[La quête du mogarium] Épisode 3 - Rapport au roi

Épisode précédent : Au plus profond de la montagne

1er jour de la 1ère ennéade de Bàrkios – 2ème mois de printemps.
18ème année du XIème cycle.
Portes de Kirgan.

Les grandes portes de Kirgan m’arrachèrent un sourire. Leur éclat resplendissait sur le flanc de la montagne, beauté de notre civilisation. Le soleil avait accompagné notre groupe tout le long du voyage. Nous n’étions pas pressés, il nous fallut un peu plus de 2 ennéades pour rejoindre la capitale naine, accompagnés de quelques tonnelets de bière. Le trajet s’était déroulé sans accroche, et nous avions fait bonne route. Dans mes poches, l’un des deux joyaux de mogarium déjà extraits restait bien caché au chaud. L’autre se trouvait avec Dwarthal. Je tenais également dans ma sacoche une tablette runique brisée, qui ferait sans doute très plaisir aux runistes.

Lorsque nous passâmes les portes, le groupe se scinda en deux. J'en profitai pour remercier comme il se devait ceux qui nous quittèrent.

« Vous avez été de formidables compagnons pour notre quête. La gloire vous revient tout autant, nous n'aurions jamais survécu aux engeances sans vous. Merci pour votre aide, du fond de mon coeur. J'ose espérer que nous nous retrouvions tous ensemble à la taverne dans les jours qui viennent ! »

Après avoir étreint leur père, Sibris et Daïn rejoignirent les soldats et filèrent droit à la caserne relater les exploits de notre expédition. Les rumeurs auraient bientôt parcouru la cité entière, il faudra se montrer discrets pendant notre séjour. Thordril, Dwarthal et moi nous sommes donc dépêché de gagner la salle du trône. On nous arrêta à l’entrée, et le commandant montra son insigne avant de déclarer d’une voix bourrue :

« Le roi nous attend. »

En effet, nous avions envoyé une missive par pigeon signalant notre arrivée prochaine. J’avais écrit ce message sur un ton à moitié solennel, sans dévoiler pour autant le résultat : je ne voulais pas nous attirer de problèmes sur le chemin. Aussi, le roi ne s’attendait sans doute à rien.

Après nous avoir fait rentrer, le soldat partit à pas vif chercher Harald. Dès son départ, Dwarthal me glissa à l’oreille :

« Je vais rejoindre ma Thane, j’ai beaucoup de choses à lui dire... »

Il faisait sans doute référence au mariage qui suivrait très prochainement. Il nous salua donc et partit peu avant l’arrivée du Groman-Rik, après m’avoir tendu le mogarium.

Ainsi, Thordril et moi attendîmes en bavardant silencieusement, jusqu’à l’arrivée de notre ami.

Cela ne faisait que quelques jours que Harald avait ordonné au royaume tout entier, l’apparition d’une économie de guerre. Une économie qui, dès à présent, était tournée l’armée. Sa formation et son instruction, la mise en place de la bannière royale, l’équipement de cette armée… Et les travaux des ingénieurs. Car cette guerre était plus une reconquête, qu’une véritable guerre. Car il n’y avait point d’ennemis organisés, point de force politique à combattre. Ils n’allaient point envahir les forêts d’Anaëh, les marais des Myriades des Wandres, ni les reliefs et les plaines Péninsulaires. Ils visaient leurs propres territoires.

Les hautes montagnes du Septentrion. Sommets de Miradelphia, il n’existe pas de montagnes, de monts et de sommets plus hauts sur le continent. Arrachés des mains des Nains de Garmin le Vengeur lors du Voile, en même temps que la destruction de la cité de Kirgan, ces montagnes regorgeaient des mines les plus prolifiques et les plus profondes du Zagazorn. Les Nains y prenaient également les métaux et minerais les plus précieux : Titane, Or, Argent, Zinc et Cuivre, et du Mogarium. On y trouve aussi quelques-unes des carrières de joyaux les plus développées, qui rivalisent avec celles de Haute-Virnée. Dans ces lieux, ce sont les berserkers, et les sauvageons, qui règnent. Mais point en maître. Car régulièrement, les avant-postes les plus enfoncés dans ces territoires, rapportent des cris, des bruits de batailles, et des hurlements bestiaux, témoignages de massacres perpétrés par des Berserkers sur d’autres bêtes, par des créatures de la faune, ou par des affrontements entre clans de sauvageons. La vie, là-haut, était rude et horrible.

Il y avait aussi la Nérania. Dans cette contrée, contrefort de l’Almion, seuls les alentours directs de la voie menant à Almis, étaient sécurisés. Dès lors que l’on s’enfonçait dans les forêts, le territoire était entre les mains d’Engeances, et de créatures du bestiaire du Zagazorn. Quelques Gobelins survivants, quelques Kobolds moins peureux que les autres.

Et il y avait l’Almion, et le Nivor. Si l’Almion était en grande partie reprise – à la différence des niveaux inférieurs de la cité – ce n’était point le cas du Nivor. Autrefois région marécageuse, humide, propice à la culture de certaines graines et plantes, et véritable poumon maritime, le Nivor n’est plus aujourd’hui que le territoire des Engeances. Il est si dangereux, que même les Berserkers et les Sauvageons de ces territoires, ont fui, ou ont été massacrés par les Engeances de Brisséa. Pourquoi, alors, Harald voulait-il reprendre ces territoires ?

Parce qu’ils appartenaient aux Nains. Parce que le royaume Nain, avait toujours bénéficié des richesses de ces territoires, et qu’ils faisaient son ancienne force. Presque tout le poisson d’eau douce et d’eau de mer, provenait du Nivor. Les deux tiers des lingots, métaux, minerais et pierres précieuses, provenaient du Septentrion. Et la Nérania était, à l’instar des contreforts d’une cascade d’eau, la porte d’entrée vers le cœur ésotérique du Zagazorn : Almis.

L’ouverture économique avait fait s’envoler les carnets de commandes des Nains. Les seigneurs, commerçants, et nobles péninsulaires, commandaient des pierres de taille et des pierres précieuses, des soieries de manufacture Naine, des métaux, des minerais, des alliages et des matériaux du Nord. Les clans de mineurs s’affairaient donc dix fois plus dans leurs mines. Les forgerons frappaient l’enclume jour et nuit. Les joailliers et bijoutiers, sacrifiaient leurs yeux devant les tonnes de pierres qu’il fallait analyser, afin de les envoyer se faire polir, puis sertir. Mais toutes les mines, et tous les artisans de Thanor, et de la Virnée, ne suffiraient point à satisfaire les besoins du commerce, et les immenses chantiers intérieurs. Harald le savait. Et face à ces besoins, il tenait l’argument clé qui ferait plier même les plus réticents. La reconquête aurait bien lieu.

Alors, Harald était au four, et au moulin. Tous les jours, il recevait des missives des quatre coins du Zagazorn. Des cllans de guerriers, et de mercenaires du Zagazorn, se plaçaient sous les ordres royaux, rejoignant les places fortes Naines de Kirgan, de Thanor et de Lante, principalement. Les artisans travaillaient d’arrache-pied, et demandaient à leurs dirigeants – qui eux-mêmes demandaient au Grand-Roi – des informations, des approvisionnements, des moyens, et des ordres. Harald ne dormait pour ainsi dire presque plus, ou bien moins qu’avant. Mais il était euphorique. Pour la première fois depuis son couronnement, Harald n’était plus seulement un souverain assis sur son trône, une entité royale rayonnante mais passive. Il reprenait son rôle de chef. Il dirigeait tous les conseils, toutes les réunions. Mais il n’oubliait pas non plus son rôle de dirigeant local, car telle était sa double facette. Il était le Grand-Roi du Zagazorn tout entier, et pouvait disposer de toutes les âmes de ce royaume, et se reposer sur tous les gardiens et dirigeants de cités. De ce fait, il était aussi l’arbitre ultime, le décisionnaire terminal, le premier et dernier maillon d’une immense et solide chaîne. Mais il était aussi, lui-même, un dirigeant local. Car Kirgan était une cité grandissante, se reconstruisant sur ses anciennes ruines, se réappropriant d’anciennes grottes, d’anciennes cavernes, d’anciennes salles creusées jadis et comblées par le magma refroidit du volcan qui gronda lors du Voile. Et bien qu’il ne dispose point du Septentrion, il règne tout de même sur Kirgan et le Kirgion. Aussi devait-il gérer les réunions de la ville, superviser les chantiers, sécuriser les accès… Et rendre la justice. Ses journées étaient donc bien remplies.

Aussi, lorsqu’un garde royal vint au pas de course jusque dans une des arrières salles, où se déroulait cette énième réunion, Harald le vit comme une bouffée d’air frais. En entrant, le soldat provoqua le silence parmi les conseillers de la cité – et non point les conseillers royaux, attention. Profitant de l’instant, Harald, d’un signe de main, donna immédiatement la parole au garde, qui lui dit que Braahm, du clan Main-Ferme, et Thordril, du clan Hargrund, étaient dans la salle du trône.

Le sang de Harald ne fit qu’un tour. Se levant, il ajourna immédiatement le conseil, et sans aucune autre forme de procès, se dirigea vers la sortie de la salle… Et vers la salle du trône.

Et ainsi, il se présenta. Mais point comme d’ordinaire, lorsque les deux Nains courageux étaient partis à la reconquête du Mogarium. Il ne portait plus sa fidèle armure de plate noire de jais. Au contraire, il portait un accoutrement tout à fait royal. Sur son crâne, aux longs cheveux bruns rasés sur un côté, trônait la couronne de Hardrek, faite d’or et de joyaux. Son corps revêtait une tunique de velours de couleur rouge, brodée de fils d’or et d’argent. Sur ses épaules, une magnifique fourrure de Beärog brune, tenue en place sur le devant de la tunique par deux fibules d’or gravée des armoiries de Kirgan et du Zagazorn, reliées entre elle par une épaisse chaîne, semblable à un demi-plastron gravé de motifs géométrique typique du Nord de ces terres. D’épaisses bottes, rembourrée de fourrures, parachevaient cette tenue chaude, agréable… Et très seyante. Harald avait définitivement quitté les atours du guerrier sanguinaire, du combattant aguerris. Et il devenait de plus en plus, jour après jour, un souverain. Un Grand-Roi. Le soixante-huitième Grand-Roi du Zagazorn.

Ses pas créèrent un rythme profond, alors qu’il baladait sa carcasse de la porte jusqu’au trône. Ses gardes, à son passage, inclinèrent la tête et frappèrent – doucement – leurs plastron d’un coup d’avant-bras, avant de rester en position une seconde ou deux, et de se relever finalement. Se présentant devant son trône, Harald accorda le même honneur aux deux Nains devant lui, s’inclinant légèrement et frappant son poitrail, avant d’enfin s’asseoir à son tour.

- Mes amis ! Débuta-t-il, levant ses mains vers les cieux, un sourire déformant sa barbe. Vous êtes revenus sains et saufs ! Qu’Ikthor soit loué pour avoir veillé sur vous et les vôtres ! Est-ce que les jumeaux ont bénis vos galeries également ? Quelles sont les nouvelles ? Les vôtres sont-ils saufs ?

Harald voulait prioritairement connaître l’état de santé des cognards et mineurs de Braahm et de Thordril, et leur santé à eux. Car si tout allait bien, alors la mission pouvait être abordée. Et même si elle avait été un échec, les deux Nains, en bonne santé, pourraient éventuellement y retourner, enhardis par leur première expérience. Le Mogarium, bien-sûr, envahissait son esprit en cet instant… Mais il demeurait plus intéressé par le bien-être, et la santé des siens.

Lorsque je vis arriver Harald, je ressentis une révérence inhabituelle à ses côtés. Je m’attendais à retrouver le fier Dawi dans son attirail de soldat et son armure resplendissante, comme d’habitude. Au lieu de ça, il portait une tenue de régent, qui le changeait complètement. Je me demandais alors à quoi je pensais en me présentant à lui après un voyage de deux semaines, sans même avoir pris un bain au préalable. Mon accoutrement de voyage plein de crasse, outre son odeur, me donnait l’air d’un vagabond plus qu’autre chose. Je m’étais heureusement débarrassé de mon manteau et de mon marteau, posés près de moi. J’étais habillé d’une armure de cuir et mes bottes étaient encore pleines de boue. Seul le bracelet de mon clan indiquait, à qui connaissait nos mœurs, mon statut de Thane. Je ressentis une faible gêne qui disparut lorsque le roi nous salua. J’imitais le geste des gardes en m’inclinant un peu plus bas que le roi, témoignant de mon respect.

Ses paroles réchauffèrent mon cœur. Il s’était évidemment inquiété pour nous. Était-il conscient du danger que nous avions encouru ? Je doutais fort qu’il ait eut vent de nos exploits, puisque personne n’avait fait la route de Kirgan à chez moi. Je laissai le soin à Thordril de lui répondre, grimaçant en l’entendant évoquer les engeances. Son rapport concis manquant de certains détails, j’attendis qu’il en finisse pour me redresser et m’exprimer d’une voix grave.

« C’est un plaisir de te revoir, Harald. Thordril a peut-être été un peu vite sur certains passages, mais nous aurons tout le temps de revenir sur les détails plus tard. »

Je m’arrêtais quelques secondes et repensais à toutes ces âmes que nous avions perdues lors de notre périple. Les engeances avaient décimé mes mineurs. On les appelait "Engeances de Brisséa" parce que nous pensions qu'elles n'étaient que des bêtes, mais il y avait bien quelque chose derrière tout ça. Qui étaient donc le sorcier qui m'avait presque ôté la vie ? Il faudrait en discuter avec Harald, mais plus tard. Ces informations étaient trop confidentielles pour les évoquer ouvertement. Mon regard s’assombrit toutefois en revoyant les visages des victimes, et je ne pus m’empêcher d'aborder le sujet, alors que ma main gantée glissait dans ma poche.

« Les Main-Ferme ont beaucoup souffert au cours de ce long voyage… Au total, dix-huit Dawis ont perdu la vie, dont treize de mon clan. Et j’espère fort que le groupe que nous avons laissé au pic ne déplore aucune perte. » Je levais la tête pour plonger mon oeil dans ceux du roi, sortant mon poing fermé et le braquant droit devant moi. « Mais nous ne sommes pas battus pour rien. Mogar nous a récompensé de notre bravoure. »

J’ouvrai alors mes doigts, laissant le mogarium étinceler à la lueur des torches. Les deux petites pétites du minerai rouge reposaient au creux de ma paume. Pour la première fois depuis longtemps, Kirgan voyait du mogarium neuf. Un sourire se dessina sur mes lèvres.

« Et il y en a d’autres, beaucoup d’autres, là d’où nous venons. Lorsque l’illusion a disparu, nous avons remarqué qu'on se trouvait dans un temple voué à Mogar. Des dizaines de statues le représentent là-bas, je pense qu’un clan de sculpteurs s’y est établi des siècles auparavant, et que le temple est resté oublié pendant toutes ces années. Ils ont fait des galeries qui s'étendent sur des kilomètres, dans un labyrinthe délicat. Toutefois, rien ne vivait dans ces cavernes, sauf leur foi en leur dieu. Harald, chaque statue… Chacune d’entre elles possède des yeux en mogarium. C’est invraisemblable. Je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi… »

Je m’arrêtais en repensant à la réaction que j’avais eu, et un frisson traversa mon corps. Qu’avais-je vraiment ressenti ? Une torpeur, sans nul doute. Quelque chose profondément enfoui en moi s’était réveillé. J’avais eu l’impression de côtoyer le divin lui-même. Qui étaient ces Dawis qui avaient pu si bien représenter le dieu des nains ? Quelques secondes à peine s’étaient écoulées lorsque je repris la parole.

« Spectaculaire. »

Je m’approchai de mon roi et lui tendit la main pour qu’il puisse s’emparer des joyaux. Quelle serait sa réaction ?

Il fut une époque pas si éloignée, où Harald voyait le sacrifice ultime de ses guerriers comme le juste moyen d’obtenir une victoire. Chaque perte, bien-sûr, était un coup porté à son cœur, car perdre un nain au cours d’une bataille, c’était perdre un frère, une sœur, un parent. Et le peuple nain avait toujours été prompt à peu se reproduire, les guerres coûteuses en victimes étaient donc d’autant plus horribles, et d’autant plus douloureuses.

Mais aujourd’hui, il n’était plus seulement un militaire. Aujourd’hui, il était le souverain du Zagazorn, et chaque braise-vie rejoignant le monde du Dessous était un véritable crève-cœur, car Harald perdait non seulement un sujet, mais aussi, et en quelque sorte, un enfant. Un dawi qui avait placé sa confiance en lui lors de l’Althinkalan. Un dawi mort pour la grandeur du royaume, pour la grandeur du peuple et de la race naine, un dawi tué pour l’honneur clanique.

Aussi écouta-t-il avec une attention non feinte, les propos tenus par Thordril. Il n’oublia point – il n’avait jamais oublié – que Thordril était une très jeune barbe, ayant à peine dépassé le stade d’apprenti. Mais il était toujours subjugué par le courage de ce nain, et l’abnégation dont il faisait preuve dans tous les défis auxquels il faisait face, d’autant plus depuis ce fameux jour où Thordril et Harald se rencontrèrent, dans les forges du clan Hargrund à Thanor. Ce jour où Harald plaça sa confiance et ses espoirs en ce jeune poilu. Qui aurait cru que ce jour allait être le premier pas d’un long chemin vers l’honneur, pour Thordril ?

Comprenant la dimension des sacrifices consentis par les deux nains face à lui, mesurant petit à petit les craintes vécues et partagées par Braahm et Thordril, et tous ceux qui les accompagnèrent dans cette aventure, Harald pu ressentir le poids des responsabilités qu’il plaça sur les épaules de ses deux vis-à-vis. Et alors qu’il en prit la mesure, il comprit également l’étendue du fardeau qui était le sien. Il ne menait plus des cognards à la bataille. Il menait une nation, un royaume, un peuple. Et par la quête du mogarium, celle dont il était à l’origine, il avait prit la responsabilité de risquer des braises-vies… Qu’il porterait sur sa conscience jusqu’au jour de son trépas.

Lorsque Braahm reprit son discours, Harald quitta Thordril des yeux, et posa ses prunelles flamboyantes sur le Gromthrommi et thane du clan Main-Ferme. Les chiffres présentés achevèrent de rendre toutes ces morts mesurables, et ô combien réelles. Si son faciès demeurait fort, son cœur, lui, s’endeuillait d’autant que celui des deux chefs d’expédition.

Il eut un léger rictus, une légère réaction, lorsque Braahm mentionna la récompense offerte par le Père… Mais ce léger rictus disparu dans une profonde grimace de stupeur et de fascination. Braahm tenait dans la main deux pépites de Mogarium. Une quantité que d’aucun trouverait incroyable, étant donné la rareté et la pauvreté des filons… Du moins traditionnellement. La couleur des pépites était… Magnifique. Une couleur or profonde, veinée d’un rouge flamboyant. Trouvées au cœur d’un soi-disant ancien temple de Mogar, qui en recèle une grande quantité…

Sans jamais changer son regard, Harald frappa deux fois dans ses mains, et les gardes et quelques dignitaires présents s’éclipsèrent d’un coup d’un seul. Les portes se refermèrent, et il ne fallut que quelques secondes pour que les trois protagonistes ne se retrouvent seuls. Saisissant les deux gemmes, Harald inclina la tête en direction de Braahm, conscient que se départir de ces joyaux, but de tous ces sacrifices, ne devait point être évident pour le vieux thane.

- Spectaculaire, en effet. Et un honneur, pour tous ceux tombés dans cette quête. Il abaissa les gemmes, et les posa sur sa tunique, reposant son avant-bras sur l’accoudoir. Que les noms des victimes soient honorés. J’ordonnerais qu’ils soient gravés sur le monument aux morts de la cité. Leurs noms, et leurs clans, seront honorés pour les cycles à venir, je vous en donne ma parole. Vous avez accompli votre mission avec honneur, mes amis. Vos noms et vos clans ne seront point oubliés non plus. De telles quantités de Mogarium représentent plus que ce que le royaume peut vous offrir. Outre l’honneur, je suis conscient que vos clans se retrouvent affaiblis par tant de morts. Comment puis-je vous récompenser à la hauteur de votre honneur ? Demanda-t-il, après quoi, il se leva, et levant le bras, décrocha l’ancienne couronne des Rois enchâssée dans le trône. Des deux mains, il la tendit à Thordril. Tu connais ta mission, jeune Hargrund. Reforger la couronne des Rois. Tu t’y attelleras, mais avant, tu as besoin de repos. Pourrait-elle être prête pour mon serment de fidélité qui me liera à Brynhild ? Il attendit la réponse. Et une fois celle-ci reçue, son regard se fit plus sombre, et il reprit sa place sur son trône. Je sens qu’il y a autre chose en vos cœur. Parlez sans craintes mes amis, votre Grand-Roi vous écoute.

Lorsque Harald tendit la main pour prendre les deux gemmes, j’eus un mouvement de recul imperceptible. Je sentis alors toute la pression de mon corps se relâcher lorsque les joyaux quittèrent ma paume. J’inspirai véritablement pour la première fois depuis longtemps. La tension qui s’était emparée de moi au cours de ces dernières ennéades s’étaient volatilisée. En effet, je craignais que ce puissant minerai tombe entre de mauvaises mains. Maintenant qu’il était en sécurité auprès du roi, je me sentais libéré d’un fardeau terrible. C’est du moins ce que je décidai de penser. J’avais eu vent de quelques effets secondaires à la possession de mogarium. L’époque de Dun Eyr n’était pas si loin, et qui sait vraiment ce qu’il est advenu de lui ? Beaucoup pensaient que la folie s’était emparée de lui à cause du minerai, mais personnellement, je n’y croyais pas. Aucune roche n’avait ce pouvoir sur les nains, et la couronne des rois était elle-même faite en mogarium. Ça ne tenait pas. Et puis, Dwarthal m’avait remis sa gemme sans hésitation. J’avais donc mis mes inquiétudes sur le dos de la crainte de perdre le fruit de notre travail de ce dernier mois.

Alors que Harald parlait d’une voix abasourdie, je reculai de quelques pas, en écoutant sa promesse avec respect.

« Tes mots me touchent, mon roi. Les braves Dawis morts ont été honorés à notre retour chez moi, mais que leur nom soit présent sur ce monument dont tu parles sera un geste que mon clan et M... et moi n’oublieront pas. »

J’avais hésité une demi-seconde à évoquer de nouveau Mogar, mais je m’étais retenu de justesse. Je ne connaissais que trop bien l’avis de notre roi sur la question. La dernière fois que j’étais à Kirgan, un conseil s’était tenu pour décider si nous irions, ou non, chercher ce mogarium. Le nom du père des batailles avait été évoqué plusieurs fois, et Harald l’avait renié, tout comme moi. La chute de Kirgan, la perte de tant de nains et l’injustice que nous avions tous ressentie avaient détruit la foi pourtant inébranlable des Dawis. Toutefois, retrouver l’un de ses temples avait renouvelé ma foi envers Mogar. Ce que j’avais ressenti là-bas était un mélange dérangeant de honte et de ferveur. Je n’avais plus de doute aujourd’hui, le dieu avait un plan pour moi, ou il ne m’aurait pas mis sur sa route. Je doutais fort que Harald soit prêt à entendre parler de lui tout de suite, et je ne voulais occuper son esprit juste avant le mariage. Cela attendrait que les invités soient tous partis.

Le roi avait également parlé de récompense. J’avais beaucoup de choses à lui demander, et je n’aurai pas d’autre occasion que de lui en parler en si petit comité avant un long moment.

« Harald, tu n’es pas dupe, alors je vais être franc avec toi. Si je me suis proposé pour retrouver le mogarium, c’est que mon clan est à bout de souffle. Il périt doucement, et nous n’arrivons pas à nous redresser. Notre fortune a disparu, nos mines sont vides, et nous n’avons aucune échappatoire. Les impôts de Thanor nous coûtent trop cher, et nous ne sommes plus assez nombreux. J’ai donc trois requêtes à te soumettre. »

Je repris mon souffle. Après avoir affronté tant de dangers, l’avenir de mon clan se jouait sur cette simple discussion. J’ignorais mon trac et fit face en répétant les termes que j’avais préparé bien plus tôt. Je pris mon air le plus solennel, digne d’un Thane à la tête de son clan depuis un bon demi-siècle.

« Les Main-Ferme souhaitent un remerciement public de ta part. Nous voulons que chacun sache ce que nous avons fait, et qu’ils fassent notre éloge jusqu’à Lante, jusqu’à Almis. Nous devons faire forte impression pour que de jeunes apprentis rejoignent le clan, et apprennent notre savoir-faire. »

J’avais choisi de commencer par la seule demande qui impliquait directement le souverain. Celle que je savais qu’il accepterait sans rechigner. J’enchaînais donc rapidement, sans lui laisser le temps de répondre.

« Deuxièmement, nous aimerions retrouver nos mines du Nord que nous avons perdues pendant le Voile. La richesse de ces terres ne t’est pas inconnue, et c’est la seule solution pour que nous retrouvions la qualité de notre minerai. Avec ça, les impôts de Thanor seront moins difficiles à payer, et nous pourrons de nouveau remplir nos coffres. »

Celle-là serait déjà plus délicate. Il faudrait une armée pour reprendre le Nord. Je n’étais pas encore au courant de l’annonce qui avait été faite quelques jours auparavant. Harald avait déjà prévu de reprendre nos territoires perdus, mais j’étais déjà sur la route de Kirgan lorsque le roi l’avait déclaré. C’est pourquoi je ne m’attendais pas à une réponse positive de sa part, tout du moins, pas sans un autre sacrifice. J’avais donc une certaine appréhension de ce qu’il pourrait me demander. Je continuai sur ma lancée, jetant un bref regard à Thordril, en sachant pertinemment que ma demande le concernait tout autant.

« Je souhaite enfin qu’on me fabrique un médaillon, fait du mogarium tiré des profondeurs de la montagne, pour trois raisons. D’abord, pour ne jamais oublier ce qu’il nous en a coûté. Ensuite, parce que je veux que chacun puisse savoir qui je suis. Je veux pouvoir prouver à tous ceux qui souhaitent l’entendre que nous avons trouvé le mogarium, et j’ai besoin de cette preuve. Et enfin, parce que... j’estime que notre clan devrait recevoir sa part du minerai, tout simplement. »

J’avais encore une fois hésité. Je souhaitais évoquer Mogar de nouveau, mais ce n’était pas le moment. J’avais donc osé émettre toutes mes demandes. La seule chose qui m’importait aujourd’hui, c’était l’avenir de mon clan, pour lequel je devrais probablement encore me battre. Mais ce serait un autre combat. Le roi m’observa un moment, avant de se lever et de tendre la couronne brisée au jeune maître forgeron. À son évocation de Brynhild, un sourire se dessina sur mon visage. J’imaginais déjà Dwarthal faire son rapport, et comment il glorifierait les actions de ses deux enfants. Sibris m’avait sauvé la vie, je lui étais redevable. Thordril acquiesça avec ferveur lorsqu’on parla de reforger la couronne, et un élan de fierté m’emplit, ressenti dans chaque poil de ma barbe mal taillée.

La dernière question de notre roi nous coupa le souffle. Il avait du nez, notre souverain. Thordril ne sut que répondre, et franchement, moi non plus. Il était difficile de décrire ce que nous avions ressenti, et, encore une fois, je ne voulais pas inquiéter notre roi. Sa façon de détourner le sujet de mes demandes me fit toutefois douter. Était-il capable de s’abstraire à ce point de sujets dérangeants ? Je choisis de rester sur ma décision, je parlerai de Mogar plus tard. Je coupai la parole au jeune Dawi en m’exclamant avec un petit rire :

« Ce que Thordril essaie de dire, c’est qu’on ne s’est pas battus comme ça depuis des siècles ! Ah, tu aurais dû nous voir, affrontant ces hordes de Kobolds d’abord, puis les engeances ensuite. ‘Parait que ce forgeron aurait foncé droit sur les lignes des Kobolds tout seul ! Ce fut une expérience très enrichissante, pour lui comme pour moi. Et je crois que chacun d’entre-nous ressortira grandi de cette épreuve. »

Je souris au roi, et frappai ma poitrine avec mon poing.

« Ce fut sans doute ma dernière bataille, je me fais vieux pour tout ça. Pourtant, crois-moi, je ressens comme une nouvelle jeunesse depuis que nous sommes rentrés dans ce temple ! Je m’en tire sans aucune blessure grave, je n’ai pas perdu mon unique œil, et mon marteau a fendu son pesant de crânes pour la première fois depuis le Voile. Je peux te dire une chose, Harald. C’est la première fois que je me bats pour la couronne, et c’est autrement plus glorieux que de se battre pour sa pomme ! »

J’éclatais de rire alors que les images terrifiantes de cette bataille restaient ancrées au fond de mon crâne. Glorieux ? Nous avions anéanti une centaine de créatures autrefois Dawis. Certes, l’adrénaline du combat et la joie de s’en tirer vivant étaient toujours palpables quand on y repensait, mais un goût amer restait coincé au fond de ma gorge. Dans ma tête, beaucoup d’informations tournaient, et je ne savais par quel bout commencer. Ces inquiétudes me hantaient, mais je refusais de les partager avec lui aujourd’hui.

L’honneur. Un mot. Une notion. Une qualité. Un sacerdoce. Un pilier. « Souviens-toi, mon fils, qu’il n’est point d’honneur qui ne saurait être récompensé. Apprends des plus érudits, apprends des plus illustres, comme des plus humbles, apprend des plus forts comme des plus faibles, et surtout, veille à ce que point d’honneur ne soit oublié »

Ces mots furent quelques-uns des rares que tinrent Thorgmund à son fils, Harald. Thorgmund n’était ni un érudit, ni un nain illustre, mais il était humble et incroyablement fort. Produit brut d’une éducation rude, le père de Harald était, comme son père avant, et comme le père de son père avant lui, le plus pur produit d’une tradition militaire vieille de plusieurs siècles. Fervent Mogarite – comme tous les nains à cette époque mais plus fervents encore étaient ceux de l’armée lourde de Lante – Thorgmund mettait un point d’orgue à inculquer la valeur de l’honneur à ses enfants. Pour lui, il n’y avait aucun petit honneur. De la chasse réussite en passant par la traque et la mise à mort d’un grand Drake, en passant par le sauvetage d’un Roi, ou la réussite d’une simple récolte de blés, l’honneur était tout, et tout était honneur.

Aussi Harald s’était-il évertué tout au long de sa vie à rendre l’honneur à ceux qui le méritaient, surtout ceux qui étaient directement liés à sa supervision. Il avait été un capitaine rustre, et fort, mais juste et bon. Il n’hésitait point à féliciter publiquement celui ou celle qui avait réussi sa tâche, et il encourageait celui ou celle qui nécessitait un peu d’aide, ou un peu de cœur.

Voilà ce qui explique en partie pourquoi Harald s’était enquis de la santé de ceux des Main-Ferme qui étaient partis, et voilà aussi pourquoi il avait tenu à les remercier, solennellement, personnellement et au nom de sa couronne. Couronne qui, il ne l’oublierait jamais, trônait sur son crâne par la seule volonté des thanes de tout le Zagazorn. Aussi garda-t-il le silence, alors qu’il confia la couronne à Thordril, réfléchissant aux demandes de Braähm. Une réflexion qui fut plus longue que ce que Harald avait prévu, car les demandes de Braähm étaient en tous points justifiées et méritées, en plus du respect que son grand âge méritait. Et Thordril, de par son jeune âge, n’avait point démérité.

Demandant aux deux nains qu’ils allègent le fardeau que le souverain percevait sur les épaules du vieux mineur et du jeune forgeron, il fut interloqué par les bredouillements de Thordril, qui fut bien vite épaulé par le vieux Braähm. Ainsi, les combats avaient été féroces, violents et âpres, et les leçons tirées par le vieux Thanes, accentuées qu’elles étaient par ce poing frappé sur son plastron, arrachèrent un sourire visible au travers de la barbe du souverain.

- Ainsi, Thordril n’est pas seulement un jeune forgeron d’exception. C’est également un puissant cognard, au marteau rougi autrefois du sang d’un Holwern, et baigné du sang de Kobolds et d’Engeances, aujourd’hui. Commença-t-il, reprenant les informations qu’il avait reçu tout à l’heure, et s’occupant d’y répondre, point par point. Je ne suis point étonné, bien au contraire. Et je suis certain que ses futures créations trouveront dans cette expérience du combat, qu’il gardera toujours en ses tripes et en son cœur, un peu de cette force et de cette férocité. Je suis certain, jeune maître Hargrund, qu’à partir d’aujourd’hui, le métal que tu forgeras sera d’une qualité encore plus grande, et que toutes les guerrières et tous les guerriers du royaume batailleraient volontiers pour l’honneur de porter une seule pièce sortie de tes forges. Savoir que c’est toi qui reforgeras la couronne des Rois, est un immense honneur. J’espère que tu te rends compte, jeune maître forgeron, que l’honneur qui est aujourd’hui le tien, toise celui de nos plus illustres héros. Nul doute que les portes du Mogankordun s’ouvriront devant toi sans qu’Heidum ne te demande quoi que ce soit, et que ta place autour de la Grande table du Père, t’es d’ores-et-déjà attribuée. Harald fit ici une pause, conscient que ce qu’il venait de dire était incroyablement fort et puissant, car le Grand-Roi venait d’assurer à Thordril que du haut de son jeune âge, il avait accompli autant que certains illustres héros du Zagazorn au cours des onze cycles d’existence. Et il lui assura également qu’il dînerait avec les ancêtres et les héros, sous le regard… De Mogar. Des mots puissants donc, surtout pour un jeune nain entendant cela de la part de son souverain. Il reporta alors son attention vers Braähm, qui méritait lui aussi un discours. Quant à toi, Braähm, fier Thane du clan Main-Ferme, j’ai déjà eu l’occasion et l’honneur de combattre à tes côtés, ici même, à Kirgan. Nombre de Kobolds tombèrent sous nos lames, après que nous ayons traqué un Kroak avide du sang des nôtres. Nous avons côtoyé la mort, et avons cru mourir nous aussi. Savoir qu’un si brave thane que toi, a livré son dernier combat aussi loin dans les monts, en réponse à mon appel, est un honneur bien plus grand encore que je ne saurais le dire. Que tu ai accordé une telle confiance, ta vie, et celle des tiens, à l’appel de ton souverain, et en son nom, te couvre d’honneur autant que je le suis de t’avoir à mes côtés. Il reprit une pause, acquiesçant à ses propres propos dans un mouvement subtile mais perceptible. Harald connaissait les sacrifices consentis par les deux nains face à lui, et il savait que l’échec de cette entreprise aurait signifié la mort de tout un clan déjà affaiblis. Je consens à réaliser l’éloge publique de ton clan, en plus de l’inscrire sur le panthéon des morts de Kirgan. Commença-t-il à répondre, pesant chaque mot, et accordant un petit temps de réponse entre chaque point à aborder. Tu n’es point inconnu des projets de reconquête de nos contrées perdues, notamment le Nord, et les mines qui nous manquent cruellement. J’ai d’ores-et-déjà ordonné, par ordre royal, que notre nation entre dans le processus de préparation à la guerre. Toutefois, je me dois d’être honnête : voilà seulement quelques jours que cet ordre est tombé, et déjà, plusieurs de nôtres s’essoufflent face à cet effort. Nos chantiers sont énormes, et nos défis sont les plus grands que notre peuple n’ait jamais eu à traverser. Le commerce extérieur n’en n’est qu’à ses prémisses, et cette économie de guerre, que j’ai commandé, commence déjà essouffler nos plus vaillants artisans, dont les entrées d’or sont drastiquement atténuées, alors qu’ils oeuvrent d’arrache-poil pour alimenter l’effort de guerre. Sans doute ai-je été trop ambitieux, car notre pays n’est point prêt à réaliser une telle guerre. Il va me falloir, il va nous falloir patienter, attendre, et nous préparer d’une manière que notre peuple est le seul à connaître : méticuleusement. Tu comprends, je n’en doute point, qu’à travers mes mots, j’en appelle à ta patience, honorable Gromthrommi des Main-Ferme. Toutefois, je ne suis point insensible à ta requête : j’offre à toi, et à ton clan, une loge au cœur de la cité de Kirgan, et un emploi temporaire dans les mines qui se trouvent encore sous Kirgan. Et je te fais la promesse, promesse qui trouvera son chemin sur vélin et sera apposée du sceau royal, que la reprise du Nord signifiera l’accession totale aux anciennes mines de ton clan, et aux nouvelles que les divinités vous accorderont. Car je ne doute point que les dieux vous soient favorables, et je ne doute point non plus que trouver un antique temple du Père… Il soupire, prend une pause, et enfonce son regard dans celui de Braähm. La question du père taraude de plus en plus le souverain, encore plus depuis que des nains furent envoyé à la recherche du précieux métal.… Est une bénédiction. Et enfin, maître Main-Ferme, il est normal que ceux qui retrouvèrent la Mogarium puissent l’arborer fièrement, et être libre de le forger, ou de l’utiliser à leurs guises. Toi, et Thordril, pourrait prendre votre dû en métal dès lors que les vôtres seront de retour avec vos trouvailles. Thordril, utilise ces deux gemmes-ci pour reforger la couronne. Les prochaines seront pour vous. Voici mes décisions.

Une discussion lourde, très lourde de sens. Mais une discussion utile, qu’il fallait avoir tôt ou tard.

La jeune barbe devait sans aucun doute se sentir honoré de recevoir de telles paroles d’un Dawi tel que Harald. Je le sentais sous le choc près de moi. Il faut dire que peu d’entre nous pouvaient s’enorgueillir d’avoir accompli autant si jeune. Je me remémorais alors l’exploit que nous avions fait, Dailor et moi, lorsque j’avais à peu près l’âge de Thordril. Affronter cent Kobolds à deux et en ressortir vivant, c’était peut-être moins impressionnant que ce qu’on avait vécu jusqu’ici, mais je n’avais pas à avoir honte !

En tout cas, le discours du roi me laissa sans voix. Il avait consenti à toutes mes demandes, et plus encore. Je ne m’attendais pas à ce que l’économie de guerre soit déjà lancée. Je ne pensais pas le peuple prêt, et les dires de Harald me le confirmèrent. La patience serait donc de mise, ce que je comprenais tout à fait. La suite me réchauffa le cœur, je ne m’attendais certainement pas à recevoir une loge au sein de Kirgan. À dire vrai, les possibilités se multiplieraient ici. Nous pourrions très certainement retrouver du minerai de qualité et exploiter des mines fraîches, bien plus fournies que les nôtres. Dans ma tête, un plan s’échauffait déjà, et il n’allait même pas être nécessaire de jouer serré.

Il me promit également que la reconquête serait faite, un jour, et que nous récupérerions nos mines. Tout allait donc se résoudre dans un futur plus ou moins proche. L’échappatoire qu’il m’offrait via son invitation à Kirgan laissait entrevoir un filet de lumière pour mon clan. La Main-Ferme serait redevable à la couronne, c’était certain.

Lorsqu’il mentionna Mogar, un sourire apparut rapidement sur mes lèvres. Une bénédiction... oui. Certainement. Et peut-être plus encore. Je pris le temps de digérer le fait que Harald nous offrait le mogarium trouvé, et plusieurs questions me taraudèrent. Je n’avais pas envisagé que le minerai nous revenait de droit, mais peut-être était-ce la clé de mes problèmes ?

Thordril répondit après avoir repris les gemmes, et je vis son regard briller de fierté. Je soupirai de soulagement, il prenait sa mission à cœur. Comprenait-il les enjeux qui se tramaient ici ? Sûrement. Savait-il que le nom de Thorgril Hargrund rentrait dans l’histoire du Zagazorn ? Peut-être. Mais avait-il seulement idée de ce que cela signifiait ? La jalousie des uns et la colère des autres pourraient se retourner contre lui, il lui faudrait être prudent. Tout comme moi. Je m’approchais de lui et mis ma main sur son épaule.

« Tu as d’quoi être fier, Altrommi. J’ai hâte de voir cette couronne. Reste bien discret, il ne faut pas que le bruit se propage trop fort. »

Je fis une pause et regardai le monarque droit dans les yeux. Fallait-il continuer à discuter, ou bien mettre un terme à ce rapport pour nous laisser le temps de repenser à tout ça ? J’avais encore des questions, et je ne pouvais me soustraire à ne pas les poser dès maintenant. Mais plutôt que de formuler des interrogations, il fallait peut-être voir les choses sous un autre angle. Je repris d’une voix calme, posée, en essayant de ne pas paraître pour un idiot.

« Harald, merci pour tout. Je sais que tu tiendras parole, et je suis fier de t’avoir comme Groman-Rik. Le mogarium nous reviendrait donc, au clan Main-Ferme. Une partie sera confiée à la couronne, puisque sans elle, nous ne l’aurions jamais retrouvé. Thordril aura aussi sa part, à la hauteur de ses exploits. Après que mon médaillon soit forgé, nous aurons à peu près tous les trois une part égale de mogarium, mais je ne pense pas que la quantité sera suffisante pour l’utiliser correctement. Il faudra nous retrouver un autre jour pour choisir ce que nous allons en faire. »

Je repris mon souffle et les regardai tour à tour.

« J’ai ma petite idée, mais je préfère la garder pour moi et vous laisser le temps d’y réfléchir. »

Je relâchai l’épaule de Thordril et frappai de nouveau ma poitrine en fixant Harald.

« Tu me fais honneur en invitant mon clan à résider à la capitale. J’en parlerai aux ancêtres de mon clan, mais je suis certain que plusieurs mineurs viendront s’installer dès le mois prochain. Il y a de fortes chances que je me joigne à eux. Nous participerons à l’effort de guerre du mieux que nous le pourrons, sois-en certain. »

Braähm, Harald et Thordril, tous les trois réunis, rassemblaient trois des quatre principaux axe de la vie des Dawi. Thordril était la jeune, impétueuse, flamboyante par moments, naïve dans d’autres, mais toujoours prompte à apprendre de ceux qui vécurent plus longtemps. Harald était la force de l’âge, dotée d’une certaine sagesse et d’une maîtrise de la vie, mais qui nécessitait encore, parfois, l’appui, les conseil et l’aval des anciens, des plus vieux, des plus sages. Et Braähm, plus sage justement, dont l’âge vénérable lui permettrait – en temps normal – de dicter la conduite des deux autres Dawis présentés avant.

Mais Thordril avait beaucoup apprit ces derniers temps, et cette naïveté, cette apparence débonnaire et casanière, avait presque disparue au profit d’une trogne creusée par les pérégrinations, et d’un regard rendu plus vif par tout le sang rouge qu’il avait vu, et par toutes les missions réalisées. Aussi, Harald eut un sourire timide, mais néanmoins sincère, comme un père sourirait à son fils devenu Nain après un Kumenouth réussi.

- Ta confiance à toi m’honore également, Altrommi. Si je fus clairvoyant en t’engageant à Thanor, voilà de nombreuses lunes, tu as été bien plus courageux encore en acceptant cette quête, et en l’accomplissant. Je ne doute point de ta réussite. Permets-moi de t’offrir un dernier conseil, avant de te laisser rejoindre les hauts-fourneaux de Thanor : ta renommée grandissante sera à la fois ta plus grande lumière dans l’obscurité, et ton principal obstacle dans la longue vie qui t’attends. Apprend à discerner l’ami de l’ennemi, le jaloux du sincère, et doute de tout, jusqu’à-ce que la confiance règne. Ainsi, tu sauras qui est l’ami, et qui ne l’est point.

Harald avait dit cela en se penchant légèrement, s’avançant sur son trône, pour perdre un peu de cette hauteur donnée par l’assise et le piédestal. Il s’était voulu plus proche de la jeunesse, et de la sagesse, et, bien que la couronne était toujours l’apanage de son statut, son cœur, lui, était proche du peuple.

Et puis, ce fut à Braähm de s’exprimer face aux réponses précédentes données par Harald. Le thane du clan Main-Ferme avait, au fur et à mesure du temps, gagné une place à part dans le cœur et l’esprit de Harald. De par sa qualité d’ancien, mais aussi par la quête partagée, et le sang versé. Harald, en impitoyable guerrier qu’il était, n’oubliait jamais ceux qui versèrent le sang à ses côtés, et Braähm avait été de ceux-là. Ensemble, ils chargèrent les Kobolds, privés de soutien alors que toute une galerie s’était écroulée derrière eux. Cela, il ne l’oublierait jamais. Et sans doute cela donnait à Braähm une importance insoupçonnée, et une valeur que personne ne pourrait estimer.

- La partie détenue par la couronne sera de l’ordre du trésor royal, et sera gardée en lieu sûr. Peut-être n’est-il point utile de décider aujourd’hui, ni demain, de ce que nous pourrions faire de ce métal. Le retrouver est sans doute un exploit suffisant pour les prochaines ennéades, les prochains mois… Peut-être même les prochaines années. Notre peuple va devoir faire face à de nombreux enjeux, notamment celui qui nous anime tous : la reconquête des régions perdues. Nous en reparlerons en temps et en heure, vénérable Gromtrommi. Garde ton idée, nous en reparlerons. Répondit Harald, avant d’écouter à nouveau le témoignage de Braähm à propos de l’offre d’une loge à Kirgan. Le chantier de Kirgan avance, doucement, mais sûrement. Les ingénieurs et architectes estiment qu’il faudra encore un demi-siècle, peut-être même plus, avant de pouvoir reconstruire ce joyau détruit voilà presque deux décennies. Mais nous y arriverons. En attendant, de nouvelles loges se creusent sous la montagne, et je suis honoré de me dire que l’une d’elle peut accueillir le clan Main-Ferme, le clan qui aura été le premier à extraire et miner le Mogarium depuis des siècles. Renchérit-il, avant de reprendre une position plus « droite » sur son trône, tel le souverain qu’il était. Merci encore à vous deux pour ce rapport, et cet honneur, et votre confiance. Profitez du confort et des joies de Kirgan. Si vous le désirez, je vous autorise à vous rendre à la crypte royale, au bout du corridor de cette porte à ma droite, dans la partie dédiée aux quartiers royaux. Le tombeau de Hardrek s’y trouve. Vous pourrez vous y recueillir le temps que vous le souhaitez. Avez-vous encore besoin de moi ?

Une question fort curieuse. Car bien que les Nains n’aient ni codes ni protocoles semblables à ceux des Umgis en terme de statut et de « savoir vivre », il n’était point courant que le souverain demande si l’on avait encore besoin de lui, telle une permission de vaquer à ses occupations. Mais Harald était de ce genre-là : d’abord là pour son peuple, avant de l’être pour lui-même.

Le discours élogieux du roi me tira un sourire franc, et fier. Harald était doué pour ses paroles. Il savait trouver les mots pour que chacun comprenne la place importante qu’il avait, pas seulement pour eux-mêmes, mais également au sein de la nation. Il avait toujours su m’épater. Son expérience de Gazanundi l’avait forgé dans le talent de l’éloquence, et encore auparavant, son passé de chef guerrier lui avait donné une poigne de fer, inspirant respect et obéissance. Nul doute qu’il avait pu mentorer et mener beaucoup de Dawis. Si je ne le connaissais pas bien, à première vue, on pourrait le croire manipulateur. Pourtant, au fond de moi, je savais qu’il était honnête et sincère, choses presque communes chez les Groman-Rik du Zagazorn.

Je tiquai lorsqu’il désigna mon clan comme le premier à avoir miné du mogarium. On ne pouvait pas appeler ça une extraction, mais je me réfrénais à le corriger : les détails n’étaient pas importants. Ce qui comptait, c’était que le minerai soit de nouveau entre nos mains. Il continua en nous invitant à nous recueillir sur la tombe de Hardrek, et je ne sus franchement que répondre. Je ne connaissais pas vraiment son prédécesseur, mais je savais ce qu’il avait fait pour notre peuple. Si nous étions sur cette voie de renaissance, c’était aussi grâce à lui. D’un autre côté, je me sentais déjà intrus avant même de rentrer dans la crypte. Qui étais-je pour me recueillir auprès de ce héros défunt ?

C’est Thordril qui finit par m’aider à me décider.

« Je te suivrai à la crypte royale, et je te montrerai ensuite une auberge que je fréquente habituellement, lorsque je vais à Kirgan. » Je souris de nouveau et me tournai vers le roi. « Tu peux retourner à tes affaires, nous en avons terminé. Nous aurons l’occasion de discuter autour d’une bonne bière de la façon dont tu as réussi à embobiner Brynhild ! »

J’éclatais de rire en repensant au regard qu’avaient porté quelques nains à ses miches, lorsqu’elle était passée à la loge, le mois dernier. Ce jour paraissait si lointain aujourd’hui... J’étais heureux que Dwarthal et ses deux enfants s’en soient sortis vivants. Il aurait été pénible que la reine subisse un deuil quelques ennéades avant le jour du serment. Je frappais ma poitrine de mon poing et m’inclinais en m’éloignant d’un pas. Il était temps de partir.

Le rapport des deux nains, du jeune Altrommi au cœur ardent, et du vénérable Gromtrommi au grand âge et à grande sagesse, arrivait donc à sa fin. Il était temps pour ces deux êtres de prendre congé, de retourner à un repos qu’ils ont bien mérité, bien plus que ce que d’aucun pourrait imaginer. Ils étaient passés par la mort, le feu, le sang et la glace, pour trouver le précieux métal, dans un ancien temple dédié au Père. Maintenant, ils pouvaient savourer leurs lauriers, et profiter de ce repos mille fois mérité.

Mais point dans une taverne, ni une auberge quelconque, non. Car bientôt, un serment de fidélité allait être célébré. Bientôt, Harald et Bryhild lieraient leurs Braises-Vies devant les dieux et devant le peuple. Et il était hors de question de laisser ces deux nains prometteurs et pleins d’honneur vivre dans une auberge qu’ils paieraient, non. Non pas que le confort de Kirgan soit spartiate, non. Mais à grand honneur, on doit rendre grand hommage.

- Mes amis, attendez. Dans quelques ennéades, Brynhild Odomar et moi-même allons nous unir. Braähm, fait moi l’honneur d’accepter de vivre dans un des appartements royaux, le temps que ta loge soit prête, et jusqu’au mariage qui ne devrait point tarder. Et toi Thordril, je t’offre la même chose lorsque tu reviendras à Kirgan, pour le mariage, avec la couronne. Les tavernes de Kirgan sont chaudes et confortables, mais vous méritez de loger prêt de moi. Réfléchissez-y pendant que vous vous recueillez auprès de Hardrek. Je serais dans ma salle du conseil. Que les dieux veillent sur vous.

Et il se leva, accorda un signe du buste aux deux Dawis… Et il disparu dans l’aile royale, attendu qu’il était pour un énième conseil.