Réflexions | Louis de Saint-Aimé

Aussi calmement que savait se poser sur le sol de timides flocons en début d’hiver, l’effervescence de sa récente nomination s’était accoisée. Mais avant cela, il avait longuement consommé le bonheur que lui avait octroyé sa victoire : il avait festoyé allègrement, ripaillé et bu à outrance jusqu’à ce que sa couche soit seule témoin de sa déchéance volontaire. Au lendemain, la bouche en coton, pâteuse comme une mie non cuite, l’idée folle de prendre congé des matines lui traversa l’esprit. Maintenant Régent, je t’oblige à préserver tes habitudes d’avant, pouacre pourceau, s’ordonna silencieusement l’ogre, une patte contre son crâne endolori. Et, tout à coup, un souvenir lui revint, de cet épisode où chaque journée à battre la campagne l’empêtrait d’avantage dans les miasmes de sa conscience. Ces victoires cumulées au nom du Roi, souventefois grappillées à l’aide d’actes immoraux, les avaient contraintes au fil du temps, à expier ses inconduites par la souffrance. Son grand dorsal en avait pâti et, encore aujourd’hui, était parsemé de quelques souvenirs de cette soirée sanglante. Désormais, loin était l’idée qu’il doive en revenir à ces extrêmes, mais s’il devait excuser ses fautes par un faux manque de temps, rien n’était plus probable qu’il réitère.

Or, il trouva d’on-ne-sait-où la force nécessaire pour se traîner hors de sa chaotique caverne, en quête d’une oreille prompte aux confessions. Et ce ne fût pas sans difficultés, qu’il trouva au détour des dédales du palais, la même petite chapelle dans laquelle il avait fortuitement rencontré la Duchesse d’Érac. Le cœur plus léger une fois après avoir murmuré ses premières pieuses paroles du jour, il s’en retourna d’où il était venu, avec la ferme intention de récidiver au jour du lendemain.

Les lunes ayant laissées place à l’astre princier, il s’en tint à sa promesse et, plus frais que la veille, s’esquiva en voleur du lit conjugal pour quérir l’intimité de la sibylline chapelle. Les airs d’un garçon à peine sorti de sa couche, c’est-à-dire les cheveux emmêlés, la barbe en bataille, les paupières appesanties de cernes, mais nippé tout de même d’une convenable toilette, Louis fit acte de présence et nota cette fois, celle d’un visage connu. Son sourire s’égaya et, faisant preuve du plus grand respect, se signa sans piper le moindre mot aux devants de l’autel, plantant les genoux en terre. Il ignora la présence de son amie chère, s’affairant à achever sa prière en premier lieu. Soufflé par le silence plat, aux attentives esgourdes, quelques bribes pouvaient être interprétées : des remerciements, le vœu cher d’un pardon et, des promesses solennelles.

Se signant derechef, l’ogre se redressa sur ses deux échasses et questionna du regard Neyrelle, à savoir si elle-même était en recueillement. Une fois qu’il la comprit libérée de toute ferveur, il s’approcha d’elle en désignant une assise de la main, comme pour lui demander poliment s’il pouvait l’avoisiner. « Sauriez-vous vous plaire de mon humble compagnie, Neyrelle ? », questionna le Régent, usant certes d'une certaine familiarité, mais aussi d’un ton aussi affable que l’était son sourire.

Une culbute in naturalibus dans un banc de neige lui aurait paru plus conviviale que ce regard lustré de glace auquel il se percuta. Toujours sous le joug du charme dont il tomba à leur rencontre dernière, il en fût d’autant plus percutant de se buter contre ses mires affadies. Elle consentit à sa compagnie, mais la pauvresse auréolait de rayons biens peu avenants. Au vrai, il se demanda s’il n’était point plus judicieux de l’asseuler à elle-même. Louis, bien qu’empathique, onques ne se montra adroit au genre sentimental : à vouloir aider, il saurait empirer la situation.

Puis, il soupira silencieusement, se résignant à faire le mauvais choix en prenant place à ses côtés. Il accueillit le regard nouveau de sa voisine, un regard changé, probablement fardé sous un masque de fausseté, puis la couva d’un sourire bienveillant. Une attention vrai, à contrario de la Duchesse. « Étiez-vous contrainte à l’attente de cette ecclésiastique intimité pour me faire le témoignage de vos congratulations ? » Mais la question n’attendait guère de réponse ; elle n’était que le préambule de son prochain questionnement. « Que vous arrive-t-il ? Ma nomination vous peine-t-elle à ce point que toute lumière s’est éteinte en votre regard ? » Et à sa question ultime, il arc-bouta le rachis, de sorte à poser une main sur la sienne, comme s’il l’invita solennellement à la confidence. Aussi menaçant que pouvait le laisser paraître le grand guerrier Berthildois, son regard affable exhortait à la confiance et aux confessions.