Vienne la nuit sonne l'heure | Gaël

Hiver ~ 12e jour de Verimios an 17:XI
Agora d'Ys

Le douzième jour...

J'avais négocier avec le tenancier pour avoir ma journée de libre. Je n'aurais pas du.

Je n'avais pas passé la journée à guetter. Je n'avais pas non plus passer la journée à tenter de chercher au plus loin de ma mémoire si le jour était le bon. N'était-ce pas une ennéade plus tard ? Non. Loin de moi l'idée de me laisser aller à pareil sensiblerie... Bon sang... Je m’écœurais moi-même.

Après tant d'heures à attendre et à ressasser, je ne savais toujours pas à quoi je m'attendais en respectant la parole que j'avais donné à cet imbécile idéaliste l'année passé.

Assise sur un banc de pierre à l'ombre d'un olivier devant l'auberge des Deux Soleils, je laissais mes yeux souffrir la lumière du soleil couchant. Lavée de frais, et la peau parfumée d'huile d'argan et d'iris, mes cheveux courts étaient laissés libre, frôlant à peine mes épaules. J'avais passé le sari bleu ciel brodé d'argent offert par cette maudite princesse. La brassière de satin blanc que je portais dessous laissait mon ventre exposé à la vue de tous. Je pouvais sentir la brise lourde et la lumière du soir caresser ma peau laiteuse.

Et mon cœur qui battait lentement. Profondément.

Pourtant je le savais bien... Un cœur qui flanche est un cœur mort.

L'immortalité, voilà ce qui primait. D'abord les recherches, puis les trouvailles, puis je pourrai vivre. Je pourrais vivre.

Alors pourquoi me faire du mal ainsi ?

Dans un concert de froissements, un profile s'est posé à côté de moi. Avant même qu'il ne réajuste sa posture, posant les coudes sur ses genoux, mon cœur a fait un bond jusque dans ma gorge. Devant moi, le ciel et le soleil sanglant.

Quelques mots. Une phrase à peine.

Que dire ? Que faire ?

Ô Gaël... Pourquoi es-tu revenu ? Cette fois tu ne peux pas dire que tu n'es pas au courant. Tu ne peux pas jouer les innocent, ni auprès de moi, ni auprès de Missède.

Contre ma peau, je sens la pulsation forte et franche d'une essence puissante. Une chaleur qui en émane pour nous caresser en une si belle preuve de pureté. Certaines choses se cachent. Mais pas à mes sens. Pas à nos sens.

Je déglutis avec application.

Pourquoi ? J'étais sur le point d'aboutir, de me lancer dans de véritables recherches. J'avais l'avenir à porté de main. Alors pourquoi ? Peut-être que l'important n'est pas de comprendre...

Doucement, en un mouvement raide, je m'éloignais légèrement tout en restant sur le banc, pour pouvoir basculer vers lui. Ramenant les jambes sur l'assise, pelotonnée, je logeais ma tête sur ses cuisses comme lui l'avait fait tant de fois dans son enfance. Le paysage avait l'air si différent de travers. Une longue inspiration gonfla ma poitrine jusqu'à sa limite et se termina en un soupire de détente. La seule main que j'avais de libre était posée sur son genou, près de mon nez.

Un contact désuet.

Je restais ainsi un moment, jusqu'à ce que le décor penché me fasse tourné la tête. Où était-ce la présence et le contact de cet idiot naïf ? Dans tous les cas, je me sentais mon esprit ankylosé se détendre au même rythme que mon corps.

Mes paupières se laissent tomber. Les murmures susurrent des conseils. La brise fait bruisser les feuilles de l'olivier. Les clients non loin parlent et rient. L'air qui s'engouffre dans la poitrine chuinte en se sauvant pour mieux revenir à nouveau.

On dirait le ressac de la mer.

- Comment a été le voyage ? Et comment va ton épouse ?

Des mots légers. Des réponses qui ne sont importantes que parce qu'elles sont portées par une voix longtemps attendue. Il a changé. La sonorité de son souffle et la façon dont son timbre de voix résonne dans sa poitrine, tout cela n'est plus juvénile. Je ne m'en étais pas autant ému la dernière fois. Une question émerge. Quel âge a-t-il a présent ? Cela fait longtemps que j'ai perdu le décompte du temps depuis mon départ et il me faut recalculer les durées en repartant de la date d'aujourd'hui.

Vingt-cinq ans ?

Je doit paraitre réellement plus jeune que lui à présent...

Un instant, mon esprit s'égare dans les décades à venir. Inchangée à côté de la vieillesse, jusqu'à l'anéantissement de tous ceux que je connaissais... Une fraction de seconde, mes études me parurent plus altruistes qu'elles ne l'étaient auparavant. Heureusement, la réalité retrouva rapidement sa place. Les croyants méritaient ce qu'ils recevaient, quant à ceux qui auraient pu être saufs... Une soudaine bouffée d'angoisse me noua la gorge à l'idée que Gaël soit exposé à ce que j'avais vu... Et une autre tout aussi puissante à l'idée qu'il prenne conscience de la nature réelle du monde.

Les doigts qui quittent mes cheveux me ramènent au moment présent. Ma main s'est un peu resserrée autour du genou du jeune homme.

... Et mon cœur se glace aux mots qu'il prononce.

Un coup de poignard me transperce le nombril et me lacère de l'intérieur. Mes muscles sont de nouveau tendus, mais je ne me relève pas. Je me forçais seulement à répondre, l'esprit arcbouté sur cette phrase et aucune autre pensée.

- Félicitation, Gaël. Je suis certaine que tu seras un père formidable. Tu l'es déjà après tout, et je n'aurai pas pu rêver d'un meilleur père. "

Je déglutis avec difficulté.

Mes doigts vinrent couvrir ceux de Gaël, mais je ne pu cacher leur raideur.

Les yeux clos, comme si tout ceci datait d'un temps aujourd'hui révolu durant lequel j'étais persuadé qu'il y avait toujours du bon à prendre, un sourire se déploya de nouveau sur mes lèvres, plus ample. Gaël avait l'air si tranquille. Les vœux et les souvenirs qu'il apportait si simples. Bordés et pétris de tant d'inconscience. De tant de naïveté.

De tant de lumière...

- Je vais bien. " commençais-je par susurrer, serrant les doigts croisés entre les miens.

Bonheur ?

Des iris dépareillées s'imposèrent à ma mémoire avant que je ne les chasse d'un froncement de sourcils.

C'était un mot si vague. Une aspiration opportune pour ceux qui ne se rendaient pas compte des enjeux d'un monde sur le déclin.

- J'aurai bien le temps d'être heureuse. Pour l'instant j'ai des projets plus importants. "

Sans doute n'aurais-je pas du prononcer ces mots. La pente de la vérité était glissante et il n'avait pas à m'y suivre... Pourtant quelque chose en moi souhaitait le voir prendre conscience de ce qui se déroulait autour de lui, d'Elda à Diantra en passant par Alëandir. Une chose qu'une multitude de voix approuvent et réprouvent à la fois. Le secret est gage de sécurité et la sécurité de victoire. Mais puis-je vraiment l'abandonner à son sort ?

- Je pense acheter un petit endroit à moi d'ici peu. Sûrement à Thaar ou à Sol'Dorn. Où je pourrais lire et étudier. Je pourrais peut-être t'envoyer un ou deux livres à l'occasion... Pour ta fille et son frère. Qu'en dis-tu ? "

Avec une surprise certaine, je constatais que l'enthousiasme de Gaël a vouloir m'offrir tant et plus ne me révoltait pas. C'était... étrange. Enfin... C'était limpide en vérité. Il pouvait promettre et vouloir. Il ne savait pas ou faire envoyer ses faveurs et ne le saurait jamais. Ses douceurs et ses envies étaient comme autant de pensées tendres qui ne me suivraient que le temps que je leur accorderai.

- Envoie moi plutôt de la résine de pin. Impossible de trouver d'en trouver de bonne qualité par ici. Pour l'entretien des instruments c'est un calvaire. " sourit-elle à défaut de lui faire savoir que les biscuits aux dattes des Vaanis valaient largement les pâtes de fruits de chez eux et que le miel y était deux fois moins cher.

Si je n'étais pas si confortablement installée, je l'aurais serré dans mes bras. D'autant plus lorsqu'il posa sa question suivante. Elle était si incongrue que je ne put m'empêcher de rire un peu. Par les Anciens ! J'avais oublié à quel point les péninsulaires dans leur ensemble étaient aveugles et inconscients des choses du monde.

- Pardonne moi. " souriais-je en gigotant pour me tourner sur le dos, ouvrant les yeux pour voir son visage flouté et déformé par la perspective. " Les Eldéens ne 'reviendront' pas. Gaël... Depuis que je suis ici, j'ai appris que ceux qui ont ravagé le nord n'étaient pas les soldats d'Elda mais de simples fous religieux. Des francs tireurs fuyant l'armée, des fanatiques et des cultistes, tous menés par un Haut Prêtre dévoué à leur déesse de la douleur et de la résilience. "

Je visais approximativement la tâche de couleur claire devant être la joue de mon très jeune frère pour une caresse tendre.

- Écoute, je ne sais pas ce qui se dit en péninsule ces derniers temps mais les eldéens se moquent éperdument du royaume. Ils sont venus jusqu'ici pour reprendre Sol'Dorn et ils l'ont fait avec bien plus de bonté et de paix que nombre des seigneurs que j'ai eu l'occasion de voir à l’œuvre. Ils ont refusé d'affamer les civiles en limitant seulement les produits de luxe et ont laissé deux ans aux autorités de la cité pour trouver un compromis acceptable. Il ont finalement attaqué en découvrant que les Dorniens avaient préférés manger leur population humaine que de se limiter aux denrées de base. Puis ils sont repartis chez eux en laissant seulement de quoi protéger et pacifier leurs terres.  Il n'y a pas eu la moindre effusion de sang dans les principautés. De plus, les sombres d'Elda ne naviguent pas. Pour arriver jusqu'au Nord, ils devraient passer par Grand Bois, donc attaquer les elfes, Naelis et les bandits de La Dross sur le chemin. Avec les elfes qui descendent de plus en plus au sud et les Princes Marchands qui viennent de signer leur arrêt de mort en recourant à des exécutions sommaires de doeben et de forgerons au sein de leur propre peuple en essayant d'accuser des péninsulaires, les eldéens ont largement autre chose à penser que de s'en prendre à quelques humains dépourvus de magie sur un rocher excentré de leur cible séculaire. " Mon sourire confiant se fit plus doux pendant que je m'emparais de sa main. " J'ai croisé leur reine il y a quelques années à Thaar. Elle est bien pire que n'importe quel fanatique : intelligente, rusée et patiente. Elle est consciente de ses ressources et toutes ses décisions montrent qu'elle n'est pas du genre à les gaspiller. Chez eux, elle a même affranchi tous les esclaves qui n'avaient pas atteint la majorité. Si guerre il y a pour les vôtres, c'est qu'ils auront contraints Elda à s’intéresser à eux. "

Les lois du monde étaient si compliquées... les points de vue si différents des rumeurs et des fantasmes. Je n'avais qu'une seule certitude, c'est que rien n'était jamais joué d'avance. Bien sûr, les drow d'Elda pouvaient décidé de marcher sur la péninsule à tout moment, mais pourquoi faire alors que ça les obligerait à tourner le dos à leurs ennemis de toujours ?

Et en réalité, j'avais une autre certitude : Gaël était un chevalier. Et tout chevalier espère une noble cause le menant à partir en campagne pour gagner des batailles jusqu'au point d'orgue qu'il appelait victoire et qui n'était en fin de compte qu'un charnier de plus. Et tout ça pour quoi ? Le nom d'un dieu ? D'un roi ? Tant que sa propre liberté n'était pas impactée, pourquoi se battre ? Pourquoi des hommes répandaient la douleur et la mort pour un idéal alors qu'ils ne savaient pas eux-même jouir de la vie et de ses bienfaits ?

Je plissais les yeux, tirant pour accommoder afin de voir clairement les traits de ce frère au visage étranger. Pour intercepter son regard. Qu'il puisse y lire mon avis autant que ce que mes mots venaient de lui apprendre.

Non, je ne pensais pas que prendre les armes soit la solution.

Je ne le pensais pas maintenant.

Je ne le pensais pas non plus du temps ou je gouvernais.

Je ne le penserai sans doute jamais... A moins que cela ne m'amuse ou ne m'intrigue.

Mais par pour lui. Pas de cette façon.

Que le monde s'écroule autour de lui, j'étais pas gênant du moment qu'il préserve son havre de paix. Du moment qu'il survive... Pour le moment. Je ne voulais pas pensé à la fin, par pour l'instant... Et pourtant...

- Mais s'ils exigent de toi que tu te battes... Ou pour n'importe quel autre raison... " Non... Ne dit rien. C'est une erreur. Une grosse erreur. Je me redressais pour le regarder face à face, toute proche. " Si un jour, tu sens que la mort te guette, que ce soit un complot, une blessure ou une maladie, promet moi d'envoyer un message à l'Enchanteresse, au colombier de la boiteuse, au bazar de Thaar. Il me sera transmis. Bon sang Cécilie ! Arrête ! Ni maintenant ni jamais ! Tu t'étais promis de le laisser loin de tout ça ! Maintenant il a un indice. Tu es folle. Tu risques trop, ton but va t'échapper et tu ne pourras plus rien, ni pour lui, ni pour eux, ni pour personne ! " Mais uniquement en cas de véritable danger... "

Un instant, un minuscule instant, je ne peux m'empêcher de me demander si nous avons déjà été si francs avant. Cet avant dans lequel nous habitions sous le même toit. Cet avant dans lequel nous étions ennemis et alliés. Cet avant... dont les lambeaux de mélodies sont si troubles et qui me renvoie pourtant des émotions confuses dont je ne sais que faire.

Front contre front, ma main sur sa nuque, sous ses cheveux bond, la sienne encrée sur ma taille dénudée qu'il flatte comme pour s'assurer que je suis bien là. J'ai fermé les yeux, propulsé à ce que j'étais avant. La brise fait danser quelques mèches. Les murmures constants des personnes autour de nous se noient les unes les autres à l'arrière plan. L'odeur lourde et humide portée par l'air se mêle aux odeurs de son halène et sa peau, bien plus familières que ce joli minois découvert l'an passé. Je m'étonne du nom à côté duquel il me met. Peut importe qui est ce Maël, j'aurai plutôt pensé l'entendre parler de Linaëlle, de ses enfants ou de leurs sœurs. Mais le fait qu'il me promette de faire attention et de me prévenir me suffit... Une raison de plus d'avancer dans nos recherches. De passer à la vitesse supérieure... Même si cette raison, je ne suis pas encore certaine qu'elle en soit vraiment une. Il est dangereux. Il ne comprendra sûrement pas, mais je m'en fiche. Je suis encore loin d'aboutir et il aura tout le temps pour comprendre à quel point la vie doit être saisie à bras le corps d'ici là.

Et pourtant ces Quatre mots...

Prend le comme une preuve d'amour. Ni un jeu cruel. Ni une menace. Mais c'est un exercice assez difficile. Sans reculer ni ouvrir les paupières, je souris.

- Pour devenir chevalier errant en ces terres dépravées et arides ? Angoisses de futur papa ou de Baron qui découvre la politique ?"

Un frisson... Aussi froid que le Néant qui me hante chaque nuit.

De la base de mon dos à l’extrémité de ma nuque, puis le long de mon crâne.

Un nom qui retire toute légèreté, toute détente, toute confiance.

Un tourbillon de souvenirs me reviennent. Un goût de bile dans la bouche. Une douleur au creux des reins. Un dégoût sans borne. Une haine sans fond.

Je me tendais, sans y penser, sans le vouloir. Mon corps seul répondit à ce coup de fouet cuisant qui emportait quelques lambeaux d'humanité. Mon dos s'était de nouveau fait droit, ma posture régalienne. Mes yeux bien ouverts n'étaient que deux taches d’encre entouré d'un fin liseret bleu tant mes pupilles étaient dilatés.

- Tu as confié ton fils et Missède à ce porc inverti... " sifflais-je, la voix soudain glaciale. Je lui avais dit l'an passé pourtant, et si je lui avais expressément demandé de ne pas assister à la nuit parmi les témoins, il ne pouvait ignoré ce qui s'était passé.

Sans un mot, je me levais pour m'éloigner, bien décidé à aller attraper mon sac et tout ce qu'il contenait.

Jadis, le concept de vengeance m'était inconnu.

Et pourtant, je ne parvenais pas à contenir les tremblements de mon corps, aujourd'hui. Tendue, la main de Gaël sur mon poignet devait déjà avoir remarqué que ma peau était anormalement froide, je le dévisageais d'un œil absent.

Au creux de mon âme, des hurlements se déchainaient. Moi contre elles. Elles avec moi. Un soutien après l'échec de leur protection contre moi-même. Ravivant les braises de ce que je tentais d'oublier depuis tant d'années, les sensations me revenaient comme au premier jour. Maël martelait à la porte. Ernest en avait brisé les gonds. Et je me retrouvais là, tétanisée comme je l'étais alors par le simple bruit d'un cheval au galop.

J'étais en paix avant de venir ici.

J'étais en paix !

Je n'avais pas besoin de me souvenir de tout ça. De lui. D'eux ! Ernest et son petit roquet de Béjarry.

L'envie quasi irrépressible de sentir son sang sur ma peau aussi intimement qu'il avait senti le mien faisait battre mon cœur plus fort. De bon droit. Je le briserai des pires façons et je me gorgerai de tout ce qu'il avait été sans mettre fin à ses souffrance. Je le regarderai me supplier jusqu'à ce que son Souffle tombe en poussière au fil des mois. La joie simple de l'entropie la plus pure. Et la faim se mêlait à la haine. Je n'aurai pas la prétention d'appeler ça justice. Oh non. Rien était juste en ce bas monde, mais c'était le seul que je pouvais avoir.

Alors il était temps de balayer ce détritus de la surface de Mon monde.

- Très bien... Je te fais confiance. Je ne rentrerai pas tout de suite alors. " lachais-je roidement en renonçant pour un temps à aller chercher mon paquetage pour embarquer sur le premier bateau. " Mais soit assuré que je rentrerai quand même. Aucun enfant ne deviendra comme lui. " Je m'efforçais de respirer à fond pour retenir les instincts les plus sombres de mon être, mais les murmures étaient anormalement agités. La seule chose qui me retenait de sauter dans le premier bateau était l'impératif qui nous attendait de ce côté de la mer. " Attaque toi à Alden de Béjarry. Il est à la tête de la Garde de la Bibliothèque et il était gouverneur d'Isgaard après le départ de son dévoué maître. C'est le meilleur ami de mon cher époux. Aussi habile avec une lame à la main qu'avec une queue dans la bouche. " ajoutais-je avec dégoût. L'homme qui avait volé l'espoir d'un mariage de convenance réussi avant même qu'il ne soit atrocement consommé.

Et pourquoi regretté encore le désastre de ce faux serments ?!

J'étais décidément irrécupérable...

Le cœur au bord des lèvres, sans m'être défait de la main de mon frère, je tournais le regard vers les rayons rougeoyants du soleil. Pourquoi me torturer encore avec ce passé si futile ?

Dans le silence, je restais muette. Il faudrait que Gaël reste coi pendant un bon bout de temps avant que je ne trouve le courage de prendre à nouveau la parole, retranchée derrière les murailles de glaces qui gainaient mon corps aussi sûrement que les cours d'étiquettes implantés dès nos premiers pas.

Aussi étonnant que cela aurait put paraitre, quelque chose en moi se détendit en entendant les quelques mots murmurés à mon oreille. Une promesse qui me semblait familière et que, pour autant, je ne me souvenais pas avoir déjà entendue. Une promesse simple et mensongère. Un cliché récité aux enfants plus qu'un véritable engagement.

Mais il fallait croire qu'un cœur de pierre pouvait encore battre un peu quand le temps d'avant revenait le trouver.

Aujourd'hui, comme ça n'était jamais arrivé, ce qui était derrière se retrouvait devant et tourner la tête ne suffisait plus. Ma main, si gracile à côté de celle de mon frère, serra ses doigts plus ardemment. Puis je finis pas combler totalement la distance entre nous pour l'enlacer, enfouissant mon visage au creux de son cou. Renoncer à son regard si semblable au mien n'était rien contre la chaleur de son contact et son odeur familière.

- Je te fais confiance. " me contentais-je de répéter entre ses mèches blondes avant que quelque chose de plus lointain ne m revienne. "... Merci... "

Les voix lointaines qui sifflaient en moi me tenaient en alerte, et à raison, mais elles comprenaient enfin que lutter contre lui était futile pour l'instant. La seule tension venait du secret. Le secret était toujours là et tant qu'il serait là, il y aurait à la fois risque et espoirs. Pour moi. Pour eux. Pour lui.

Ma gorge était serrée à m'en faire mal. Notre conversation repassait dans mon esprit et avec elle le flot de parole que j'aurais aimé avoir la franchise de prononcer.

- J'aimerai passé plus de temps avec toi, mais je... J'ai... " J'essayais plusieurs fois de prononcer le mot terrifiant qui me bloquait la gorge, sans y parvenir. J'aimerai tant... J'en aurai tant besoin... Mais je veux qu'il parte. Loin. Pour toujours. " Si tu restes, tu verras des choses bien plus sombres que ce qui peut hanter tes cauchemars. Je ne veux pas que tu sois confronter à tout ça avant que mes recherches aient abouties. Je trouverai un remède qui nous permettra de vivre heureux, comme nous l'entendons, mais je n'ai pas encore fini. Et le savoir vivant m'emplit tellement de colère... Je ne pourrai pas t'ordonner de partir, mais si tu restes près de moi dès maintenant, tu finiras par me haïr."

C'est tellement plus facile.

Évidemment, je demandais lequel. Évidemment, je râlais et repoussais sa main lorsqu'il s'en prit à mon nez. Évidemment, je lui lançais un regard noir.

- Bon sang ! Ce que tu es puéril ! " Mais face à mon maintien régalien, il n'y avait qu'un sourire solaire et je découvrais pour la première fois la façon dont ses yeux pétillaient lorsqu'il riait vraiment, sans angoisse ni trouble.

Un coup en pleine poitrine vint me faire battre le cœur d'une chaleur douloureuse et finit malgré moi par me faire sourire puis rire un peu. Ma main vint caresser sa joue avant de retomber sur la sienne. Peut-être gardait-on une blessure en nous, comme une éclaboussure de boue, mais elle ne changeait rien pour l'instant. On se retrouvait à rire encore pour des bêtises, comme des enfants.

Le soulagement de le voir partir se liait à la joie de savoir qu'il reviendrait... Et qu'il resterait quelques jours de plus.

- Et bien peut-être pourrions-nous mettre ton faux nom à l'épreuve ? Si tu peux rester quelques jours, qu'aurais-tu envie de voir ? D'essayer ? De découvrir ? Ou peut-être puis-je t'aider en quoi que ce soit ? " Enthousiaste, je m'oubliais. A l'affut, mes compagnes de toujours m'assuraient doucement de leur protection, me laissant me complaire dans l'absence de temps.

Au fond de mes pupilles, elles veillaient.

Je fronçais les sourcils mais retint mon envie d'envoyer bouler mon très cher frère et son amour indescriptible pour les titres dépourvus de toute noblesse. Parmi tous les noms et les grades que nous donnions dans notre contrée d'origine, celui-ci était sûrement le plus dénué d'importance. Rien que de penser à un adoubement factice me révulsait.

Mais je ne voulais pas tout de suite plonger Gaël dans l'obscurité. Je devais bien m'accrocher à cette idée pour ne pas réagir et préférais me lever en le tirant par le bras.

- Et je te nomme cible préféré des tire-laine. J'espère que ta bourse est bien garnie et bien cachée, Monsieur l'aventurier, car la nuit ne fait que commencer. "

Quelques minutes plus tard, nous descendions les pentes douces et les escaliers raides de l'agora. J'étais accroché au bras de mon frère et nous échangions quelques mots à voix basse sur ce qui nous entourait. Les rues grouillaient du monde alors que la nuit venait juste de se refermer sur la ville. Les lampions et les fenêtres des lieux de fête encore ouverts illuminaient le pavé, excepté dans les zones de travaux, bien plus nombreuses qu'à mon dernier passage.

- J'aurai put t'emmener aux Haut-Fourneaux qui ne s'arrête jamais, ou aux ruines de l'autre côté du fleuve... Il y a aussi une très intéressante tour calcinée pas très loin. Mais bon, comme tu semblait vouloir découvrir la vraie vie d'ici hors des contrats commerciaux, je pense que quelque chose de plus typiquement Vaani te permettrait de sortir la tête du sable. " et de tous les problèmes qu'il devait avoir à gérer depuis que ce n'était plus moi qui me prenait les coups de martinets en place publique.

Arrivés au niveau du sol, il ne fallu plus que quelques pas pour nous retrouver devant un établissement en pierre. Autour des fenêtres et sur toute la surface de la façade, une fresque avait été peinte en couleur vive. Deux cascades, des cours d'eau, des poissons chamarrés, des créatures féériques et de beaux jeunes gens dévêtus s'amusant dans ou autour de l'onde. Je passait devant avec un sourire amusé, le maintient toujours aussi droit, et poussait la porte sans accepter d'expliquer ni la raison, ni ce qui se trouvait exactement derrière ces images racoleuses.

A l'intérieur, nous arrivions tout de suite dans un hall dont le sol était entièrement couvert de mosaïques usées par le passage des visiteurs. Des scènes de liesse à dominantes bleutés s'étendaient sous nos pieds. Un grand homme qui aurait eu environ une quarantaine d'année s'il avait été de notre race vint nous accueillir, les bras ouvert et le sourire aux lèvres.

- De nouveaux amis. Bienvenu à la Lamia Joyeuse. En quoi le propriétaire de ces humbles thermes peut-il vous aider ?

La veste sans manche qu'il portait au-dessus d'un pantalon de toile légère était largement ouvert sur un torse à la peau d'un gris cendré. Pied nu et cheveux noués en une longue tresse, l'homme dardait ses yeux orangés sur nous avec une bonhommie qui ne serait pas mise à mal par un quelconque regard de travers.

- Nous voudrions deux entrées pour le grand bassin et un coffre à verrou pour déposer nos affaires.
- Avec plaisir, belle dame. " S'en suivirent quelques passes de négociations enjôleuses pour parvenir finalement à un compromis acceptable, avant que je ne me tourne vers Gaël d'un air entendu, sans faire mine de plonger vers ma propre bourse.

En Ithri'Vaan, comme il y avait taverne et tavernes, marchands et marchands, il y avait thermes et thermes. Celui-ci avait une réputation de longue date, un honneur a défendre et des professionnels à même de satisfaire les clients fortunés. Bien sûr, la conception de l'hygiène était aussi différente en péninsule que celle de la pudeur, surtout en ce qui concernait la différence des genres et des races... Mais c'est exactement pour cela que j'avais choisi ce lieu de chute.

Après m'être changée et enroulée dans une serviette sans émettre le moindre commentaire, je retrouvais ce cher Gaël avec un sourire moitié sororal, moitié taquin. Devant nous, peaux noir, olivâtres, brunes et blanches cohabitaient avec des courbes voluptueuses, des muscles saillants et de rondes bedaines bien portantes. La plupart portaient leur drap sur l'épaule ou les hanche, sans chercher à cacher quoi que ce soit. Des rires, des discussions au douces sonorités oliyanes par petits groupes. Certains semblaient plus sérieux, parlant affaire, d'autres riaient en mangeant, à demi immergés. Au fond de la salle du bain chaud, on devinait l’entrée de plusieurs étuves usant de vapeur d'eau. Des bancs et des espaces pour s'allonger s'étendaient le long de tous les murs, accueillant d'autres discussions ou flirt à peine voilé. Enfin, sur une enclave un peu en surplomb, plusieurs jeunes gens, hommes et femmes, dansaient en exhibant leurs plastiques parfaites et passablement dénudée.

- J'étais certaine que ça ferait son effet. " soufflais-je à mon cher petit frère en me retenant de rire face à son expression. " Bien venu en Ithri'Vaan ! Allez, c'est par ici. "

Sans attendre, ne tenant mon drap que d'une main vaguement attentive, je m'emparais de son poignet pour le tirer en avant. Des gens présents, ni lui ni moi n'étions les plus laids et très loin s'en fallait, mais l'amas bigarré nous évitait d'attirer véritablement l'attention.

En passant près des bassins, une jeune femme aux longs cheveux noirs portant une courte robe blanche rendue transparente par l'humidité nous interpela, proposant ses services pour danser ou laver à la convenance de ces messieurs dames. L'air de rien, elle laissa trainer sa main sur l'épaule de mon chevalier de frère tandis que nous continuions à avancer vers les étuves.

Derrière la lourde porte, la chaleur humide nous sauta au visage avec ses senteurs de fleures exotiques. La pièce n'était pas très grande par rapport aux immenses bassins communs. Un homme entre deux âges, assit dans un coin nous salua de la tête avant de s'en retourner à son boulier. Mis à part lui, il n'y avait qu'une seule autre personne. Une femme. Étendue de tout son long sur le rebord couvert de mosaïques, sa peau couleur du bois tendre était couverte de tatouages cabalistiques et de quelques cicatrices peu voyantes. Sur le ventre, sa silhouette finement musclée semblait entièrement détendue. Ses cheveux bruns coupés courts cachaient le peu de son visage que ses bras croisés auraient laissés voir.

J'attirais Gaël jusqu'au mur opposé dont le rebord était entièrement libre. Sans hésiter, je m'asseyais sur le rebord et attendait qu'il s'installe près de moi pour me tourner afin d'étendre mes jambes, lâchant enfin mon drap. Mon dos nu vint se caler contre son épaule et je laissais couler un soupire de délectation en laissant doucement les muscles de mon cou se relâcher.

- Je ne connais rien de plus relaxant après un long trajet, mis à part le bain lui-même peut-être. " susurrais-je comme si tout cela était parfaitement normal. Les questions sur son malaise et sur son envie d'explorer la régions ne viendraient que plus tard. " Tu verras, les massages sont divins. Et puis commencer par un petit commité serait moins troublant pour toi que de te jeter tout de suite dans le grand bain. " L'homme au boulier se leva pour quitter la pièce, nous accordant un bref signe de tête. " Avant de partir en courant, tu me préviendras ? "

Les Vaanis savaient décidément vivre. Finis les bains tiédis dans un sabot de bois à peine assez large pour y poser ses fesses. Finies les toilettes de chat avec un gant frigorifié et un savon sans parfum. J'avais bien eu un peu de mal à m'y faire au début, mais l'habitude s'était vite installée et maintenant, j'aurais été bien en mal de m'en passer.

En réalité, la douceur de ce lieu dont la chaleur parvenait presque à chasser le froid de mes os participait à ma bonne humeur à part égale avec la façon dont je sentais Gaël se battre férocement avec sa raideur morale. C'était à se demander si le "nous" qu'il utilisait n'était pas un pronom de majesté au lieu de m'inclure dans ses réflexions. Bon... D'accord, c'était assez peu charitable. Mais s'il voulait revenir un jour pour passer un peu plus de temps avec moi, autant qu'il découvre l'Ithri'Vaan par ses bon aspects avant de voir les pires. Et puis s'il n'arrivait pas à supporter cette soirée, il était préférable qu'il me tourne le dos en me croyant simplement dépravée.

Chassant ces idées noires, j'avais surtout une irrépressible envie de l'asticoter un peu. Une petite voix à l'oreille qui m'incitait à aller un peu plus loin. A sa question sur ma tenue, je répondais d'une question en laissant aller ma tête sur son épaule. Encore un peu plus loin... Depuis combien d'années n'avais-je pas eu ce genre de lubie enfantine ?

_ Et… euh… tu viens souvent ici ?
- C'est plus agréable qu'un lupanar, non ?
_ Je ne pense pas que la comparaison soit pour le moins... judicieuse.
- Pardon, c'est vrai que toi et ton ami ne quittiez pas la cour pour ce genre de bagatelles.

Je ne put empêcher un rire assez peu charitable de franchir mes lèvres mais mon cœur se serra. Bon sang mais je cherchais vraiment à le mettre en colère ?! Cécilie, ma chère, que te prend-il ? Ce n'était pas de l'esprit, c'était de l'insulte pure et simple. Lui reprocher ainsi ses aventures adolescentes, mais qu'est-ce que tu en as à faire ? Au contraire, s'il profitait de la vie sans les carcans imposés par notre entourage, n'était-ce pas mieux ? La confiance qu'il plaçait en moi rien que ce soir n'était-elle pas suffisante ? Son dos était raide comme du bois et pourtant il avait accepté de me suivre les yeux fermés...

Je passais une main dans mes mèches alourdies par la vapeur.

- Pardonne moi. " ajoutais-je rapidement en me redressant de manière plus convenable, sans me couvrir pour autant. " Mes mots ont dépassés ma pensée. J'ai perdu l'habitude de discuter avec des gens aussi retenus que toi ces dernières années. " Ou en tout cas ce n'était pas de façon amicale. J'avais passé trop de temps à me faire juger sur des fantasmes pour accepter les critiques qu'elles soient fondées ou non. Ma voix plus posée resta égale tandis que j'essayais d'expliquer la chose pour la première fois depuis... toujours ? " Avec ta question, j'ai eu l'impression de devoir encore justifier mon mode de vie. Et ça je ne le tolèrerai pas. Personne n'a le droit de me prendre de haut. "

Je m'étonnais moi-même de ne pas entendre de froideur ou de dureté dans ma voix... Et je m’écœurais d'y sentir une pointe d'espoir. Même après tout ce temps je ne pouvais pas m'en empêcher... La présence des Lamentation se frotta comme un chat aux limites de ma conscience. Elles avaient toute ma reconnaissance, mais je ne pouvais pas pour le moment.

Doucement, je lui intimais de ne pas se retourner, lui promettant au besoin de ne rien faire d'étrange, et me faufilait entre lui et le mur pour poser mes deux mains sur ses épaules tétanisées. Plus d'une fois, j'avais traité les tensions d'un corps mal en point.

- Laisse moi faire. Un ami m'a appris. "

Entre mes leçons d'anatomie et la mise en pratique dans des cadres allant du traitement d'une épaule déboité au massage intégral réprouvé par la morale, je me débrouillais assez bien pour ne pas craindre une nuque contractée.

- Pour répondre à ta question, je viens souvent aux thermes, mais pas ici en particulier. Je ne suis pas du genre à avoir une adresse préférée... Et tu sais, puisque tu voulais explorer l'Ithri'Vaan, je ne voyais pas meilleur endroit par lequel commencer. " L'effleurant à peine tant il était tendu, je remontais un moment à la base de son crâne avant de redescendre sur ses trapèzes. " C'est ça l'esprit d'Ithri'Vaan. Ce mélange d'origine, de races, d'âges et de croyances qui cohabite dans la tolérance et laisse chacun libre d'être ce qu'il souhaite. Ici, une seule chose sépare les gens : leur richesse. Et pourtant les Vaanis restent un peuple aux milliers de visages, uni par l'amour du plaisir, de la liberté et de la vie.

Je ne te demande pas de coucher avec la première venu ou même de te montrer nu si tu ne le désires pas, mais tu m'as toi même dit qu'à Missède, tu avais beaucoup à gérer. Je sais ce que c'est, crois moi. Alors tu pourrais essayé de profiter un peu et de poser tout ce qui pèse sur tes épaules. C'est l'occasion d'une soirée. "