Toute invitation est un message des dieux.

Panahos de la première ennéade Verimios de l’an 17 : XI
Dans les rues d’Alëandir.

Tu sais très bien que ce n’était pas vraiment à toi de t’en occuper, après tout c’était bien le rôle de tous les prêtres de s’occuper des membres les plus fragiles de votre communauté, mais c’était l’une des prérogatives du clergé de Kÿria que tu n’avais jamais pu abandonner. C’était une prérogative que tu préférais ne pas déléguer même si ton emploi du temps était bien assez chargé comme ça. Tu sors de la maison avec un arrière-goût désagréable, les progrès ne sont pas aussi rapide que tu l’espérais. Tu sais que c’est normal, tu sais que ce genre de choses prennent du temps mais ça n’empêche pas que tu n’aimes pas ça. Tu aimerais pouvoir aider tout le monde à aller mieux bien plus vite, comme tu le fais avec ta magie mais malheureusement tu es mage de vie, pas de l’esprit et tu ne peux offrir qu’une oreille attentive, tes mots et tes étreintes. Alors certes ça suffit mais ça n’est jamais assez rapide. Tu sais ce que c’est d’être piégé à l’intérieur de ta tête ou de se sentir seul alors que l’on est en plein milieu d’une foule et c’est une chose que tu ne souhaites à personne.

Tu avances dans les rues d’Alëandir, la tête basse, les sourcils froncés, prise dans une réflexion que tu n’aimais pas avoir. Les gens s’écartent légèrement sur ton passage, il faut dire que le sceptre aide à t’annoncer pour les plus distraits, lorsqu’il tape sur le sol au rythme de ta marche, le son alerte les plus proches. Toutefois tu t’arrêtes net alors que ta vision périphérique détecte quelque chose arriver rapidement. C’est un enfant d’à peine une soixantaine d’années, du moins c’est l’âge que tu lui donnerais Tu as à peine le temps de tourner la tête pour le voir te foncer dessus, il ne t’a sûrement pas vu, il regarde derrière lui et tu es trop lente pour te mettre hors de son chemin alors il te percute.

Pendant un moment tu as les yeux fermés et la seule chose que tu sais c’est que tu as mal à la jambe gauche et un peu partout sur la moitié droite de ton corps. Tu rouvres les yeux pour te rendre compte que tu es au sol alors que déjà les gens autour s’approchent pour t’aider à te relever. Aide que tu acceptes gracieusement, on te tend ta couronne, que tu remets en place et ton bâton puis tu t’agenouilles devant l’enfant qui se frotte un œil, les larmes aux yeux.

« Où tu as mal? » Dans l’immédiat tu n’as pas besoin de sa réponse parce que son autre main il l’utilise pour couvrir son épaule. Alors, en attendant qu’il réponde, tu attrapes ladite main pour la serrer et dégager son épaule pour que tu puisses poser la tienne, de main, et commencer à incanter. Il ne faut pas grand-chose, rien pour ainsi dire, ce n’est qu’un choc. Plus de peur que de mal. « Ça va mieux? »

Il ne dit rien mais il hoche la tête alors tu te relèves pour tomber nez-à-nez avec un couple que tu imagines être ces parents.

« Merci. » Avant que tu ne puisses répondre ils se tournent vers l’enfant. « Aerin qu’est-ce qu’on dit? »
« Ce n’est pas necessaire, il ne recommencera plus. N’est-ce pas Aerin que tu regarderas devant toi maintenant ? »

Tu ponctues ta question d’un sourire réconfortant et l’intéressé hoche vigoureusement la tête. Les parents abandonnent vite même s’ils te présentent leurs excuses au nom de leur fils. Malheureusement tu n’as pas beaucoup de temps pour continuer à discuter et après avoir échangé quelques mots, tu prends congé et reprend ta marche.

En rentrant chez toi tu montes les escaliers qui mènent à ta chambre et tu t’effondres sur ton lit après avoir posé ton sceptre et ta couronne. Toutefois tu n’as pas encore le loisir de te laisser aller à l’oisiveté. C’est à se demander si tu le pourras un jour mais en réalité tu n’es pas certaine de le vouloir, l’idée te mets mal à l’aise. En attendant tu te relèves et pendant que tu redescends pour trouver ton bureau tu libères tes cheveux de leur tresse qui tombent en cascade dans ton dos. Une fois derrière ton bureau tu prends de quoi écrire et tu te mets à nouveau au travail.

Panahos de la première ennéade Verimios de l’an 17 : XI

Heru Aegden,
Comme vous le savez sans doute mon époux, Eryvïnn, fait partie de la milice d’Alëandir et bien que j’entende beaucoup parler de vous, je me suis rendu compte que nous n’avons jamais eu le loisir de se rencontrer réellement. Certes nous nous sommes croisés quelques fois, que ce soit dans les rues de notre belle cité, peut-être que vous vous souviendrez de ce moment, lorsque vous n’étiez encore qu’un enfant, ou entre les murs du palais du Trône Blanc mais nous n’avons pas pu discuter. Or je tiens à discuter avec le plus de mes frères et sœurs que possible et ce aussi régulièrement que possible, j’aime apprendre à connaître les autres, voyez ça comme une veille habitude d’Arpenteur qui ne m’a jamais quitté.

Cependant j’ai cru comprendre que ce n’était pas une activité qui vous intéressait plus que ça, ce que j’entends très bien, alors peut-être serez-vous tout de même intéressé par une promenade dans les bois ; si échanger quelques mots ne vous tentent pas, j’ose espérer que m’accorder quelques instants ne vous dérangera pas. Je conçois également que vous êtes très occupé et ne voulant en rien bouleverser vos plans je vous laisse toute latitude pour choisir quand vous m’accorderez cette entrevue.

J’attends avec hâte votre réponse, puisse I Mîngely vous guider.

La Servante, Calemirhel.

-Aegden ?

Le mainyth cessa de frotter l’arrête de son nez entre son pouce et son indexe et rouvrit les yeux vers son interlocuteur qui venait de toquer à l'encadrement de la porte laissée ouverte. Le soldat sembla légèrement inquiet de l’état du commandant mais ne broncha pas attendant gentiment que son supérieur visiblement fatigué lui réponde.

-Excuse-moi. Répondit Aegden d’une voix plus lasse qu’il ne l’aurait voulu. Qu’est-ce qui t’amène ?

Le soldat s'approcha et lui tendit une lettre que l'elfe aux cheveux roux prit avec délicatesse non sans remercier le messager qui s’éclipsa ensuite de son bureau après un sourire amical.

Il fronça les sourcils en la lisant, la lettre. Il ne s'y attendait pas du tout. Il n’avait en effet que peux de fois parlé avec la Main de Kÿria. Il ne se souvenait absolument pas de quoi elle parlait lorsqu’elle l’évoquait encore enfant mais cela eut au moins le mérite de lui faire hausser un sourcil. Il se demanda même si elle n'avait pas une idée derrière la tête.

La réponse il l'écrivit pourtant aussitôt, se décidant à ne pas faire attendre la prêtresse. Calemirhel put donc bien vite recevoir une  courte missive à l'écriture penchée, presque hâtive mais tout de même lisible et appliquée.

Panahos de la première ennéade Verimios de l’an 17 : XI

Bienveillante Main,

Je ne saurais refuser une telle demande de votre part. Il est vrai que rares ont été les occasions de nous entretenir du fait de nos positions respectives mais croyez bien qu’en aucun cas je n’éprouve de désintérêt à converser avec vous ou peux m’importe quel frère et sœur.

Retrouvons-nous au niveau de la porte Est demain après-midi, c'est-à-dire Arkuisa de la première ennéade, si votre devoir vous le permet.

Qu’I Mingely ne cesse de vous apporter sa Sagesse,

Aegden Orian

C’est d’un pas rapide que tu te rentres chez toi, Taharalan a bien proposé de te raccompagner mais tu préfères profiter seule des rues moins bondées de la cité à la nuit tombée. C’est durant ces moments que tu peux réellement t’arrêter et échanger quelques mots sans te sentir pressée, ce qui est toujours appréciable. Alors tu t’arrêtes lorsque quelqu’un te pose une question, te demande conseil, non pas parce qu’il s’agit de ton rôle, de ton devoir, mais parce que tu aimes ça. C’est une façon de plus pour toi de rendre un peu de tout ce que la communauté a pu t’offrir et puis surtout : tu te sens utile. Malheureusement il arrive parfois que tu ne puisses pas répondre tout de suite, qu’un problème soit trop épineux et que tu aies besoin de réfléchir un temps alors tu demandes pardon et tu demandes à ceux qui t’ont posé une colle de venir le lendemain au pied de l’Estel.

En poussant la porte de la maison que la cité vous a offert, à ton époux et toi, pour votre mariage et que vous occupez depuis plus de huit siècles, tu pousses un long soupir exténué.

« Calemirhel? » Tu reconnais aisément la voix d’Eryvïnn et tu te diriges dans le salon pour le trouver occupé à regarder Pôdcalen se déplacer à une vitesse surprenante entre les branches de l’arbre qui a poussé au centre de votre maison durant le Voile. Le soldat se retourne en t’entendant et son visage soucieux est contagieux.

« Il y a un problème, mon amour? »
« C’est Pôdcalen, il a pris la lettre qui t’attendais et il ne veut plus la lâcher. »

En effet un des longs membres du tentapatte enserre une missive et ses grandes oreilles se tournèrent vers ton époux en entendant son nom. Fronçant les sourcils, tu regardes un instant autour de toi et tu prends un fruit des fruits sur la table en espérant que le lémurien accepte l’échange. A ton grand soulagement il accepte bien qu’il semble hésitant alors tu te dépêches de la lire. Tu sais l’animal capricieux et tu te doutes qu’une fois qu’il aura terminé son fruit il viendra demander son butin. La lettre froissée rend l’écriture penchée d’autant plus difficile à lire alors tu forces sur tes yeux.

« Une mauvaise nouvelle? »
« Non, au contraire. » Tu réponds avant de retourner à ta lecture et une fois que tu as finis tu reposes la lettre et voit Pôdcalen accroché à une branche juste au-dessus de la table, ses petits yeux lorgnant ladite lettre. Tu tournes la tête vers Eryvïnn qui lance un regard noir au tentapatte. « Tu peux lui la laisser. J’ai une réponse à écrire et je suis toute à toi. »

Panahos de Verimios de l’an 17 : XI

Heru Aegden,
Votre diligence vous honore, je vous écrit tard et je vous présente mes excuses, j’ai dû me déplacer aux quatre coins d’Alëandir ainsi le messager n’a pas pu me trouver et j’ai trouvé la lettre m’attendant patiemment chez moi. J’espère donc que ma réponse ne vous dérangera pas.

Sachez qu’écouter autrui fait partie de mes devoirs et que j’accepte avec plaisir votre proposition, je vous attend donc demain après-midi, comme convenu, à la porte est.

Qu’I Emël vous accorde ce que vous souhaitez.

La Servante, Calemirhel.

Arkuisa de la première ennéade de Verimios de l’an 17 : XI.
En début d’après-midi, à la porte est d’Alëandir

Après avoir passé une matinée à méditer, prier et prodiguer tes conseils au pied de l’Estel enneigé, tu es passé rapidement chez toi pour te changer. Si tu n’as pas pour ambition de te battre ou de te mettre en danger d’une quelconque façon, tu sais que l’Anaëh reste dangereuse et ce même non loin des murs d’Alëandir. Alors certes tu fais confiance au commandant de la milice pour te protéger mais tant qu’à faire autant lui faciliter la tâche. Alors tu te débarrasses de tes robes amples pour quelque chose de plus simple, de plus près du corps, de plus martial. Non, tu ne comptes pas aller jusqu’à enfiler une cuirasse mais tu n’as pas envie d’être ralentie par tes vêtements. Tu te sens un peu à l’étroit mais ça doit être parce que tu n’as plus l’habitude de porter cette tenue après tout ça doit faire plus d’un siècle que tu ne l’a pas mise. Pendant un instant tu t’es d’ailleurs demandé si elle t’allait encore.

Enfin tu mets ton manteau et prends ton sceptre, tu laisses ta couronne, préférant ne pas prendre de risque, et tu te lances dans les rues de la capitale pour arriver à la porte est. Normalement tu as pris assez d’avance pour être certaine de ne pas arriver en retard mais dans le doute tu marches d’un pas rapide. Cette fois tu n’as pas vraiment le loisir de t’arrêter pour aider tes concitoyens mais de toute façon peu te demandent de l’aide, voyant que tu es manifestement pressée.

Lorsque tu arrives aux portes de la ville tu te rends compte que, peut-être, tu as plus d’avance que tu n’avais anticipé et tu décides d’attendre. Tu lances un coup d’œil aux gardes qui font de même et tu résistes un temps à la tentation d’aller leur parler, tu n’as pas envie de les distraire durant leur service, mais ladite tentation ne tarde pas à prendre le dessus et tu fais bien vite un pas vers eux. Vous ne discutez pas de grand-chose d’important, principalement de la météo, du fait qu’il a neigé, que tout est calme puis au fil de la conversation tu apprends que l’un des gardes va devenir père et tu l’en félicites chaudement. Une autre t’apprends qu’elle pense à se marier et tu lui propose, si possible, de t’occuper de la cérémonie mais avant qu’elle ne puisse répondre, le commandant arrive.

Aegden n’avait vu la lettre que bien tard entre les entraînements, les missions, la paperasse qui s’accumulait dès qu’il tournait le dos. Il n’avait pas vu le morceau de parchemin avant que le soleil soit haut dans le ciel et cela ne lui avait laissé que peux de temps pour se préparer et rejoindre la prêtresse à temps.

Il n’aimait pas être en retard.

Il n’avait pas gardé son armure cette fois-ci, ni même sa lance courte. Il ne savait pas vraiment ce que voulait la Main, mais il n’avait pas l’impression que cela relevait vraiment de ses attributions militaires alors il avait opté pour une tenue civile toute simple. Ses cheveux quant à eux étaient noués en une coiffure tout aussi martiale que d’ordinaire. La force de l’habitude.  

Il n’y avait que son épée à sa hanche rappelant qu’il restait un elfe d’arme quoi qu’il arrive. Si la prêtresse avait dit vouloir s’aventurer dans la forêt, il ne tenait pas à se trouver totalement sans défense.

Il claqua discrètement sa langue en apercevant l’elfe plus loin, prêt de leur point de rendez-vous et accéléra le pas. Il était bel et bien en retard donc.

-Bienveillante Calemihrel, la salua-t-il. Pardonnez-moi si je vous aie fait attendre.

Il fit aussi un signe aux gardes en faction. Il les reconnaissait bien évidement. Il semblait de meilleure humeur que la veille malgré le désagréable retard, tout du moins un peu plus détendu.

« Mais pas du tout, heru Aegden, c’est moi qui suis arrivé en avance ; et puis j’ai eu le loisir d’apprendre d’excellentes nouvelles, le temps est passé bien vite. » Tu tournes la tête vers les gardes en faction et tu leur lances un clin d’œil complice. « Mais maintenant que vous êtes-là que diriez-vous de nous mettre en route ? »

Tu dis au revoir aux soldats en te demandant si tu leur attireras des ennuis en trainant davantage et tu passes la porte est qui t’observe depuis que tu es arrivée. Tu fais un dernier geste de la main aux gardes puis tu attends Aegden. Tu lances un coup d’œil pour voir de quel côté repose son épée et tu te places de profil pour qu’une fois que vous partirez tu te trouves sur sa droite avant de te retourner pour la dernière fois en direction du sentier qui part se perdre entre les arbres. Cependant tu perds bien vite le sentier, la neige ayant fait son œuvre durant la nuit, une couche recouvre ledit sentier et tes oreilles frissonnent en entendant ton pied se poser sur la neige compacte, cet étrange crissement. Tu as toujours aimé ce son, et celui des feuilles mortes mais ce n’est malheureusement plus la saison, alors tu en profites pendant quelques pas et pendant ce temps tu avances les yeux fermés. Ce qui n’est pas un problème, non seulement tu connais suffisamment bien les environs pour te le permettre mais en plus de ça tu te laisses guider par la Symphonie.

Toutefois ce n’est pas pour écouter l’Œuvre ou la neige que tu as demandé à Aegden de venir, après tout tu aurais pu le faire seule, alors tu prends une grande inspiration, laissant l’air froid t’emplir les poumons puis tu expires lentement avant de tourner la tête vers le commandant sans pour autant s’arrêter de marcher, vous arriverez sans doute bien assez vite sur la berge de l’Elorëa.

« Me feriez-vous le plaisir de me donner votre bras, heru Aegden ? » Elle en profita pour s’approcher et lui tendre son bras gauche. « Merci beaucoup d’avoir accepté cette promenade, et aussi vite qui plus est. J’imagine sans peine que mon invitation vous a surpris mais, voyez-vous, c’est justement là tout le problème, j’aimerais pouvoir écrire à tous sans que cela semble sortir de l’ordinaire et j’espère bien y remédier. »

Ton oreille droite frémit en entendant quelque chose bouger non loin mais tu ne t’en inquiètes pas, après tout ce serait l’inverse qui te ferait peur. Alors, appuyée sur Aegden et ton bâton, tu avances à son rythme, vous faites plus ou moins la même taille et même si tes jours dans l’armée royale sont derrière toi tu ne doutes pas pouvoir soutenir la vitesse de marche du commandant.

« Maintenant que j’y pense, le souvenir le plus… marquant, que j’ai de vous c’est celui que j’ai mentionné dans ma lettre, quand vous n’étiez qu’un enfant. Je ne sais pas si vous vous en souvenez, n’ayant aucune idée de l’âge vous aviez à l’époque… c’était peu de temps après le siège, je venais à peine d’être choisie par mes pairs pour devenir la Servante et dans les rues d’Alëandir un jeune Aegden Orian m’a salué depuis les épaules d’un de ses parents, je ne me souviens plus lequel. J’aurais beaucoup aimé m’approcher mais je ne pouvais malheureusement pas contrevenir à la procession. »

-J’aimerais m’en souvenir. Fit-il à mi-voix

Aegden eut l’air de se perdre dans ses pensées. Si la Main s’en souvenait c’est qu’ils devaient être heureux autant que faire ce pouvait en ce temps-là sa mère et lui, car il ne pouvait s’agir que d’elle.
Il ne se souvenait pas de ce moment précis mais il supposait qu’il ressemblait à de nombreux autres instants liés à cette époque et une vague de nostalgie s’installa doucement au fond de son cœur.

Le deuil avait profondément affecté sa mère mais elle avait fait ce qu’elle pouvait pour épargner son fils encore bien jeune. Elle avait ris, joué, couru avec son unique enfant comme si elle n’avait pas récemment perdu son mari. Elle avait continué de le poser sur ses genoux et de jouer de la harpe jusqu’à ce qu’il s’endorme, continué de sécher ses larmes, continué de supporter ses colères d'enfant de quatre vingt-dix ans.

Elle avait été une mère et en même temps elle avait vaillamment lutté contre ce mal qui devait finalement l’achever des années plus tard. Et grâce à cela, malgré l’absence brutale d’un père, Aegden avait été un enfant heureux.

Désormais adulte il chérissait les souvenirs qu’il avait de cette époque. Il comprenait mieux certains, maintenant que se vision du monde avait acquis de la maturité mais n’en regrettait quasiment aucun.

Relevant finalement les yeux vers son interlocutrice il décida d’arracher ses pensées à cette mélancolie du passé et souris d’un air presque joueur, c’était forcé au début mais bien vite cela devint plus sincère.

-J’espère quand même que vous ne me voyez plus comme l’enfant qui a croisé votre chemin il y a au moins trois-cent ans. Plaisanta-t-il. J’ai grandi depuis.

« Je comprends. »

Tu pourrais répondre beaucoup d’autres choses, te lancer dans un long discours grandiloquent comme cet étrange mage arïn en a le secret mais à quoi bon ? De plus si Aegden en a besoin tu ne doutes pas qu’il t’en fera part, après tout c’est un grand garçon à présent. Alors tu n’ajoutes rien, tu le laisses se plonger dans le silence, se plonger dans ses souvenirs, et tu le sers un peu plus contre toi pour lui servir de bouée, pour être certaine qu’il ne se noiera pas ; tu le couves du regard et tu affiches un sourire réconfortant, tu attends le temps qu’il lui faut et tu te prépares à ne plus prononcer un mot de plus si nécessaire mais tu te rends compte plus vite que tu ne le pensais que ce ne sera pas le cas. Le sourire d’Aegden te réchauffes le cœur. Il est si facile de rester piégé.

Sa question te fait rire mais tu ne réponds pas tout de suite, pendant une seconde ou deux tu laisses tes yeux vagabonder autour de vous. Ton regard roule sur votre environnement : l’écorce, les branches, les feuilles et les fruits des arbres ; les insectes qui évoluent entre les tronçons de racines qui remontaient à la surface ; les plantes qui forment le sous-bois, ton regard étant plus particulièrement attiré par une rîn ruin mais un son lointain t’arrache de ta courte contemplation. Un brame. Alors tu t’arrêtes, lève la tête et tends l’oreille, il te semble qu’il ne vient pas d’un simple cerf.

« Veuillez m’excuser. » Tu secoues légèrement la tête, à quoi bon s’attarder là-dessus ? Il ne s’approchera jamais autant de la cité et le temps que vous atteignez l’endroit où il a bien pu pousser son cri il aura disparu depuis longtemps. Alors tu reprends ta marche d’un pas plus lent. « Je peux vous le confirmer : vous avez grandis. Après tout maintenant je n’ai plus à mettre un genou à terre pour vous regarder en face. »

Tu te doutes que ce n’est pas vraiment ce qu’il voulait dire mais l’idée de voir un Aegden d’à peine un siècle mener la milice d’Alëandir t’amuse beaucoup.

« Toutefois j’aime voir tous les Anedhel comme mes enfants donc, si, en un sens, je vous vois comme un enfant, comme mon enfant… » tu poses ta main libre sur son bras une seconde pour attirer son regard vers toi avant de doucement la retirer. « Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas arrogante au point de me prendre pour I Emël, loin de là. Toutefois je n’ai encore vu aucun elfe indigne de mon aide… »

Tu allais rajouter que c’était aussi le cas pour les drows mais tu t’es retenu à la dernière seconde. Tu sais que cette opinion est loin de faire l’unanimité et comment pourrais-tu en vouloir à ceux qui ne la partage pas ? Ce fut la tienne pendant longtemps, et pour cause c’est de leur main qu’est mort Marendîl, ton fils unique.

« Parfois je repense avec tendresse à mon passé de Guide où je pouvais passer des journées entières à m’occuper d’enfants. » Tu évites de préciser que les enfants en question étaient  des orphelins, ce n’est pas vraiment un détail qui te semble important sur le moment. « Je pense que, si je le peux, lorsque le culte n’aura plus besoin de moi en tant que Servante, je deviendrais mentor. Mais je parle sans doute trop, dites-moi heru Aegden, qu’aime faire le grand commandant de la milice d’Alëandir pendant son temps libre ? Quelles sont ses passions ? »

Aegden fixa longtemps la direction de laquelle venait le brame, sans pour autant perdre un mot de ce que lui disait la grande elfe et lorsqu’elle posa sa main sur son bras il reporta son regard sur elle.

Quelque part, il comprenait ce qu’elle voulait dire. A coté d’elle il avait l’impression de n’être qu’un gamin. Non pas qu’il se sentait rabaissé ou humilié, mais la Main incarnait ne serait-ce que par son rang une partie de ce qu’était I Emël. Et puis elle était tellement plus âgée elle devait avoir vécu bien plus de chose que lui. C’était peux être pour ça qu’il ne pouvait s’empêcher de la vouvoyer après lui avoir déjà parlé à plusieurs reprise, chose rare chez les anedhels. Sa présence lui était autant intimidante que rassurante.

Sa dernière question l’intrigua. Ses oreilles se haussèrent légèrement alors qu’un rictus plissa un coin de ses lèvres. Désirait-elle vraiment simplement le connaitre mieux ? L’avait-elle réellement invité à échanger à propos de lui-même comme l’on faisait avec des proches ? Cela lui semblait bien étrange, quand bien même le lui avait-elle expliqué mais pourtant il obtempéra sans broncher.

-Si votre mari vous a autant parlé de moi que vous avez l’air de le dire, votre bienveillance, vous devez déjà le savoir, c’est loin d’être un secret et encore moins pour les miliciens. Un autre sourire, peux être moins assuré, Aegden parlait difficilement de lui. Je danse pratiquement dès que je peux.

Calemirhel disait vouloir devenir mentor lorsque l’on aurait plus besoin d’elle, si hypothétiquement cela arrivait. De son côté Aegden avait longtemps hésité à faire de son art sa vocation première. L’armée ne se serait pas imposé à lui comme une évidence que cela aurait sans aucun doute été le cas.

-C’est difficile de vous expliquer pourquoi j’aime autant ça, c’est plus qu’un passe-temps en fait.

Son regard se perdit à son tour dans l’immensité immaculée que devenait petit à petit la forêt millénaire. Des flocons s’étaient mis à tomber mollement. La neige était rare en Alëandir et c’était un spectacle qui intriguait beaucoup le commandant.

-Je crois que...ça me calme tout simplement. La pointe de ses oreilles s’agita. Un peu comme les mages quand ils font leur…hm…leur rituel ? J’ai toujours eu la sensation que pour faire quoi que ce soit ils avaient besoin de se recentrer sur eux même. Ne penser à rien. Moi je fais pareil en dansant.

C’était d’ailleurs devenu l’une des principales activités lorsque les cauchemars revenaient. Au lieu de paniquer sans rien faire dans ses appartements, il se forçait à prendre l’air et souvent, lorsque ses camarades se retrouvaient sur les lieux d’entrainement, lui il dansait depuis un bon moment déjà. C’était le meilleur moyen de se vider la tête avant de craquer pour de bon.

-Depuis tout petit je fais ça. Ajouta-t-il sans trop savoir pourquoi. Je n’ai jamais été très bon pour la théorie. J’avoue avoir filé en douce une ou deux fois à la place de l’enseignement donné aux enfants. Rit-il. Mais j’ai trouvé ce en quoi je pouvais être doué, en travaillant bien sûr. Son art ne s’apprenait malheureusement pas sans sacrifice et il ne comptait plus le nombre de jours passés à grimacer mentalement pour des courbatures ou des blessures légères. Ça fait partie de ma place dans notre société, je crois. Ça influe sur ma manière de me battre après tout, et ça m’a rendu plus résistant.

Et de la résilience, il lui en faudrait en ces temps troubles. Il n’était pas parmi les plus fort, il ne portait pas d’armure lourde ni d’immense pavois, mais il était agile, rapide et résilient. A sa propre manière il s’était fait obstacle des ennemis d’Anaëh contre ceux qui ne pouvaient avoir cette résilience, il encaissait pour que d’autre aient à vivre sans à supporter cela. C’était là son don à la communauté.

Il tendit sa mains libre, observant un flocon tomber dedans. Une autre preuve, si rare pour le lëandrin, de la magnificence du travail délicat de la nature. Kÿria était autant une artiste qu’Arcamenel.

Tu hoches lentement la tête, il est vrai qu’Eryvïnn te parle souvent d’Aegden, ou du moins régulièrement, toutefois ça ne vaut pas une discussion avec l’intéressé. Alors tu hoches la tête pour le confirmer, oui tu le sais, qu’il danse, mais tu ne sais pas pourquoi.

« Inutile d’être si formel, vous pouvez m’appeler Calemirhel. » Après tout c’était aussi pour ça que tu n’avais pas pris ta couronne, tu es bien consciente que la différence de rang pouvait mettre mal à l’aise, intimider et ce malgré les rouages de la société elfique. « En effet mais c’est toujours mieux de de vous entendre le confirmer. »

Tu hoches à nouveau la tête lorsqu’il dit ce que tu sais déjà, plus pour toi qu’autre chose. Tu ne réponds rien, tu le laisses poursuivre, tu t’en voudrais de l’interrompre maintenant, alors qu’il semble être lancé. Alors tu souris lorsqu’il te dit que c’est plus qu’un passe-temps car c’est bien ce que tu as demandé : quelles sont ses passions ? C’est ce qui t’intéresse, c’est un excellent moyen de mieux connaître quelqu’un, de voir, et d’entendre, cette énergie qui les anime lorsqu’un sujet qui leur tient à cœur est évoqué. Et puis, tu le sais très bien, tu pourrais parler pendant des heures de pédagogie jusqu’à en rendre ton interlocuteur malade parce que tu es passionnée et que partager le bien que ça te permet d’apporter aux autres, et à toi-même, ne peut pas être mauvais.

Tu ris en même temps que lui lorsqu’il mentionne ses fugues et une fois qu’il a terminé tu reprends la parole.

« Vous ne seriez pas le premier enfant à vouloir faire autre chose qu’assister à de longues leçons, parfois ennuyeuses. Je n’ai jamais été très douée avec la théorie non plus… » tu lèves ta main libre du bras d’Aegden, celle qui tient ton sceptre, et tu te concentres, tes lèvres bougent sans qu’un son ne soit produit, ta prière reste entre toi et Kÿria. Tu rassembles l’énergie magique autour de vous et ça se voit facilement : tes tatouages faciaux se mettent à luire, comme s’ils étaient luminescents, le vert de tes yeux s’éclaircit et s’étend pour remplacer le blanc qui encercle l’iris. Mais tu arrêtes bien vite, l’objectif n’étant pas de lancer un sort. Alors tu t’efforces de disperser l’énergie rassemblée.

« Les jolies couleurs que vous avez pu voir sont le produit des perte d’énergie et c’est justement à cause de ces soucis avec la théorie que j’en perd autant. Mais pour répondre à votre question : il y a autant d’approches qu’il y a de mages pour réussir à lancer un sort. J’imagine qu’en effet certains s’efforcent de ne penser à rien, personnellement, c’est en me concentrant sur I Emël, en priant que cette dernière veuille bien m’accorder la force d’accomplir sa volonté, que j’y arrive. »

Tu te dis que qu’il faudrait sûrement que tu t’améliores ta maîtrise magique et que faire un tour à l’académie d’Alëandir ne serait pas une mauvaise idée. Ou peut-être que ta sœur aurait un peu de temps pour t’aider, à condition qu’elle accepte évidemment.

« Sachez qu’aucune passion n’est plus importante ou meilleure qu’une autre, elles nous façonnent et, à beaucoup d’égards, nous permettent d’être des membres productifs de notre société, et ce souvent bien plus que notre rôle dans cette dernière ; comme vous le dites, danser vous passionne et vous aide dans votre occupation de commandant, de… protecteur, si vous me passez l’utilisation du mot dans ce contexte, d’Alëandir. »

Tu t’arrêtes progressivement et tu dégages délicatement ton bras de celui d’Aegden pour te tourner vers lui, pour lui faire face avec un sourire sibyllin accroché aux lèvres.

« J’ai une faveur à vous demander, heru Aegden. » Tu prends une nouvelle inspiration avant de poursuivre. « Mon anniversaire approche vite et pour ce jour spécial, Eryvïnn et moi avons l’habitude danser ensemble sauf que je suis une danseuse… disons médiocre. Accepteriez-vous de m’aider à m’améliorer ? »

-oh… Sur son visage s’affichait une forme certaine de stupeur. Il s’attendait à bien des choses mais pas à cela. Hé bien, j’en serais honoré. Fini-t-il par lâcher en reprenant contenance.

Il ne savait pas trop pourquoi elle ne se tournait pas vers un adepte d’Arcamenel, la presque millénaire, mais ça le touchait qu’elle le pense assez doué pour lui demander son aide. Il n’était pas le meilleur professeur qui soit cependant, il espérait que même s’il faisait de son mieux Calemirhel ne prendrais pas ombrage du manque de tact qu’il pouvait avoir par moment.

Il était heureux pour la prêtresse et son mari. Ils semblaient tellement complices de ce qu'il avait pu entendre et voir. Pour Aegden il n’existait pas grand-chose de plus beau que de partager quelques pas de danse avec l’élu de son cœur. C’était ainsi qu’avait débuté sa propre histoire d’amour après tout.

Il baissa les yeux une seconde à peine à cette pensée pourtant si douce, une discrète pointe de tristesse dans le regard. Sa partenaire à lui lui manquait tellement…Il aurait voulu une lettre, rien qu’une pour être assuré qu’elle allait bien. La dernière qu’elle lui avait envoyée se trouvait conservée avec grand soin mais elle commençait à dater.

-J’imagine qu’il ne doit rien savoir ? Son visage affichait à nouveau un air bien plus détendu, un peu amusé, comme si de sombres pensées n’étaient pas venue alourdir son cœur.

Un sourire amusé passes sur tes lèvres en voyant la tête du commandant. Tu aurais bien ri en voyant que ça avait si bien marché mais tu ne voulais pas prendre le risque qu’il croit que tu te moques de lui.

« C’est justement pour ça que c’est à vous que je le demande. Je ne mens jamais à Eryvïnn et si je lui disais que j’allais voir un membre du clergé d’Arcamenel il se douterait de quelque chose. »

Toutefois il y avait bien une fois où tu aurais aimé pouvoir lui mentir : lorsque tu l’as retrouvé pour lui apprendre la mort de Marendîl. Cependant tu n’en as pas eu la force et puis après des siècles à toujours lui dire la vérité, tu n’étais de toute façon plus capable de le faire même si tu l’avais voulu ; mais tu ne le regrettes pas car ça n’aurait été qu’un cataplasme sur une jambe de bois : il aurait bien fini par l’apprendre à un moment ou un autre et au vu de l’effet que la nouvelle avait eu sur lui tu sais que ta trahison l’aurait achevé. Tu l’aurais sûrement suivit. La question d’Aegden t’arraches à tes pensées tragiques et tu hoches la tête.

« Tant que possible oui, j’aimerais lui faire la surprise. » Tu te demandes si ça serait réellement possible que tu t’améliores suffisamment pour le surprendre en un mois mais tu peux toujours essayer. Alors d’un pas plus léger tu reprends votre marche. « Merci beaucoup, j’admets que je craignais que vous refusiez et j’ai peut-être trop tardé à vous le demander. Vous pensez qu’il est trop tard ? »

Si c’est bel et bien trop tard, tant pis, au moins tu te seras amélioré cela dit tu gardes espoir. Puis une autre question te vient en tête. Une idée stupide, certes, car si tu n’es pas certaine de la réponse, tu es certaine que c’est peine perdue.

« Nous faisons autre chose, pour mon anniversaire mais… » tu tournes la tête en direction d’Aegden, l’air pensive. « Est-ce qu’Eryvïnn vous a raconté comment nous nous sommes rencontrés ? » Tu imagines que non, il n’est pas du genre à raconter ce genre de choses mais tu demandes, pour être certaine. « Ne vous inquiétez pas, je ne compte pas vous ennuyer avec cette vieille histoire sans raison. Lorsqu’il était plus jeune, mon époux n’était pas… disons qu’il n’était pas l’élève le plus assidue de notre groupe alors un jour j’ai décidé de le suivre. Il s’est retourné plusieurs fois et même aujourd’hui il me dit encore qu’il ne m’avait pas vu ou entendu mais je suis certaine du contraire, je ne suis pas discrète et je l’étais sans doute encore moins quand j’étais petite. »

Y repenser te fait sourire et tu secoues légèrement la tête.

« Je m’étais caché derrière un arbre et je l’épiais pour savoir ce qu’il pouvait bien faire s’il ne venait pas étudier avec nous. Il se trouve qu’il jouait de la harpe et qu’il en jouait très bien. Trop bien… c’est comme ça que je me suis trahis. » Cette fois tu laisses échapper un rire cristallin dans l’air froid et pur alors que la scène surgit de ta mémoire presque millénaire. « Je m’étais adossé à l’arbre, à quoi bon continuer de le regarder si je ne pouvais plus le voir ? Ça va sûrement vous paraître stupide mais… » tu baisses un peu la tête et tu rougis parce qu’en réalité tu en as un peu honte. « Lorsqu’il joue de la harpe, sans que je sache vraiment pourquoi, ça me fait pleurer. Il a sûrement entendu mes pleurs parce que sans que je ne m’en rende compte il avait arrêté de jouer et il s’était assis à côté de moi pour me faire un câlin. Une fois calmée il m’a demandé ce qui n’allait pas. Et l’idiote que je suis lui a dit la vérité entre deux hoquets… »

Cette fois tu secoues la tête et le regret que tu as éprouvé quant à cette décision est audible. Tu y a longtemps réfléchi et tu te sais au fond de ton cœur que c’est bien ta plus grande erreur. Sans elle ton fils serait peut-être encore en vie et pour ça tu t’en veux.

« Alors il a arrêté de jouer et au lieu de devenir prêtre d’Arcamenel comme il le voulait il s’est dirigé vers l’armée. Imaginez un moment : la Main de Kÿria et la Voix d’Arcamenel, unis. »

Un sourire triste passe sur tes lèvres un instant, tu t’es toujours demandé si Marendîl se serait dirigé vers la milice d’Alëandir sans l’influence guerrière d’Eryvïnn mais maintenant y penser ne sert qu’à te faire souffrir même si tu ne peux pas t’en empêcher.

« Maintenant il ne joue plus, sauf une fois par an: pour mon anniversaire. Je ne sais pas jouer d’un instrument mais je sais chanter et je nourris encore l’espoir que ma voix aura le même effet sur lui que sa harpe a sur moi. Cela dit je crains que le chant ne touche pas la corde sensible que touche son instrument chez moi toutefois j’espère encore y arriver. Alors dites-moi, heru Aegden, est-ce que vous connaissez quelqu’un qui pourrait m’aider ? »

-Il n’est jamais trop tard. Répondit-il s’simplement à sa première interrogation. Je ne sais pas combien de temps vous avez devant vous et je ne peux pas faire de vous une artiste d’exception, il faudrait bien plus que quelques ennéades pour ça, mais je peux au moins vous apprendre quelques notions et vous donner de quoi vous améliorer.

L’on apprenait réellement à danser qu’en pratiquant de toute façon. Il ne doutait en tout cas pas le moins du monde de la motivation de la prêtresse.

A nouveau il se tût écoutant patiemment la grande elfe. Il ne fit que secouer la tête lorsqu’elle lui demanda s’il connaissait l’histoire de sa rencontre avec son mari.  Eryvïn n’était pas le soldat avec lequel Aegden partageait le plus de lien et il n’avait évidemment jamais eu l’occasion de lui poser ce genre de question. Cela ne le regardait pas après tout.

Il ne put s’empêcher un sourire en entendant toute l’histoire. C’était amusant d’imaginer l’elfe millénaire en jeunette osant à peine approcher son futur époux.
   
-Si ça peut vous rassurer je ne trouve pas ça stupide. C’était à lui d’afficher un air rassurant cette fois. Ma propre mère était musicienne et croyez moi j’ai appris bien vite à quel point la musique avait un effet puissant sur nos souffles.

Après tout, c’est par les chants d’Arcamenel que les elfes éprouvaient leurs si vives émotions.

Calemirhel continua à expliquer son histoire et finit par arriver à la demande qui lui trottait dans la tête. Aegden réfléchit un instant. 

-J’ai peut-être une elfe en tête. Finit-il par répondre.

Parmi les elfes qu’il côtoyait, il connaissait quelques musiciens qui acceptaient bien gentiment de faire preuve de leur talent en même temps que lui. Il était souvent trop gêné pour leur demander bien qu’il n’essuyait jamais de refus en face et par conséquent cela n’arrivait que rarement mais il savait tout de même compter sur ces personnes. L’une d’entre elle maîtrisait sans mal sa voix autant que son instrument de musique, sans doute pourrait-elle faire l’affaire pour Calemirhel.

-Je peux vous la présenter la prochaine fois qu'on se verra. proposa-t-il.

La réponse d’Aegden te rassure mais s’il te dit que tu peux t’améliorer en un mois c’est tout ce qui compte pour toi. En effet tu sais bien que tu ne pourras pas devenir une légende de la danse en si peu de temps, surtout que tu n’auras pas vraiment beaucoup de temps à y consacrer, mais toute amélioration est bonne à prendre, surtout pour une occasion aussi importante. La suite te rassure également, tu te doutais bien qu’Aegden ne se moquerait pas de toi, du moins pas ouvertement, mais tu avais tout de même appréhendé sa réaction alors lorsqu’elle arrive enfin elle te rassure.

Tes oreilles se tendent et ta tête pour poser ton regard sur le commandant, toute ouïe et tu sers davantage ton sceptre.

« Je ne sais comment vous remercier, heru Aegden. » Réponds-tu, incapable de cacher l’excitation dans ta voix. De toute façon ce n’est pas comme si tu as essayé ou comme si tu le voulais. « Si je peux faire quelque chose, n’hésitez pas! » Sans le vouloir tu as haussé la voix et tu as dérangé des oiseaux qui s’envolent, piaillant leur mécontentement et dérangeant branches et feuilles sur leur passage. Tu te racles la gorge en couvrant ta bouche de ton poing pour éviter qu’un autre éclat de voix incontrôlé ne passe tes lèvres avant de reprendre. « Mais je parle encore de moi, de mon anniversaire et de mon époux alors que c’est pour mieux vous connaître que je vous ai invité à marcher. »

Un sourire espiègle se forme progressivement alors que se forme ta prochaine idée dans ton esprit surchauffé. Au lieu de marcher en parallèle d’Aegden comme tu le faisais jusqu’à présent, tu fait quelques de façon à te rapprocher subtilement de lui et lorsque vous êtes presque côte à côte tu arrêtes pour de nouveau marcher tout droit.

« En attendant à la porte est j’ai eu le loisir, comme vous l’avez sûrement vu, de discuter avec quelques gardes en faction et étant arrivée avec beaucoup d’avance la conversation s’est finalement orienté vers leur famille. L’une de ces gardes m’a appris qu’elle pensait se marier sous peu et je me demande : se pourrait-il que le cœur du grand commandant d’Alëandir ait été conquis par quelqu’un ? »

Tu le regardes sans perdre une miette de sa réaction en sachant pertinemment que c’est une question dangereuse, surtout pour quelqu’un qui a suivi la voie des armes. Alors tu prévois le pire et tu te prépares à le réconforter au besoin, au cas où tu rouvrirais une vieille blessure.

La prêtresse put sans aucun doute observer la peau pâle de son interlocuteur se colorer au niveau de ses pommettes et de la pointe de ses oreilles. Il ne savait pas trop s’il voulait répondre à cette question…

Certes il avait décidé de ne pas expressément cacher sa relation avec Neassa-Laella, mais il n’en avait parlé qu’à un seul elfe. Celui-ci maintenant tragiquement disparu. C’était trop tôt pour se confier à elle. Le clergé de Kÿria était hostile à l’ouverture sur le reste du monde. Comment la haute prêtresse pourrait-elle comprendre ? Quoiqu'il n'était plus question de comprendre mais d'accepter...

-Oui.

Il en avait assez de mentir. Il ne s’était pas caché et il ne le ferait plus. Ils ne faisaient rien de mal. Ils s’aimaient voilà tout. Alors il releva les yeux vers la prêtresse. Une larme roula sur sa joue. Quoi qu’il en soit, Arcamenel se montrait cruel en cet instant. Par ses mots Calemirhel lui rappelait sa solitude, son inquiétude et sa douleur.

-Vous désapprouverez je m’en doute. Sa voix vacillait un peu mais il tenait bon. Il semblait triste, profondément, mais sûr de lui. Il avait dit à Neassa que peux lui importait le préjudice tant qu’elle elle était heureuse. Et il tenait à honorer ses paroles. Mais même I Emël n’as pas choisit pour qui son cœur bat.

Le sourire espiègle de la prêtresse disparut très vite en entendant les mots suivant l’affirmation d’Aegden et elle commença à se demander la raison pour laquelle il disait ça.

« Je… ne suis pas certaine de comprendre, Aegden. Pourquoi est-ce que je désapprouverais ? Si c’est bien ce que je pense, depuis le Voile beaucoup ont rejoint les noss et, qu’I Emël en soit louée, de nombreux couples ont vu le jour ainsi et sans doute beaucoup de mi-citadins verront aussi le jour. Qu’y-a-t-il a désapprouver ? »

Aegden secoua la tête, pas étonné. Sans précision la prêtresse ne pouvait comprendre. Il marqua un plutôt long silence, ses prunelles anthracites se refusant de croiser celle de son interlocutrice.

-Elle n’est pas Ornedhelle. Il prit une inspiration. Ni Taledhelle, même si sa vie se rapproche beaucoup plus de la notre. Il marqua un autre silence. N’osant toujours pas observer la réaction de la Main. Vous désapprouverez parce que vous désapprouviez déjà l’expédition qui m’a permis de la rencontrer.

Et son visage, malgré tout afficha un bref et timide sourire à quelques souvenirs en particulier de ce si singulier voyage

La réponse t’enchante et la gêne d’Aegden t’amuses un peu, tu dois bien l’admettre. En un sens il te rappel cette époque où tu as pris ton courage à deux mains pour faire part de tes sentiments pour Eryvïnn à tes parents, priant pour qu’ils ne tentent pas de t’éloigner de lui. Toutefois tu fus bien surprise de voir que non seulement ils étaient déjà au courant mais qu’en plus ils le savaient avant même que tu aies suivis l’elfe de ta vie pour l’écouter jouer de la harpe. Cependant c’est en devenant mère toi-même que tu t’es rendu compte que l’inverse aurait soulevé des questions auxquelles tu ne préférais pas chercher de réponses à propos de tes parents, de leur implication dans ton éducation et surtout de l’attention qu’ils te portaient.

Toutefois la suite te fait perdre instantanément ton sourire et tes oreilles se couchent et ce qui suivit d’autant plus. De qui a-t-il bien pu tomber amoureux pour qu’il soit autant sur la défensive ? Tu sais qu’il a eu des déconvenues avec une noss, bien que tu ne te souviennes plus du nom de ce clan en particulier, il y a peu mais de là à se montrer aussi réticent à le dire… tu ne sais qu’en penser. Certes tous ne portent pas les clans dans leurs cœurs mais ce n’est pas non plus un point de vue partagé par la majorité de la population des cités. Alors tu tentes de le réconforter, de lui dire que ce n’est pas grave.

« Je… ne suis pas certaine de comprendre, Aegden. Pourquoi est-ce que je désapprouverais ? Si c’est bien ce que je pense, depuis le Voile beaucoup ont rejoint les noss et, qu’I Emël en soit louée, de nombreux couples ont vu le jour ainsi et sans doute beaucoup de mi-citadins verront aussi le jour. Qu’y-a-t-il a désapprouver ? »

Et tu le penses sincèrement. Si voir davantage de citadins partir des cités te pince le cœur, comment peux-tu leur en vouloir, d’écouter et de répondre à l’appel de la Prime Œuvre ? De plus nous sommes tous les enfants d’I Emël alors vivre dans les arbres ou dans des habitations au milieu des arbres, quelle différence ? De plus l’idée te plaît tout particulièrement, tu vois ça comme un début de rapprochement entre clans et citadins. Alors certes tu n’es pas naïve au point de croire que ça deviendra universel mais c’est tout de même encourageant.

Toutefois Aegden te coupe dans tes fantasmes et avant que tu ne puisses l’interroger sur la nature du problème en ce cas, le commandant continue et ton cœur rate un battement. Tu t’arrêtes, la bouche légèrement entrouverte, incapable de dire quoi que ce soit. Pendant un moment tu restes immobile à contempler son dos, incapable de croire ce que tu viens d’entendre. Tu te mets même à douter d’avoir entendu correctement. Peut-être que tu as entendu la Symphonie en même temps que le commandant et que tu as mal compris les dires de ce dernier. Cependant tu sais très bien que ce n’est pas le cas. Tu déglutis.

« Aegden… » ta voix est basse mais surtout emplie d’incompréhension. « Vous avez raison, I Emël n’a pas pu choisir qui aimer mais elle a aimé un anedhel et non un... arïn. » Il n’y a pas une quelconque trace de mépris dans ce que tu dis mais on peut y entendre de la peur, toujours mêlé à de l’incompréhension.

Et pour cause : tu as peur. Peur pour ton interlocuteur, peur de l’influence qu’à pu avoir l’Ithri’Vaan sur lui. Mais surtout, tu as peur pour la Prime Œuvre.

Aegden ferma les yeux. D’autres larmes roulèrent sur ses joues sans qu’il n’en ait cure. Il avait envie de s’enfuir. Rentrer chez lui, replonger dans son travail. Oublier cette conversation qui s’était bien trop appesantit. Seulement il savait que ça ne réglerait rien au contraire.

Il comprenait le sous-entendu dans la phrase de la grande elfe et il en souffrait. Pensait-elle qu’il fut capable de trahir les siens en aimant une arïn ?  Neassa-Laella n’était certes pas totalement elfe mais son sang humain restait si minoritaire qu’il n’existait quasiment pas. Si elle le voulait elle pouvait certainement autant devenir une Thalehdel qu’un enfant d’Anaëh.

-C’est une elfe, votre Bienveillance. Répondit-il après une autre inspiration. Enfin il osa se tourner vers elle, affrontant son air remplis de crainte. Qui partage une grande partie de nos valeurs, et qui ne cherche qu’à apprendre les autres. Elle à même été acceptée ici, sur nos terres il a quelques ennéades. 

Et personne ne lui avait reproché quoi que ce soit.

-Elle m’a promis de revenir. A nouveau il baissa les yeux car à nouveau le vide de l’absence le submergeait. Parce qu’on sait tout les deux que je ne retournerais jamais à Thaar. La première fois était de trop. Un bref  rire amer. J’imagine que vous ne me croyez pas quand je dis ça mais oui je pense que Thaar était une perte de temps.

Il fixa la prêtresse. Il ne savait pas pourquoi il continuait dans cette voix inutile que d’essayer de convaincre la Main et pourtant…

-Elle nous envie. Notre société, nos valeurs, elle les ferait sienne si elle pouvait. Et elle est consciente de ce que son lien avec moi comporte comme risque. Personne ne sait, en Itrhi’Vaan, et personne ne le saura jamais. 

Il n’ajouta pas qu’il lui avait même proposé de rester. La Main ne se braquerait probablement que d’avantage.

Tu lâches un soupir de soulagement qu’Aegden, emprisonné dans sa crainte, ne semble pas entendre, lorsqu’il te réponds que ce n’est pas une humaine. Alors tu ne dis rien et tu l’écoutes parce que tu sais qu’il ne t’écoutera pas. Du moins pas pour le moment. Alors lorsqu’il a enfin terminé tu reprends votre marche en prenant ta longue tresse entre tes mains pour en enlever les flocons qui s’étaient déposés dessus, tu n’aimes pas avoir les cheveux mouillés et si tu peux l’éviter tu préfères le faire.

« J’admets que vous m’avez fait peur, heru Aegden, j’ai bien cru que vous qu’une arïn vous a tapé dans l’œil. »

Tu souris en y pensant, te pensant un peu stupide maintenant que tu y réfléchissais un peu. Cela dit avec ce que t’avait dit le commandant tu t’étais sentie obligée de t’assurer que celle qui avait conquis son cœur était bel et bien une elfe.

« Vu qu’elle a été acceptée en Anaëh et qu’elle compte bien revenir, j’aimerais vous inviter tous les deux à diner quand et si vous le voulez bien. » Alors que vous continuez d’arpenter tu fronces les sourcils et lorsque tu reprends la parole ta voix n’est plus aussi légère. « Heru Aegden, comme vous l’avez bien dit on ne choisit malheureusement pas pour qui sont cœur bat alors pourquoi êtes-vous à ce point sur la défensive à ce sujet ? C’est une anedhels, vous vous aimez et vous avez réussi à lui montrer l’abomination qu’est Thaar… que demander de plus ? Ne le dites pas avec une voix tremblante en craignant la réaction d’autrui, soyez-en fier. Je ne vous dit pas de le crier sur tous les toits ou de demander aux druides de faire relayer l’information à toute la Prime Œuvre via la symphonie mais la façon dont vous parlez d’elle… j’ai l’impression que vous parlez d’une erreur, de quelque chose que vous regrettez. J’ose espérer que vous ne regrettez pas votre amour, si ? »

Tu lui poses une main réconfortante sur l’épaule pendant une poignée de secondes, deux, trois peut-être, avant de la retirer.

« Je comprends que ce soit difficile d’en parler, elle n’est pas là, elle vous manque... beaucoup des pires moments de ma vie ont été ceux où j’étais loin d’Eryvïnn, notamment lorsqu’il était dans l’armée royale, l’inconnue m’angoissait et j’imaginais le pire. J’allais tous les jours demander à la caserne la plus proche s’ils avaient des nouvelles jusqu’à ce que je n’en puisse plus et que je rejoigne l’armée. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’était pas content que je me mette en danger mais je m’en moquais, j’étais à nouveau avec lui… enfin pas tout à fait, j’étais avec les auxiliaires pendant qu’il était dans l’infanterie mais c’était suffisant pour moi, je savais que s’il lui arrivait quelque chose je pourrais le soigner. »

Tu ouvres à nouveau la bouche mais tu la refermes, te rendant compte que tu as à nouveau parlé trop longtemps de toi.

« Tout ça pour dire que je sais que c’est difficile, sûrement plus pour vous vu que vous ne savez pas où elle se trouve et que vous n’avez pas de moyen de savoir si elle va bien. Sachez que vous n’êtes pas seul, que d’autres ont connu, ou connaissent, la même situation. »

Tu t’arrêtes à nouveau et tu te tournes vers le commandant pour l’embrasser.

-Je ne regrette rien. Répondit-il certain de ses mots, lorsqu’elle lui fit remarquer l’étrangeté de sa réaction.

Ses prunelles brillaient encore mais surtout il semblait perdu. Il ne comprenait pas. Calemirhel ne semblait plus rien lui reprocher alors qu’il s’attendait à un vif rejet de la part de la Main. Après tout le culte était attaché advienne que pourra à l’autarcie du royaume.

-J’en suis fier, Calemirhel. Je ne veux pas cacher le don qu’Arcamenel nous a fait, et je ne le ferais pas. Mais imaginez un instant que vous soyez seul à potentiellement lutter contre le reste du monde. Oui j’ai eu peur de votre réaction.

Il soupira et la prêtresse en profita pour reprendre la parole alors il ne l’interrompit pas. Elle lui conta à nouveau sa propre histoire, et docilement il prit la peine de réfléchir à pourquoi elle lui disait cela. Bien sûr qu’il n’était pas seul à vivre ce chagrin, bien sûr que d’autres avaient aussi vécu avec l’inquiétude et l’absence. Aegden en était conscient. Mais ça ne faisait pas moins mal, surtout pris au dépourvu comme il l’avait été.

Il ouvrit la bouche pour répondre qu’il ne savait effectivement pas où elle ’n’était ni dans quel état et que c’était là la raison principale de ses larmes mais Calemirhel ne lui en laissa pas le temps. Il eut une seconde d’absence totale de réaction dû à la surprise puis finit par réagir et se laisser aller dans les bras de la prêtresse.

A nouveau il eut la sensation de n’être qu’un enfant par rapport à elle mais quelque part ça lui allait très bien là, il avait juste besoin de réconfort.