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 Une dame et deux tonneaux [Louise]

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Arnaud de Brochant
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MessageSujet: Une dame et deux tonneaux [Louise]   Une dame et deux tonneaux [Louise] I_icon_minitimeDim 23 Fév 2020 - 13:19


17ème année du onzième cycle,
Neuvième ennéade de Barkios,
La 7ème jour...


Une pluie battante martelait les remparts de Castel Tobioc. Le vent, violent, charriait les grosses gouttes entre les sommets crénelés, lesquelles s'écoulaient à grandes eaux jusqu'en la cour intérieure. En dépit du mauvais temps, celle-ci fourmillait d'une activité intense : des chariots de provisions s'entassaient devant la poterne, et des domestiques trempés jusqu'aux os s'échinaient à en décharger de lourds tonneaux, qu'ils faisaient rouler jusqu'aux celliers, traçant de larges sillons dans la terre humide.

A la vue d'un tel ravitaillement, on eut dit que le castel ducal se préparait à subir un siège. Il n'en était rien ; c'était la tenue prochaine de la cérémonie des hommages qui bousculait le quotidien du château. Trop longuement repoussé par le jeune duc, l'événement attirerait bientôt toute la noblesse de Serramire ainsi que les grands d'Oesgard, Alonna et Odélian. D'ici quelques jours, Castel-Tobioc résonnerait du tapage de la bonne chevalerie du Nord, à qui le duc dispenserait ses largesses ; il fallait bien cela, à tout le moins, pour récompenser leur fidélité renouvelée.

N'empêche ; ces jours-ci, Arnaud se serait bien passé d'une telle contrariété. La planification d'une telle cérémonie suscitait chez le jeune homme de curieux sentiments ; il y avait deux mois que le corps de son père était froid, deux mois qu'il avait hérité de ses biens et titres. Il avait accepté ce poids qui pesait sur ses épaules - avait-il eu le choix ? - et il avait même tenu Concile aux côtés des pairs du royaume ; il ne s'était pourtant toujours pas habitué à endosser le rôle de son père. Recevoir le serment de ses vassaux serait la transition ultime, et à compter de ce jour, il serait définitivement le duc de Serramire. Loin de le rassurer, cette perspective l'empêchait de dormir. Et puis, le Corbin avait d'autres chats à fouetter... mais puisqu'un duc se doit de recevoir l'hommage, il n'avait guère d'autre choix que de se plier à l'exercice.

Bien secondé par le père Bréguet et Adèlphe le Scylléen, le Corbin supervisait ce matin les derniers préparatifs. Tout serait prêt à temps, assurait le père Bréguet, et Arnaud pouvait se fier à son optimisme ; le vieux chapelain avait servi plus de ducs et de marquis qu'Arnaud n'en avait comptés de son vivant.

« C'est le dernier chariot », déclara le père Bréguet qui consignait scrupuleusement les arrivées dans son registre. « Je crois bien qu'ils ont mis deux tonneaux de trop.
- Qu'ils ne viennent pas nous les facturer »
, s'agaca Adèlphe, qui, en bon argentier, ne manquait jamais de rappeler qu'un sou était un sou. « On n'est pas des pingres, mais il ne faut pas nous prendre pour la bonne poire.
- Deux tonneaux de plus, est-ce là une si grande dépense ? »
tempéra le père Bréguet. « Dans des occasions comme celle-ci, mieux vaut nous assurer de ne rien manquer.
- Ce n'est pas à nous de casquer parce que des vignerons ne savent pas compter »
, insista l'argentier.

Le chapelain allait répliquer, mais fut interrompu par l'un des sergents d'armes qui gardaient la poterne.

« Pardon, mais y'a une dame qui demande à entrer et qui peut pas passer, parce que les chariots encombrent le passage.
- Une dame ? »
interrogea Arnaud. « Quelle dame ?
- Une dame de Fernel, qu'elle a dit, m'seigneur. 'voulait vous voir,' paremment. 'paraît qu'z'êtes au courant. »


Mais absolument pas, pensa Arnaud en fronçant les sourcils, agacé par l'outrecuidance de ces gens qui osaient s'inviter de la sorte alors qu'il avait tant d'autres chats à fouetter. Il allait répondre vertement, mais le père Bréguet, pâle et honteux, s'empressa de clarifier la situation :

« Mille excuses, Arnaud ! J'aurais dû vous prévenir, et ça m'est totalement sorti de la tête. La dame Louise de Fernel nous a écrit il y a quelques jours pour demander audience. Je suis terriblement confus.
- Bon, bon. On ne va pas la faire attendre devant la porte, par Néera. Je vais la recevoir maintenant. »
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MessageSujet: Re: Une dame et deux tonneaux [Louise]   Une dame et deux tonneaux [Louise] I_icon_minitimeLun 24 Fév 2020 - 0:43

Prenez donc le carrosse, Louise !, avait-elle dit. Vous ne pouvez vous rendre en la cité avec un tel équipage !, avait-elle ajouté. Mère. Noble et sage Mère, que ne vous ai-je écouté… Le chemin vers Serramire avait été des plus mouvementés et j’avais été bien aise, à mon arrivée, de trouver refuge en un respectable établissement, permettant enfin à mon escorte, mes chevaux et mon corps de se remettre un tant soit peu après de longues heures de chevauchée. Le jour de mon départ, Mère, horrifiée, avait vu mes vêtements, cet affreux pantalon, ces horribles bottes, et cette chemise sans finesse qui composaient une tenue plus digne d’un palefrenier que d’une noble dame. J’avais vu le regard désapprobateur, la mine défaite, toute la physionomie d’une mère angoissée par les fanfaronnades d’un enfant turbulent. J’avais du prendre ses mains dans les miennes, y déposer un baiser tendre et murmurer des promesses et des explications amplement justifiées. Le moyen, je vous prie, de chevaucher sur d’aussi longues distances quand le corps est maintenu par des remparts de fanfreluches, de soie et de dentelles qui risquent non seulement de me faire chanceler mais en plus de se gâter par la poussière des chemins ou la pluie ? Dépitée, Mère avait du se ranger à mon avis. Une tenue simple, légère, pratique, serait ce qu’il y a de mieux pour me rendre à la cité. Un trousseau de circonstance me suivra de toute façon, transporté par mon escorte, bien à l’abri dans des coffres. Mère connait ma vivacité, mon besoin de liberté, mon gout pour ces longs moments de communion avec Lasgalen. Elle sait aussi que jamais je ne me présenterai ainsi vêtue au palais ducal pour défendre notre cause. Lorsque je lui fis mes adieux, ce matin-là, je la laissai allongée sur une méridienne exposée au soleil, orientée de telle manière qu’elle puisse suivre ma course aussi loin que le permettrait sa vue défaillante. Après un ultime baiser sur son front froid, je dus prendre sur moi pour ne pas lui montrer ma vive inquiétude. Son état s’affaiblit de jour en jour, son œil a perdu cet éclat si vif qui faisait sa beauté, ses traits ont pris cette teinte cireuse des moribonds, elle n’est plus qu’une ombre parmi les ombres.

- Je reviendrai avec de bonnes nouvelles, Mère. Reposez-vous, et ne vous inquiétez plus.

Elle n’avait rien répondu. Le cœur tordu en deux à l’idée de ne plus jamais la revoir, j’avais éperonné Lasgalen de telle manière qu’il partit au galop sans attendre. Je ne voulais pas qu’on me voit pleurer. C’est indigne. Quoiqu’il en soit, je quittai Fernel dans un mélange de crainte et d’excitation, de peur et de curiosité, tant et si bien que les heures, les jours me parurent des minutes. Lorsque la cité fut en vue, je commençai alors à ressentir tout le poids des responsabilités pesant sur mes épaules. Je regardais avec un respect mêlé de crainte les remparts, les rues, le château enfin, avec toute la circonspection conférée par la nouveauté de la situation. J’avais annoncé ma venue pour le lendemain, cela nous laissait, à mon escorte et à moi, la soirée et la nuit pour nous reposer. Et ce repos que je recherchais ne vint pas, bien sûr. Après un repas léger, je pris soin de ma personne, en compagnie d’une femme de chambre de l’établissement, avant de sombrer dans un sommeil troublé. Tant de questions m’assaillirent cette nuit-là. Et si le Duc me refusait son aide ? Qu’adviendrait-il de Fernel, de ses terres prolifiques tant convoitées ? Devrais-je céder et épouser un de mes voisins, mieux pourvu en soldatesque ? Pourquoi accorderait-il son aide à une femme, fusse-t-elle héritière du territoire de ses ancêtres ? Comment est-il, ce Duc, d’ailleurs ? Je ne sais pas du tout à quoi il ressemble à part quelques allusions vagues sur une apparence à propos de laquelle mes sources mêmes semblent incapables de s’accorder? C’est donc l’esprit plongé dans une pléthore de questions sans réponse que je fermai les yeux, priant la DameDieu de m’accorder tout le courage nécessaire et les meilleurs auspices pour l’entrevue du lendemain.

Et visiblement, je n’ai pas prié suffisamment. Il pleut des hallebardes. J’ai pourtant revêtu mes habits les plus adaptés à une telle audience, une robe de la meilleure facture possible, de velours pourpre ornée de galons d’argent et de fins liserés argentés courant le long d’une jupe qui couvrait mes pieds. Je triturai nerveusement le rubis qui trône en permanence sur ma gorge, priant silencieusement pour que cesse cette pluie mais il n’y a rien à faire, hélas. Il n’y a plus qu’à espérer que la haquenée louée au tenancier sera aussi douce qu’il le dit. Impossible, en effet, d’emmener Lasgalen. Il est bien trop vif pour les atours que je porte. Une douce jument sera plus appropriée. M’enveloppant dans une cape épaisse et abattant la capuche sur ma tête, je prends place sur l’animal avec toute l’élégance dont je suis capable, malgré la pluie qui tombe. Le chemin vers le palais n’est pas long, cela aurait pu très bien se passer, sans trop d’accrocs, mais il était écrit que je ne pourrai faire bonne impression. Impossible d’entrer, des charriots bloquent le passage, nous obligeant à attendre sous la pluie battante. Je sentais l’eau s’infiltrer dans le tissu de ma cape qui s’alourdissait de minute en minute. Je vis avec angoisse le pourpre du bas de ma robe foncer sous l’effet de l’eau qui imprégnait les fibres. J’entendis un membre de mon escorte parlementer avec un garde qui s’en alla quelques instants avant de revenir, criant des ordres afin que l’entrée soit dégagée. Une bourrasque de vent manqua de me faire tomber de mon cheval. Ce dernier se remit placidement en route, me faisant enfin entrer dans l’enceinte du château.

Il y règne un capharnaüm incroyable. Il y a des charriots partout, des gens trempés partout, une cacophonie amplifiée par la pluie, ce qui achève de me mettre mal à l’aise. La situation aurait été moins urgente, j’aurais probablement trouvé moyen de m’excuser auprès de Sa Grâce, refusant de me montrer ainsi, pour reporter l’entrevue. Bien entendu, il en est maintenant hors de question. La pensée de ma mère mourante, seule dans sa chambre, finit par me faire perdre contenance. Il faut absolument me sortir de là et vite. Etant donné que personne ne semble se donner la peine de m’aider à descendre de cheval, je prends appui sur la selle et me réceptionne au sol…un sol détrempé et boueux. Enveloppée dans ma cape, grelottant de froid à cause du vent et de l’humidité, j’accoste la première personne que je vois, un jeune homme au regard perçant et à la longue chevelure de jais qui semble surpris par ma démarche et par mon allure. Serrant ma cape de mon mieux, je dis alors, de ma voix la plus douce, polie malgré les déconvenues :

- Je suis Louise de Fernel. Je viens chercher aide et conseil auprès de Sa Grâce. Pourriez-vous me mener à lui, s’il vous plaît ? J’ai annoncé ma venue, contrairement à la pluie…

Je gratifie l’inconnu d’un sourire aimable avant d’ajouter, un peu gênée :

- Pensez-vous qu’il serait possible de me procurer un linge afin de me sécher ? Nous sommes longtemps restés bloqués à l’entrée et ma tenue en a pâti, comme vous pouvez le constater.
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Arnaud de Brochant
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MessageSujet: Re: Une dame et deux tonneaux [Louise]   Une dame et deux tonneaux [Louise] I_icon_minitimeMer 26 Fév 2020 - 0:33


Surpris d'être alpagué de la sorte, le Corbin demeura coi. La dame de Fernel devait le prendre, au mieux, pour un simple chevalier - ou pire, un vulgaire palefrenier ! Arnaud la dévisagea un temps, son regard s'attardant sur sa cape gorgée d'eau de pluie, avant de relever les yeux. Elle souriait de sa jolie bouche purpurine, malgré la pluie, comme si rien ne pouvait atteindre sa bonne humeur - fait rare s'il en est.

En temps normal, il aurait levé l'ambiguïté en révélant qui il était. Mais la pluie s'intensifiait, inondant ses cheveux, et les gouttes s'insinuaient dans sa nuque, descendaient dans son dos, jusque dans les bas-fonds de son anatomie.
C'était désagréable.

« Ne restez pas là, Dame ; allons nous abriter. »

Et sans attendre de réponse, Arnaud se saisit de la bride du cheval de la dame, l'entraînant jusqu'à l'écurie attenante, laissant la jeune femme lui emboîter le pas. Ils avaient à peine atteint l'abri du préau de bois qu'il se mit à pleuvoir des cordes ; ils allaient devoir attendre ici que passe l'averse, à moins de courir jusqu'aux logis sous la pluie. Pour le moment, Arnaud s'affairait à attacher le cheval de la jeune femme, lors que dans la cour, les porteurs continuaient de s'affairer autour des chariots en dépit du mauvais temps ; nul ne prêtait attention à eux.

Lorsqu'il en eut fini, le duc-palefrenier se tourna vers la dame de Fernel. Il eut pu continuer de jouer les garçons d'écurie sans trop de mal : il s'était vêtu sobrement ce matin là, d'un pourpoint rembourré sans fioritures, dont la pluie rendait la couleur terne. C'était un peu riche pour un garçon d'écurie, mais bah ! L'habit ne fait pas le moine. Pas toujours, du moins.

« Je peux savoir ce que vous lui voulez, au duc ? » demanda Arnaud, tandis que l'ombre d'un sourire naissait au coin de ses lèvres - il se sentait joueur, tout à coup.
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MessageSujet: Re: Une dame et deux tonneaux [Louise]   Une dame et deux tonneaux [Louise] I_icon_minitimeMer 26 Fév 2020 - 14:54

Mon interlocuteur semble médusé, il ne dit pas un mot, comme si je venais d’énoncer une énormité. Surprise à mon tour, me demandant ce que j’ai bien pu dire pour qu’il en reste muet, je le laisse terminer son inspection de ma personne, esquissant un sourire gêné avant de rappeler mon existence à son bon souvenir par une petite toux ostentatoire, amusée. J’aimerais me mettre à l’abri d’autant plus que la pluie semble vouloir à tout prix ruiner mon apparence et tout le soin que j’y ai apporté avant de me rendre au château. Mon étrange interlocuteur semble soudain se rappeler des conditions exécrables qui sont en train de transformer la cour en marécage et prend la bride de mon cheval en me proposant – enfin – un abri. Je le suis, bien entendu, sans discuter, soulevant ma jupe alourdie par l’eau froide, afin de ne pas achever définitivement cette tenue qui nous a couté cher, à Mère et à moi. Fort heureusement, nous avons pu atteindre le préau et l’écurie à temps. Il tombe désormais des trombes d’eau, et je ne peux m’empêcher de me pencher un peu pour regarder ce ciel gris sombre, inquiète, avant de venir près de la jument, qui avait trouvé quelques fétus de paille et qui les mâchait placidement tout en nous regardant.

C’est l’occasion d’observer, à mon tour, celui qui a bien voulu nous mettre à l’abri. Plutôt grand et vêtu d’habits fonctionnels mais de qualité, il est lui aussi définitivement trempé. Je vois même des gouttes d’eau percoler depuis ses cheveux jusqu’au sol. Je ne saurais dire pourquoi mais je me sens un peu responsable de son état, même si je n’ai aucun pouvoir sur la pluie. Je caresse un peu l’encolure de la petite jument pour me donner une contenance sous le regard perçant de cet inconnu et répond à sa question, pensive.

- Je suis ici parce qu’il est le seul à pouvoir m’apporter l’aide et les conseils dont j’ai besoin. Mes voisins tentent des incursions sur mon territoire, terrorisent mes gens, afin de me forcer la main et de céder à leurs demandes. Sauf que…je ne veux pas. Ma mère se meurt, mon père nous a quitté, ces hommes ont deux fois mon âge et deux fois au moins le nombre de soldats qui sont sous ma protection…Je ne sais plus quoi faire, à part demander l’aide de mon suzerain. Donc j’ai chevauché depuis Fernel jusqu’ici pour le rencontrer.

Un frémissement désagréable finit par secouer mon corps. Ma cape. Je ne peux plus tenir, il faut que j’ôte ce vêtement détrempé et que je le suspende à un crochet, ou n’importe quel autre support afin que l’eau puisse s’échapper ailleurs que sur ma robe. D’un geste élégant et assuré, je dénoue donc les petits liens qui la maintiennent en place et la suspend à une petite porte en bois. L’eau qui s’extirpe de mon vêtement finit par s’évacuer en tous petits ruisseaux sous les sabots de la jument. De mon côté, je regarde l’étendue des dégâts, en me mordant la lèvre inférieure, absolument dépitée. Une chance que Mère ne soit pas là pour voir cela, elle en ferait une syncope dans la seconde. L’eau a foncé ma robe jusqu’à mes genoux, tout l’ourlet est maculé de boue alors que mon corsage semble constellé de tâches humides qui me donne l’aspect d’une fille échappée des petites maisons. Quant à mes cheveux, je ne préfère même pas imaginer. J’ai l’air d’une paysanne endimanchée. C’est une véritable catastrophe. Comment faire une bonne première impression dans cet état ?

- Mais je doute que Sa Grâce veuille me recevoir…Regardez dans quel état je suis. Autant recevoir une paysanne toute sale parée d’habits trop beaux pour elle. D’autant que je tombe très mal, visiblement, ajoutai-je en regardant le chaos boueux qui règne désormais dans la cour.

Les épaules basses, le visage quelque peu déconfit, je lève les yeux vers l’inconnu. Je suis sincèrement peinée et j’ai du mal à cacher ma déception. J’ai vraiment tout misé sur une belle apparence et ma bonne humeur. Et je n’ai plus ni l’une ni l’autre. Le moyen d’être crédible accoutrée de la sorte ! En soupirant, je passe ma main gelée sur le dos de l’animal qui lui ne semble pas incommodé le moins du monde, avant de reprendre, d’une voix douce, quelque peu apaisée par la chaleur qui irradie du corps de la jument :

- Vous qui travaillez ici…Dites moi…Avez-vous déjà eu l’occasion de partager un peu de temps avec le Duc ? Est-il aimable avec vous ? Comment est-il ?

J’ai une conception toute particulière du pouvoir et de la façon dont il doit être géré. Rien ne me rebute plus que les personnes investies d’un pouvoir sur d’autres et qui en abusent. J’ai toujours pensé, au contraire, que le vrai pouvoir se situe dans l’accompagnement des plus faibles, dans la mise en valeur de ceux moins bien nés et qui ont besoin de l’aide de ceux qui ont tout. C’est ainsi que j’administre Fernel. La réponse de mon mystérieux sauveur sera donc éclairante. Si le Duc est aimable et poli avec un palefrenier, alors c’est certainement un homme de bien. Peut-être pourrai-je alors lui exposer ce qui m’amène en la cité, le convaincre de m’apporter son aide, et enfin apporter un dernier soulagement à ma mère avant qu’elle ne rejoigne mon père. Toutes mes pensées sont en cet instant tournées vers elle. Une goutte d’eau quitta alors ma chevelure pour rouler sur ma nuque, marquant mon épiderme d’un grelottement qui me fit soudain éternuer. Les yeux clos, me frottant les bras avec vigueur, grelottant de froid, j’ajoutai, dépitée :

- La peste soit de cette pluie…
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MessageSujet: Re: Une dame et deux tonneaux [Louise]   Une dame et deux tonneaux [Louise] I_icon_minitimeJeu 27 Fév 2020 - 13:14


La danselette se confiait sans méfiance, guère intimidée par celui qu'elle croyait être garçon d'écurie. Les bras croisés, adossé à la porte d'un box, Arnaud l'écoutait en silence. Les jolies lèvres purpurines se mouvaient avec grâce, mais les mots qui en sortaient narraient là une bien triste vérité. L'histoire de Louise de Fernel était la même que tant et plus de jeunes héritières avaient vécu et vivraient encore ; assez riche pour susciter les convoitises, mais pas suffisamment pour s'en prémunir, elle finirait mariée de gré ou de force à un quelconque seigneur des Trente désireux de grossir son patrimoine. Et lui qui l'écoutait en se faisant passer pour un autre ! Il éprouva quelque remord pour sa rouerie ; il avait voulu jouer, mais la plaisanterie se trouvait maintenant hors de propos.

« Le duc... euh, le duc est... » bah c'est moi, aurait-il dû révéler maintenant, mais il trouvait la formulation un peu brutale. « Il passe de temps en temps par ici », finit-il par dire, « mais pas souvent. » Allez savoir pourquoi il n'avait pas franchi le pas ; ça lui plaisait, finalement, de n'être personne, rien que l'espace de quelques instants. Dehors, l'averse tombait drue ; son petit mensonge pouvait durer encore un peu. Il approcha son bras de l'encolure de la jument, qu'il flatta d'un geste étudié. « C'est une bien belle pouliche que vous avez là. Vous l'avez débourrée vous-même ? »
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MessageSujet: Re: Une dame et deux tonneaux [Louise]   Une dame et deux tonneaux [Louise] I_icon_minitimeJeu 27 Fév 2020 - 20:58

- Oui…Evidemment…J’imagine qu’il doit être très occupé. C’est d’autant plus aimable à lui de me recevoir pour des doléances qui ne sont finalement rien à côté de ses propres responsabilités…Je ne voulais pas paraître curieuse, je vous prie de m’excuser si je vous ai embarrassé par mes questions.

J’ai bien vu et entendu son hésitation. Je n’aurais pas du le déranger. Cela partait juste d’une bonne intention, savoir à qui j’allais devoir demander de l’aide. Sans savoir pourquoi, ses réponses me donnèrent la chair de poule. A moins que ce ne soit la pluie et l’intense humidité qui règne dans cette cour et dans toute l’atmosphère. Je ne sais. Quoiqu’il en soit, le mystère reste entier. Impossible de me le figurer, personne n’a pu m’en donner une description fiable. Tantôt grand, tantôt petit, parfois beau, parfois laid, vif, apathique, aimable, hautain, le Duc de Serramire semble être une image fantasmagorique pour pas mal de personnes de mon entourage. Je me disais qu’un de ses serviteurs serait un informateur plus fiable mais mon interlocuteur semble décidé à ne pas donner d’indices. Soit, ce n’est pas grave. Je peux comprendre la réserve des gens de maison face à un visiteur étranger. Et c’est quelque part plutôt rassurant pour le Duc, il peut compter sur le silence de son palefrenier.

Ce dernier d’ailleurs vient de poser la main sur l’encolure de la douce haquenée qui me sert de monture provisoire. J’ai l’habitude des chevaux, je remarque de suite que l’homme sait parfaitement où se placer pour ne pas effrayer l’animal, ce qui me fait sourire. Je le regarde, un peu amusée soudain.

- Cette jument ne m’appartient pas, le tenancier de l’établissement dans lequel je loge a bien voulu me la céder le temps de mon audience au palais. A dire vrai…

Je me penche un peu vers lui, comme pour faire une confidence un peu honteuse.

- Je ne voulais pas effrayer Sa Grâce en arrivant habillée comme une cavalière sur mon fidèle Lasgalen. C’est un hongre plein de fougue, très vif, il aurait certainement fait du tapage dans cette cour. Je me suis dit qu’arriver ici sagement assise sur une douce et placide jument serait d’un meilleur effet. Pffff…

Je ris sincèrement cette fois.

- Comme vous avez pu le constater, j’ai raté mon entrée. C’est drôle. Une chance qu’il ne soit pas là pour voir cela. Tout comme ma mère, d’ailleurs…

Plaçant ma main devant ma bouche pour dissimuler un rire, comme le font les enfants, je reporte mon attention sur mon interlocuteur, le regard pétillant de malice. La bonne humeur me revient, la tristesse ne reste jamais longtemps en mon cœur.

- Comment vous appelez-vous ? Nous sommes coincés par des trombes d’eau, visiblement pour un petit moment, puis-je savoir qui me tient si aimablement compagnie ?

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MessageSujet: Re: Une dame et deux tonneaux [Louise]   Une dame et deux tonneaux [Louise] I_icon_minitimeMer 4 Mar 2020 - 13:54


« Une chance qu'il ne soit pas là, en effet », abonda Arnaud avec un sourire en coin. « On dit qu'il est très à cheval sur le protocole. » Qu'il était cruel de torturer ainsi la damoiselle ! Las, à mesure que s'étendait l'averse, le Corbin prenait goût pour la comédie, si bien que l'amusement prenait le pas sur sa mauvaise conscience. Il ne faisait, après tout, rien de mal, et si la DameDieu devait s'offusquer de sa conduite, elle le pardonnerait bien, au nom de tous les tourments que les jolies dames infligeaient aux hommes. « Je m'appelle Aetius, madame, et je suis le responsable des écuries de Son Altesse. Et je dois vous confesser, si vous m'autorisez cette impertinence, que vous auriez vraiment dû débarquer en cavalière sur le terrible hongre dont vous me parliez. Le duc se serait offusqué, mais au moins, il vous aurait remarquée. »
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MessageSujet: Re: Une dame et deux tonneaux [Louise]   Une dame et deux tonneaux [Louise] I_icon_minitimeMer 4 Mar 2020 - 22:51

- Je suis enchantée de faire votre connaissance, Aetius.

Ce qui est très vrai. Il ne s’agit pas de paroles en l’air, de paroles de convenance comme mes pairs peuvent si souvent en dispenser dans leurs conversations. Il est le premier visage amical – et avenant, je dois bien l’admettre – que je rencontre en la cité. Quitte à attendre dans le froid et l’humidité, autant patienter en bonne compagnie. Sa dernière remarque me fait d’ailleurs doucement sourire.

- Je ne suis pas venue ici pour qu’il me remarque. Mon domaine n’est pas assez important, je ne suis pas assez riche, et j’imagine qu’il y a d’autres dames bien plus « remarquables » parmi sa cour.

Je passe ma main, tout sourire, sur l’encolure de la jument, avant de frissonner à nouveau.

- Je suis ici pour défendre mes biens. Après, si on doit se faire remarquer par Sa Grâce pour qu’il fasse son travail…ma foi…Je peux m’arranger. Mais je trouverais ça triste. Pour lui. Cela voudrait dire qu’il ne s’attache qu’aux apparences. Comme tant d’autres, en fait. Cela ferait de lui un homme ordinairement déplaisant.

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MessageSujet: Re: Une dame et deux tonneaux [Louise]   Une dame et deux tonneaux [Louise] I_icon_minitimeVen 6 Mar 2020 - 11:18


Ordinairement déplaisant, hein ? C'était là un reproche qu'on ne saurait faire à Louise de Fernel, qui depuis le début de leur étrange rencontre n'avait de cesse de le surprendre. Cavalière au sens propre comme au sens figuré, vieille fille indépendante fuyant le diktat du mariage et la tyrannie masculine, voilà qui faisait beaucoup pour une jeune noble. Arnaud aurait dû haïr tout ce qu'elle représentait, mais il était désarmé. Il l'était, parce qu'il ne pouvait s'empêcher d'apprécier la façon dont se mouvaient les lèvres de sa jolie bouche lorsqu'elle formait les mots, la manière dont elle écarquillait les yeux en haussant les sourcils en prenant une intonation, et tous ces gestes qu'elle faisait machinalement lors qu'elle lui parlait sans même s'en rendre compte. Et comme il ne détachait pas son regard d'elle, de ses cheveux humides et de ses joues ruisselantes d'eau de pluie, il lui vint à l'esprit que cela pourrait devenir gênant ; aussi affecta-t-il un air plus nonchalant pour finalement lui répondre :

« Rassurez-vous. Si votre cause est juste, le duc l'entendra. D'ailleurs, vous aurez beau vous en défendre, mais remarquable, vous l'êtes, madame ; il s'en rendra compte, ou bien c'est un idiot. »

Il esquissa un sourire, avant de détourner les yeux vers la cour où l'averse ne semblait pas décidée à s'interrompre. Il contempla quelques instants le déluge, trouvant dans ce spectacle morose quelque chose de paradoxalement apaisant. Puis, pris d'une soudaine inspiration, il reporta son regard sur la dame de Fernel.

« Puisque la pluie n'a pas l'air de vouloir s'arrêter, je vous propose un petit jeu. Je vous pose une question, vous répondez, puis vous en posez une à votre tour. Qui vous a appris à monter ? À cheval je veux dire. »
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Louise de Fernel
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MessageSujet: Re: Une dame et deux tonneaux [Louise]   Une dame et deux tonneaux [Louise] I_icon_minitimeVen 6 Mar 2020 - 12:22

Voilà qui sonne comme un compliment. Je ne peux m’empêcher de lui sourire, avant de rougir un peu, détournant mon visage quelques instants pour me donner une contenance. Cet homme doit décidément avoir quelques problèmes de vue. Je suis surtout remarquablement dans de beaux draps, toute crottée par la boue, trempée jusqu’aux os, la coiffure totalement ruinée par les éléments. Nous ne sommes peut-être plus sous la pluie mais l’eau a eu le temps de s’insinuer dans mes vêtements, enveloppant tout mon corps d’une franche humidité difficile à supporter. N’y tenant plus, j’avise alors les lieux à la recherche d’une couverture de cheval, n’importe quoi qui pourrait draper mes épaules et me prémunir d’un méchant rhume. Ma cape n’est pas envisageable. J’aperçois alors, derrière mon compagnon d’infortune, une de ces fameuses couvertures qu’on place sous les selles des chevaux. Un motif criard, fait de rouge et de vert, sur de la laine bien chaude ? Tant pis. Je préfère sentir le cheval mais au moins avoir chaud. Je m’en saisis et m’en drape avec soulagement, avant de souffler sur mes doigts, pour les réchauffer aussi. Aetius, lui, ne semble pas perturbé par son état, guère plus appréciable que le mien.

- Je crois que je vais laisser un mot à l’intendant de sa Grâce, pour lui signaler ceci. Inutile de tergiverser davantage, je reviendrai quand cela sera possible. Je ne suis plus présentable du tout. Et je suis frigorifiée.

Je protège mes mains grâce à cette couverture et revient près d’Aetius, amusée. Un jeu pour passer le temps ? Ma foi pourquoi pas. Je suis curieuse d’en savoir un peu plus à son sujet, mais le voilà qui commence d’autorité la partie, ce qui me fait largement sourire. Je prends quelques secondes et réponds à sa question, en toute sincérité :

- C’est mon père qui m’a appris à monter à cheval. C’était un homme bon, un excellent cavalier et un guerrier respecté. Il a servi les Ducs de Serramire quand ils en ont eu besoin, vous savez ? Il a immédiatement répondu à leur appel, il nous disait souvent, à Mère et moi, que c’était son devoir et qu’il fallait le respecter. Malheureusement…cela lui a coûté une jambe. Donc il m’a appris ce qu’il savait, debout, aidé d’une canne. Il m’a appris tant de choses, il adorait les chevaux, qui le lui rendaient bien.  

Toute la fierté d’être la fille d’un tel homme transparait dans mes propos, je ne le sais que trop bien. Flattant la jument d’une main, je reporte mon attention sur Aetius, esquissant un large sourire, tout en le regardant. Je penche la tête, l’observe peut-être trop attentivement :

- A mon tour ! …Aloooors…Mhhhh…Voyons…Depuis quand êtes-vous au service du Duc ? Cela vous plaît, de travailler ici ?
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Arnaud de Brochant
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MessageSujet: Re: Une dame et deux tonneaux [Louise]   Une dame et deux tonneaux [Louise] I_icon_minitimeMer 11 Mar 2020 - 0:56


Au récit que la damoiselle livra de son vieux père, Arnaud hocha la tête avec compassion. L'émotion se ressentait dans les paroles de Louise, si bien que l'image du vieil estropié se dessinait dans l'esprit du jeune duc ; ce devait être bien cruel, pour un amoureux des chevaux, que de perdre sa jambe. A fortiori un chevalier. La guerre en voyait, de ces vétérans qu'une blessure perpétuelle fauchait dans la force de l'âge. La blessure physique se doublait alors d'une blessure morale, et nombre d'entre eux s'imposaient une réclusion loin du monde, trop honteux de leur propre déchéance. Ils finissaient leurs jours seuls, dans l'attente de la mort et de l'oubli. Le père de Louise y avait fait face à sa manière : faute de fils à éduquer, il avait enseigné l'équitation à sa fille, et sans doute avait-il tiré de ces leçons un grand réconfort. En transmettant son savoir, il était resté utile. Il était resté un homme.

Fernel, Fernel. Si sa mémoire des leçons du père Bréguet ne lui faisait pas défaut, Arnaud était à peu près certain d'avoir entendu citer le vieux sire de Fernel avec les chevaliers des Trente, ceux qui, à la fin de la guerre civile, avaient déchu Merwyn le Fol. Peut-être avait-il chevauché, du temps où il chevauchait encore, aux côtés du père d'Arnaud. Peut-être les deux hommes avaient-ils combattu ensemble les drows à Alonna et les rebelles en Oesgard. Et comme il ressassait ces vieux souvenirs d'enfance, la damoiselle en vint à le questionner à son tour.

« Cela fait longtemps », éluda-t-il d'abord avec un haussement d'épaules ; puis, alors qu'il y pensait, le duc-palefrenier s'épancha peu à peu en confidences. « Mon père servait le vieux duc Édouard lorsque je suis né. Il vivait près de lui à la cour, au vieux palais des Séraphins, loin de ma mère ; il avait été forcé de l'épouser, mais il ne l'aimait pas, si bien qu'il vivait séparé d'elle. Quand on lui annonça ma naissance, il ne daigna même pas nous rendre visite. Pendant des années, il fut pour moi un inconnu ; il venait parfois quand mon grand-père le demandait, mais rarement, et lorsqu'il venait, c'était un étranger pour moi, froid et distant. Au vrai, j'en avais une peur bleue. Mais un jour - je devais avoir six ou sept ans - on décida que je le suivrais à la cour ducale. C'était le duc Merwyn, Merwyn le Fol, qui régnait alors sur le pays. Je me souviens que j'étais tout gosse, impressionné par la foule et l'agitation qui régnait en permanence au palais. Mais c'était mon père qui m'effrayait le plus, avec ce regard glacé qu'il avait, et qui me donnait des cauchemars. C'est comme ça, dame Louise, que je suis entré au service des ducs de Serramire. En suivant la voie qu'on avait tracée pour moi ; et lorsque mon père mourut, c'est à moi qu'échut le rôle qui était le sien. »

Quoiqu'il n'ait pas trahi son identité, Arnaud n'avait pas eu besoin de mentir ; l'histoire qu'il venait de conter était bien la sienne, en dépit des vérités sciemment maintenues sous silence. Son regard sonda un moment la demoiselle, tandis qu'il cherchait une autre question à lui poser. Le cheminement dans son esprit se fit naturellement :

« Et votre père, il n'a jamais cherché à vous marier ? »
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MessageSujet: Re: Une dame et deux tonneaux [Louise]   Une dame et deux tonneaux [Louise] I_icon_minitimeMer 11 Mar 2020 - 10:34

Je ne pus m’empêcher de ressentir un grand élan de compassion sincère et de tristesse pour Aetius. Craindre son père est une chose, en avoir peur en est une autre. Je craignais de déplaire à mon père par mon attitude parfois vive, même un peu étourdie par moment. Je craignais de lire de la déception dans son regard, je redoutais ses silences désapprobateurs qui me plongeaient toujours dans une honte abyssale. Mais je n’en ai jamais eu peur, jamais. Il a été présent, aussi présent que peut l’être un homme de son temps, confiant à Mère et ses suivantes tout ce qui concerne l’éducation d’une jeune fille, mais il n’empêche que mon père n’était jamais loin et veillait sur son unique progéniture avec toute la paternelle sollicitude dont il était capable. Je sais que pour cela je suis privilégiée.
Hochant la tête avec un sourire gentil pour cet homme qui confesse si vite une peur que d’autres se seraient employé à cacher, je ne pus m’empêcher de dire :

- Oui…Suivre la voie tracée par nos parents semble logique, la seule chose à faire, par respect et par tradition. Mais…cela vous rend-t-il heureux au moins, Aetius ? Si vous aviez pu choisir votre destinée, seriez-vous ici, en ce moment ?

La jument montra soudain quelques signes d’agacement. Hochant la tête de gauche à droite, l’animal cherchait un endroit où se poser plus agréable qu’un passage ouvert à tous les vents. Je défis alors la bride qu’Aetius avait attachée à un anneau et entraînai l’animal vers la paille bien chaude d’un petit endroit à l’écart. Au moins, la petite jument ne serait plus exposée au vent, et nous non plus. J’aperçus une brosse, j’entrepris, le plus naturellement du monde, de brosser avec soin son pelage pour dissimuler mon embarras, à sa dernière question. Quel curieux portrait je dois faire, en vérité, avec ma belle robe toute sale, ma couverture aux motifs criards, ma coiffure qui n’en est plus une…et cette brosse que je manie avec toute la dextérité conférée par l’expérience.

Le mariage est un sujet que j’évite très soigneusement même si je sais qu’un jour je ne pourrai plus m’y dérober. Il est curieux de l’aborder ici, avec un parfait inconnu, mais soit, puisque le jeu le commande, je peux bien m’épancher un peu à mon tour. Même si je sens mes joues rougir avec force.

- Mon père a eu cette prévenance dont a visiblement été privé votre père, il ne m’a jamais obligée à rien. Bien sûr…Il aurait bien aimé me savoir rangée et heureuse avant de partir pour l’autre monde, mais…

Je cesse un instant de brosser la jument, apaisée par mes caresses, pour le regarder lui, un peu intimidée.

- Il a toujours refusé de voir ses terres tomber dans l’escarcelle de voisins qu’il n’appréciait guère. Quant à moi…J’ai toujours fait en sorte de repousser leurs déplaisantes avances. Ils ont deux fois mon âge, ils sont vils, sournois et méchants avec leurs gens, des gens qui viennent chercher un refuge à Fernel. Ils sont aussi laids à l’extérieur qu’à l’intérieur. Je préfère mourir plutôt que d’épouser un vieux barbon ignoble.

J’avais parlé en toute franchise, ce qui n’est pas toujours conseillé. Un peu troublée, je l’avoue, je reporte mon attention sur la jument qui s’est calmée totalement et se laisse docilement caresser. Je range la brosse avant de me tourner vers Aetius, un peu gênée.

- J’imagine que vous désapprouvez.

Serrant la cape de fortune contre moi pour laisser sa bienfaisante chaleur faire son office, j’ose alors une toute petite question, prononcée d’une voix douce et tranquille :

- Et vous Aetius ? Une jeune et jolie demoiselle a-t-elle volé votre cœur ?


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