant, elfe qu’il était-il, n’en comprit pas la raison. Pour lui il aurait fallu un changement vraiment brutal ou une température extrême pour qu’il s’en rende compte. Il n'avait sans doute pas assez côtoyé les éphémères pour se souvenir de cette étrange différence et le relier au geste inconscient de la prêtresse.

A la place il le mit sur les paroles qu’elle prononça et son visage afficha une inquiétude qu’elle s’efforça pourtant d’éteindre. Elle avait l’air de vouloir le rassurer mais le jeune elfe n’avait pas le don de la presque-éternelle pour lire les gens comme elle le faisait. Il ne pouvait donc pas s’empêcher d’être un minimum inquiet.

Quelque chose qui concernait sa sécurité à elle ? Elle semblait pourtant si calme et assurée, comme si ce n’était pas grand-chose. Le quelque chose semblait aussi concerner ses proche. Il haussa un sourcil lorsqu'elle précisa que lui il était protégé. Cela devait probablement être en rapport avec Thaar...

Il ne lui demanda cependant pas directement de continuer. Non, il ne répondit rien, lui signifiant simplement en silence qu’il l’écoutait. Bien sûr qu'elle n'allait pas s’arrêter là et bien sûr qu'il voulait en savoir plus. La pointe de ses oreilles légèrement redressées et ses  sourcils froncés par l'inquiétude en parfait indice. Malgré tout, il préférait qu'elle prenne son temps pour qu'elle dise ce qu'elle avait à dire plutôt que de la presser inutilement.

Aegden ne dit rien mais elle comprit à son attitude et à son regard qu'il brûlait d'en savoir plus. Elle pouvait lire dans ses yeux l'inquiétude qui était la sienne alors qu'elle venait de lui avouer courir un certain danger. Sa propre démarche non verbale ne semblait pas faire écho en lui, ou bien pas suffisamment pour faire taire ses craintes mues par l'affection qu'il lui portait. Aussi, elle ne pouvait lui annoncer la chose de but en blanc. Elle devait y mettre les formes, le préparer mais également lui apporter tous les éléments afin qu'il ne se méprenne pas sur ses intentions. Ithri'Vaan était le lieu de tous les vices... Mais elle n'y cédait pas et elle tenait à ce qu'il le comprenne.
Après le silence qu'il lui offrit pour toute réponse, elle prit une inspiration et entama ce qui s'avèrerait être une longue explication.

-Tu te souviens certainement de ce nécromancien qui a saccagé le cimetière, le jour de notre premier rendez-vous chez moi.

Cette phrase était purement rhétorique et elle n'attendait aucune réponse. Comment pourrait-il oublier ce soir-là ? Elle était rentrée très tardivement et s'était effondrée à genoux à peine la porte de sa maison fermée. Elle avait passé la journée à enterrer de nouveau les morts dérangés pendant leur sommeil éternel et à accomplir nombre de rites pour les protéger -pendant un temps tout du moins- contre d'autres tentatives. C'était le jour de leur première étreinte mais aussi de leur premier baiser.
Elle reprit après une courte pause.

-Je t'ai dit qu'il avait été arrêté. Mais je ne t'ai pas dit par qui. Son regard et son discret sourire en disaient long sur ce qu'elle s'apprêtait à lui révéler mais elle avait conscience qu'elle devait le formuler à voix haute afin de lui assurer qu'il avait bien compris ce qu'elle sous-entendait. C'était moi. Avec un peu d'aide, bien-sûr. Ajouta-t-elle avec un sourire en coin.

Aegden se souvenait sans nul doute qu'elle était mage et peut-être avait-il retenu le principe de son Art qui lui permettait de manier la source même de la magie. C'était un domaine à la fois complexe et puissant une fois maîtrisé car elle pouvait rendre l'un de ses confrères plus puissants, lui voler ses sorts ou le priver de tout pouvoir. A son niveau, Neassa-Laella était une adversaire redoutable, même s'il y avait peu de chance que son compagnon l'ait compris jusque là.
La jeune femme poursuivit, empruntant une voie un peu détournée pour exposer l'entièreté de sa situation.

-Aux yeux du plus grand nombre, je suis un personnage publique. Je représente à la fois un membre de culte reconnu pour ses compétences et une riche héritière oisive qui aime passer son temps libre en soirées mondaines. Mais en réalité, je n'y fais que des apparitions. Je m'arrange pour être vue par plusieurs personnes qui pourront attester que j'étais là avant de m'en aller vers mon autre activité. Ce n'était qu'un passe-temps au début... Puis c'est devenu bien plus que cela. C'est une autre manière pour moi de remplir mon rôle de prêtresse et de protéger les Souffles de Tyra. Elle marqua une nouvelle pause afin de ménager un peu son compagnon avant d'en venir à sa révélation. Je suis chasseuse de prime. Officiellement, cela signifie que je traque des gens pour de l'argent. Mais tu as vu comment je vis, l'argent ne m'intéresse pas, je n'en ai pas besoin. Il m'arrive souvent de renoncer à la prime, comme je l'ai fait pour ce nécromancien et tous ceux de son espèce que j'ai arrêté avant lui. A la différence de mes... collègues, je peux m'offrir le luxe de choisir mes cibles. Je me renseigne sur toutes les offres, j'écarte celles qui ne sont qu'un règlement de compte ou la poursuite de délinquants pour me concentrer sur les criminels, ceux qui sont une réelle menace pour les Souffles. Ceux qui détruisent des vies, au sens propre comme au figuré. Et ceux qui tentent de les prendre à Tyra, bien sûr. Nombreux sont mes anciennes cibles qui aimeraient se venger de moi. C'est pourquoi, dans cette seconde vie, je me cache derrière un masque et un faux nom et je m'entoure de quelques hommes et femmes compétents en qui je peux avoir confiance parce que, à force de travailler avec eux, ils finissent par découvrir qui je suis et je dois pouvoir compter sur leur discrétion. Pour eux, je reste "Sirène". Mais aucun de ceux qui ont connu Neassa-Laella en premier ne savent la vérité. Aucun jusqu'à aujourd'hui...

-Oh…Tu es comme nos berceurs quelque part ? Demanda-t-il d’une voix douce, démontrant que cette révélation soudaine ne changeait cependant pas le moins du monde la vision qu’il avait d’elle. Tout au plus comprenait-il mieux certaine chose lors de cette fameuse soirée.

Il essayait de comprendre et il était soulagé qu’elle prenne le temps de lui expliquer. Les mœurs d’Ithri’Vaan étaient différente de celles d’Anaëh ils en étaient tout les deux bien conscients.

Il était réellement touché par ce qu’elle venait de lui dire parce qu’il comprenait parfaitement que ce n’était pas là une chose dont elle avait l’habitude de parler. Il n’y avait qu’a comprendre sa dernière phrase. A nouveau elle faisait preuve d’une confiance qu’il n’était plus vraiment certain de mériter. Bien évidemment, il acceptait parfaitement le fait qu’elle ne lui ait pas parlé de cela plus tôt. Leur relation était encore toute jeune et ce n’était pas là des choses dont on pouvait discuter au détour d’une conversation….

Un très fin sourire vint malgré tout étirer le coin de ses lèvres. A y réfléchir, c’était ironique. C’était un danseur et une prêtresse qui étaient tombés amoureux. Maintenant c’était un militaire et une "chasseuse de prime" qui consolidait leur lien…

Il y avait aussi une forme d’appréhension qu’il avait beau vouloir éteindre ou au moins mettre dans un coin de son esprit restait là.

Bien entendu qu’il se rappelait leur premier rendez-vous dans la demeure de sa compagne. Jamais il n’oublierait leur premier baiser, mais il n’avait pas non plus oublié l’inquiétude qui lui avait serré le cœur lorsque la jeune femme lui été apparue prostrée au sol sans réaction.

Certes son aimée savait se débrouiller seule et pouvait se défendre tout autant, il n’en doutait pas. Elle devait avoir quasiment son âge d’après ses dires. Cependant il n’arrivait pas à s’enlever de la tête que cette situation se reproduirais probablement un jour.

Et si un jour une personne mal intentionnée finissait par faire le lien ? Un masque suffisait-il vraiment à la protéger ?

L’elfe secoua mentalement la tête, chassant les pensées noires motivées par son inquiétude et ses sentiments. Il n’était pas le seul à légitimement s’inquiéter, Neassa pouvait bien avoir les mêmes craintes à son sujet. Et il savait très bien qu’à l’inverse il lui aurait simplement répondu que tout irait bien. Il fallait qu’il fasse une fois de plus confiance à sa compagne.

- Je crois que tu peux facilement le voir, je m’inquiète pour toi, même si je me doute bien que tu prend toute les précautions qui te semblent nécessaires...Soupira-t-il. Ithri’Vaan me parait si…retord....En tout cas, merci de m’avoir expliqué ça Neassa.Il eut un sourire un peu contrit. Je garderais tout ce que tu viens de me dire pour moi je te le promet.

A la question d'Aegden, Neassa-Laella étira un léger sourire. Ainsi donc, il ne lui ferait aucun reproche et ne tenterait pas de la convaincre de cesser ses activités parallèles. Pourtant, elle lisait l'inquiétude au fond de ses yeux mais il l'acceptait avec cet aspect de sa vie qui s'avérait plutôt dangereux. Il formula même cette pensée à voix haute et elle ne pouvait que lui adresser un regard plein de gratitude. Cela allait sans doute de soi pourrait-on dire... Elle venait d'apprendre qu'il était militaire et non artiste mais elle lui avait malgré tout déclaré ses sentiments. Il serait mal venu de la part du Commandant de la rejeter ou de lui demander de changer maintenant que la situation était inversée. Néanmoins, elle appréciait qu'il ait choisi d'emprunter cette voie plutôt qu'une autre.

-Rassure-toi, je ne pourchasse que des mages. Et si je m'entoure d'hommes et de femmes armés c'est parce que, même privé de ses pouvoirs, un mage peut encore me mettre au tapis. C'est pourquoi je me tiens en retrait autant que faire se peut.

La prêtresse connaissait ses points faibles. Le plus remarquable dans ce genre de situation était bien évidemment sa faible carrure et son incapacité à se défendre sans magie. Plutôt que d'y remédier en apprenant à se battre, elle avait choisi de se concentrer sur la maîtrise de son Art pour en faire le meilleur atout de tout groupe à la poursuite d'un mage et de s'entourer de personnes sur lesquelles elle pouvait compter. C'était une stratégie qui c'était révélée payante jusque là.

-Nous n'avons malheureusement pas de "berceur" en Ithri'Vaan. Et quand bien même nous en aurions, nous serions contraints de les dissimuler comme je le fais afin qu'ils ne fassent pas l'objet de représailles.

Neassa s'arrêta dans son élan et tourna son regard vers la fenêtre. Elle était calme et détendue comme elle ne l'avait plus été depuis son départ d'Holimion. A présent débarrassée de ses angoisses envers son compagnon, elle pouvait concentrer son esprit sur les ennéades qui venaient de passer et en faire un bilan d'un point de vue purement personnel.

-Cela fait un mois que j'ai posé pour la première fois le pied en Anaëh et je comprends le dépaysement que tu as ressenti en arrivant à Thaar. Tout semble si paisible, à tous points de vue. Il n'y a pas de misère, pas de richesse, pas de pouvoir, pas de complot... Vous ne craignez ni la pauvreté, ni la faim, ni la mort qui se tiendrait au coin de la rue. Vous cohabitez en pleine confiance et tout le monde semble si heureux, malgré les préoccupations quotidiennes. Elle tourna à nouveau son doux visage vers Aegden. J'ai pu constater de mes yeux ce que tu m'as décris et qui ne peut être qu'une utopie pour les vaanis. Je vous envie...

Elle avait exprimé cette pensée sans vraiment le réaliser. Elle s'ouvrait rarement à ce point sur ce qu'elle ressentait, cela ne faisait pas partie de ses fonctions, bien au contraire. Elle était habituée à très peu parler d'elle, à en divulguer le moins possible pour ne pas se mettre en danger, à demeurer en retrait pour laisser la parole aux autres. Mais ici, dans ce pays, aux côtés de l'homme qu'elle aimait, elle avait l'impression qu'elle pouvait tout dire, tout partager. Sans filtre.

-Oh tu sais. Rit-il doucement. Tout n’est pas parfait non plus. La confiance se construit chez nous aussi et tout le monde vis des moments moins heureux que d’autres. On aide simplement les plus démunis. Les tensions ne sont pas inexistantes non plus  même si elles ne prennent peux être pas la même forme. 

Il sourit un instant et ne tint pas à préciser ce dont il parlait. Il n’en avait pas vraiment envie. Il aimait la vision que Neassa avait de son monde. Anaëh était belle, il en était conscient, mais il y avait quelque chose de plus à travers ses yeux. Il espérait simplement qu’ils aient encore assez de temps pour lui donner à découvrir d’autres facettes encore inconnues d’elle.

Ce fut ensuite à son tour de perdre son regard dans la direction  de la fenêtre. Il réfléchit un instant. Un instant qui s’étira un peu avant qu’il ne se décide.

-peut être que…Son regard se reposa sur la jeune femme.Tu pourrais rester…ici. Si c’est ce que tu souhaites. Il ajouta un peu plus timidement peux-être. Pour un temps au moins.

Elle avait beaucoup de sang elfe après tout. Si jusque là elle avait l’air d’avoir été relativement bien accueillie, il n’y avait pas de raison. Bien entendu il y aurait des cas extrêmes. Bien entendu elle devrait s’attendre à certaines réflexions vis-à-vis de ce peuple dont elle partageait une infime quantité de sang. Mais compte tenu de ce qu’il avait pu voir et entendre à Thaar et de ce qu’elle lui avait expliqué, il se demandait si c’était bien pire qu’au sein de cette terre de vices…

Et d’une autre part, il avait presque honte de soulever cette idée. Il ne voulait certes que son bonheur. Cependant c’était quelque part lui proposer de laisser tout ce qu’elle avait jamais connu. Il se doutait bien que c’était là un immense sacrifice et quelque part il se savait lui incapable d’un tel sacrifice, aussi forts pouvaient-être ses sentiments envers la sang-mêlé.  

Aussi ne lui demanderait-il sans doute jamais de le faire pour lui. Peut être qu’un jour, la douleur de la savoir si loin serait trop forte, mais aujourd’hui qu’elle était encore à ses côtés, il se le refusait par principe. S’il évoquait cette idée c’était parce qu’elle semblait désirer ce qu’elle appelait cette utopie.

Neassa-Laella étira un sourire amusé devant la description qu'Aegden lui fit de son peuple afin de corriger sa vision des choses. Comme elle l'avait dit, c'était une utopie mais elle imaginait bien qu'elle n'avait pas encore tout vu de ce peuple. Cependant, le contexte quotidien de leur vie était déjà un immense changement à ses yeux. Un changement qui lui était plus salutaire que celui qu'avait vécu son compagnon à Thaar.

-Je ne suis pas naïve. Dit-elle avec douceur pour lui faire comprendre qu'elle n'avait pas perçu de jugement ni de reproche dans ses paroles. J'imagine que vous avez vos propres sources de désaccords et conflits, comme partout ailleurs. Mais vous demeurez sincères les uns envers les autres. Vous ne jouez pas de manipulation, de ruse, de piège ou pire encore, dans le but d'arriver à vos fins. Et ce que vous dites ou faites, c'est dans l'intérêt de votre peuple... Pas dans un désir personnel. Vous êtes bien plus nobles que nous ne le serons jamais...

C'était toute la nuance qui existait entre leurs deux mondes. Dans l'un, les actes servaient à tous et dans l'autre, à une minorité. Elle était lasse de cet univers, plus encore maintenant qu'elle savait que celui des elfes existaient. Elle-même n'avait jamais joué à ce jeu de pouvoir et de richesse. En tant que prêtresse de Tyra disposant d'une généreuse rente à vie, elle pouvait aisément s'en exempter. Cependant, elle était souvent obligée de composer avec tandis qu'elle venait en aide à des personnes qui étaient aux prises avec toutes les machinations qui les entouraient. Elle n'avait jamais remis sa vie en question jusqu'à sa rencontre avec les anedhels...
Elle ne sut si Aegden avait lu dans ses pensées ou non mais elle fut surprise par sa proposition. Rester ? Vraiment ? C'était une question qu'elle avait effleuré puis rejetée car il était bien trop tôt pour y songer, leur relation commençait à peine à l'époque. Et voilà qu'il le lui suggérait... Cela aurait dû la rendre folle de joie mais la plongea au contraire dans le doute. C'était comme si une telle offre ne lui apportait aucune réponse sur un problème donné. Demeurer en Anaëh l'amènerait à rencontrer d'autres difficultés dont elle serait l'épicentre. Il le savait. Ils l'avaient toujours su et avaient même partagé cette question dès le début de leur histoire.

Et puis, le militaire ajouta quelques mots avec timidité et elle s'efforça de lui adresse un sourire un brin triste mais néanmoins sincère. Cette idée-ci lui convenait davantage que la première.

-Je me suis absentée un mois. Je peux bien rester quelques jours de plus... Répondit-elle en serrant un peu plus fort la main de son compagnon. Puis elle se pencha sur lui pour l'embrasser. Malgré les émotions qui l'avaient agité durant cette discussion, elle était heureuse à l'idée de pouvoir passer quelques temps auprès de lui avant de rentrer. Elle ignorait quand ses pas la ramènerai ici mais elle ne voulait pas y penser pour le moment. Elle devait profiter de lui tant qu'elle le pouvait.

Il avait eu peur qu’elle ne réponde tout simplement pas avant qu’il n’ajoute ses derniers mots. Ce fut une fois de plus difficile d’ignorer la sensation d’amertume qui l’étreignit lorsqu’elle répondit avec une pointe de tristesse dans le regard. C’était ainsi, elle ne pouvait pas se permettre d’abandonner sa vie vaanie, si périlleuse était-elle et quand bien même avait-elle plus tôt semblait le vouloir.

Il hocha la tête. C’était égoïste de sa part de lui en demander tant et il devait l’accepter..

Au moins resterait-elle quelques jours de plus...Il se devait de voir le positif. Après des retrouvailles aussi compliquées, la savoir aussi proche ne devait que lui réchauffer le cœur.

Il sourit mentalement en lui rendant son baiser lorsqu'elle se pencha vers lui. Oui quelques jours ce n’était déjà pas mal.

-Cette fois-ci c’est moi qui te ferait office de guide.Souffla-t-il tout bas, plaisantant à moitié, tandis qu’ils se tenaient si proche, ses lèvres étirées dans un sourire effleurant presque encore celles de la jeune femme.