Une ombre à l'est [Louis de Saint-Aimé]

Cinquième jour de la quatrième ennéade de Barkios,
An 17 du XIème Cycle,
Palais royal de Diantra

Les paumes de Hendrick étaient moites et sa gorge légèrement sèche, quand il s’avança dans cet antichambre à la luminosité sépulcrale, et pour cause : derrière ces gonds d’apparence si ordinaires se tenait l’un des hommes les plus puissants de tout le bon Royaume pentien. Dans une vie antérieure, il n’aurait jamais pu même penser à effleurer du regard un noble au rang si élevé, mais ses jours misérables dans la servitude des vieux seigneurs d’Oësgard étaient bien loin derrière lui, à présent.

Pourtant, pour quiconque ne venait pas du monde du vieux sang, rencontrer le régent de tout un royaume avait de quoi rendre nerveux. Lorsque Hendrick avait monté la première marche, il s’était d’abord questionné sur l’avantage qu’il pouvait avoir à être lui-même Nordien pure souche, avant de se dire une marche plus haut que, tout compte fait, son origine ne primait guère sur son sang de roturier. Le seul souvenir qui lui était revenu d’une interaction avec un noble, durant sa marche dans les corridors du palais, avait été cette fameuse mandale administrée par Norman d’Überwald sous le chat d’un bélier.

Durant ses petites réminiscences, le Naelisien ne pouvait s’empêcher de jeter des regards discrets à cet empaffé poudré qui lui avait servi de guide jusque-là. Il était habillé comme un giton, et avait tout de suite considéré Hendrick avec un regard dédaigneux et un silence maussade, cachant ses dents entre des lèvres pincées. Les laquais d’ici ne semblaient guère apprécier sa dégaine de barbare chevelu.

Il attendit longtemps avant que la porte ne s’ouvre. Il fut tiré de ses rêveries par le son d’un gros bâton qu’on frappe sur le sol, un bruit qui le fit légèrement tressaillir alors qu’il commençait un peu à s’endormir. Se relevant promptement, il réajusta son pourpoint neuf et pénétra dans la salle accompagné du loufiat de tout à l’heure, qui lui glissa avec acidité :

« Lorsque vous verrez le régent, courbez l’échine. Et adressez-vous à lui en disant ‘Votre Excellence’, ou ‘Votre Excellence le Marquis’. »

Hendrick lui susurra alors :

« C’est bon, on m’a déjà briefé sur le protocole, greluchon. »

Le serviteur en resta tout ébaubi, tandis que Hendrick pénétrait dans le petit office dans lequel le régent Louis de Saint-Aimé avait consenti à le voir. Leur rencontre, qui s’inscrivait dans la continuité de l’ambassade des ennéades précédentes, était bien moins officielle que ne l’avait été l’accueil à la cour par le Roy, et l’échange protocolaire des cadeaux. Là ici, entre quatre murs épais, des discussions plus sérieuses et plus importantes allaient avoir lieu. Et les mains de Hendrick n’en finissaient pas d’être couvertes de sueur.

Devant le régent à la belle barbe et au port altier, il fit une révérence un peu raide, compte tenu du fait qu’il n’était guère un courtisan, avant de proclamer avec un léger accent trahissant ses origines nordiennes :

« Votre Excellence, je vous présente les plus sincères félicitations de l’ambassadeur Lesrôd pour votre élection à la garde du Royaume et de son Roy. »

Il réfléchit une milliseconde, afin de voir s’il n’avait rien oublié de dire, avant de continuer :

« Je suis le capitaine Hendrick, et je représente l’armée de Naelis. L’ambassadeur a jugé bon que les aspects plus guerriers de notre rencontre soient arrangées avec… un militaire, plutôt qu’un diplomate. »

L’ambassade, présente depuis deux ennéades déjà à Diantra, avait piétiné en attendant l’élection du nouveau régent. Cela ne l’avait guère empêchée d’aller flatter et chercher les bonnes grâces du Roy, en attendant que le seigneur Saint-Aimé daigne rencontrer plus formellement ses potentiels alliés de circonstance.