An 17 • XIè Cycle Fin du mois de Barkios, l'hiver approchant...
Zaahrian et moi-même avions fort heureusement réussi à quitter Thaar après un départ des plus calamiteux, prônant la discrétion quand bien même j'étais extravagant et l'hybride reconnaissable. Les jours qui suivirent je tentai tant bien que mal de contenir mes folles pulsions voire impulsions à chaque fois que j'en sentais une me chatouiller les narines. J'y arrivais, je contenais, imparfaitement il se peut fort bien. C'est à Baaz-Hima que nous esquivâmes une deuxième rixe que je ne provoquai point c'était un fait, mais qui nous tomba dessus car ainsi le hasard était fait ; Zaz en doutait encore allez savoir pourquoi, c'est que ma propension aux bêtises semblait décuplée depuis nôtre départ. C'est à Uldal-Rhiz que nous frolâmes de peu la catastrophe, dans des circonstances assez similaires à la première altercation en dehors de Thaar, je faillis perdre la main probablement le bras avec, et ce n'est que grâce aux muscles de l'éphèbe que nous sortîmes sains et saufs de l'algarade. Qu'avaient-ils tous à la fin, à me chercher inlassablement les noises ?
Arrivés quelques jours plus tard sans autres encombres que ceux essuyés depuis lors, à Essalia, Zaahrian voulut faire avec moi le point. Il n'était absolument pas content. Il était furieux, même. Pour autant ce comportement qu'il me reprochait je ne pouvais ni le prédire ni le contrôler, j'étais démuni face aux démons qui me hantaient, comme nous l'étions tous probablement, par au moins un vice. Le mien étant celui de vivre la vie comme elle venait, la croquant à pleine dent, profitant d'en avoir toujours, un jeu j'en faisais !
Seulement, à ce stade, je pouvais comprendre mon diable d'ange d'amant, quant à ses invectives – petit merdeux, moins que rien d'ivrogne, bagarreur de mes deux – bref, un redressement nécessaire imposa-t-il devant un Léonie tout petit. Là où nous nous rendions, je ne tiendrais pas trois secondes, surtout si je continuais à exprimer au monde mon enthousiasme avec tant d'ardeur. Il fallait que je me canalise, que je canalise cette violence toute mortelle qui semblait m'avoir happé, triste mais heureux habitant de Thaar que j'étais. Là-bas j'étais une âme de plus, or depuis que je l'avais quittée pour la route cette ville et vile mère, sur le chemin je devenais un fou de trop. J'étais bruyant, provocateur, jamais insultant ou feignant l'être, juste une bonne joie de vivre bouillante, une rage heureuse au ventre et les tripes bien en place. J'étais, beaucoup trop. Je méritais bien plus qu'une remontrance et quelques baffes, inconsciemment je le savais.
Une idée lumineuse traversant l'esprit de Zaahrian, suivie par d'autres idées pas moins incandescentes, nous nous retrouvames après quelques jours de recherche active dans l'optique d'un plan de secours, dans l'attente confortablement installés dans une auberge miteuse et déserte dans un village non loin de la proche Essalia, dans une embarcation de petite envergure filant à travers l'Oliya en compagnie de petits commerçants sans prétention. Des gens aimables et qui ne voyaient en nous que deux voyageurs comme bien d'autres, et qui avaient payé comptant. Quant à moi je laissais Zaahrian se charger de tout cela, et je ne buvais plus. Je ne buvais plus non, ni bière ni spiritueux pas le moindre petit remontant, le bougre m'ayant aimablement – deux trois baffes rappelons-le – conseillé de m'abstenir séance tenante et ce pour une durée indéterminée.
Mon abstinence forcée me fit autant de bien que de mal. C'est sur une minuscule couchette que j'imaginais des vagues bousculant le navire à l'en faire chavirer, seulement glissait-il sur l'eau comme je glissais moi dans mon délire fiévreux. Nous traversâmes quelques jours plus tard ce qui sembla être un péage à Sol'Dorn ; équipage et commerçants inquiets quand bien même leur cargaison et leur passage n'avaient rien de suspicieux aux yeux des daedhels maîtres des lieux. Comme quoi les noirauds n'étaient pas que de sombres carnassiers, ils étaient probablement une race supérieure à l'instar de leurs cousins sylvains. Je dois avouer que de tout cela je n'en garde pas de souvenir bien précis, je me souviens des voix et de l'attente, puis de nouveau la longue glissade de malheur, imaginant ce qui nous attendait avec appréhension, le manque me rendant fragile à outrance...
Cependant, peu après Sol'Dorn – étaient-ce deux ou trois nuits cela m'échappe – nous nous retrouvâmes de nouveau et enfin sur terre. Je regardai le bateau s'éloigner avec un pincement au cœur, finalement je n'y étais pas si mal loti dans le raffiot, dans ma minuscule rustique couchette, loin de tous ces... Moustiques. Zaz connaissait ma réaction face à ces bestioles. Ce qui devait nous prendre seulement une demie journée de marche, nous coûta une longue et pénible journée à travers bois, n'entretenaient-ils pas leurs chemins par ici !? C'est que dense végétation semblait vouloir engloutir avec nous la piste et le monde.
« Hey ! Je me repris aussitôt, beaucoup plus bas. Eh, ah, désolé... Dis, Zazouille, c'est encore loin ce Fort Celimë, je commence à ne plus rien y voir, suis pas à moitié sylvain moi, oh !
Une dizaine de minutes plus tard, le fort se profila devant nos yeux. Du moins sa silhouette. Quasi-instinctivement je me plaçai derrière Zaahrian tout en le suivant, il était nôtre voix.
Je priais tous les Dieux, pourvu qu'ils m'aident à me dominer, au risque d'attirer des ennuis à Zaahrian voire même de nous faire tuer ! On disait que, même s'il se nourrissait de choux et de fleurs, un elfe courroucé restait une bête sauvage des plus dangereuses... Et il n'étaient pas dupes. Oh non, ils n'étaient pas du genre à manger des salades ; pourtant, salades ou pas avais-je pensé en acceptant la mission drow, j'en étais !
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« Un charlatan, sur un tréteau, Pantalon rouge et vert manteau, Vend à grands cris la vie; Puis échange, contre des sous, Son remède pour loups garous Et l'histoire de point en point suivie, Sur sa pancarte, D'un bossu noir qu'il délivra de fièvre quarte. »
(Verhaeren, Les Villes tentaculaires, Les Campagnes hallucinées, 1895, p. 68.)
Dernière édition par Rénatus Babec-Roumel le Lun 17 Fév 2020 - 11:24, édité 1 fois
Zaahrian Las'Danir
Sang-mêlé
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Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 103 ans Taille : 1m95 Niveau Magique : Non-Initié.
Quel voyage! Il avait surtout bien mal commencé. Déjà avec une première altercation à peine sortie de la ville, Léonie devait remettre ça à Essalia. Zaahrian n’a aucun doute sur la nature de ses sentiments pour l’humain. Il l’aime beaucoup, il veut faire partie de sa vie et il n’aurait jamais accepté qu’il se joigne à lui pour ce voyage s’il n’avait pas voulu partager avec lui ce moment. Mais ce qu’il aimait de Léonie pouvait aussi profondément l’emmerder. Cette soif de vivre allait finir par le tuer. À un moment, Zaahrian crut reconnaître en lui les mêmes démons qu’il avait combattu quelques années plus tôt. Il en vint même à se demander si Léonie était vraiment heureux et que cette grande gueule ne cachait pas plutôt un malaise qu’il ne voulait pas montrer. L’assassin ne savait pas comment aborder la chose. Il ne voulait surtout pas l’effaroucher, mais en même temps, il ne pouvait pas le laisser continuer ainsi indéfiniment. Ils allaient entrer dans une phase particulièrement délicate de leur voyage et si Léonie commençait à embêter les mauvaises personnes, il va réaliser bien vite que les muscles de son amant ont une limite. Pour le coup, Zaahrian ne mâcha pas ses mots. Il regretta, évidemment, mais une mise au point s’imposait. Ils n’étaient plus à Thaar où ses largesses se fondaient aisément dans la masse et l’assassin tenait beaucoup trop à ce voyage pour échouer si près du but.
Le stress de voir cette tentative de rejoindre l’Anaëh échouer amenait Zaahrian à douter beaucoup plus de ses décisions. Lui qui agissait en laissant parler son instinct avait décidé de le bâillonner pour utiliser cette petite chose qui lui avait si souvent manqué dans la vie : la raison. Il ne comptait plus le nombre de fois où prendre le temps de s’arrêter pour réfléchir lui aurait évité des ennuis, mais dans le feu de l’action, c’est un luxe qu’on a rarement. Dans une auberge miteuse, le blond prenait le temps d’examiner toutes leurs options, discutait avec les quelques clients qui voulaient bien lui adresser la parole et pesait le pour et le contre de toutes les décisions à prendre. Il y avait de quoi devenir fou, mais cette prudence se révéla payante : Zaahrian réussit à les faire embarquer sur un bateau de marchand. Ce coup de chance allait leur faire gagner beaucoup de temps. En dehors de la ville qu’il aimait tant, Zaahrian n’était pas connu pour son sens de l’orientation, mais là, ils étaient sur la bonne voie. Mieux que ça, la petite discussion avec Léonie semblait porter ses fruits. Il fut bien plus sage sans l’influence sournoise de l’alcool.
Ils passèrent sans difficulté les environs de Sol’Dorn, sans doute l’étape qui inquiétait le plus Zaahrian. Lui, le beau grand blond avec sa gueule d’elfe entouré de Drows sanguinaires aimant bouffer des gars dans son genre au petit déjeuner, il avait raison d’être nerveux. Ses inquiétudes se révélèrent pourtant infondées et jour après jour, ils se rapprochaient de leur but : fort Celimé, la porte d’entrée vers l’Anaëh. Même arrivées là-bas, les choses pouvaient mal se passer. Les elfes pourraient les repousser, forçant Zaahrian et Léonie à rebrousser chemin. C’est pourquoi il insista très fortement pour que Léonie se tienne tranquille lorsqu’ils seront à la garnison. Certes, l’assassin n’était pas à l’abri d’une bourde, mais tant qu’à essuyer un refus, il veut que ce soit de sa faute et non à cause de son compagnon de voyage qui ne peut pas fermer sa gueule plus d’une minute.
Une chose était certaine : ils étaient vraiment loin de Thaar. Plus ils progressaient, plus la végétation devenait impressionnante. Zaahrian n’avait jamais aimé la forêt. Il s’y sentait comme un étranger et il craignait bien plus les menaces qui s’y cachaient que toute la racaille de Thaar réunie. Combien de fois avait-il perdu ses repères alors qu’il tentait de retrouver son chemin en forêt? Trop souvent. Heureusement, cette fois il était raisonnablement convaincu d’aller dans la bonne direction. « Zazouille? Ça se rapproche dangereusement d’andouille… Tu es encore fâché contre moi? Je crois qu’on est bientôt arrivé. » En vérité, il n’en était pas certain, mais quelques minutes plus tard, la silhouette d’une forteresse apparut entre les arbres, lui donnant raison. Zaahrian n’eut pas à le demander pour que Léonie vienne se placer derrière lui. Amener un humain en Anaëh était risqué, sa simple présence pouvait tout faire capoter, mais il était un peu tard pour regretter. En essayant d’avoir l’air le plus détendu possible, l’assassin s’approcha de la fortification, conscient qu’on devait déjà l’observer.
Artiön Laergûl
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Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 719 ans Taille : 2m54 Niveau Magique : Maître.
Le soleil n’était plus. Le trio Nocturne d’Alm, Silène et Aluthen, perçant férocement à travers la canopée éparse de la frontière d’Anaëh était tout ce qu’il restait. Là, entre les branches les plus téméraires et déjà couvert de jeunes vignes, trônait Celimë. Baignée par la lumière des astres nocturnes, la pierre composite de l’édifice, la même qui jadis fut celle des murs d’immenses Cités-Forteresses s’offrait au reste du monde comme une Lune pleine. L’on aurait presque pu croire que la pierre blanche brillait, éclairant par la même occasion le bosquet alentour, et tranchant pour les yeux de ses Sylvains de gardes, une ligne de mire à travers les ténèbres.
Arrivée cette heure, l’ambiance au sein du fort commençait généralement à se détendre. Après que le Soleil se soit couché approchait le temps du souper, et avec lui la délicieuse odeur du Méroca et des champignons. Bientôt les dernières patrouilles terminerait leur ronde, et alors il n’y aurait plus que les vigies pour veiller depuis les hauteurs. Un moment de faiblesse militaire, mais un moment de réconfort social. Une ambiance entre l’extrême tension et l’extrême détente à laquelle les gardiens des frontières avaient fini par s’habituer. Pas un craquement ne pourrait trahir leur présence. La patrouille Sylvaine avance lentement, arcs et flèches en main pour les uns, main au pommeau de leur épée pour les autres. Pas un craquement ne trahirait leur présence… mais l’on ne pouvait pas en dire autant de ceux qu’ils suivaient. La patrouille du matin avait rapporté l’escale de l’un des nombreux navires qui remontaient l’Oliya et la descente de deux passagers. Un homme, un ce qui semblait être un demi elfe. Ils ne les avaient pas accueilli, manque de temps et de moyens. Aucun haut dignitaire n’ayant été annoncé, et les deux énergumènes n’ayant pas l’air particulièrement dangereux, ils s’étaient contentés de continuer leur ronde et d’attendre que les nouveaux arrivants n’atteignent le fort.
Ils arrivaient bien tard.
Le bruit d’une petite branche qui se brise, le craquement de la litière sous de grands pas, une dizaine de mètres derrière les deux estréventins, le lieutenant de la patrouille du soir s’était porté au clair – ses alliés encore dissimulés dans le bosquet – pour savoir ce qu’il en était.
- Messieurs.il hèle les deux compagnons avant de continuer son avancée vers eux, sans se faire le moins menaçant du mondeQu’est-ce que vous…il roule des yeux et grommelle dans sa mâchoire avant de reprendre en langage commun Messieurs ! il arrive au niveau des deux jeunes gens à quelques pas de Celimë Excusez-moi l’arrivée un peu brusque, nous n’attendons généralement personne à ces heures-ci.
Le grand brun aux larges épaules pose un poing sur son cœur et se penche en avant en guise de salutations. C’est un pari risqué qu’il fait et il le sait, mais ce n’est pas à un Daranovan que l’on reprochera de manquer de cran.
- La forêt est dangereuse la nuit tombée. et les elfes le sont plus encore Y a-t-il une raison particulière à une arrivée si tardive ?
« Nan. Pas fâché, mais j'en ai ma claque, heureusement qu'on arrive. Une demie journée, qu'ils ont dit, une demie journée mon cul poilu. »
En effet nous arrivâmes enfin vers ce qui semblait être pour moi une claire et douce salvation ; le fort avait fière allure et c'est qu'il ne m'était pas souvent donné de voir de telles merveilles au milieu des bois, en pleine nuit de surcroît et si loin de chez moi. Je me sentis minuscule face à tant de prestance, comme dans un rêve. Pourtant, le Fort Celimë était bel et bien là devant nos yeux et nos airs transportés, là tel un astre de plus qui pour sa part avait décidé de côtoyer la terre de près. C'était un honneur... Il annonçait par devers toute hésitation la présence du sublime, sans doute n'était-il qu'un préambule à la magie qui semblait régner au-delà des ses murs. Une des portes de l'Anaëh devant mes yeux, moi qui avait très jeune tant lu à propos de ces fantastiques territoires boisés et des êtres les peuplant.
« Haa...Fort Celim... Haaaaa ! Le premier signifiait soulagement tandis que le deuxième plus intense signifia une peur bleue. C'est que l'on nous interpella par derrière dans une langue étrangère, toutefois elle n'était absolument pas effrayante, mais plutôt douce et symphonique. Je me retournai pour apercevoir telle une majestueuse colonne jaillie de nulle part, un être non moins colossal. Il s'avança vers nous avec calme et assurance. Nous ne compre... Le gigantesque solennel, en voyant mon air ébahi, arriva à notre hauteur avant que j'aie pu dire « b'soir », et s'exprima en idiome commun à ma grande surprise. Qu'étais-je bête, n'être point bilingue en terre frontalière serai absolument absurde ! »
L'elfe brun qui laissait à mes yeux paraître Zaahrian tout frêle nous salua avec beaucoup de franchise pensais-je malgré que je ne pusse voir ses traits avec précision. Lui par contre devait tout détailler du mien. J'imitai ses gestes avec l'assurance d'un être qui sait jouer de son corps, prouvant à nôtre interlocuteur que nous avions entre autres du respect pour leur culture, nous n'étions point de vulgaires barbares, seulement d'intelligents potentiels hôtes. Voyant Zaahrian hésiter, je pris les devant, pour que mon amant soit fier des présentations que je fournirai tantôt, donc de moi également.
« La raison est, messire, que moi-même Léonie de Thaar accompagnant dans sa quête Zaahrian Las'Danir que voici, suis assez maladroit en forêt à vrai dire. J'ai imposé nombreuses haltes à mon compagnon, voyez-vous, dis-je en découvrant bras et jambes qui à l'instar de mon visage étaient recouverts de piqûres grattées à outrance. Nous venons en paix, dis-je telle la proie que j'étais devant la splendide tanière de ses prédateurs. Je pensai rapidement au comique de la situation, mais je fus aussitôt pris de panique, avais-je que sais-je manqué de respect par zèle ou omission? Et, Zaahrian voyait-il d'un bon œil mon intervention d'ailleurs, il était nôtre voix avais-je affirmé hélas ? J'étais tellement gaffeur depuis nôtre départ que je doutais fortement de moi devant les portes sylvaines... C'était ce doute qui me rendrait précautionneux, je l'espérais tout du moins. »
Ainsi en apnée je décidai de fermer une bonne fois pour toute ma grande gueule.
Lorsque Zaahrian prit la parole je recommençai à respirer.
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« Un charlatan, sur un tréteau, Pantalon rouge et vert manteau, Vend à grands cris la vie; Puis échange, contre des sous, Son remède pour loups garous Et l'histoire de point en point suivie, Sur sa pancarte, D'un bossu noir qu'il délivra de fièvre quarte. »
(Verhaeren, Les Villes tentaculaires, Les Campagnes hallucinées, 1895, p. 68.)
Zaahrian Las'Danir
Sang-mêlé
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Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 103 ans Taille : 1m95 Niveau Magique : Non-Initié.
Il ne fallut pas attendre bien longtemps avant que quelqu’un se manifeste et ce quelqu’un était gigantesque. Pas gros, non, mais grand, vraiment grand. Assez pour obliger Zaahrian à lever la tête afin de le regarder dans les yeux. Du coup, il se sentit tout petit et pas du tout à sa place. Ce fort, sous la lumière des astres, offrait un spectacle venu d’un autre monde et lui il débarquait avec aucune autre raison que celle de voir sa tante. On allait jamais le laisser passer, lui le bâtard qui ne parlait pas un mot elfique. Zaahrian se figea. Il ne savait plus quoi dire ou quoi faire. Léonie vint à sa rescousse, mais peut-être qu’il n’avait même pas remarqué le malaise qui avait soudainement saisi l’assassin et le paralysait sur place. Ce dernier réagit seulement lorsqu’il entendit son nom, mais il n’avait rien compris du reste comme si Léonie s’était également exprimé en elfique ce que Zaahrian savait impossible.
« Oui, c’est ça... » Commença-t-il, hésitant. Pourquoi avait-il la bouche si sèche? Il déglutit avant de reprendre péniblement. « Je suis Zaahrian Las’danir. Mon père est… était Halandarin Las’danir. » Cet elfe l’avait-il connu? Juste avant leur séparation, Halan lui avait dit que si jamais il décidait de venir en Anaëh, il n’avait qu’à prononcer son nom et qu’on l’amènerait à lui. Il n’avait jamais su ce qu’était exactement le rôle de son père, mais il avait sûrement été quelqu’un d’important de son vivant. « Je suis ici pour voir ma tante. Elle s’appelle Ciryië. L’histoire est un peu longue à raconter, mais pour faire court, je l’ai sauvée des griffes d’un drow qui l’utilisait pour faire des trucs… pas nets. Je l’ai gardé chez moi pour reprendre des forces et, un jour, une troupe d’elfes est passée à Thaar et je l’ai confié à leur soin pour qu’il l’a ramène ici. Je lui ai promis qu’un jour je viendrais la voir. Du coup, c’est pour ça que je suis là. Et Léonie… Il m’a aidé à prendre soin d’elle et il voulait venir aussi. Et… À une époque, j’ai essayé de faire le voyage pour voir Halan. Il voulait me faire visiter l’endroit où il vivait, mais je n’ai jamais réussi à me rendre… Un serpent de vingt mètres a essayé de me bouffer. Comme vous pouvez voir, il n’a pas réussi! Bon, je vais me taire, je crois... »
Bon sang, non seulement il se sentait idiot, mais il agissait comme un idiot. Qu’allait-il penser à l’entendre déblatérer de la sorte? Est-ce que c’était une bonne idée de prononcer le nom de son père alors que ce dernier a presque trahi les siens? En même temps, il ne connaissait pas tous les détails de l’histoire et ce en qu’il savait venait d’un elfe qu’il a tué de ses mains. En parlant de l’elfe, est-ce qu’ils savaient que Zaahrian avait tué un de leur semblable? Zaahrian avait envie d’attraper Léonie par le poignet et de l’amener très loin d’ici même s’il risquait quelques baffes en retour. Qu’est-ce que des claques comparés aux flèches redoutables des elfes? Enfin, ils n’étaient pas encore morts, il y avait donc de l’espoir pour que ça fonctionne et qu’on les laisse passer...
Artiön Laergûl
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À la suite de l’intervention de l’humain, la main de l’elfe se lève. Et rien de plus. L’éternel ne daigne pas même jeter le moindre coup d’œil en arrière, trop confiant qu’il est en le regard de ses confrères dissimulés dans le bosquet. Pour l’instant il écoute. Sa paume vient nonchalamment se poser contre le pommeau de son épée à sa ceinture, tandis que l’autre main s’appuie sur sa hanche. Ses yeux inquisiteurs inspectent le sang-mêlé avec la même gratuite circonspection que son camarade aux bras rougis avant lui… un Las’Danir…
Il était connu le Toer Tamindal, et autant admiré qu’il était haï. La rançon du succès dira-t-on. Il était là le prix à payer lorsque l’on était le plus grand forgeron de son temps, et que les chemins nous menaient trop loin, trop souvent, trop longtemps en dehors d’Anaëh. Plus que l’héritier du grand d’Heöldan, Halandarin était devenu l’exemple vivant de l’elfe dont le mental n’avait pas été assez fort pour résister aux sirènes Vaanies. On dit que chaque fois qu’il était parti à la recherche d’un peu de métal à l’étranger, il était revenu un peu moins elfe. Chaque fois qu’il avait quitté les frondaisons, un peu de sa culture s’était diluée dans les noirâtres eaux des océans mortels. Chaque fois qu’il était revenu auprès des siens, il était revenu un peu moins fidèle à I Ëmel.
Cette prétendue progéniture n’en était finalement qu’une preuve de plus.
Pauvre enfant.
- Dans ce cas, vous dormirez à Celimë. Des hommes vous accompagneront vers Ardamir demain à la première heure. d’un geste, il invite les deux hommes à avancer en direction du fort Traverser de nuit serait d’autant plus dangereux… l’épéiste s’autorise un sourire amusé …qu’il vous a fallu toute une journée pour venir depuis les berges.
Tout semblait faire sens. L’histoire d’une Ciryië qu’ils avaient vu revenir depuis peu de ce côté des frondaisons. L’histoire de la « troupe » récemment passée à Thaar. La parenté entre Las’Danir et la rescapée… tout semblait faire sens. Mais c’est lorsque les choses faisaient le plus de sens qu’elles étaient le plus risquées.
- Mais d’abord, je crains que vous ne soyez forcés de nous rejoindre pour le souper.
Ce n’était pas une invitation, non, pas le moins du monde. À cette heure-ci, c’était les alentours de la table l’endroit où ses rassemblaient le plus de soldats. À cette heure-ci c’était les alentours de la table l’endroit où ils seraient les plus faciles à surveiller. Parce que c’était là le désagrément premier d’une situation comme celle qui se jouait à l’instant. Toute la nuit il faudrait les surveiller, et c’était là un travail dont les elfes de Celimë se seraient bien passé. Mais au nom du sang qu’il porte en lui, qu’il dise la vérité, et priver le bâtard de la compagnie de ce qu’il lui reste de famille aurait été trop cruel.
Que l’on ne dise pas par-delà les terres des mortels, que le peuple d’Anaëh n’a point de cœur.
Les trois premiers passèrent la porte et prirent sans tarder la direction de la cantine, et pour que le secret reste entier - ou presque - ce n'est qu'après que n'aient été traversés un ou deux couloirs que le reste de la patrouille entra à son tour.
Dormir. Oui, voilà ce qui lui semblait être une bonne idée. Le voyage avait été long et éprouvant autant physiquement que mentalement. Le stress de ce premier contact venait de tomber et Zaahrian avait une conscience aiguë de l’épuisement qui alourdissait ses membres. Dormir lui ferait le plus grand bien, mais en même temps, il ne voulait pas perdre un seul instant de cette chance inouï. Lui qui avait longtemps maudit — à tort — ce sang d’immortel qui coulait dans ces veines avait enfin l’occasion d’en apprendre plus sur cette part de lui. « Oui… bon… je n’ai jamais été très doué pour m’orienter en forêt. » Avoua-t-il humblement. Voilà quelque chose qui ne lui ressemblait pas, l’humilité. Lui qui parlait toujours plus fort que les autres, lui qui débordait d’assurance jusqu’à en être arrogant. Ici, il admettait volontiers son ignorance. Il avait tout à apprendre, si on voulait bien lui montrer.
« Votre générosité est très appréciée, nous vous en remercions. » Zaahrian se doutait bien que cette offre n’était pas innocente. Les inviter à leur table était un moyen facile pour eux de les surveiller, mais l’assassin n’allait pas s’en offusquer. La perspective d’un bon repas était alléchante et s’il pouvait discuter avec certains d’entre eux, il en serait ravi. En attendant, il s’en mettait plein les yeux. Il était comme un gamin devant un étalage de confiserie. Chaque détail suscitait chez lui la même excitation. Il regardait partout autour de lui, des étoiles dans les yeux et un sourire un peu niais sur les lèvres. Zaahrian ne s’en rendait pas compte. Peut-être qu’il ait droit à un coup de coude ou deux de la part de Léonie auquel il réagira à peine. Il ne remarquera pas non plus comment il a calqué son pas à celui de l’elfe et qu’il redressait ses épaules au maximum pour se donner le plus de hauteur possible...
Rénatus Babec-Roumel Drydry l'Fonda'da'mûr
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Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 28 en Verimios 19.XI Taille : 1m76 Niveau Magique : Non-Initié.
Je laissai donc Zaahrian s'exprimer avec une naïveté dont je ne connaissais guère les tenants, c'est que mon amant et mentor n'était en présence de ces martiaux anedhels qu'une pâle imitation sylvaine – je savais les « citadins » aussi gigantesques –, et je savais également que son géniteur bien qu'illustre en son temps, avait probablement ses défauts voire diverses appréciations du moins avais-je cru comprendre tout au long de nôtre périple jusqu'au fort. Le sang mêlé partit alors dans ce qui était une diatribe – tenez-vous – digne des miennes, et si je comprenais la gravité de la situation mon horrible rictus représentait méchamment la peinture d'un fou rire dompté tambourinant de l'autre côté du miroir, toile prête à éclater pour en expulser les puissantes tonalités. Tout penaud l'hybride décida enfin de se taire, ce qui me fit redescendre d'un cran dans mon hilarité. Suspension... Nouvelle apnée de mise.
Il ne fallut heureusement guère de temps à l'elfe pour analyser les drôles de compagnons que nous étions et décider de la véracité des propos du transi Zaz, puis de répondre aussitôt. Lorsque la sentence chu, intérieurement j'exultai de joie, oui de joie ! Une joie tellement altruiste par amour pour Zaahrian, que j'en oubliais cette prétendue mission – j'avais encaissé la moitié de la récompense, et pour ce que j'en savais le propriétaire du fameux poignard pouvait bien être aussi mort que moi dans les bois disparu –, bref la raison première de ma présence ici était cet indéfectible amour et soutien que j'avais pour mon compagnon de vie. Un sourire étira mon visage ; que oui ! je me tiendrai plus que de raison, pour son bonheur, il le méritait... Je l'observai quelques instants comprenant d'où il tirait sa grâce, son métissage, de ce fait je ne l'aimais que davantage.
« Je vous remercie infiniment, pour l'invitation à souper, j'ignorais qu'il n'en s'agissait pas d'une, je vous remercie surtout, pour Zaahrian... Revoir sa tante lui tient beaucoup à cœur... Vous savez, la famille... C'est la famille... Sans regrets je ne pensai point à mes géniteurs et leur déboires leurs idioties leurs faussetés de bourges péninsulaires, cela faisait bien trop longtemps que je ne les avais pas vu ; la seule famille que j'avais étaient finalement Zaahrian, et probablement sa tante. Tante Ciryië... Pourquoi pas ma foi. Si elle m'avait semblé à ce point effrayante, c'est qu'elle avait du subir de terribles choses qu'en effet je soupçonnais, plutôt bien loin étais-je de ne serait-ce qu'imaginer... Sur sa terre natale elle serait moins macabre, et plus radieuse, du moins l'espérais-je ardemment.
Partagé entre joie et tristesse, mais surtout aux mains d'elfes autant impressionnants que nous étions impressionnables, je me détendis quelque peu en suivant enfin les deux hommes à travers des espaces dont je ne prêtais qu'une infime attention tant mes pensées vagabondaient enthousiastes. Ce n'était pas le cas du Las'Danir qui lui absorbait chaque détail qui lui était au vol donné d'observer.
Nous venions en paix, ils en étaient vraisemblablement sensibles, sans doute avaient-ils plus de cœur que leurs sombres homologues daedhels... Nous arrivâmes dans ce qui semblait être un réfectoire ; le temps de se faire à la luminosité de l'endroit, à nôtre suite s'ajouta progressivement quelques instants plus tard une ribambelle d'autres diables en muscles élancés ; si je n'avais pas été à ce point fidèle, Zaahrian eût pu craindre de jalousie. Que nenni, c'étaient le mélange et l'originalité qui me plaisaient chez lui. J'évitai de comparer les colosses à mon compagnon à mesure qu'ils pénétraient l'endroit et prenaient place aux alentours de la table, surtout lorsque mon imagination tenta de supposer – certes fort mal à propos – la dimension de leur membre érectile. Je tentai de chasser les images qui menacèrent de m'envahir tout en me grattant la tête. Buvaient-ils sous les frondaisons quelque alcool qui soit, philosophai-je par devers moi entre bienfaitrice abstinence et ardent désir de boire... Juste une lichette, je n'en demandais pas plus... Et s'ils nous en proposaient, devrais-je une goutte seulement accepter, ce pour nôtre propre bien ?
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« Un charlatan, sur un tréteau, Pantalon rouge et vert manteau, Vend à grands cris la vie; Puis échange, contre des sous, Son remède pour loups garous Et l'histoire de point en point suivie, Sur sa pancarte, D'un bossu noir qu'il délivra de fièvre quarte. »
(Verhaeren, Les Villes tentaculaires, Les Campagnes hallucinées, 1895, p. 68.)
Artiön Laergûl
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Nombre de messages : 1629 Âge : 27 Date d'inscription : 23/01/2017
Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 719 ans Taille : 2m54 Niveau Magique : Maître.
Avec une prévenance à la hauteur de la défiance qu’ils se refusaient à souligner, les elfes installèrent les deux énergumènes nocturnes à leur table. Effrayer n’était pas le but. Crisper n’était pas le but. Mais difficile pour autant pour les Sylvains d’aller contre leur nature, et d’épargner autant de paires d’yeux inquisitrices qu’il y a d’êtres aux longues oreilles autour du repas d’inspecter les moindres faits et gestes des derniers arrivés. Placés entre celui qui les avait accueilli et une archère Ardamirie, nul doute qu’un geste déplacé leur aurait coûté plus cher à eux qu’aux miliciens… seulement, paradoxalement le simple désir que tout se passe pour le mieux empêchait quiconque d’être pleinement serein.
Ce ne serait pas une peinture particulièrement agréable du peuple Taledhel qu’ils peindraient à l’instant. Habituellement les repas étaient l’occasion de se détendre, de sourire, d’échanger des plaisanteries plus ou moins grasses, et d’oublier que là-dehors, depuis l’autre côté de la frontière, le danger pouvait déferler à tout moment. Aujourd’hui, l’atmosphère serait considérablement moins légère. Aujourd’hui le danger était à l’intérieur, et le serait toute une nuit durant. Alors les elfes avaient succombé au silence, ne se permettant d’échanger que de courtes phrases, ne se permettant de laisser arriver aux oreilles de leurs deux invités que le strict minimum d’informations, ne s’autorisant que la politesse à défaut d’une véritable sympathie.
Aux deux jeunes Vaanis, le méroca, les champignons et le bouillon de légumes et de gibier devait avoir paru d’autant plus amer, seulement d’entre la faim, la fatigue et la déception – surtout lorsque l’on ne savait pas quoi attendre – c’étaient les deux premières les plus grandes maîtresses. Les yeux des Vaanis finirent par se fermer, et les cœurs des Sylvains s’en trouvèrent d’autant allégés. Il est peu de véritables adversaires qui osent à ce point se dévoiler dans leur faiblesse.
Le lendemain matin
- Allez ! debout ! la voix claire d’une jeune milicienne résonne aux oreilles des deux endormis On a de la route devant nous !
Deux jours s’ils se dépêchaient. Juste deux jours à cheval et les deux énergumènes seraient auprès de leur « famille » en Ardamir. Pour eux le but se rapprochait… en même temps que la cruelle brise hivernale. Même s’il était le plus doux d’Anaëh, même le climat d’Ardamir n’admettrait pas que le Sang d’Homme s’oppose à lui sans précaution. Mais pour l'instant, il n'y avait que les manteaux de leurs accompagnateurs pour les protéger.
Pendant le repas, le silence ambiant étonna Zaahrian et il se demanda si c’était toujours ainsi. Il avait beaucoup d’idées préconçues à propos des elfes qu’ils étaient, entre autres, contemplatifs et ennuyants. Il commençait à croire que c’était vrai, mais il suffisait de remarquer les nombreux regards furtifs qu’on leur lançait pour comprendre que la présence d’étranger les rendait nerveux. L’assassin était déçu. Il aurait aimé pouvoir discuter, en apprendre un peu plus, mais il comprenait leur prudence. Zaahrian se concentra donc sur son repas qui était, de loin, la meilleure chose qu’il ait mangée depuis des jours.
Lorsque le repas fut terminé, on les escorta jusqu’à l’endroit où ils passeront la nuit. L’assassin était épuisé. Il remercia son escorte, échangea quelques mots avec Léonie et osa jusqu’à l’embrasser brièvement avant de s’étendre dans son lit. L’excitation n’était pas encore tout à fait passée, mais la fatigue prenait le dessus. Il ferma les yeux et s’endormit presque aussitôt. Il savait qu’on le surveillait de près, mais en même temps, Zaahrian se sentait en sécurité.
C’est une voix féminine qui le tira de son sommeil. Il se redressa en position assise d’un coup, une expression ahurie sur le visage. Pendant un moment, Zaahrian n’avait plus la moindre idée de l’endroit où il était et les événements de la veille n’étaient que de lointains souvenirs se rapprochant plus du rêve que de la réalité. « Oui oui, je viens. » Il se leva, prenant enfin conscience que ce n’était pas un rêve finalement et qu’il était affreusement selon les standards de Zaahrian. Il alla voir Léonie pour l’aider à se réveiller avant de se préparer à reprendre la route. Il ne voulait pas les faire attendre inutilement, ils avaient déjà suffisamment abusé de leur générosité. Apparemment, ils avaient encore deux jours de voyage avant d’arriver à Ardamir, deux jours avant d’être enfin réuni avec sa famille. Il se demandait comment elle réagirait en le voyant...
Rénatus Babec-Roumel Drydry l'Fonda'da'mûr
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Alors que je pensais vivre une scène digne des contes de mon enfance, je me retrouvais inversement tout penaud par l'ambiance régnante dans le réfectoire d'un fort frontalier des plus déconcertants. Certes le repas brillait par son caractère raffiné – ou du moins pour ma part, inhabituel –, et surtout par la variété des mets proposés en comparaison de ceux dégustés pendant le voyage jusqu'aux portes sylvaines. Certes l'accueil n'était pas moins sincère, je sentais toutefois une gêne chez nos hôtes, sans comprendre à vrai dire ce qu'il en était vraiment, de la teneur de leurs réelles émotions voire de leurs intentions. C'est que si j'étais très fort à ce jeu dans mes lointaines contrées, ce n'étaient pas les longues-oreilles et sangs mêlés vaanis qui m'auraient ne serait-ce que préparé à rencontrer ceux-là : de vrais elfes, dont je ne connaissais finalement que ce qui m'avait autrefois été permit de lire. J'étais de ce fait désemparé. Et j'avais peur. Très peur. Je savais au fond de moi que nous les derangions quelque peu par nôtre fortuite présence, des moustiques en somme pour ces éternels. D'éphémères insectes qu'ils propulseraient d'un revers nonchalant en Ardamir le jour suivant, plus par bienséance que par bienveillance : je nous savais en trop, quoique en sécurité car je les savais nonobstant intègres.
Il n'y aurait pas d'alcool, je le compris avec regret. Ceci n'empêchant pas cela je mangeai, retenant mes airs gloutons avec ce qui pouvait être prit pour de la gêne – s'en était sans l'ombre d'un doute –, je dévorai avec une patience toute étonnante, le fabuleux repas. Qu'étais-je au milieu de tout ceci, que sais-je ? Toujours est-il que l'on m'entendit peu ce soir-là, de fait je remerciai nos hôtes et je fermai indéfiniment, ma grande gueule.
Je m'endormis presque à table, le voyage faisant enfin des siennes sur mon corps endolori... Je me souviens vaguement de couloirs obscurs, d'un baiser, d'une couchette, puis le néant.
Le lendemain matin c'est Zaahrian qui me réveilla avec une certaine inquiétude dans le regard, il était troublé comme un enfant qui s'apprête à voyager au-delà de son rural village. Je rinçai un faciès engourdi, puis me laissait distraitement guider.
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« Un charlatan, sur un tréteau, Pantalon rouge et vert manteau, Vend à grands cris la vie; Puis échange, contre des sous, Son remède pour loups garous Et l'histoire de point en point suivie, Sur sa pancarte, D'un bossu noir qu'il délivra de fièvre quarte. »
(Verhaeren, Les Villes tentaculaires, Les Campagnes hallucinées, 1895, p. 68.)
Artiön Laergûl
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Personnage :.: MANUSCRIT :.: Âge : 719 ans Taille : 2m54 Niveau Magique : Maître.
Durant le voyage, l’atmosphère avait changé. Peut-être était-ce là l’effet des rayons du soleil sur une race trop fière de son regard perçant, ou peut-être le travail leur était-il plus agréable que le repas ? Toutes les théories étaient pour les deux étrangers bonnes à expliquer l’apparente tranquillité de leurs accompagnateurs. Mais d’entre toutes, si elle était la plus simple, qui restait tout de même la plus logique : ceux-là étaient tout simplement plus habitués à côtoyer les étrangers.
En effet, chose presque extraordinaire, jamais une seule seconde la milicienne qui s’était autoproclamée leur interlocutrice préférentielle ne s’était emmêlée entre sa langue natale et la langue Vaanie. Jamais un seul mot de travers de sa part, et même son accent – s’il restait typique de son appartenance au monde des Taledhels – était bien moins marqué que celui de ses collègues. Pour autant ces fameux collègues n’étaient eux-mêmes pas en reste. Moins à l’aise avec l’Oliyan, mais volontaires tout de même, ce sont leurs passages systématiques de l’elfique à la langue Vaanie qui enseigneraient aux deux étrangers leurs premières leçons de vieux langage, et ce serait peut-être leur attitude volontaire qui les convaincrait de plus s’y intéresser.
Seulement s’il y avait une véritable sympathie dans le comportement des elfes, il y avait aussi la saine curiosité qui sauverait peut-être des vies. Il y avait beaucoup à apprendre, au détour d’une « innocente » discussion, sur l’état actuel de Thaar. Il y avait beaucoup à apprendre, au détour d’une « innocente » discussion, sur les positions des drows. Et pour les militaires qu’ils étaient, chaque bribe d’information était extrêmement précieuse. En échange, leurs invités avaient pu en apprendre un peu plus déjà sur les coutumes régissant le Royaume d’Anaëh. Car ils étaient fondamentaux après tout ces savoirs. La dévotion des elfes à La Mère. La dévotion des elfes à l’Œuvre. Le respect des elfes pour l’équilibre dans la nature comme au sein de leurs propres vies. Autant de notions qu’il fallait avoir – à défaut de les avoir dans le cœur – en tête s’il on se voulait capable d’évoluer au sein des Cités. Ardamir en particulier n’était d’ailleurs plus le havre accueillant qu’il fut quelques années plus tôt.
• Leurs armes pourraient rester en leur possession, mais en leur qualité d’étrangers, il leur faudrait les présenter à l’entrée de la Cité.
• Si ces armes devaient être brandie contre un autre être avec intention de nuire, qu’il soit elfe ou animal, alors les lois seraient enfreintes.
• Le feu n’avait pas sa place dans la Cité.
• Le Palais de Chêne devait rester vierge de la vue de toute forme de violence.
C’étaient là les grandes règles qui régissaient Ardamir, et les grandes règles qu’ils se devraient à partir de maintenant de respecter. Mais après deux jours de voyage à allure soutenue, il n’était plus le devoir des elfes de Celimë de s’assurer qu’ils les respectent.
Ce serait là la tâche de leurs deux nouveaux chaperons. Un prêtre de Kÿria, conseiller patient, et une archère de la milice, protectrice de sa patrie. Deux chaperons officiels seulement pour deux étrangers… soutenus des dizaines de milliers d’yeux qui se tourneraient vers eux.