[Quête du Mogarium] Des débuts prometteurs

Spoiler:

9ème jour, de la 3ème ennéade de Vérimios, premier mois de l’hiver. 17ème année du XIème cycle.
Salle du trône de Kirgan – Deux jours après le banquet royal célébrant l’Althinkalan

Le début de règne de Harald avait été festif, joyeux et ô combien animé. Le festin royal avait été un franc succès, tous les thanes et tous les nains ayant fait le déplacement jusqu’à Kirgan, purent participer, sous le regard bienveillant des anciens, placés alors au centre de toutes les tablées, comme un signe de la volonté de Harald de poursuivre la politique de Hardrek, en faisant du culte des anciens, un culte toujours placé au centre de son projet pour le Zagazorn.

Mais le culte des anciens n’était pas l’unique projet politique de Harald, ça non. L’ancien soldat, ancien capitaine, ancienne première hache de Lante et ancien Gazanundi de Lante, avait déjà plusieurs projets en route alors qu’il dirigeait Lante. Aujourd’hui, en tant que Grand-Roi, ses pensées n’étaient plus focalisées que sur l’avenir de son peuple et de son royaume.

Son peuple, son royaume… Quelle étrange façon de s’exprimer dorénavant. Non pas qu’il ne l’a jamais fait, Harald a toujours parlé du Zagazorn et du peuple Nain comme de son peuple, de sa terre. D’ailleurs, il s’est très souvent battu pour la protéger, souvent au péril de sa vie. La lance qui l’aura pourfendu durant la seconde reconquête d’Almis, et la cicatrice qu’il garde aujourd’hui, lui rappellent assez souvent ses combats et ses sacrifices pour le Zagazorn.

Depuis son accession au trône, Harald n’avait pas chômé. Le banquet avait été un prologue intéressant, passionnant, que dis-je, gargantuesque, à son règne à venir. Mais depuis, il était sur tous les fronts. Il avait eu sa première réunion avec l’Ongaraz de la cité, auprès duquel il reconduisit la confiance de la couronne en le nommant Ongaraz royal. Puis, il avait rencontré le Nain responsable des travaux de la capitale, puis avait lu les rapports des chantiers de l’Ungordrinin. Et enfin, il s’était attelé à la rédaction d’une missive royale à destination… Du Roi des Elfes en personne. Mais voilà, l’exercice semblait cette fois plus compliqué que par le passé. Oh, les Nains étaient au courant de ses tentatives et projets de réconciliation avec les Elfes, et il avait reçu leur bénédiction tout de même. Pourtant, écrire cette missive en tant que Roi, et non en tant que Gazanundi, semblait être plus impressionnant – pour lui – qu’il ne l’aurait cru.

Conformément à ses ordres, tous les thanes des clans de forgerons et de mineurs qui s’étaient déplacés pour l’Althinkalan, s’étaient réunis dans la salle du trône. Les tablées n’étaient plus disposées de façon à faire la fête, mais de manière à ce que chacun puisse voir le trône et réagir devant les autres. Combien étaient-ils ? Harald ne le savait pas réellement. Mais ils étaient là. Il y avait d’ailleurs Thordril, et son thane, placés volontairement à proximité du trône, à l’extrémité de la table placée à gauche du trône. De cette manière, Harald montrait à tout le monde que le projet était soutenu par la couronne. Se présentant, Harald vint directement prendre place sur le trône, sa couronne – ou plutôt celle de Hardrek maintenant sienne – resplendissant des lumières de la salle qui se réfléchissaient sur l’or de la couronne. Une fois installé, il prit la parole, son armure de plate produisant des cliquetis caractéristiques des pièces se mouvant les unes sur les autres.

- Frères et sœurs Dawis, fiers r’présentants d’notre peuple, merci de vot’ présence. C’t’un honneur que d’me r’trouver devant vous. Aujourd’hui, est un jour historique. Si j’vous ai convoqués aujourd’hui, c’pour écrire l’histoire, qu’nos aïeux, qu’nos anciens et qu’nos descendants soient fiers d’parler de ce jour comme celui d’un r’nouveau. Et vous, thanes des clans de forgerons et de mineurs, êtes ceux qui permettront ce renouveau. Il frappe de son poing gantelet sur la table, le métal, résonnant dans la salle comme un gong au son lourd et profond. Aujourd’hui, nous renouons avec le Mogarium !

Il prononça le nom du métal avec une voix forte et puissante. Les paroles se firent écho contre les murs de la salle, et plusieurs thanes se manifestèrent en frappant du poing sur la table, en gratifiant Harald de « Baruk » et autres interjections de soutiens. Mais d’autres, également, se figèrent dans des mimiques plus sombres, plus profondes. Le Mogarium était un métal si rarissime, si célèbre, si… Légendaire. Il faisait également un rappel que Mogar, le Père des Batailles, était également le Père des Nains, et que son courroux destructeur n’était pas si loin. Pourquoi courir après un métal qui fut nommé en hommage à la divinité qui fut l’auteur de toutes les tragédies et autres souffrances du pays depuis presque 20 ans ? Serait-ce une tentative afin de renouer avec Mogar ? Ou juste un désir de retrouver et de retravailler le fameux métal, afin que le Zagazorn redevienne fier, fort, et puissant ?

Sans doute toutes ces questions devaient agiter l’esprit des nains ici présent. Harald savait qu’il serait suivi, mais craignait tout de même de devoir défendre ce projet auprès des thanes les plus récalcitrants, les moins assurés, les plus pessimistes. Après tout, sur les onze derniers cycles, seules des créations furent réalisées dans ce métal légendaire. Pourquoi courir après ?

Quoi qu’il en soit, Harald se tenait sur le trône, fier, et attendait les réactions des thanes. Nul doute que ce projet rappellerait à certain la campagne du Nord ordonnée par Hardrek, qui serait, de toute façon, obligatoire pour y arriver.

C’est avec un frémissement de soulagement que j’entrai dans la salle du trône de nouveau. Ici, il y faisait bien plus doux que dans les couloirs souterrains de la belle Kirgan, qui voyaient leur température chuter jour après jour. En effet, on pouvait entendre l’écho lugubre des vents violents hivernaux qui accompagnaient une saison qui se montrait très rude. J’eus une pensée pour les membres de mon clan qui devaient sans nul doute travailler d’arrache-pied dans nos mines pour déjà préparer les livraisons du printemps. Je soupirai en me confortant à l’idée qu’au moins, ils resteraient bien au chaud dans les entrailles de la Haute-Virnée.

La salle était encore bien vide, j’étais arrivé un peu plus tôt pour trouver une place de choix qui saurait être entendue facilement de l’assemblée. Je m’asseyais avec lourdeur sur un tabouret et patientai en ruminant dans mes pensées. Harald n’était pas encore là, il voulait certainement faire une entrée solennelle en tant que nouveau Groman Rik. Un sourire naquit sur mes lèvres. Incontesté lors de l’Althinkalan et soutenu par nombre de Dawis, on ne pouvait pas dire que son ascension au pouvoir avait été difficile. Toutefois, j’avais eu vent des différents sujets qui nécessitaient sa présence et ses décisions, et pour le coup, les difficultés avaient commencé dès la première heure de son règne. Ces premières semaines allaient être capitales pour cette nouvelle ère pour le peuple Nain, mais je ne me faisais peu de soucis : Harald avait ma confiance, et nombre de Thanes la lui avaient également accordé. Cette réunion pourrait bien changer des choses.

Le hall se remplit assez rapidement, et je vis le jeune Thordril monter sur l’estrade et se positionner proche du trône. C’était pour moi le point le plus sensible de cette nouvelle quête : je savais que de nombreux Thanes verraient comme une marque d’irrespect de choisir une barbe si jeune pour mener cette quête, plutôt que quelqu’un de bien expérimenté. Pour ma part, les quelques paroles que j’avais pu échanger avec lui à la taverne, quelques jours auparavant, ne m’avaient pas complètement convaincu. Celui qui se trouvait juste derrière lui devait sans nul doute être son Thane.

Lorsque Harald entra dans la salle du trône, le silence se fit. Il avait choisi de porter son armure et sa couronne, et je restai bouche bée devant ce spectacle. Son expérience de Gazanundi avait porté ses fruits : il avait une prestance imposante et une aura de force émanait autour de lui. Je jetai un regard autour de moi et remarquai que la quasi-totalité des Thanes étaient aussi impressionnés que moi. Le Grand-Roi traversa la salle pour aller s’installer comme il se devait sur son trône, et prit la parole. Le nom du minerai perdu résonna quelques secondes, auxquelles s’ensuivirent des exclamations de part et d’autre des spectateurs. Visiblement, la quête était restée suffisamment secrète pour surprendre la majorité des Thanes présents.

Le silence retomba peu à peu et nous attendîmes. Personne n’osait prendre la parole, et tous semblaient attendre le moment propice pour déclarer leur soutien, ou au contraire s’y opposer. Mais parler après un nouveau souverain n’était pas chose aisée, aussi les secondes s’éternisèrent avant que le Thane des Hargrund fasse sa déclaration, suivi des quelques mots de son protégé. Sage décision que d’expliquer d’emblée pourquoi une telle quête revenait à un si jeune Dawi. J’approuvai de la tête et me levai à sa suite. Il me semblait primordial que la première réaction ne soit pas en opposition.

« Cette nouvelle emplit mon cœur d’une joie et d’un courage renouvelé. Moi, Braähm Main-Ferme, pense que cette quête est une excellente idée : il est temps de montrer que le peuple Dawi conserve sa puissance et sa gradeur d’autrefois. » Je marquai une courte pause pour fixer notre roi. « Mais, Harald, je crois parler au nom de tous en te demandant pourquoi la charge de trouver, extraire, et raffiner le mogarium reviendrait à un seul d’entre-nous, si jeune de surcroît. Penses-tu vraiment qu’il a les épaules et les ressources pour mener à bien cette quête ? »

Je me rassis, incapable de contenir un sourire. Ma stratégie était simple : je voulais donner l’opportunité à notre Grand-Roi de montrer que si Thordril était en effet la tête de pont, il lui faudrait toute l’aide des Thanes présents ici. La collaboration serait la clé de notre succès. Bien sûr, ce n'était pas le seul point d'incertitude, et je redoutais la réaction des autres Thanes. Je sentais toutefois les poils se hérisser sur ma peau sous l'excitation. J'étais très fier de me trouver dans cette salle, en ce moment si important pour notre peuple.

- Qu’la responsabilité aille à une Jeune Barbe est une bonne idée je trouve.

Pour ceux qui ne la connaissaient pas, entendre ces mots prononcés par la voix rauque de la vieille bourrue au duvet grisonnant devait paraître presque choquant. Ici elle était probablement l’une des plus âgées, et dans un autre clan, probablement aurait-elle depuis longtemps abandonné son rôle de Thane pour entrer dans le Conseil des Anciens, mais chamboulés qu’ils avaient été par le Voile – et par la perte de leurs Aïeux – les siens s’étaient désespérément accroché à tout ce qui pouvait d’une manière ou d’une autre leur tenir lieu de lien avec l’histoire. Ainsi s’était-elle trouvée condamnée à diriger plus longtemps que de nécessaire un clan ayant peur d’aller de l’avant.

- À mon humble avis l’est temps pour nous d’arrêter de courir après des « autrefois ».

Des sourcils se lèvent et des mines se renfrognent. Les messes basses qu’avaient fait taire la voix du nouveau Roi reprirent de plus belles, pour certaines de manière bien peu discrètes. L’une des voix grasses se dégageant du lot était celle d’un nain de corpulence d’apparence plutôt chétive dans ses larges fourrures, pour peu que l’on ne porte pas attention à la solidité des nœuds de bois vivant qu’étaient ses muscles. Vers lui quelques visages se tournèrent, car dans son incapacité à chuchoter, il s’était trahi comme l’un de ceux que le discours de la presque-Ancienne avait profondément choqué.

- Qu’est-ce que ça veut dire ça ? il abandonne finalement l’idée de la discrétion pour s’adresser à la naine Qu’y faut qu’on laisse tomber tout ce qu’on a construit ? Qu’y faut qu’on commence soudainement à ignorer les Ancêtres ?

Et c’est sur cette dernière phrase en particulier qu’il s’est emporté, d’autant plus craintif face à l’insulte envers ceux qui les observaient qu’il était face à celle qui dans cette salle était peut-être la plus proche de les rejoindre. Pour autant elle ne tressaillit pas un seul instant, gardant son imperturbable calme pour répondre.

- Ce n’est pas ce que je veux dire. les petits yeux dardent à gauche et à droite, pour se ficher dans les yeux du Thane des Main-Ferme plutôt que dans ceux de son interlocuteur direct Ce que je veux dire, c’est qu’avec le Voile, avec ce qu’on a perdu, avec ce qu’on a tous vu et vécu, not’ peuple est plus vraiment le même. Des choses qu’on a choisi de laisser derrière nous y’en a déjà un paquet. elle se tourne vers le Roi Et pour ce que j’en sais, not’ Grand-Roi aimerait bien qu’on avance. ‘Fin j’imagine que c’est pour ça qu’on r’parle aux Elgis. Parce qu’y a moyen qu’ça nous aide à avancer. ‘Fin on est plus exactement les mêmes qu’avant, et faut qu’on l’assume et qu’on le fasse savoir si on veut construire ce qu’on va être correctement, et faut qu’on laisse nos jeunes reprendre la main sans les étouffer, profiter que leurs Braises soient encore vives et libres… elle s’arrête, baisse la tête un instant, semblant s’être perdue dans une tangente non escomptée Mais ce que je voulais dire… c’est qu’avec tout ce qui se passe je suis pas certaine d’être à l’aise à l’idée de renouer avec un métal qu’on appelle « Mogarium ».

Calme. Imperturbable. Confiante en les siens. Mais confuse tout du moins. Etait-elle la seule dans son cas ?

Les échos des voix qui s’élevaient entre les murs rocailleux de la salle du trône, revenaient aux oreilles de Harald comme autant de mélodies, parfois en disharmonies, mais mélodies tout de même.

Le thane du clan Hargrund était l’exact opposé de Thordril, le jeune forgeron. Il était hargneux, peut-être même violent, tant il s’était levé et insurgé contre les paroles et les comportements des Nains à l’égard et à l’encontre du jeune Thordril. D’un soutien sans faille, il est tel le pilier des grandes cités souterraines qui parsèment le Zagazorn : d’une solidité sans faille, il est le gardien de la sécurité du peuple qui vit sous son toit. Thordril peut être fier et heureux de bénéficier du soutien d’un tel thane aux épaules aussi épaisses que les voutes du monde du Dessous.

Les échanges allaient bon train. Groful Hargrund protégeait le jeune Thordril, répondant avec la fougue d’un fouet et claquant avec autant de vigueur, tandis que Thordril, lui, répondait de manière bien plus calme et posée. Braähm Main-Ferme, Gromtrommi du clan éponyme, et doté d’une mémoire et d’un savoir qu’il ne faut pas perdre, avait montré son soutien à Thordril, tout en demandant directement à Harald pourquoi donner une telle responsabilité, un tel fardeau, à une si jeune barbe. Harald aurait aimé lui répondre tout de suite, mais voilà qu’une vénérable ancêtre avait à son tour prit la parole, et d’une manière à la fois critique et constructive.

Les débats qui naquirent ensuite, directement ou indirectement liés aux paroles de l’ancienne bavette, étaient à la fois intéressants, et signe du fardeau qui pesait aussi sur les épaules de Harald, à peine couronné. Le nouveau Groman-Rik du Zagazorn allait devoir poursuivre l’œuvre de son prédécesseur, mais celle-ci allait sans aucun doute devoir bénéficier d’une nouvelle approche, d’un autre regard. Les Nains sont fiers, les Nains sont forts, les Nains sont rustres. Ils sont bornés, mais ils sont courageux. Ils sont fidèles, ils sont méticuleux, ils maîtrisent leur art à la perfection, au terme de décennies d’apprentissage. Et pourtant, ils demeuraient des êtres pleins de ressources, attendant désespérément un symbole fort, un signe fort, une entité capable de les mener vers les nouveaux horizons qui les attendent. Se tourner vers le passé était inné chez les Nains, qui vénéraient les anciens autant que le panthéon des divinités. Et pourtant, de plus en plus semblaient comprendre – au regard du témoignage de la vénérable ancienne qui avait prit la parole – qu’il fallait bâtir un nouveau royaume, sur les ruines de l’ancien. Le but à l’avenir était donc de bâtir du nouveau, tout en bénéficiant des avantages, des connaissances et des savoirs du passé.

Il fallait reconstruire, il fallait un renouveau.

Jusqu’ici, Harald était resté presque stoïque. Sa couronne d’or trônant sur son crâne, témoignaient de l’intensité des réflexions du Grand-Roi, alors qu’il tournait la tête à droite et à gauche, en fonction de l’interlocuteur. Il était assis de manière à être confortable : légèrement avachi, les coudes sur les accoudoirs, les jambes légèrement écartées. Un Humain trouverait cette attitude physique complètement inadéquat venant d’un Roi, mais les Nains n’estimaient point leurs semblables par une position assise sur un trône. Ils jugeaient les actes.

Mais finalement, après les derniers mots de Glumtol, le Haut-Conseiller, Harald se redressa, adoptant une position bien moins neutre, et raisonnablement plus stricte. Ses avant-bras à plat sur les accoudoirs, il dévisagea l’assemblée d’un regard d’acier, non empli de colère ou de ressenti, mais plutôt comme celui d’un père ressentant un mélange fait de fierté et d’une compréhension nouvelle sur le poids de ce qui l’attend. Harald était fier, et il se sentait, de plus en plus, Groman-Rik.

- J’suis bien heureux de voir Thordril et Groful, du clan Hargrund, défendre avec une ardeur et une fierté toute Dawi, ce projet qui apport’ra honneur et puissance, à not’ peuple ! Il avait tourné son visage en direction du clan, en avait gratifié les deux Nains d’une léger abaissement du visage, en signe de respect. Puis, il détourna le visage, et regarda l’assemblée devant lui. La vénérable Gromtrommi est bin’ clairvoyante. Il se lève, et descend les quelques marches de l’escalier qui menait au trône. Not’ peuple à beaucoup perdu. Nos Karumgrothi ont été brutalement rappelés dans le monde du Dessous. Notre peuple a été amputé d’un grand nombre de ses fils et de ses filles. Il marche au milieu de l’assemblée, sur le chemin qui sépare la salle en deux côtés de chaises et d’assises. Not’ peuple et not’ nation à besoin d’avancer. L’Ire de Mogar aura détruit beaucoup de ce qui fut not’ grandeur et not’ pouvoir, mais nous sommes coriaces. Sur les ruines de l’ancien royaume, nous bâtissons celui d’après. Nous sommes des Dawis ! Nos anciens sont not’ mémoire, nos héros sont nos exemples et not’ fierté, et nos jeunes sont nos espoirs. Thordril Hargrund, Gnutrommi d’son clan, est la r’présentation de renouveau des Dawis, avançant vers de nouveaux sommets tout en bénéficiant du regard, d’la sagesse et des savoirs des anciens. Il continue d’avancer, sa démarche, très lente en comparaison de ses paroles, forçant l’assemblée à le suivre du regard, et à ceux qui se trouvent derrière lui, à se lever pour continuer à le voir. Il est pas question de r’trouver l’Mogarium parce qu’son nom est un hommage au Père des Batailles. Il est question d’retrouver un métal légendaire, un signe de puissance du passé qui éclairera le futur et assurera sécurité et prospérité à not’ peuple. Feu Hardrek Poing-D’Fer, à refermer not’ royaume sur lui-même afin de le protéger des ennemis qui guettent dans le lointain. Il voulait protéger son peuple meurtri de la menace des oreilles noires, adeptes du chao, et des umgis à la courte vie et à la sagesse limitée. Aujourd’hui, le jour d’avancer, le v’la. Il arrive à peu près au centre de la salle du trône, et s’y arrête. Puis, il reprend la parole, tout en tournant sur lui-même régulièrement de sorte à regarder devant, derrière et sur les côtés, afin d’être proche du peuple, proche des anciens, proche du nouveau. J’veux qu’on avance, c’est la vérité. Mais il n’est pas possible d’avancer en oubliant d’où l’on vient. La sagesse des anciens doit nous guider, dans not’ envie d’avenir. Partager vos connaissances, c’est assurer aux jeunes d’aborder cet avenir avec la sagesse des anciens, et la fougue des jeunes. Tel le maître qui guide l’apprenti, les ancêtres guident la jeune génération vers d’nouveaux sommets, que notre peuple, j’en suis certain… il frappe son plastron de son avant-bras… réussira à atteindre. L’Mogarium, c’la quête qui formera le socle d’ce renouveau, sous le regard bienveillant des anciens. Not’ peuple est fort, not’ peuple est grand. Il mérite qu’nous l’emmenions vers d’nouveaux horizons, et c’la commence ici.

Il laisse volontairement quelques secondes de silence, alors qu’il effectue un tour sur lui-même durant le même temps, afin de regarder chaque mineur, chaque forgeron, chaque ancien, chaque jeune, droit dans les yeux. Et lorsqu’il fut satisfait, il retourna en direction de son trône, mais s’arrêtant au-devant de l’escalier menant au trône, avant de faire face, une nouvelle fois, à l’assemblée.

- Et quand on l’aura r’trouvé, qu’est-ce qu’on fait ?

Question presque rhétorique, question plus complexe qu’elle n’en a l’air, parce qu’en pratique, elle sait ce qu’on en fera, du Mogarium. Elle sait que le métal légendaire se retrouvera dans de nouveaux symboles de la puissance du peuple Dawi. Elle sait que le métal légendaire servira à nouveau d’objet de ralliement, d’objet de fierté, de point focal dans une culture comme la leur, donnant tant d’importance à l’artisanat. Mais par la même occasion, elle sait… ou du moins elle craint, que le peuple du Septentrion ne fasse un pas en arrière, et n’en vienne à regretter cet ancien Père, celui que l’on a eu tant de mal à abandonner, celui dont on a peur d’avoir perdu la puissance depuis qu’elle s’est déclenchée contre nous.

Que le Mogarium redevienne un symbole de puissance, et quoi qu’en dise le Roi, Mogar en redeviendrait un aussi.

- Hein ? Qu’est-ce qu’on fait ?

Et elle a peur l’Ancienne, parce qu’elle sait à quel point il a été douloureux pour elle de perdre le Père. Et elle a peur l’Ancienne, parce qu’elle la vit déjà, cette envie de retourner pleurer, comme une enfant, dans le giron du géniteur qui l’a battu. Et elle a peur l’Ancienne, parce qu’elle est Ancienne, parce qu’elle a vécu des siècles dans un monde qui l’a forgée, et qu’aujourd’hui, on essayait à nouveau de la fondre pour la remodeler, mais vite, trop vite, bien trop vite. Pour elle chaque jour est une bataille contre ce qu’elle était. Pour elle chaque jour est un combat contre le regret. Chaque jour est une nouvelle occasion pour la blessure qu’a été le Voile de se rouvrir, pour les mauvais souvenirs de ressurgir, pour son Esprit de rentrer en bataille avec sa Braise-Vie, pour sa Raison de rentrer en bataille avec sa Foi.

On ne rejette pas facilement la Foi, la vraie. On ne rejette pas facilement un Père que l’on a aimé tout son saoul. Et on le rejette d’autant moins facilement que l’on retrouve l’un des rares présents que l’on ait réussi à conserver de lui, alors que dans sa rage il avait détruit toutes les autres preuves de son affection.

Le retour sur le trône, fut une aubaine pour Harald, qui pouvait poser son fessier royal, avant de faire face aux discussions qui se déroulaient maintenant devant lui. Il comprit alors que l’ancienne, qui avait prit la parole la première et qui avait ensuite fait réagir tout le monde, y compris lui-même, était plus inquiète, et emprunte d’une tristesse du passé, que réellement opposante. Comment quiconque pourrait lui en vouloir ? Comment en vouloir à une vénérable Grommtromi, qui aura vécue plusieurs siècles et aura connu tous les malheurs de notre peuple, depuis bien des décennies, et le Voile, si destructeur. Il est normal qu’elle soit apeurée, et il est normal qu’elle se sente si mal face au passé.

Puis vint Braähm, et son discours enflammé. Il mit alors les mots sur maux, et fut aussi tonitruant et flamboyant qu’incroyablement… Innovant ? Serait-ce de l’innovation, ou du culot, ou de l’outrecuidance ? Proposer de renommer le fameux métal, en l’honneur de Lirgan, demi-dieux des mineurs ? Que voilà une idée à l’onde de choc insoupçonnée et insoupçonnable ! Si, durant quelques secondes, l’idée plut à Harald, qui en mesurait les vibrations jusqu’en son propre cœur, il se rendit bien compte que cela s’éloignait du but principal visé.

Chose que Glumtol semblait avoir compris, jusqu’à entrer dans une diatribe lui aussi d’origine plus liturgique que politique. Et quelle diatribe à son tour ! Aurait-on mérité l’Ire de Mogar ? Aurait-on mérité la Mâlenuit et ses affres ? Mogar aurait-il eu ses raisons, lui donnant finalement raison, d’imposer tout cela aux Nains ? Et changer le nom de ce métal serait une offense pire que toutes les autres ? Serait-ce un moyen de faire s’effacer Mogar de la conscience des Nains ?

Il devenait de plus en plus évident pour Harald, que le sujet avait changé. Au départ, il s’agissait de mettre tout ce petit monde d’accord pour un partage des connaissances liées au minage et travail du Mogarium. Il s’agissait que tout le monde mette en commun ce savoir, afin que le métal soit retrouvé, puis retravaillé. Il s’agissait, aussi, d’un symbole d’union. Un symbole, autour duquel les Nains se rassembleraient, et dont la lumière rayonnerait jusqu’au fin fond du Septentrion. Et il s’agissait d’un symbole qui monterait au monde que les Nains, aujourd’hui, sont puissants et forts. Harald se doutait que certains yeux malveillants plus au Sud des frontières, n’avaient encore rien pu voir, ni entendre, ni tenter, grâce à la politique autarcique des Poings-De-Fer. Mais l’autarcie devait cesser un jour, et pour s’assurer une sécurité, il fallait être fort, être puissant, et pour cela, il faut des symboles, et des richesses. Le Septentrion cache ces richesses depuis le Voile, mais elles ne tarderaient pas à revenir aux Nains. Le Mogarium, lui, serait le symbole qui protégerait le peuple.

Alors, Harald prit la parole à son tour, restant assis cette fois. Il ne s’agissait plus uniquement de rassurer, il fallait aussi être Roi.

- La question, ici, c’pas d’renommer ce métal légendaire. Ce n’est pas non plus d’effacer l’Père, de taire son existence, neh ! Il prend une pause, sachant que ses futurs propos seront lourd de sens. J’ai, moi aussi, renié l’Père. Et par Ikthor, que c’fut difficile. J’ai m’né tous mes combats, toutes mes guerres, en rendant hommage au Père des Batailles. S’vous aviez vu l’désarroi dans lequel j’étais à Lante, lorsqu’j’ai vu tous ces réfugiés s’en v’nir d’Kirgan. Est-ce qu’retrouver c’métal m’fait point penser au Père ! Ip. Ip, ça m’fait penser au Père. Mais c’point la première fois, qu’le Père puni ses enfants. Souv’nez vous ! La grande cité d’Ankorong, a été détruite par l’Père, et nos aïeux connaissaient d’jà c’métal. Et ils l’ont pas r’nommé. Ils s’en sont allés plus au Sud, et y ont fait d’Kirgan, la capitale. Qu’est-ce qu’nos aïeux avaient fait pour mériter ça ? J’le sais pas, je n’suis point l’prêtre du Père. C’que j’sais, c’est c’que tout l’monde sait : not’ peuple s’est élevé, et il a r’construit, et il est r’devenu fort ! Il reprend à nouveau une pause, se relevant et pointant du doigt la couronne de Garmin, couronne séculaire, pour ne pas dire cycléenne, faite du précieux métal. Et not’ peuple, il est dev’nu puissant, en témoigne cette couronne qu’à traversée les siècles, et l’Voile, et qui s’trouve ici, d’vant vous. Il baisse son bras. C’est d’ça qu’il est question aujourd’hui, d’puissance, d’symboles. Il est question d’avancer, et non d’oublier. Oui, not’ peuple va d’l’avant, mais pour c’faire, il lui faut une figure. Je suis le Groman-Rik du Zagazorn, vot’ souv’rain, mais je n’peux point assurer à not’ peuple sécurité, puissance, fortune et paix, sans votre aide, et celle d’tout l’peuple. Aussi, n’oubliez point pourquoi nous sommes là : pour l’av’nir. Alors, accept’rez vous d’partager vos connaissances avec not’ jeunesse, afin qu’ce métal soit à nouveau nôtre, et qu’not’ puissance assurer paix, et prospérité au peuple ?

Il fallait être fort, il fallait inspirer confiance, il fallait maintenant pousser vers cette politique entamée. Le temps des considérations liturgiques arriverait tôt ou tard, mais pour le moment, Harald voulait seulement mettre tout le monde d’accord, afin que l’avenir puisse être envisagé sereinement.

Pas de réponse. Juste des poings serrés et un regard peinant à quitter le sol. Ils ne savaient pas mieux qu’elle. Ils ne savaient pas mieux ni quand, ni comment. Ils n’étaient pas plus capables qu’elle de prédire l’avenir. Seulement, ils étaient tous au moins aussi désireux qu’elle de voir cet avenir se faire porteur d’un mieux. Ils étaient tous au moins aussi désireux qu’elle de voir leur peuple se redresser, se reconstruire, plus grand encore qu’il ne l’était au départ. Ils étaient tous au moins aussi désireux qu’elle d’avancer.

Alors il n’y avait plus qu’une solution.

Laisser faire. S’en remettre à ses congénères. Leur faire confiance. Espérer.

Les poings de l’Ancienne se desserrent, elle prend une large inspiration. Elle expire longuement. Enfin son visage se relève. Son regard se tourne vers chacun des membres de l’assemblée l’un après l’autre. Elle les observe longuement, d’autant plus longuement qu’ils ont été vocaux durant cette réunion. La Jeune-Barbe pressée de faire ses preuves, l’autre Ancien, qui partageait ses craintes, le replet dawi questionnant les raisons de l’Ire de Mogar, le Grand-Roi… ceux-là en particulier furent sondés. Et à ceux-là en particulier la confiance de l’Ancienne fut accordée.

Les yeux de la Naine cherchent ceux de son Roi. Elle serre la mâchoire, elle serre les poings à nouveau, mais toute incapable qu’elle est de prononcer le moindre mot, elle hoche la tête.

Le Roi saurait faire le bon choix.

Ainsi, les dés étaient jetés. Ainsi, l’ancienne avait manifestée un accord, et à travers elle, l’ensemble des plus anciens mineurs et forgerons du Zagazorn. Ainsi, l’arrière garde était prêtre à épauler la relève, aussi jeune soit-elle. Ainsi, les Nains étaient unis.

Harald enfonça son regard acéré dans celui de l’ancienne. Le regard n’était pas dur, il n’était pas hargneux, il n’était pas en colère. Il était fort, et il était fier. C’était le regard d’un dirigeant remerciant une ancienne et lui assurant force et vigueur dans la quête à venir. Si Harald n’était pas un novice, il était néanmoins un « jeune » dirigeant. Ses décisions sont respectées, mais il doit encore faire certaines preuves, preuves qu’il ne tarderait pas à fournir étant donné son caractère bien trempé.

Le brouhaha de la salle témoignait de l’euphorie du moment, mais aussi, de cette légère frénésie faite de joie et d’inquiétude. Aujourd’hui, les nains s’apprêtaient à creuser à nouveau la montagne jusque dans de grandes profondeurs, afin de retrouver le précieux métal. Ils feraient alors face à des coulées de lave, à des effondrements, à des créatures infâmes. Ils vont devoir faire face à de véritables dangers, mais ils ne lâcheront point. Fier de ces pensées, Harald s’adressa à l’assemblée des thanes des clans de mineurs et forgerons. La voix était forte, le buste était droit, la prestance était royale :

- Ainsi, l’assemblée des thanes à parler ! Nous renouerons avec le précieux métal ! Et de la sueur et du sang des Dawis, nous feront de nouveaux symboles de puissance et d’unité ! La couronne de Garmin pourra resplendir à nouveau, et indiquera au monde entier que les Nains ne sont pas à sous-estimer, et que nous sommes forts ! Et notre peuple n’en sera que plus fier et plus uni, face aux prochaines épreuves qu’il aura à traverser ! Et en parlant d’unité… Il frappe son poing sur son plastron, avant de se redresser à nouveau. J’ordonne que soit construit à Thanor, la Grandolge de la Roche et du Métal, symbole central du savoir des mineurs et des forgeron, et de point de repère et d’unité. Que cette Grandloge soit source de partage et d’apprentissage pour tous les Nains, et qu’elle soit l’entité vaillante et bienveillante, de toute la maîtrise des mines et des forges. Il se tourne enfin vers Thordril et Groful, baissa la tête afin de leur indiquer que, maintenant, les prochains étaient pour eux, mais seraient connus de tous. Thordril, du clan Hargrund, tu es maintenant officiellement en charge de cette quête. Je ne doute point que Groful, thane de ton clan, soit d’un support et d’une aide inestimable. Avec Braähm ici présent, thane du clan Main-Ferme, vous êtes chargés de compiler les savoirs liés au Mogarium, et de s’assurer de la sauvegarde de ce savoir, au cœur de la nouvelle Grandloge de la Roche et du Métal. Et ensemble, vous retrouverez le Mogarium, et des Hauts-Fourneaux, vous forgerez une nouvelle couronne, qui rayonnera sur le Zagazorn, et en protégera les savoirs, les frontières, et les braises de tout le peuple des montagnes. Baruk a Dawi !

Ces derniers pouvaient se traduire de plusieurs façons. Pouvant signifier un salut, un accord, un au revoir, ils étaient de ces mots qui expliquaient à eux seuls pourquoi les runes des Nains étaient si difficiles à comprendre pour les étrangers, et pourquoi le Khazalide était aussi insaisissable pour un non Nain. Mais tous les Dawis ici présents comprirent le sens de ces mots. Le Roi rendait hommage aux Nains. Le Roi louait les Dawis, et le cœur des poilus et des bavettes, s’embrasa au rythme de cette phrase… Vive les Nains.