Rapport à Fernel | Louise

fin de la 9e Ennéade de l'an 18 du XIe cycle
juste après négociations difficiles sur la route de Fernel

Après la nuit de voyage coupée par le concert de la meute de loups arpentant Fernel, ce qui a rendu Melkor nerveux, Dante a laissé sa monture rentrer à Fernel à l'amble. L'équidé n'ayant pas envie de se faire surprendre par les prédateurs ne s'est pas fait prier. Pour une fois, sans crâner, il est rentré en ligne droite sur la route pavée. Par chance, il avait eu le loisir de bien se reposer avant cette épopée nocturne.

Sur son dos, Dante se recroqueville pour se reposer, laissant son corp se détendre et son cerveau travailler. En plus de la promesse non tenue, les menaces à peine voilées et le paternalisme à deux balles, le fait qu'il ait prit des témoins et imposé quelque chose sans demander son avis le font bouillir intérieurement.

Que Prademont ait peut de lui le rend aise. Qu'il n'acquitte pas ses dettes le fait royalement chier. En plus de l'avoir mis en retard. Bon, en fait non, pas tant, ses hommes et femmes étant en train de récolter les informations nécessaires pour régler le cas Diolando. S'il se tenait trop près, ca aurait été suspect. Mais bref, il s'égare.

Quand le ciel se pare du vert caractéristique de l'aurore, monsieur Claude passe sous les remparts. Les gardes, reconnaissant Melkor, laissent passer le cavalier poussiéreux qui met souplement pied à terre et amène le sombre étalon à l'adolescent fort capable. Il sait que le jeunot adore ce cheval.

-Faite le manger léger je vous prie sire Nicholas. Je repars incessamment, le temps de faire mon rapport de patrouille à la Dame et de le laisser se reposer un peu.

Sans attendre la réponse, Dante entre dans le château et se dirige vers le bureau de Louise, espérant l'y trouver, laissant en son sillage la poussière de la route. Il calcule qu'il a quelques heures devant lui, un créneau serré pour éviter les enfoirés qui essayent de le doubler.

Le chant des loups l’apaise. C’est un peu comme une réponse animale à un cri qu’elle ne peut pas pousser mais qu’ils perçoivent tout de même. Ils chantent pour elle, du moins c’est ce qu’elle se dit en les écoutant, les yeux grands ouverts sur rien, dans la solitude absolue de son grand lit seigneurial. Les loups n’ont pas causé de dégâts. Il y a une meute qui règne sur ses terres, une meute dont personne ne vient se plaindre à part les palefreniers. Le chant de ces animaux agite beaucoup les chevaux et il n’est pas rare de devoir apaiser les plus fougueux d’entre eux par de longues heures de monologue en cette langue étrange que parlent les soigneurs fernelois.

Elle a tenu bon, rappelant aux mécontents que les loups ne sont qu’un moindre mal en comparaison aux gobelins, aux drows et aux autres nuisibles qui hantent Miradelphia dès la nuit tombée. Le loup n’est agressif que si on s’en prend à sa meute. Il ne chasse que pour se nourrir, comme tous les autres prédateurs, à la différence que si on laisse celui-là en paix, il peut se révéler un allié incomparable, ce qui est le cas pour la petite seigneurie. Depuis qu’il est connu un peu partout qu’une meute se trouve en liberté et protégée à Fernel, les bandits se font curieusement plus rares.

Elle a un sourire en percevant ce chant qu’elle aime tant, se rappelant la première fois qu’elle a vu cette meute de plus près. De grands loups argentés pour la plupart, quelques fourrures noires, d’autres marron, un bel ensemble de couleurs qui l’avait fascinée. Ils ont filé dans une chênaie à son approche, tous sauf un. Il n’était pas particulièrement plus grand ou plus fort ou plus beau que les autres, mais il est resté là, à la regarder sans bouger, tandis que les autres déguerpissaient entre les troncs d’arbres. Louise n’a plus bougé non plus, elle s’est contentée de le regarder, lui l’animal aux yeux d’ambre et à la face constellée de cicatrices en tous genres. Cela n’a duré que quelques secondes mais la châtelaine est absolument certaine que ce loup est le chef de la meute, celui qui couvre les arrières et qui vérifie qu’aucun danger ne rôde. Elle en est certaine parce que c’est un comportement qu’elle-même adopte envers ses gens. Quelques secondes à humer l’air, tout en la fixant de ses yeux sauvages puis il a filé à son tour, disparaissant en une fraction de seconde, sous le regard émerveillé de Louise. Un souvenir qu’elle n’oubliera pas de sitôt.

Elle est encore dans son lit quand elle perçoit les premières lueurs de l’aurore. Et aussi le pas souple, rapide, de grandes jambes vaanies qui se dirigent droit vers sa chambre. Louise reconnaitrait ce pas là entre mille autres. Elle se redresse dans son lit en passant une main dans l’épaisse crinière de boucles indisciplinées qui orne sa tête. Anaëlle n’est pas encore levée et elle est en chemise légère, de ce tissu doux qu’elle a rapporté de Thaar.

- Dante…

Il ne vient que très très rarement ici et encore est-ce toujours en plein jour, à la vue et au su de tous. Qu’il vienne dans ses appartements de si grand matin la place immédiatement en alerte. Elle s’extirpe de son lit et noue les liens de sa chemise qui se sont défaits pendant la nuit. Elle trouve la cape dépourvue de manches qu’elle porte quand elle demeure au château puis se lève, pour se rendre vers la porte, pieds nus, sans lumière, sans rien pour attirer l’attention d’un quelconque serviteur. Louise entrouvre la porte de sa chambre et aperçoit son frère, là debout dans le couloir.

- Qu’est-ce qu’il y a ? Tu as eu des problèmes ?, chuchote-t-elle.

Elle ouvre la porte un peu plus grande pour lui permettre d’entrer. Elle, elle se dirige vers l’âtre et les quelques braises qui brillent encore pour y jeter une bûche, afin d’obtenir chaleur et lumière. Debout devant les braises, bien loin de tous ses apprêts ordinaires, sas aucun autre ornement que ses habits et ses boucles encore toutes chiffonnées, Louise attend, les sourcils froncés, le front soucieux.

- Que se passe-t-il ?

Elle serre sa petite cape d’intérieur contre elle, debout à côté des bûches fumant sous les premières flammèches ranimées sous elles. Louise regarde son frère, incrédule.

- Déjà ? Tu dois déjà repartir…

Elle contient un soupir et préfère regarder les bûches. Jamais elle ne peut passer beaucoup de temps avec lui, lui qui est toujours sur les routes ou entre deux coups fumeux. Elle devrait en prendre son parti mais bon…Dante est le seul être sur cette terre avec lequel elle peut avoir une réelle conversation, un lien fort. Leurs retrouvailles de loin en loin lui pèsent beaucoup mais elle ne dira rien. Parce que de toute façon, quoiqu’elle dise, cela ne changera rien du tout. Alors elle acquiesce.

- Je compte revenir à Thaar prochainement. J’aime ta ville, je ferai juste attention de ne plus circuler sans escorte ou dans des ruelles bizarres, cette fois.

Ainsi les frontières sont sûres. S’il y avait eu le moindre incident, le moindre mouvement suspect, elle sait qu’il l’aurait capté, parce que cela fait partie de ses nombreux talents. C’est un chasseur, un réel prédateur, elle le sait. Aussi quand il dit que tout est sous contrôle, elle le croit volontiers. Louise hausse un sourcil en le voyant là-bas près de la fenêtre, tout couvert de poussière.

- De la visite ? De qui donc ?

Elle approche de lui et cherche son regard.

- De qui parles-tu là ? Je ne comprends rien…Quelqu’un t’a fait des misères ? Quelqu’un qui vient ici ? Chez moi ?

Elle secoue la tête.

- Je m’en sortirai très bien. Je ne suis plus sans défense, je te rappelle. Alors…Dis moi tout. De qui dois-je me méfier, grand frère ?

Quittant le paysage faiblement éclairé, Dante en revient à Louise.

- Je compte revenir à Thaar prochainement. J’aime ta ville, je ferai juste attention de ne plus circuler sans escorte ou dans des ruelles bizarres, cette fois.


Tu sais où crécher, juste t'annoncer à Akhan et il fera les préparatifs.  je te filerai quelqu'un pour te servir de guide et d'interprète.

Et revenons à nos moutons. Parce que l'avertissement qu'il lui sert, ce n'est pas gratuit.
- De la visite ? De qui donc ? De qui parles-tu là ? Je ne comprends rien…Quelqu’un t’a fait des misères ? Quelqu’un qui vient ici ? Chez moi ?

Elle secoue la tête. Inquiète. Il y a deux personnes dans ce monde pourrit qui s'inquiètent pour sa gueule. Deux Péninsulaires aux coeurs féroces et fiers comme des estreventin. Deux femmes qui l'acceptent comme il est, sans essayer de vouloir le changer, de l'attacher, ou de l'entuber.

C'est... reposant.  

- Je m’en sortirai très bien. Je ne suis plus sans défense, je te rappelle. Alors…Dis moi tout. De qui dois-je me méfier, grand frère ?


Tiens... Ah oui, ca serait cool qu'il lui dise le nom tout de même.

Tu as le comte Charles de Prademont qui est à tes frontières avec une douzaines de chevaliers. Il s'est arrêté au relais sur tes frontières. Je présume qu'il n'est pas venu demander ta main... Méfie toi des cygnes. Le peu qui reste est aussi pourri que ceux qui engraissent les vers. Il ne paye pas ses factures, essaye de les renégocier après le contrat passé, le boulot fait et son beau petit cul bénit par le sang de son sang.


Il laisse une pause se faire, soutenant le regard marron.

Je sais que tu va t'en sortir. Je ne suis même pas inquiet en fait. Je m'occuperais bien du gus moi-même, mais je veux pas t'amener du trouble sur tes terres.

Et où il crèche. On ne tue pas près de sa tanière.

Et, en plus, j'ai pas le temps de m'occuper définitivement de sa barbichette dorée... J'ai eu le loisir de composer une petite ritournelle dans ma tête pendant que je m'en venais. Et je vais la semer en m'en allant, dans les tavernes et aux ménestrels.

Un sourire soulève le coin de la grande bouche.

Tu veux me donner ton avis?

- Si je viens, c’est aussi pour te voir. Je sais que tu es un homme occupé, du coup cette fois c’est moi qui me déplacerai. J’enverrai un courrier à Akhan mais ce ne sera pas pour tout de suite. Je dois me rendre en Arétria. Peut-être qu’à mon retour, j’organiserai cela, si rien ne me tombe dessus…Père pourra veiller sur Fernel

Elle regarde elle aussi par la fenêtre, la cape serrée sur elle, écoutant les paroles de son frère avec attention avant de lever un sourcil.

- Prademont ? Tu as eu affaire avec le nouveau Comte d’Odélian ?

Elle soutient son regard évidemment, analysant chacune de ses paroles avant de s’éloigner et de d’ouvrir son secrétaire. Une lettre se trouve au-dessus de la pile, une lettre qu’elle ramène près de l’âtre, afin de pouvoir la relire à l’aide de la diffuse clarté issue des petites flammes. Il annonce en effet sa venue sans toutefois préciser le jour. Ce n’est pourtant pas cela qui attire son intérêt. Très loin de là. Entre les petits propos assassins de Dante relatifs à un petit cul béni de sang et les propos fleuris du comte, un lien est tout doucement en train de se faire dans l’esprit de la châtelaine.

La bonne fortune de Charles de Prademont est extraordinaire, presque de notoriété publique désormais, et le décès de Gaubert de Prademont, tout comme ceux des personnes qui auraient du lui succéder, est tombé bien à propos, semble-t-il. En tout cas l’écho de ces événements ne s’est pas arrêté à la frontière odéliane. Louise regarde les flammes puis son frère qui lui tourne le dos. Dante est un assassin, le meilleur qui soit si on excepte Elazar. L’Ombre et le Lys Noir. Charles de Prademont devrait-il son trône à son frère ?

- J’entends et je crois comprendre tout ce que tu me dis…Fais moi entendre cette ritournelle ?

Elle attend, elle écoute, avec un sourire. Louise a toujours aimé la voix profonde et grave de Dante, c’est d’ailleurs une de ses plus grandes faiblesses.

- Promis je te donne mon avis juste après, dit-elle les bras croisés sur sa poitrine, la lettre dans sa main droite.

air:

Elle est appuyée contre le mur de pierre, occupée à l’observer fanfaronner comme le grand dadais qu’il est quand on le connait bien. Elle écoute et plus les paroles s’égrènent, plus les secondes passent, plus les gestes deviennent grandiloquents, plus les yeux de Louise s’écarquillent, d’incrédulité et d’horreur en même temps.

Le texte est bien trop éloquent pour ne pas être compris. A l’écoute de celui-ci, il semble établi que le comte d’Odélian ne doit sa place qu’à la disparition volontaire, planifiée et mortellement organisée de son cousin Gaubert comme de toute sa parentèle. La place était encore chaude, quand le jeune Charles y a posé ses fesses bénies. Et le Duc de Serramire l’a confirmé dans ses attributions ? Ce procès public dont les échos sont parvenus jusqu’à Fernel ne serait donc que menterie et vilenies ? Pire encore, le Roi lui-même lui laisse son poste d’intendant à la justice lui donnant ainsi toute l’amplitude nécessaire pour dissimuler les preuves ?

Louise plisse les lèvres. Cette injustice…Une de plus, de la part du Duc de Serramire lui laisse un arrière-goût amer en bouche. Quel est donc ce Duc qui est aveugle et sourd alors que l’évidence même s’étale sous son regard ? Quel est donc ce suzerain qui lui refuse son aide alors qu’elle est en danger pour câliner ensuite un homme responsable de la disparition de tout un pan de sa famille ? Elle en frémit d’indignation. Et pourtant c’est cet homme qui commande. C’est cet homme qui dirige. C’est devant cet homme qu’elle doit s’incliner. La missive odéliane se froisse dans sa main, alors qu’elle se retourne vers la fenêtre, songeuse.

Dante y est mêlé c’est évident mais elle tient à l’entendre le lui dire. Il n’aurait jamais pris cela autant à cœur s’il n’avait pas un intérêt à défendre, elle le sait. Maintenant, reste à savoir pourquoi il a désormais une dent contre Charles de Prademont.

- Deux choses. Es-tu mêlé, de près ou de loin, à cette histoire et ensuite…quel est donc ce contrat dont tu parles et qu’il n’a pas respecté ?

La chanson est bien trop entraînante pour ne pas être fredonnée encore et encore et encore, de taverne en tripot, de ménestrels en conteurs. Si elle se répand, c’en est fini de la réputation du Comte d’Odélian, ce qui…in fine…Pourrait faire tâche d’huile sur la réputation du Duc de Serramire. Un fin sourire apparaît sur le visage de Louise. Peut-être est-ce là une occasion de rendre la monnaie de sa pièce à un suzerain qu’elle juge indigne de sa fonction.

- Ce sera un succès, je l’ai encore en tête, assurément, c’est le genre de propos qu’on ne risque pas d’oublier.

Elle se tourne vers son frère, le regard directement posé sur celui de l’assassin, attendant une réponse.

Louise ne sourit plus, elle. Parce qu’elle a sa réponse et que les conséquences possibles d’un tel acte dépassent l’entendement. Elle sait, évidemment, pour les événements d’Odélian, elle sait tout, comme tout le monde, même si elle n’a pas eu le détail. Non pas que cela ne l’intéressait pas, c’est juste que cela ne la concernait pas tellement. Ce n’est désormais plus le cas. Et lui il fanfaronne comme un gamin. Pour une fois, elle passe au-dessus de cette faiblesse qui est la voix de son frère pour l’attraper en douceur, une douceur teintée de fermeté, qu’il ne s’y trompe pas.

- Les hommes péninsulaires n’ont aucun honneur, mon frère. Absolument aucun. Te rappelles-tu le Duc de Serramire ? Te rappelles-tu comment il a rompu son serment en me laissant me dépêtrer ici avec ce complot qui a failli me coûter la vie ?

Elle l’envisage en entier, ne cillant pas un instant, pour qu’il perçoive bien la menace qui plane au-dessus de lui.

- Les hommes de Péninsule qui ont du respect pour les autres et des valeurs à chérir sont rares. Très rares. J’en ai rencontré un, il dort dans une des chambres près de la tienne, mais il est une exception parmi tous ceux que j’ai rencontré. J’ai couché avec un Duc marié à Kirgan, sans qu’il n’en éprouve le moindre remord. Notre père lui-même, cet ardent défenseur des mœurs péninsulaires, est un monstre qui a fait de toi son Ombre. Les hommes d’honneur…ils n’existent que dans les chansons ou pour les autres femmes. Pas pour les gens comme nous…

Elle reste devant lui, toute proche, inquiète et en colère en même temps.

- Crois-tu que tu as la moindre importance, toi, un Vaani, en Péninsule ? Tu n’en as aucune. Absolument aucune nulle part, sauf ici parce que tu es ici chez toi et que je t’….que tu comptes tellement pour moi que je ferai n’importe quoi pour qu’il ne t’arrive rien.

Elle lâche son bras, en ajoutant :

- Tu t’es fait avoir comme un bleu. Avoir un contrat avec un homme de Péninsule est le meilleur moyen de faire du travail gratuit. Un Comte en plus…Intendant à la justice royale…Mon frère, mais dans quoi as-tu mis les pieds…

Le regard noisette de Louise accroche les prunelles dichotomiques.

- Je sais que tu as probablement couvert tes arrières mais il a probablement couvert les siens aussi. Il refuse de te payer ce qu’il te doit et à priori rien ne pourra l’y contraindre, rien si ce n’est une autorité supérieure, le Duc ou le Roi. Un Duc qui s’est empressé de le reconnaître dans ses fonctions…Un Roi qui n’a pas encore de poils au menton…Et s’il a envie de te faire taire, il a sans doute les moyens de le faire…

Elle regarde ailleurs, tout en restant face à lui :

- Tu aurais du m’en parler…Je t’aurais sans doute mis en garde avant que tu ne tombes dans le piège…et je t'aurais sans doute demandé de renoncer...

le sourire fendant de Dante ne se dément pas.

Ma chère, je pensais que tu me connaissais mieux que ca. Je suis un chasseur et c'est ma nature. Pas ce que Elazar a fait de moi non...

Il tourne autour d'elle de son pas souple et silencieux. IL le fait exprès

Ton raisonnement pourrait être vrai sous les conditions expresses suivante. Que j'ai quelque chose à en faire de la Gloire et que je sois une *pute à fric* ( En Olyian dans le texte) Est ce important que le commanditaire soit un homme d'honneur? Quel homme d'honneur et de parole en premier lieu embauche un assassin comme moi?

Je me serais fait avoir comme un bleu si j'avais chassé pour le fric. Je suis un de ces petits chanceux qui vivent pour leur boulot et non l'inverse. Tu sais, mon problème n'est pas d'être payé pour la chasse... mais de devoir demander d'être payé. Parce qu'un chasseur bénévole n'a aucune crédibilité. Ce qui amène un point amusant.

Se plantant devant Louise, il l'envisage bien en face. La lueur des flammes éclairant son côté abîmé, laissant l'autre dans l'ombre.

Les gens pensent que je carbure à l'argent et aux récompenses. A la renommée et à la gloire. En fait ca m'amuse de les laisser penser la chose, mon gage d'efficacité est dans mon anonymat ...

Le grand doigt effleure le menton de la châtelaine. Dante a tout du matou qui a bu tout le lait et bouffé la canari.

Je ne pensais pas que tu te serais laissée abuser. Je veux être payé, oui. Mais il y a beaucoup de façons de réclamer son dû. J'aurais pu être souple... Si il ne m'avait pas menacé et offert terres et femme dans le même souffle... Sans me demander mon avis, me demander ce que je souhaitais d'autres, en me faisant déplacer pour rien. Sans lui demander son avis à elle probablement. Ce que je reproche à vos mâles, ce n'est pas tant le manque de l'honneur que l'irrespect qu'ils portent à la gent féminine. Qu'il sue un peu et qu'il tache son froc... Ca ne me donnera pas le titre mais je m'en fou. Je suis étranger mais pas con, ca n'avait que peu de chances d'aboutir mais j'aurais même payé pour chasser Gaubert... Garde ca pour toi. voir les cygnes s'entre-dévorer est un spectacle digne de Zhak'Bar ca vaut la peine crois moi.

Bien sûr qu’il le fait exprès. Pour autant, elle n’est pas effrayée. Non, elle est plutôt agacée, parce qu’il prend tout cela à la légère. Il y en a qui serait certainement en train de se faire dessus, à le voir agir comme ça, avec cet air de gros chat satisfait, à le voir tourner sans arrêt, être en mouvement. Il EST effrayant, ne soyez pas dupe, il l’EST complètement. Sauf pour Louise. Parce qu’elle sait que s’il avait voulu la tuer, ce serait fait depuis très longtemps. Donc, non, elle ne se laisse pas abuser.

- Il t’a offert une épouse et des terres ?

Lorsqu’il avance son doigt vers son menton, elle intercepte le geste en secouant la tête, repoussant la grande main d’un geste lent.

- Cécilie aurait été ravie, j’en suis sûre…

Elle inspire profondément avant de le regarder, d’un air totalement indéchiffrable.

- Tout le monde n’agit pas comme toi, Dante. Très loin de là. Mais soit, j’imagine que tout ce que j’aurais à dire ne changerait rien non plus, donc je me tais.

Elle s’éloigne de lui, enveloppée dans sa cape, pour aller se coller à la fenêtre, le visage fermé.

- Je couvrirai tes arrières ici. Charles de Prademont n’a aucun pouvoir à Fernel. Il est Comte d’Odélian, certes, mais la justice est avant tout l’affaire du Duc de Serramire. S’il fait l’imbécile, je me chargerai de le leur rappeler, à tous les deux.

S’il est un assassin, elle, elle maîtrise son terrain et son sujet. Elle sait quel levier activer si jamais le Comte d’Odélian vient à se montrer un peu trop gênant.

Elle ne dit rien pendant quelques secondes. Elle se contente de regarder le paysage par la fenêtre et d’observer les chevaux. Il est encore tôt, il flotte cette petite brume qui agrémente les prairies au petit matin, de fins nuages, petits éthers humides, qui s’accrochent à un sol qui peine à s’éveiller. Il règne un silence apaisant ici, à l’aube, c’est le moment qu’elle préfère, dans toute la journée. La tête posée contre la fenêtre, elle écoute Dante, sans le regarder.

Louise est rassurée sur le bon sens de son frère mais pas du tout sur le reste. Elle ne lui en dira toutefois rien du tout.

- Je surveillerai tout cela d’aussi près que je le peux. Pour le reste agis comme bon te semble.

Elle s’écarte un peu de la fenêtre avant de le regarder à nouveau, en silence. Longtemps.

- Si tu as des preuves de ce contrat, quelles qu’elles soient, mets les en sûreté. Peut-être que nous pourrions en avoir l’usage, un jour ou l’autre, qui peut le dire…

Ce qui compte, c’est qu’il soit en sûreté. Ici ou en Estrevent. Ici, elle gère la situation. Là-bas, c’est lui qui contrôle. Donc à priori, il n’y a pas à s’inquiéter outre mesure. C’est juste qu’elle serait seule au monde s'il venait à disparaître. Vraiment seule au monde. Et le voilà à nouveau sur le point de partir. Alors elle s’éloigne du mur et le rejoint, se plantant face à lui avant de demander :

- Je peux ? Tu vas partir longtemps et je sais pas quand on se reverra.

Dante peut dire que l'intégration du concept de famille dans son vocabulaire usuel se passe bien. Ca veut dire une attache, un oeil dans le cyclone du chaos et de la destruction. Il a son Sanctuaire à Thaar pour se reposer, avec Cécilie et Shyn'Tae, et il y a maintenant Fernel. Le grand chien fou qu'il était se pose et murit lentement mais sûrement.

Si nous avez besoin d'une preuve, elle se situe sous la forme d'un connard à canne qui respire encore.

Ca va... Je tiens pas en place et tu le sais. Et tu va venir me voir en plus. Je t'envoie des gens de confiance qui pourront t'assister en cas de problème...

Et devenir un centre d'information sur ce qui se passe en péninsule. Mais il est certain que Louise a très bien compris aussi l'usage. C'est ca qui est bien avec elle, elle a une tête pour réfléchir.

Tu peux te fier à Eugène aussi en cas de pépin. je t'apprendrai sûrement rien en disant qu'il est mes yeux. Il a rien d'un bon assassin, mais il est un bon observateur et il est malin.

Alors sans lui donner de permission, il prend cet air de matou narquois quand il prend Louise dans ses bras pour lui donner cette étrange étreinte dont il a le secret. Même si les spasmes de répulsions qui le caractérisent sont toujours là, séquelles d'épreuve innommable, il la tient tout contre lui.

T'inquiète, il m'arrivera rien.

Elle lui répondrait bien qu’elle ne lui fait pas trop confiance, à cet Eugène qui est arrivé ici avec Elazar. Silencieux, étrange, toujours l’œil qui traîne, elle n’aime pas tant ces manières là mais elle s’en accommode parce qu’il fait partie des meubles apportés par l’Intendant. A dire vrai, elle n’a jamais eu de réelle conversation avec lui donc…

- Si tu lui fais confiance, je suppose que je peux, moi aussi…

Lorsqu’il l’attire tout contre lui, elle aussi a un petit mouvement de recul. Pas parce qu’elle a peur de lui mais uniquement parce que cela fait longtemps qu’elle n’a pas reçu un seul geste désintéressé comme celui-là, un tout petit geste tranquille. Elle ne les autorise pas, elle ne s’y autorise pas davantage. Parce que si ça devient une habitude, c’est difficile de s’en défaire et ici, à Fernel, il n’y a personne qui pourrait les lui donner, ces moments là. Il n’y a qu’avec lui qu’elle peut se permettre un peu de relâchement. Juste un peu, de loin en loin, pour se rappeler qu’elle n’est pas un automate sans cœur ni sentiments.

Le serrer un peu, lui, ce grand dadais qui sait tout d’elle, c’est s’autoriser un moment de joie gratuite, un petit moment pour rien, les yeux fermés. Et ces moments là sont rares, ceux qui voient un frère et une sœur unis dans le silence d’une chambre peu éclairée, loin de tout témoin. Elle écoute ce cœur qui bat si fort, à un rythme étonnamment bat et régulier, avant de sourire et de déjà rompre l’étreinte. Louise sait à quel point c’est douloureux pour lui, elle ne reste pas plus que de besoin. Elle se contente de sourire à Dante, un vrai sourire gentil et doux, avant de replacer correctement une mèche de cheveux noirs derrière son oreille puis de tapoter doucement son torse. Un tout petit geste de tendresse.

- Va…Nous nous reverrons à Thaar. Prends garde à toi, mon frère.