Quand un rat quitte le navire | Courtois

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20e jours de Bàrkios de l’An 17:XI
Dans les environs du chateau du Prademont

Longer les murs, faire profil bas, ne pas attirer l'attention et se fondre dans le décors... Voilà qui rappelait une époque révolue à la demi-sang. Des habitudes jamais vraiment perdues, bien que ses 'honnêtes' activités l'en aient en partie éloignée. Rien que des souvenirs, vraiment... Et pourtant m'la à fare l'rat aux milieux d'gars qui m'troueraient l'cuir si pouvaient, arrêtée à la première ville... AH ! Ronchonne, la demi-sang gardait ses marmonnements pour elle - pour une fois - cherchant seulement comment prévenir ses compagnons de ne pas s'en faire, et qu'elle s'en retournerait sans mal. On s'retrouve à Thaar, qu'y disaient !

Des couloirs et des marches, des renfoncements où se cacher parmi les ombres, des gardes qu'elle laissait passer, des tentures derrières lesquelles elle se cachait, des serviteurs qu'elle évitait, des pièces où elle se risquait... Ses mains se tendirent plus d'une fois, mais elle se rabroua, ne souhaitant pas compliquer les choses... Et s'en retrouvant d'autant plus énervée. Certaine de connaître son chemin, tout en ayant l'impression de tourner en rond, son regard accrocha une silhouette reconnaissable au détour d'un couloir. Qu'est-ce - ici ? Pas l'temps, allez ! Accélérant le pas tout en restant prostrée - les deux n'allaient pas très bien ensemble, c'est vrai, on eut dit une religieuse pressée d'aller au cabinet -, elle se rapprocha tant qu'elle l'osa, tout en vérifiant que personne ne viendrait s'étonner de voir un grand 'machin' de tissus noirs se balader dans les couloirs.

"Hey, Courtois...!" lança-t-elle dans son dos.

Quelque chose lui disait que le médecin n'était pas près de lui courir après dans les couloirs vu son état - s'il se rappelait comment relever son pantalon - mais le temps n'allait pas dans son sens, et plus vite elle serait loin, mieux elle se porterait ! Grillée dès la première ville... Foutredieu !

Le géant se retourna. Il reconnaissait parfaitement la voix de son amante pour l'avoir déjà entendue sous toutes ces formes -même si celle-là n'était pas sa préférée. Apercevant la silhouette enrubannée de bandages, il fronça les sourcils et s'avança pour la rejoindre. Il n'avait pas été ravi d'apprendre qu'elle allait se faire examiner et moins encore de savoir qu'il devait se tenir à l'écart de tout ça. Même s'il n'était pas en couple, elle restait son amie (de boisson et de cul) et il tenait un minimum à elle. Assez pour vouloir s'assurer qu'elle était en sécurité et, vu les descriptions que Digne lui avait fait de ce pays, il savait à quel point elle ne l'était pas ici. Alors savoir qu'un soigneur allait la passer à la loupe...

Progressant vers elle, Courtois comprit bien vite qu'elle était en train de se cacher et qu'il s'était donc passé quelque chose. Il ne savait pas quoi mais cela n'était pas bon signe. Aussi, il guetta les alentours lui aussi et scruta l'intérieur d'une pièce dont la porte était entrouverte. Il s'agissait d'un débarras que l'on avait visiblement oublié de refermer derrière soi. Après s'être assuré que la voix était libre, il fit signe à Mleshka de le rejoindre, jouant le guetteur en attendant qu'elle arrive à sa hauteur. Puis il entra à la suite de la demie-sombre et ferma derrière eux, usant du loquet pour empêcher toute intrusion.

-Qu'est-ce y s'passe ? J'te croyais avec leur méd'cin ? Demanda-t-il à mi-voix.

Se faufilant sans se faire prier, la demi-drow eut le plaisir de découvrir un simple débarrât. Rien de telle que ce genre de pièce pour discuter en toute tranquillité ! Les manieurs de balais ne se poussaient pas au balcon en général. Perd pas l'Nord, partir vite s'ra l'mieux. Non sans un sourire sous cape, elle ne se fit pas prier pour répondre :

"Un médecin ? Un amoureux en mal d'sa belle oui, et qui s'console 'vec la bouteille et d'la poudre qui fait marrer. grinça-t-elle. L'est passé par la f'nêtre - pas d'mon fait, hein -, j'ai réussi à l'ret'nir, et lui d'remonter mais il s'est mis à chialer et... Mais j'traîne, j'en tirais rien. Cette fois, elle grimaça. Elle en rirait sans doute plus tard, pour l'heure le gaillard l'avait agacée. A peine arrivée, déjà bloquée, c'con pas vrai ? Hmmmm... J'vais r'brousser ch'min, ça vaut mieux." Lâcha-t-elle, un brin dépitée.

Cela l'énervait plus qu'elle ne le laissait entendre, mais s'appesantir sur le problème n'y changerait rien, voire lui ferait juste perdre de l'avance par rapport aux gardes lancés à sa recherche - peut-être, un jour, demain sinon ? -.

"Vous ça va j'crois ? Bon. J'sais pas comment l'zozio va l'présenter à son sire, mon départ, - ni même s'il va se rappeler de grand chose d'ailleurs -, mais au cas où on vous d'mande : vous n'savez point, vous me croyiez de bonne foi, et tout le patacaisse pour qu'ça vous r'tombe pas d'ssus, vu ?" expliqua-t-elle rapidement.

Ah, les histoires de loyauté qui se font et se défont, ce qui avait été dit, cru, puis la triste vérité de la réalité... La demi-drow imaginait presque la douce Aislinn se pâmer de déception en entendant que la triste lépreuse s'en était allée. Ou peut-être trouverait-elle une idée encore plus tragique ? Ce que la Grise aimerait être là pour l'entendre ! Mais le plus loin possible des piques du bon seigneur, c'était ce qui serait le mieux, au final.

Courtois grommela et passa une main dans sa nuque. Ça ne faisait pas une journée qu'ils étaient là et ils avaient déjà des problèmes. L'idée de Mleshka de se faire passer pour une malade n'était pas la meilleure du siècle mais sans doute pas la pire non plus. Après tout, la faire passer en Péninsule, c'était risqué. Ils craignaient déjà pour leur sœur qui était une humaine à la peau basanée alors une demie-drow... Il n'aurait pas dû accepter qu'elle vienne.
M'enfin, c'était pas comme si elle lui avait laissé le choix !

-J'te dirais bien de t'planquer l'temps qu'on r'parte d'ici mais y vont sûr'ment t'chercher. Puis si ça commence mal dès maint'nant, on n'est pas rendu... Digne avait raison, c'un pays d'merde. T's'ras plus en sécurité à Thaar.

Il aurait bien voulu la retenir parce que cette expédition allait s'avérer beaucoup moins marrante sans elle mais il était réaliste. Il n'allait pas risquer la peau de la belle pour quelques heures d'ennuis en moins.

-Ouais ouais, ça ira. A c'que j'ai compris, c'plus facile d'couper la tête à un mendiant qu'à un noble et l'a d'jà r'connu Aislinn comme l'une des leurs donc y'a pas d'raisons. Puis, vu comment elle t'a présentée, on d'vrait pas avoir d'problème. T'as c'qui faut pour l'voyage de r'tour ?

La laisser partir, c'était bien beau, mais encore fallait-il qu'elle ait les moyens de ses ambitions. Dans sa situation, il valait mieux qu'elle disparaisse au plus vite donc on oubliait le trajet à pieds. Il lui fallait un nouveau navire qui accepte une demie-sombre sans broncher et qui aille jusqu'à Thaar. Autant dire que c'était pas donné, surtout sans l'appui d'une riche héritière comme la Noblegriffon pour faciliter la négociation.

Si Courtois entendit un grommellement, il n'eut pas droit aux détails du ressenti de la Grise. En sécurité, elle ? Haha, ce qu'elle en avait à cirer !... Enfin, si, un petit peu, mais c'était agaçant de se le faire rappeler. Ah, les aléas des plans brillants... Le grommellement se fit soupir, et les épaules de la demi-sang s'affaissèrent un peu, de déception.

"T'as tout compris d'comment ça fonctionne dans l'coin ouai... Tant qu't'est dans leurs murs du moins. Dès qu't'en sors, y a un peu plus d'largeur, quoiqu'les pécores sortent bien leur fourche d'temps à autre. sourit-elle en connaissance de cause. Enfin... J'trouv'rais bien. J'trouve toujours d'ailleurs, j'paye pas mis j'rend service. C'juste une question d'trouver comment aborder les gars et ça s'fait tout seul. dit-elle, avec une assurance amère. Bon, tu r'trouves ta frangine, et son s'revois à Thaar, vu ?" dit-elle, un sourire sous sa capuche.

L'avait-elle déjà fait dans un placard à balais ? Pas avec lui en tout cas, elle y remédierait entre des murs plus accueillant.

Courtois devait bien lui concéder que, si elle savait s'attirer des ennuis, elle savait aussi très bien se débrouiller toute seule. Il n'y avait qu'à voir la facilité avec laquelle elle s'était trouvé des petits boulots à accomplir pour pouvoir l'accompagner dans sa quête. Bien que le fait qu'Aislinn ait décidé de se mêler à l'affaire ait grandement facilité les questions pécuniaires pour le voyage. Mais cela avait aussi fait se porter les regards sur eux car ils ne passaient plus aussi inaperçu avec elle à leurs côtés.

-J'r'grette not' plan d'art. Toi, moi et la route.

Ils auraient certainement été bien plus peinards comme ça. Même si l'idée de la Grise n'était pas celle du siècle, on serait nettement moins venus emmerder deux pécores d'Ithri'Vaan. Et, pour les plus audacieux, la carrure du colosse aurait assuré leur tranquillité. Mais bon, les choses ne se déroulaient pas toujours comme prévus et ils étaient tous les deux bien placés pour le savoir. C'est pourquoi ni l'un ni l'autre ne passerait plus de temps à s'apitoyer.
Courtois s'approcha de l'enrubannée et lui parla d'une voix plus rauque qu'elle lui connaissait bien.

-J'te r'trouve dès qu'j'chuis rentrer et on trouv'ra moyen ç'la faire not' partie d'cul dans les bois.

C'est qu'ils s'étaient assez bien échauffés avec ça en se projetant dans ce voyage. Il adorait l'idée de baiser en plein air, et pas seulement à l'arrière d'une auberge. Il n'avait jamais fait ça en dehors d'une ville. Il n'avait pas l'esprit bucolique ou romantique mais il aimait le côté exhibitionniste que cela donnerait à leurs ébats. Il se foutait pas mal qu'on puisse les voir. Au contraire, ça l'excitait un peu plus.

-Et on verra pour régler tes aut' dettes au passage. Dit-il en esquissant un sourire presque carnassier.

Que ce soit pour le coup de boule qu'elle lui avait donné ou pour les leçons d'escrime, elle lui devait plus d'une faveur qu'il avait l'intention de régler uniquement par le sexe. Il pensait notamment à cette pipe dont ils avaient parlé et qu'elle devait lui tailler une autre fois après quoi il pourrait la baiser aussi sauvagement qu'il le voudrait cette fois. Il lui tardait de vivre cette expérience et de pouvoir se déchaîner sur elle. Elle découvrirait alors que sa brusquerie n'était rien jusque là, de même que le plaisir qu'elle avait pu prendre avec lui de cette manière...
Il en banderait presque d'avance rien qu'à l'idée.

"Et c'maintenant qu'tu m'sors ça, 'lors qu'j'dois m'faufiler discrètement dehors ?" sourit la Grise sous ses bandages.

Vu le ton comme le regard, elle ne pouvait que supposer ce qui passait par la tête de son amant, mais elle supposait à foison, et cela avait le mérite de lui changer les idées. Foutue bourge ! Par vengeance, elle se sentait l'envie d'empêcher celle-ci de dormir pendant des ennéades par la grâce de la jouissance, voire de pousser l'agaçant sire dans les escaliers pour la laisser se débrouiller avec ça. Enfin, quand bien même la fille l'ennuyait en plus d'être insipide, elle n'en restait pas moins liée aux Hadjaoui. Les affaires d'famille...

Ce qu'il lui restait de colère, elle le mit dans un baiser fougueux et sans aucune délicatesse. A peu de chose près ils se cognaient les dents. Ayant saisi le Courtois au col avec brutalité, elle le rejeta de la même manière, le regarde furieux et lubrique à la fois - quelque chose annonçant qu'elle prendrait un grand plaisir à faire son affaire à ses vêtements pour mieux s'occuper d'lui -.

"J'dois m'faufiler, pas rameuter tout l'coin en t'sautant d'sus, mon salaud. Sa voix était aussi bien plus grave. Trouve-la ta frangine, et rapplique donc. On ira déflorer les draps d'Prince Marchand pour ta peine."

Des plans tout sauf recommandables en tête, la demi-sang ne lui laissa guère le temps de répondre. Se faufilant dehors, elle mit prestement de la distance entre elle est lui. Une ombre parmi les gueux... Discrétion et désir faisaient rarement bon ménage.