[quartier du Nid]Vous savez faire autre chose que voler? (Lyrah)

Thaar, 8e ennéade de Verimios, an 17 du XIe cycle

Il ne dit jamais non à un ragoût. Et il y a des choses qui se discutent mieux la bouche pleine. Il a envoyé les gamins à la recherche des frères de Lyrah, s'ils sont encore en vie. Il se rappelle la jeune gamine acrobate. Il lui a montré le B-A BA de comment crapahuter sans risque par les toits et d'autres bricoles du genre crocheter les serrures, elle lui a appris la gymnastique acrobatique et comment prendre totalement conscience des possibilités de son corp hypersensible pour qu'il puisse prendre conscience des avantages que ca lui confère. Il lui doit bien ça.

Ca l'a aidé à ne pas se faire buter à maintes reprises d'ailleurs.

Ses frères, par contre, cette bande d'enfoirés, il les hait. Et comme toute haine, il est patient. En ce moment, il a besoin d'eux. L'assassin sait qu'ils feraient tout pour du fric. Ils prostituent bien leur sœur pour se faire…

Saluant la Veuve et lui amenant quatre rats dodus en guise de paiement, Courbache prend sa pitance et un morceau de pain dur avant de s'asseoir sur la grande table commune vide à cette heure. Portant des vêtements élimés et rapiécés, sa cape en semi-lambeau et un vieux plastron de cuir souple pris sur un macchabé, seules ses quatre dagues aux hanches et l'expression de son regard dépareillé indiquent qu'il n'est pas un mendiant. il se penche et commence à manger tranquillement, satisfait. Ses cheveux nattés à la Thaari laissent échapper une mèche rebelle lui balayant le front, ajoutant à l'étrangeté de son expression rehaussée par le côté gauche de son visage couturé de cicatrices.

Tous furent surpris de voir ce gamin débarquer comme ça. Aucun d'eux ne le connaissait, pas même la petite dernière de la fratrie qui se devait pourtant d'être la plus sociable de la famille. Néanmoins le plus étrange n'était point l'apparition du gosse, mais bien cette histoire de "convocation". Voilà un mot bien compliqué pour une bouche aussi jeune et aussi sale qui ne manqua pas d'attiser leur curiosité à tous, plus particulièrement celle de la jeune fille qui se montra bien plus méfiante que ses aînés… Et pour cause, la danseuse de la famille, celle qui était pourtant considérée comme leur gagne-pain se retrouvait exclus de la demande. Le gamin l'avait bel et bien spécifié, seuls les hommes étaient invités.

"Étrange…" se dit-elle sans pour autant oser l'affirmer à voix haute.

Voilà qui était déjà décidé, Lyrah resterait seule dans cette chambre miteuse de l'auberge où toute la fratrie avait élu domicile depuis leur arrivée. Pendant leur absence, la belle ne cessera de s'interroger sur la nature de cet entretien étrange qui tiendrait ses frères éloignés d'elle durant un certain temps.

Les trois frères ne prirent même pas la peine de saluer leur benjamine, au lieu de quoi, ils se contentèrent de fermer la porte à double tour avant de se rendre sur les lieux du rendez-vous. Ainsi, ils suivirent le gamin devenu silencieux jusqu'à une bâtisse qu'aucun d'eux ne connaissait . Là, il se retrouvèrent dans vulgaire baraque sans prétention où le gamin les mena jusqu'à ce qui semblait être une cuisine. Un homme attendait là, assis à la table comme si de rien n'était, dégustant simplement son repas aux allures des plus douteuses.

Les frères en étaient certains, il ne pouvait s'agir que de leur mystérieux commanditaire. Aussi allèrent-ils le rejoindre, prenant place face à lui pour mieux l'observer.

- Tu nous as fait mander, messire ? lança l'ainé en prenant une posture assurée tandis que son cadet lui donna un coup-de-coude comme pour le réprimander. Bah quoi ? J'suis poli, j'l'ai appelé "messire", alors lâche-moi l'nabot.

L'insulté était pourtant bien loin d'être à la hauteur du nom dont son frère venait de l'affubler. Au contraire, sa carrure se trouvait bien plus imposante que celle de son frère, de même que son expression pouvait aisément paraître plus sévère.

-Pour faire simple : on aimerait savoir ce que tu nous veux et pourquoi tu nous envoies un marmot au nez aussi crotté que ses frusques pour venir te parler ici. Crois bien que si nous sommes là ce n'est que par curiosité, on n'est pas vraiment du genre à accourir dès qu'un bonhomme en fait la demande, surtout un homme trop pauvre pour nous inviter dans un lieu plus respectable.

-Pas si pauvre, lança le dernier avant d'éclater de rire en désignant les armes à peine visibles de l'inconnu.C'est pas demain la veille que tu pourras te payer pareils bijoux, mon frère.

Jared, le plus jeune des trois, était probablement le plus observateur de tous. C'était lui qui trouvait les meilleurs pigeons, les objets qui rapporteraient le plus gros à la revente.

-Moi ça m'intéresse de savoir ce que tu as à dire, inconnu. Alors vas-y, dis nous tout.

Et tous se turent enfin pour réellement écouter l'homme mystérieux.

C'est … comment pourrait-il dire… tellement… eux. Derrière sa mèche vagabonde, les prunelles dépareillées se haussent pour toiser le trio devant lui d'une façon… dérangeante. N'interrompant pas sa mastication, il suit d'un regard rendu terne par l'ennui le spectacle des trois zigotos. Il regrette déjà sa décision. Au mieux ils réussiront, au pire bien ca fera une diversion bienvenue...

Et il décide que le premier à mourir, sera celui qui reluque ses Filles d'un peu trop près. Surtout Fine, la longue dague Doeb. Il va devoir lui recouvrir la garde de cuir, elle attire l'attention semble t'il. En tout cas, il devine qui est un peu le cerveau de la bande. L'autre est une grande gueule et le second un crétin fini de la pire espèce. Ils doivent avoir mangé trop de coups sur la gueule en grandissant.

Saleté de sangsues, parasites.

Vous foutez pas de la gueule de La Veuve… Dit la voix grave de l'Estreventin d'un ton glacial. C'est le meilleur ragoût de cette putain de ville et elle fait vivre sa marmaille comme il faut, elle, contrairement à vous trois.

Se redressant, ayant fini son bol, Dante s'essuye la bouche du revers de sa manche.

Je vous ai fait venir ici, pour pas que votre sœur se retrouve mêlée à ce que je veux faire. Vous avez des talents particuliers et il semble que vous êtes bons. Aussi bons que vous êtes cons, pense t'il avant de poursuivre. Va falloir voyager en Péninsule et y rester un bon mois. Mais votre frangine, vous la laissez ici.

Elle se débrouillera mieux sans vous.

Je veux faire un gros coup… Mais il faut le secret absolu, a part voler, vous savez faire quoi les mecs?

Les titiller sans trop en dire, pour maintenir l'intérêt.

L'inconnu parlait avec ce mépris typique, celui que l'on inflige à tous les gens issus de la plus basse classe de ce monde, comme s'ils n'étaient finalement que de vulgaires chiens galeux. Les trois frères détestaient cela, plus particulièrement parce qu'ils étaient certains que cet homme-là ne valait pas mieux qu'eux. Pour qui se prenait-il ? Pourquoi les faire venir jusqu'à lui pour mieux leur cracher à la gueule une fois en face ?

L'aîné se renfrogna aussitôt, mais garda toutefois le silence pour mieux dévisager l'inconnu face à lui avec une méfiance parfaitement perceptible. Pourquoi parlait-il de leur sœur et surtout pourquoi tenait-il tant à la laisser à l'écart de tout ceci. Leur boulot, aussi peu louable soit-il, ils le faisaient grâce à elle. Lyrah était un appui et non pas une faille… À moins que cet homme-là la connaisse. N'était-il finalement que l'un de ces pigeons stupides ayant succombés aux charmes travaillés de la danseuse ? Essayait-il de les éloigner afin d'en disposer à sa guise ?

Kalel ruminait dans sa barbe durant un long moment, laissant leur hôte formuler sa demande jusqu'à sa dernière question. Que savaient-ils faire à part voler ? Quelle bien étrange demande laissant supposer que ce n'était pas ce que l'homme attendait d'eux. Alors pourquoi faire mander des voleurs si le but n'était pas de les engager pour ça ? C'en était probablement trop pour le cadet de la fratrie qui, las de marmoner finit par prendre la parole :

- T'es qui au juste? grogna-t-il tout en se redressant. Tu sembles bien nous connaître, dis-moi. Avoue que c'est bizarre, d'autant plus que tu te permets d'exiger à ce que not' sœur soit écartée du voyage. Tu nous demande donc de la laisser seule ici, sans aucune protection, tout ça pourquoi au juste ? Si tu nous connais comme je le pense, tu sais très bien de quoi on est capable nous aut'. Alors, au lieu de tourner autour du pot en nous prenant pour des abrutis, dis nous ce que tu veux et combien tu payes… Et sors-toi tout de suite l'idée d'abandonner ma soeur dans cet' ville, mon gars. C'est hors de question.

Laisser leur gagne-pain derrière ? Certainement pas. Ils ne la nourrissaient pas pour risquer de perdre leur plus gros atout… Tous se méfiaient de l'étranger et commençaient même à se demander s'il ne s'agissait pas d'un amant ayant monté un plan foireux simplement pour s'offrir la possibilité de fuir avec sa belle. Mais non, une telle chose serait évidemment impossible, ils avaient veillé à la garder loin des hommes. Ce type là ne pouvait avoir qu'une autre idée en tête, le tout était de savoir laquelle.

- Moi j'suis pas forcément d'accord avec mon frère. Si tu y mets le prix, j'la laisse la frangine, à condition que quelqu'un en prenne soin. Pas toi, bien sûr, toi t'es un homme, t'es aussi dégueulasse que nous. Et not' frangine tu vois, on tient à la garder pure.

-Lyrah sait se montrer utile, moi je ne suis pas certain que la laisser derrière soit une bonne idée… C'est quoi le plan, au juste ? demanda finalement le plus jeune des frères avant de croiser les bras. C'est quoi ce gros coup ? Pourquoi devoir rester si longtemps en Péninsule ?

Bien sûr qu'il les méprise. Mais leur origine n'est pas la source du problème. On n'insulte pas les gens que Dante a à la bonne. Oh que oui, il les connait. Mais eux ne semblent pas le reconnaitre, ce qui, avec ses prunelles dépareillées, est déjà un exploit.

Et ils recommencent leur numéro, le triumvirat des connards. Voilà pourquoi il préfère travailler seul majoritairement. Ca lui évite d'avoir à se farcir ça à longueur de temps.

Ce que je veux que vous fassiez, ya aucune femme qui va accepter et elle risque de chialer pour faire manquer l'occase. J'ai besoin preniez contact, que vous m'isoliez et que vous m'emmeniez un gamin de riche, vivant, jusqu'à un point de chute défini, pour qu'il se fasse ceuillir par le contact. Le plus discrétos possible. Pourquoi je vous donne un mois de vacances, peut-être deux, c'est qu'il faut respecter un timing précis et je sais pas exactement quand cet enfoiré va donner le feu vert. Vous aurez vos instructions détaillées sur un joli vélin et tout et tout une fois rendu là-bas.

Il marque une pause, mâchouillant un bout de pain dur en les toisant toujours de cette façon indéchiffrable. Ils sont un facteur de risque, mais ils feraient tout pour de la thune et, en bonus non négligeable, il les hait. Comment se sent t'on quand on embauche nos ennemis pour une mission dans un but connu de nous seul, en sachant pertinemment ce qui va arriver…. ?

Un léger sourire soulève brièvement le coin de la grande bouche mobile.
J'ai pensé que c'était dans vos cordes, vu le nombre de gens que vous menez en bateau… Alors, ca vous intéresse ou je fais appel à d'autres?

Après avoir entendu ce qui leur semblait être un plan sacrément tordu, les trois frères se regardèrent un long moment. Pouvaient-ils faire confiance à cet homme ? Certainement pas. Il leur en dit trop peu pour cela. De plus, aucun d'eux n'appréciaient ses manières si bien qu'ils envisageaient même de simplement refuser.

Trop de zones d'ombres subsistaient encore. La durée de leur absence passant d'un à deux mois sans aucune garantie. Que feraient-ils de leur sœur durant tout ce temps ? Ils ne pourraient pas la garder enfermées indéfiniment, cela reviendrait à la laisser mourir de faim, ce qui n’était, évidemment, absolument pas envisageable. Il ne fallait pas y voir une quelconque preuve d’humanité de leur part, ils se fichaient bien du devenir de leur soeur. Ils avaient même prévu de l’abandonner au moment même où celle-ci leur deviendrait inutile. Mais ce n’était pas le cas pour l’heure. Lyrah était encore belle, suffisamment pour attirer l’attention de ces pigeons qu’ils prenaient grand soin de dépouiller. En soit, leur jeune soeur était encore bien trop précieuse pour être abandonnée ou délaissée. Et si celle-ci décidait de s’échapper ? Les jeunes femmes étaient après tout si naïves et gobaient facilement tout ce qu’un homme un tant soit peu attentionné pouvait leur raconter… Les idiotes…

-Il est vrai qu’une femme est souvent bien trop sensible pour honorer ce genre de “contrat”, pour autant, cette absence est bien trop longue et nous ne pouvons pas abandonner notre soeur aussi longtemps, déclara le dernier avant de croiser de nouveau les bras. La proposition est très intéressante, évidemment, mais il nous faut plus de garanties concernant la frangine.

- Bien-sûr que c’est dans nos cordes, mon gars. On peut tout faire, suffit d’y mettre le prix. Puis, tu vois, pour not’ frangine, on n’a pas les moyens de la loger dans un lieu bien comme il faut en attendant not’ retour, tu comprends ?renchérit l’aîné, cherchant, par la même occasion à grappiller quelques pièces de plus.

-Trouve une solution pour ça et on te suivra au bout du monde. En attendant, il nous faut rentrer. Tu sais où nous trouver, n’est-ce pas ?

Ils n’avaient plus rien à ajouter, la discussion n’avait déjà que trop durée. Tous se levèrent et quittèrent la maison de la veuve pour regagner l’auberge. Lyrah les attendait là, assise sur sa paillasse, les jambes en tailleur…

*****

- Bon sang, mais où étiez-vous passé ? leur lançais-je à peine eurent-ils pénétré dans la pièce. Il fait nuit noire, ce n’est pas une bonne idée de sortir aussi tard.

Encore une fois, ils me tenaient hors de la confidence, me laissant seule dans cette chambre minuscule qui empestait l’urine et probablement autre chose de fort peu ragoûtant. J’étais inquiète, évidemment, mais aussi en colère contre ces trois-là… J’attendais donc une réponse de leur part, mais, comme d’habitude ils se contentèrent de soupirer avant de rétorquer:
- C’pas tes affaires, idiotes. Va t’coucher, il est tard comme tu dis.

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