Vous avez pas rencontré de vieux ? Si ! Comment vous le savez ?

Fin de la seconde ennéade de Karfias 17 : XI

Myr’Hennis se leva très tôt, deux heures et quelques à peine après le lever du soleil, en tout cas c’était ce que lui avait dit un esclave du Palais d’Argent. Ce matin il avait rencontré quelques problèmes, le premier, et pas des moindres, fut sortir du lit sans réveiller sa compagne, n’étant pas très discret c’était un véritable exploit qu’il n’était pas certain de pouvoir réitérer. Le second problème fut qu’il avait oublié ses vêtements dans la chambre et, évidemment, toutes ses affaires était dans la chambre de Krish ; après tout pourquoi est-ce qu’il se serait installé autre part ? Alors ne préférant pas risquer de réveiller sa chère et tendre il se contenta de ce qu’il avait sur lui. C’est donc un Grand Architecte vêtu en tout et pour tout d’une simple tunique blanche et d’un pantalon noir qui sortit du palais de la princesse marchande et triumvir après avoir avalé quelque chose en vitesse et ordonné à un esclave de prévenir sa maîtresse qu’il s’absentait et qu’il serait sûrement de retour ce soir. Cependant quand vint le moment de partir, et donc de mettre le pied à l’étrier, il se dit que finalement ce n’était pas plus mal qu’il n’ait pas mit une de ses toges ; l’équitation n’étant pas son fort, ces étranges créatures le mettaient mal à l’aise, être en pantalon était bien plus pratique. Ce n’était pas tout à fait de la peur, encore que, pas bien loin, lorsqu’il était à côté d’un cheval Myr’Hennis ne se sentait pas serein. Un comble pour quelqu’un qui pouvait regarder un félin à pointe ou un fern dans les yeux sans trembler.

L’architecte, qui n’avait que ses vêtements sur le dos et une bourse remplie d’il ne savait combien de souverains, partit donc sur les routes, direction le nord. On lui avait bien dit quelques fois de ne jamais aller au nord, il aurait pu aller à l’est ou le sud mais c’était par là-bas que se trouvait Sol’Dorn et les osts, or ils étaient en vacances : plus ils s’en éloignaient et mieux c’était. D’ailleurs, ne pas se balader avec une petite armée de garde lui plaisait plus ou moins, c’était un sentiment mitigé que cela faisait naître en lui. D’un côté il avançait bien plus vite mais de l’autre les passants ne pouvaient pas voir qu’il était quelqu’un d’important, et encore moins avec cet accoutrement qui était loin d’être digne de lui.

Le drow se dépêchait, poussant sa monture au galop, moins il passait de temps à voyager et mieux c’était alors il dépassait tout ce qu’il trouvait sur la route, faisant fi des exclamations peu sympathiques des passants, surtout celles de ceux qu’il renversait sur son passage. Mais voilà, lui s’en moquait car sur la route les piétons étaient forcément indignes de son temps alors à quoi bon s’arrêter. Et puis pour leur dire quoi ? Continuer sa route était donc le seul choix acceptable. Il s’arrêta cependant une fois pour demander jusqu’où menait la route qu’il empruntait. L’humain en question semblait plutôt vieux, en tout cas pour un éphémère, de toute façon Myr’Hennis n’était pas bon pour lire l’âge d’une personne ; l’humain bougonna quelque chose devant ce grand daedhel vanupied, en effet il n’avait pas pu trouver de bottes à sa taille, mais en l’observant un peu plus le voyageur à l’œil affuté nota le contraste entre les vêtements somme toute communs et l’étalon racé de son interlocuteur. Alors au lieu de lui dire jusqu’où menait la route l’humain traita l’architecte de voleur et commença à lui lancer des cailloux.

Bien qu’il fût d’un naturel belliqueux Myr’Hennis préféra s’en aller car il était désarmé, de toute façon ça n’aurait pas changé grand-chose vu qu’il ne savait pas se battre, et puis il fallait admettre que l’humain avait un gros bâton, et même si le drow ne saurait dire s’il savait s’en servir, il n’avait pas envie de rester pour le découvrir. Heureusement pour lui, l’humain était plus habile au lancer d’insulte qu’au lancer de cailloux. Le Grand Architecte continua donc sur la route, tant pis, il trouverait bien d’une autre manière jusqu’où ladite route menait. Myr’Hennis décida de prendre un petit chemin quittant la route il se dirigea vers l’auberge qu’il voyait au loin, la chaleur du soleil d’Ithri’Vaan était de plus en plus difficile à supporter en simple tunique et boire quelque chose lui ferait le plus grand bien. Il descendit donc de son cheval et le laissa là, ne doutant pas qu’un garçon d’écurie viendrait s’en occuper. Il entra donc dans le bâtiment et alla directement au comptoir avec sa démarche altière et régalienne habituelle.

« Une bouteille de Sseren, je vous prie, et tant que vous y êtes mettez moi quelques délices d’Arcam. » Commanda-t-il un peu comme si l’endroit lui appartenait.

L’entrée dans l’auberge avait été plus difficile que prévu. En effet lorsque l’on fait deux mètres dix-huit dans un pays qui n’a pas l’habitude d’avoir des habitants aussi grands forcément ça pose des problèmes. Quelle idée aussi d’être aussi petit. L’Ithri’Vaan avait ça de frustrant qu’il ne pouvait pas rehausser tous les bâtiments comme il l’avait fait dans le quartier de l’Etat-Major ou du Prime Quartier. Il était donc un peu de mauvaise humeur, en tout cas un peu plus qu’avant, car se courber avait permis à son mal de dos de se rappeler à lui de façon douloureuse. Mais la mauvaise humeur, et la douleur au passage, s’estompa devant la surprise que la réponse de la tenancière suscita chez Myr’Hennis. Il croisa les bras sur son torse et fronça les sourcils. Quelle auberge digne de ce nom n’a pas ça ? De toute évidence celle-ci. A moins que ce ne soit pas une auberge digne de ce nom mais c’était encore à vérifier.

« Du lait d’ânesse... » murmura-t-il, pensant à voix haute. N’en ayant jamais goûté il était curieux cependant avant de confirmer il avait une petite question : « c’est bien les grosses bêtes avec des cornes qui mange de l’herbe ? » Il avait eu le loisir d’en voir quelques-uns durant le voyage jusqu’à Thaar mais il n’avait pas retenu le nom de l’animal en question, à quoi bon ? « Enfin peu importe, oui pourquoi pas un verre... enfin un gobelet. »

Si l’architecte avait appris quelque chose en vivant un peu parmi les humains c’était à tenter de s’adapter dans l’endroit dans lequel il évoluait. C’était amusant de ne plus être au sommet parfois ; cela dit ce n’était pas amusant bien longtemps. En réalité il n’était pas officiellement au sommet au Puy mais il n’en était pas loin et rare étaient ceux qui lui faisait la remarque. Mais la proposition de l’aubergiste le gênait toujours quelque peu, bon il n’aurait pas ses délices d’Arcam, tant pis, ça lui apprendrait à sortir sans Ssuorr, mais de la brioche, quelle drôle de propsition.

« Vous n’avez pas de la viande par hasard ? Des tranches de gorlock ne serait pas de refus… » il s’attendait à ce qu’elle lui réponde qu’elle n’en avait pas et dans ce cas il se résignerait à manger de la brioche, il n’y avait plus qu’à espérer qu’elle était bonne et surtout fraîche.

D’un main il tira sur la lanière de cuir qui refermait sa bourse et en sortit une poignée de pièces, un rayon de soleil fit luire le métal précieux des pièces en question et Myr’Hennis les posa sur le comptoir avant de renvoyer sa main à la chasse aux écus. Malheureusement il n’en trouva point, il y avait bien un petit rubis mais pas la moindre trace d’écus alors il plaça la bourse à côté du comptoir et avec sa main traîna les pièces pour les faire rentrer. Il en laissa cependant une dehors alors qu’elle revenait avec sa commande. Il paniota distraitement sur le comptoir en se disant que ça faisait un certain temps qu’il n’avait pas mangé de poisson ni de fruit de mer et que ce n’était pas forcément une mauvaise idée.

« Oui je prendrais bien un filet de... » il hésita un moment, se disant qu’elle allait lui dire qu’elle n’avait pas de rokvenha. « De ce que vous avez. Si possible aux échalotes et avec de la crème. Sinon sans sauce ça ira très bien. »

Il n’avait plus vraiment d’espoir mais qui ne tente rien n’a rien comme on dit et avant de se diriger vers ce qu’on pouvait appeler, à condition d’avoir un certain sens de l’humour, une chaise. Evidemment il ne prenait pas sa nourriture, de toute façon il n’y avait pas pensé, l’habitude, bonne ou mauvaise ça restait à déterminer, d’avoir des esclaves n’en était pas une qu’on pouvait aisément ignorer. Une fois que l’aubergiste posa son repas du jour devant lui il regarda le lait d’ânesse avec une certaine appréhension puis son regard alla sur l’aubergiste en question et une idée lui vint.

« Vous savez où se trouve la plage la plus proche ? »

Après sa question rhétorique il prit le gobelet de lait, il lança un dernier regard mi-figue mi-raisin avant de tremper les lèvres dans le breuvage. Il fut surpris de se rendre compte qu’en réalité ça n’était pas bien différent du lait de ces créatures qu’il avait pu voir brouter de l’herbe autour de Thaar et Sol’Dorn. N’étant pas vraiment un grand amateur de produits laitiers il n’aurait pas vraiment pu dire lequel était meilleur mais en tout cas c’était moins horrible que prévu.

Il nota dans un coin de sa tête la réponse que lui donnait l’aubergiste en acquiesçant lentement alors qu’elle parlait, ça donnait un côté solennelle, comme si ce qu’elle lui disait était d’une importance capitale pour lui. Ce qui n’était pas tout à fait faux en réalité. Il observa d’un œil critique l’assiette en face de lui et se dit qu’il ne devait vraiment ne plus sortir sans Ssuorr, il avait du mal à apprécier les plats qu’il mangeait chez Krish alors ce qu’il avait sous le nez ne lui semblait que peu engageant. Puis voir la cuisine de quelqu’un d’autre le remit face à la réalité : un jour Ssuorr allait mourir, les humains ont cette désagréable habitude, et il allait devoir trouver un nouveau cuisinier. Le problème étant qu’il ne savait pas s’il pourrait trouver un autre génie culinaire comme ce petit bonhomme un peu gros. Et chauve. Comme quoi il avait des défauts mais ces défauts étaient tous pardonnés lorsqu’on goûtait à un de ses chef d’œuvres.

Résigné il attrapa la fourchette et piqua le poisson déjà mort avant d’attraper le couteau qui reposait jusque-là tranquillement juste à côté de son assiette. Il réfléchissait toujours à ce qu’il pourrait bien faire des informations qu’il avait réussi à obtenir, Myr’Hennis mangea donc distraitement jusqu’à ce que ses oreilles se dressèrent, la pointe transperçant le rideau d’argent qu’était ses cheveux en entendant le début de la phrase de son hôtesse. L’architecte avala le bout de poisson, qui n’était pas génial mais quand on a faim… avant de se retourner avec un fin sourire aux lèvres.

« Je ne resterai pas pour ce soir. Je ne vais sûrement pas rester bien longtemps de toute façon. Mais je vais sûrement revenir. »

Il détacha à nouveau sa bourse de sa ceinture pour la poser sur la table et la faire glisser jusqu’à son interlocutrice. Si jamais l’aubergiste ouvrait la bourse, que ce soit maintenant ou plus tard, elle pourrait compter une trentaine de souverains ainsi qu’un petit rubis qui s’était glissé avec les pièces ; techniquement ce n’était pas l’argent de Myr’Hennis mais il ne se laissait jamais influencer par de tels considérations. Comme le disait quelqu’un que l’architecte détestait mais qui ne manquait pas de sagesse quand il le voulait bien, c’était d’ailleurs dommage qu’il ne le voulût que rarement : ce qui est à toi est à moi et ce qui est à moi est négociable.

« Sûrement dans les jours qui viennent et je voudrais plusieurs choses pour mon retour. Déjà du Sseren. Pour ce qui est de la nourriture je vais voir avec quelqu’un et je vous enverrai une note avec ce qu’il me faudra. » Il fit une pause en se disant qu’il risquait d’y avoir un problème alors il leva les yeux vers la rousse. « Vous savez lire? » Il avala un verre de vin pour lui laisser le temps de répondre et il le regretta tout de suite. Il reposa le récipient et se jura de ne plus toucher à cet infâme breuvage puis il se tourna à nouveau vers la damoiselle, qu’il supposait jeune, Myr’Hennis n’était pas doué pour lire l’âge des éphémères. « Sinon pour en revenir à cette histoire de plage est-ce que vous connaissez un endroit plus… secret ? Un lieu où je ne serai pas dérangé. Comme une crique par exemple. »

les deux hommes :

Elle avait sans doute raison ce dit Myr’Hennis même si jamais il ne l’aurait admis à voix haute cependant il y avait bel et bien un problème dans son raisonnement : il n’était pas n’importe qui. Il lui aurait bien fait remarquer son erreur mais il ne doutait pas qu’elle s’en était rendu compte elle-même peu de temps après l’avoir faite. Toutefois il regarda l’aubergiste s’en aller avec une d’amertume. Les humains sont donc insensibles au charisme d’autrui ? Ou bien était-ce de la mesquinerie ? Ecrasée par l’importance de Myr’Hennis, l’aubergiste avait dû tenter de l’amoindrir pour se sentir moins mal à l’aise. Etant bien au-dessus de tout ça, d’ordinaire il aurait simplement ignorer avec dédain l’humaine mais le problème fut que là il aimerait grandement connaître ce fameux endroit secret dont elle semblait connaître non seulement l’existence mais aussi la localisation. L’architecte pianota distraitement sur la table en regardant avec une moue un peu dégoutée son assiette. Il en était venu à la conclusion que si c’était pour manger ça autant ne pas manger du tout alors à la place il se demandait comment est-ce qu’il allait bien pouvoir apprendre où se trouvait un endroit secrets.

Ses réflexions furent interrompues par l’entrée loin loin d’être discrète de deux hommes qui, sans avoir à y regarder de trop près, n’étaient pas vraiment des parangons de classe, rien que leurs vêtements et leur dégaine permettait de le voir, sans compter l’odeur. Alors quand ils déclarèrent apprécier la cuisine locale sans une once d’ironie Myr’Hennis se demanda bien où est-ce qu’il était tombé. De la pointe de son couteau il piqua le poisson, se demandant si les gens du coin mangeaient vraiment ça avec bon cœur. Quelle genre de famine pouvait bien pousser les gens à s’abaisser à ça ? L’aubergiste était-elle une sorte de nécromancienne que les habitants alentours craignaient au point de ne pas oser s’insurger lorsqu’elle servait des plats… enfin si on pouvait appeler ça un plat évidemment. Ce qui pourrait expliquer une ou deux choses, déjà pourquoi la patronne était désagréable, car, comme chacun sait, les mages ne sont jamais de bonne compagnie. Décidemment le Grand Architecte ne comprenait pas ce qui se tramait ici mais en tout cas pour en être réduit à ça la populace devait bien avoir une excellente raison. Alors il se leva, ne tenant plus.

« Des hommes de goût, c’est indéniable, dommage qu’il soit mauvais. Quant à vous… » après avoir lancé un regard aux paysans dans lequel on pouvait lire tout le mépris qu'ils lui inspirait, au bas mot beaucoup, il se tourna vers l’aubergiste. « Après cette tentative d’empoisonnement me montrer ce fameux endroit secret est bien la moindre des choses que vous puissiez faire. »

Une fois que l’aubergiste lui présenta l’animal prêt, Myr’Hennis regarda le travail réalisé avec un œil critique, dédaigneux, et s’approcha pour tirer sur une sangle et rajuster une lanière qui n’en avait pas besoin.

« Même préparer un cheval c’est trop compliqué… » poussa-t-il dans un souffle outrancièrement affligé.

Il plaça ensuite son pied dans l’étrier et d’un bond qui ne manquait pas de grâce, même si ça lui fit serrer les dents à cause de son dos, il enfourcha sa monture et partit sans se retourner. Une fois de retour à Thaar il déambula dans le Palais d’Argent. Il avait réfléchi lors du retour à une vengeance mais le problème était qu’une vengeance est bien meilleure froide et lui avait envie de se venger le plus tôt possible parce que ça faisait un certain temps qu’il n’avait pas comploter et que s’il ne s’y remettait pas très vite il allait perdre la main. Toutefois il se rappela qu’il n’avait pas été giflé et qu’ainsi il n’avait pas à attendre cinq ans, ce qui est toujours bien lorsqu’on veut se venger rapidement. Alors il se mit vite au travail, un travail ô combien plaisant, même s’il visait qu’une aubergiste perdue dans la nature. Pendant l’espace d’un battement de cœur il se demanda si tout ça n’était pas trop mesquin, trop indigne de lui, si son poste d’importance au Puy ne le plaçait pas au-dessus de tout ça mais il en arriva très vite à la conclusion que non, toute insulte mérite une juste et digne punition ; à condition qu’il soit l’insulté évidemment.

Pour commencer il envoya un message aux cinq membres de sa garde personnelle présents à Thaar afin de leur donner un point de rendez-vous pour le lendemain. Alors certes il était sensé ne pas rentrer en contact avec eux et encore moins physiquement mais bon, c’était un cas de force majeur. Le lendemain Myr’Hennis reprit un autre cheval des écuries de sa chère et tendre mais avant ça il eut tout loisir de se préparer. C’est donc avec une de ses toges d’un blanc virginal brocardée d’or aux motifs complexes et parfois hypnotiques, le col remontant presque jusqu’à son menton, qu’il se demanda s’il devait porter le manteau symbole de sa fonction. Au Puy il l’aurait laissé sur le mannequin mais en Ithri’Vaan, visiblement, il était nécessaire de rappeler qui il était alors il l’enfila. C’était un épais manteau en cuir de Hanglyosi avec deux diamants noirs comme fermoirs et deux fioles contenant du fluide de Fern qui pendaient des pierres précieuses grâce à une chaînette d’argent, le manteau était fermé par une chaîne faite dans un métal inconnu. Pour finir deux esclaves s’occupèrent de sa coiffure, ses cheveux d’argent rassemblés en une queue de cheval tressée fut agrémentée de perles d’onyx. Une fois prêt, car même s’il aurait pu il ne comptait pas rajouter quoi que ce soit d’autres, c’était déjà bien trop pour une petite aubergiste, il monta à cheval et rejoignit le point de rendez-vous avec ses gardes ; Myr’Hennis avait du retard mais ce n’était pas bien grave, Tarlynn avait prévu le coup car c’était quelque chose de récurent, et n’était pas venu à l’heure non plus ainsi lui et ses quatre subordonnés n’eurent pas à attendre bien longtemps.

Les six drows quittèrent donc Thaar pour retourner sur la route menant à l’auberge qui avait si mal reçue son invité de marque. Une fois de retour dans la cour Myr’Hennis descendit de cheval, laissant, comme la première fois, l’animal en plein milieu pour qu’on s’en occupe et il fut bien vite imité par ses gardes. Ces derniers ne posèrent pas de question, déjà qu’ils n’en posaient habituellement pas, leur maître ne les avaient pas prévenu qu’il s’agissait-là de leur destination finale ils supposaient que l’endroit n’était qu’une étape pour la nuit alors que le soleil commençait à se coucher.

La cousine de Dagobert avait aiguillé la noiraude vers un petit village dans l’Est de Thaar, elle lui avait assuré qu'un de ses un oncle lui cèderait sans nul doute une monture à bas coût. Il fallait dire qu’en général, le vieux filou se séparait de ses bêtes lorsqu’elles étaient malades ou très vieilles, expliquant de facto le prix risible qu'il en demandait.
Pour la nécromancienne, cela représentait une véritable aubaine, puisque l’état de santé de l’animal qu’elle achèterait lui importait bien peu. Ainsi, elle avait sauté dans la première carriole de voyageurs en direction de Gereh.

- Je descends ici. Souffla-t-elle en mettant la main sur l’épaule du cocher.

- Qu-quoi ? Mais on n'y est pas encore ! Z’avez payé pour le trajet ma bonne dame, z’êtes bin certaine ?

- Je le suis, je dois continuer vers le Nord. Faites attention sur la route.

La noiraude sauta à terre sans demander à ce qu’on arrête la carriole. Les enfants, qui avaient passé tout le temps du trajet à l’écouter raconter des histoires sur les montagnes naines, se mirent à agiter les bras en guise d’adieu. La daedhelle se fendit d'un sourire et répondit par un signe de la main avant de se tourner vers le bâtiment en bord de route. D’après Ludivine, il s’agissait d’une auberge assez fréquentée par les voyageurs, mais au vu du nombre de chevaux devant, elle devait déjà être pleine à craquer.

- Peu importe. Tout ce qu’il me faut, c’est des vivres.

Et elle se mit à avancer d’un pas cadencé en direction de l’établissement. À mesure qu’elle approchait, les silhouettes entourant la rouquine et son linge se révélèrent avoir la peau aussi sombre que ses comparses d’origine. Rien de bien surprenant, puisqu’ici en Ithri’Vaan, la mixité culturelle et raciale était une chose banale. Cependant, avec les dernières expansions puysardes et la proximité de Sol'Dorn, mieux valait s'attendre à ne pas croiser qu'uniquement des doebens.

- Bonjour. Lâcha la drow palote en observant les hommes en armes de pied en cap. Avez-vous de quoi servir une voyageuse ? Demanda-t-elle revenant à la femme et son panier de linge.

Ce fut avec un certain plaisir qu’il l’entendit arrêter de chantonner en arrivant vers l’auberge mais ce qui fit réellement sourire Myr’Hennis, un sourire sardonique qui lui allait si bien et dont il avait tant l’habitude, un sourire satisfait de l’effet qu’il avait produit, ce fut l’expression de l’aubergiste lorsqu’elle le reconnu. Toutefois il fut contrarié qu’elle ait mis autant de temps à le reconnaître et il se demanda si elle ne l’avait pas fait exprès ou bien si elle était tout simplement stupide. Dans le doute il opta pour la seconde option, c’était la plus probable de toute façon. Il tira sur les rênes de sa monture qui commençait à piaffer puis il lui lança un regard méprisant dont il avait le secret, regard lancé d’autant plus haut que non seulement il était plus grand qu’elle mais qu’en plus il était monté sur un cheval.

Tarlynn quant à lui, en entendant qu’il n’y aurait pas assez de place, il enroula les rênes de son cheval autour de ses mains et il se prépara à lui faire faire demi-tour en le guidant avec les genoux, il avait vu une auberge dans le dernier village ; d’ailleurs il s’était demandé pourquoi son patron n’avait pas voulu s’y arrêter mais on ne va pas bien loin dans la garde du Grand Architecte en posant des questions, surtout si le Grand Architecte est Myr’Hennis Vect. Alors qu’il allait commencer sa manœuvre le Grand Architecte en question leva la main pour le faire arrêter. Ce dernier ne répondit rien à ce qu’avait déclaré l’aubergiste, profitant encore un moment de son expression horrifiée, c’eut été dommage de gâcher ça. Toutefois il en put savourer ce délicieux spectacle bien longtemps car quelqu’un d’autre arriva dans la cour. Myr’Hennis ne se tourna pas, peu importe qui s’était en réalité, ça ne l’intéressait pas vraiment mais c’était une belle occasion de pousser sa vengeance un peu plus loin alors il comptait bien en profiter.

Les gardes se retournèrent sur leur selle et accueillir la drow d’un signe de tête, Tarlynn le premier, et il répondit à sa question d’un haussement d’épaule. Visiblement c’était un non mais il savait également que son patron n’acceptait pas un refus aussi facilement, surtout venant d’une humaine, alors il était nerveux. Quant au patron en question il fut agacé de ne pas avoir pu briser le silence lui-même, après tout ç’aurait été bien meilleur pour le côté théâtral de la scène ; cela dit il allait devoir faire avec parce qu’il se voyait mal recommencer et imposer un nouveau silence. Pourtant ça l’aurait amusé mais il n’était pas vraiment là pour ça.

« Et bien je vous suggère de libérer six chambres... sept devrais-je dire, mon amie en veut une également. » Sa voix suave n'allait pas du tout avec les flammes qui dansaient dans ses yeux.

La noiraude aux allures de demi-sang fut un peu surprise par l’attitude du drow sur sa monture. Pas par l’évidente terreur qu’il se complaisait à faire naître chez la tenancière, mais plutôt par le fait qu’il se soit avancé en son nom à elle. Le regard de la nécromancienne passait des uns aux autres, elle restait silencieuse pour l’heure. Elle avait déjà vu ces manières de faire maintes et maintes fois au Puy.

L’aubergiste tourna les talons et disparut dans le chambranle de la porte d'entrée sans ajouter quoique ce soit. T’sisra mit l’oliyan de côté parla en drow.

- Nul besoin de faire louer une chambre pour moi. Déclara la daedhelle en s’avançant de manière à faire face à l’attroupement. Je suis néanmoins surprise qu’une personne capable de louer l’entièreté d’une auberge ait porté son dévolu sur celle-ci. Il y en a tant d’autres fréquentées par de riches et éminentes personnalités vanies dans les environs...

La recrudescence des puysards n’était pas particulièrement surprenante, étant donné que le Puy tout entier était, pour changer, sur le pied de guerre et aujourd’hui aux portes de Sol’dorn. Les allers et retours en Thaar et le siège devait être nombreux, mais ici, entre la cité thaarie et Geresh perdu au milieu de nulle part ?

- Alors, je m’interroge, qui êtes-vous ?

- Pardon, excusez-moi… Intervint l’un des pauvres hères qui mettaient les bouts en s’inclinant bien bas face aux drows en armes. Je ne fais que partir…

L’homme fut suivi par d’autres clients, filant sans demander leur reste. Tous sortaient, les uns après les autres, jetant des regards suspicieux ou inquiets à l’attroupement. Le manège ne cessait pas, au contraire, il s’amplifiait. Bientôt l’auberge serait vide de client, et toutes les chambres seraient libres.

- J’imagine, au vu de vos atours, que vous avez de quoi dédommager le manque à gagner notre aimable hôtesse ?

Myr’Hennis ne descendit pas de cheval, il aimait bien sa position et puis même si sa selle n’était pas des plus confortables c’était toujours mieux que de s’asseoir sur les bancs de cette auberge miteuse. Il fut quelque peu surpris de voir la tenancière rentrer sans même les inviter et il hésita à abandonner sa monture et rentrer lui-même mais avant qu’il n’ait pu se décider la nouvelle venue avait à nouveau parlé. Il aurait continué à la considérer indigne de son attention si elle ne s’était pas exprimée en drow, il ne tourna pas la tête vers elle, attendant qu’elle se déplace d’elle-même pour entrer dans son champ de vision. Après tout si elle n’était pas digne de son attention il n’y avait pas de raison qu’elle vaille la peine de bouger la tête.

« Il se trouve que je suis déjà passé dans cette auberge il y a peu et que son côté… rustique m’a plu ainsi j’ai voulu y retourner. Et puis il faut dire que les éminentes personnalités en question sont d’un ennui mortel. »

Un sourire amusé passa sur les lèvres de Myr’Hennis lorsque vint la question et il hésita à répondre. Il aurait bien donné une réponse laconique mais si elle ne le savait pas ça laissait supposer qu’elle n’était pas originaire du Puy. Etant donné qu’il risquait sous peu de s’implanter en Ithri’Vaan même s’il n’avait pas grand-chose à faire pour se faire un nom il ne pouvait pas résister au plaisir simple de se présenter.

« Je te pardonne ton ignorance, je m’appelle Myr’Hennis Ve… » il allait donner son titre et sa fonction, dérouler sa titulature était quelque chose qu’il appréciait particulièrement, mais un humain l’avait interrompu. L’architecte allait le foudroyer du regard avant d’y voir une belle opportunité. Il afficha donc son sourire le plus bienveillant en regardant le paysan.

« Nul besoin de présenter vos excuses. » Il observa les autres clients sortir en fronçant les sourcils et en voyant qu’il y avait bien plus de huit personnes il leva une main avant d’élever la voix. « Inutile de tous partir, je n’ai besoin que de sept chambres et puis j’ai une excellente nouvelle à célébrer et je déteste boire seul, consommez tout ce que vous voulez mes braves, ce soir, réglerai toutes vos commandes. Les sept qui sacrifient si aimablement leurs chambres seront dédommagés et pourront évidemment rester pour profiter des festivités. »

Il ne répondit pas à la doébenne, supposant que la preuve de ses largesse le faisait pour lui.

« Myr’Hennis ». Il n’y en avait pas des tonnes des Myr’Hennis au Puy. Il n’y avait même qu’un seul Myr’Hennis Vect. Durant sa vie éldéenne, elle en avait entendu parler comme étant le Grand Architecte, le maîtres des roches volcaniques et des souterrains, le seul et unique juge des bâtisses. Amalghar, son père, avait fait des pieds et des mains des dizaines d’années durant pour obtenir ne serait-ce qu’un regard de sa part. Fut un temps où le patriarche n’avait en tête qu’un seul et unique projet : l’agrandissement de son domaine. Ses demandes d’audience, toujours refusées, le mettaient dans des colères noires et alimentait ses désirs meurtriers, et pourtant s’il avait eu le Grand Architecte en face de lui, il se serait tortillé au sol comme un vermisseau pour obtenir l’objet de ses désirs.

L’annonce, étonnement magnanime et certainement motivée par un besoin égocentrique, eu tout de même l’effet supposément escompté. Les clients, prêts à mettre les bouts s’arrêtèrent tout net. L’idée de manger à l’œil venait de conquérir leurs cœurs aussi apeurés que leurs ventres étaient affamés, et le manège reprit dans l’autre sens.
La daedhelle observait l’attroupement rentrer à nouveau dans l’auberge, puis ressortir à nouveau. Quelques instants plus tard, deux des employés installaient d’ores et déjà une longue table devant le bâtiment, et la tenancière annonçait à l’ensemble des convives que, compte tenu de leur nombre, les repas seraient servis en extérieur.

La noiraude abandonna sa langue natale pour revenir à l'oliyan.

- Vous n’aurez besoin que de six chambres, Myr’Hennis Vect. Je ne suis que de passage, je ne compte pas passer la nuit ici. Et je payerai mon propre repas. Ajouta-t-elle à l’attention de la tenancière avant de revenir au Grand Architecte. Je préfère ne rien vous devoir. Non que ça soit contre vous, mais je n’apprécie pas l’idée de collectionner les dettes. Aussi infimes soient-elles.

La noirelfe s’approcha de la chaise en bout de table pour la tirer puis se tourna à nouveau vers le puysard.

- Le bout de table est à vous, tous vos invités en conviendront sans peine.

T’sisra se dirigea ensuite jusqu’à l’autre bout de la table pour s’installer sans ajouter quoique ce soit. Elle préférait se tenir le plus loin possible des hommes en armes, au-delà de la simple précaution, le Puy et ses habitants l’avaient rendue paranoïaque et elle avait ainsi appris à ne faire confiance à aucun d’eux.

Tarlynn lança un regard surpris à son maître en se demandant à quoi il jouait mais ce dernier ne le regardait pas alors les drows mirent pied à terre en voyant les humains venu s’occuper de leurs montures. Le soldat regarda ensuite la foule d’humains en se disant qu’il risquait d’avoir un peu de mal à défendre leur patron si ce dernier se les mettaient à dos comme il était si doué pour le faire. Parfois il en venait à se demander comment Vaervy avait fait pour le maintenir en vie si longtemps et maintenant que c’était à son tour de le protéger il ne pouvait qu’admirer la ténacité de l’ancienne commandante de la garde. En réalité Tarlynn n’avait jamais vraiment été au contact de son patron, il ne faisait que rarement partie de sa garde rapprochée, d’ordinaire son boulot c’était de s’assurer de la sécurité du domaine de Myr’Hennis alors il ne le voyait que de loin et c’était très bien comme ça. C’était d’ailleurs pour ça qu’il avait été agréablement surpris lorsqu’on lui avait dit que son maître avait besoin de cinq de ses drows pour une mission spéciale en Itri’Vaan, il s’était dit qu’il ne verrait plus du tout l’architecte mais c’était sans compter sa présence à Thaar pour il ne savait quelle raison. Il avait poussé un long soupir, même à des centaines de kilomètres du Puy il n’était pas libéré des caprices du Grand Architecte. Mais c’était son travail, un travail qui payait très bien au demeurant, et il comptait bien le faire consciencieusement comme le préconisait le serment qu’il avait prêté en rentrant dans la garde.

Alors il recula pour se tenir à côté de son maître, la main négligemment posée sur le pommeau de son épée, il passa l’autre dans ses cheveux pour les rabattre en arrière puis poussa un long soupire ; avec un peu de chance il n’y aurait pas de problème.

Quant à Myr’Hennis il n’avait pas répondu à l’aubergiste, il regardait les humains d’un œil amusé avant de finalement descendre de son cheval à son tour. Il n’aimait pas se répéter et il avait été parfaitement claire sur ses motivations alors il hocha simplement la tête en direction de la doébenne, si elle ne voulait pas en profiter tant pis pour elle. Il haussa ensuite les épaules, un mouvement qui était difficilement perceptible à cause de son épais manteau.

L’architecte se déplaça ensuite vers la table, invité par la doébenne, de toute façon c’était bien là sa place peu importait les circonstances alors dans celles-ci quiconque aurait tenté de lui usurper le bout de table aurait été en danger. D’un geste expert il détacha l’attache de son manteau qui glissa de ses épaules et fut rattrapé par Tarlynn qui l’installa sur le dossier de la chaise, les fioles remplies de fluide de fern bougeaient de façon hypnotique dans l’air avant de se calmer, posée sur l’épais cuir. Mais Myr’Hennis ne s’assit pas tout de suite, il attendit que tout le monde soit en place puis il attendit que le silence se fasse et enfin il attendit une dizaine de secondes, profitant des regards posés sur lui avant de finalement prendre la parole d’une voix claire, forte et remplie de l’assurance de l’orateur consommé.

« Mes amis, je vous ai dit aujourd’hui que j’ai une excellente nouvelle à fêter, il est vrai que j’ai eu un différent avec la propriétaire de cet établissement qui n'est pas réglé. Toutefois je lui accorde mon pardon sans condition car c’est un jour qui ne peut souffrir la mesquinerie d’une humaine rancunière. Alors voilà, mes braves, mangez, buvez tout votre soul car la voici la bonne nouvelle : je vais me marier ! » S’il avait eu une coupe il l’aurait levé dans un geste triomphale mais l’aubergiste n’avait pas été des plus promptes à la tâche et il lui manquait cet accessoire pourtant si important. A la place il leva une main de façon faussement modeste pour faire taire le plus lentement possible les applaudissements. Une fois qu’il eut fait duré les applaudissements aussi longtemps qu’il était décemment possible il reprit. « Mais ma générosité n’est pas entièrement pour vous, il serait injuste que vous soyez les seuls à en profiter, n’est-ce pas ? » Il attendit une ou deux réactions à sa question rhétorique en bon comédien avant de continuer et de se tourner vers l’aubergiste. « Je suis certain que vous serez la première à en convenir alors voilà : pour vous montrer que je ne vous en veux pas et que je vous ai intégralement pardonné j’aimerai que vous vous occupiez du service. »

T’sisra était dubitative quant à « la générosité » dont le Grand Architecte faisait preuve. L’aubergiste allait devoir faire avec, si tant est qu’ainsi décomposée elle parvienne à se reprendre efficacement.
Cependant, la nouvelle de son mariage avait suscité les applaudissements des uns et des autres, ainsi qu’instauré une certaine confiance en cet eldéen pour le moins particulièrement étrange, même pour les siens. Après tout, chacun ici trouvait normal de vouloir fêter un tel évenemment.

La noirelfe s’était joint aux applaudissements, bien que les siens fussent moins démonstratifs et beaucoup plus discrets. Pour quelle raison célébrer un mariage à venir dans une auberge qui, pour ce drow en particulier, avait tout d'un établissement miteux ?

- Alors, après plusieurs siècles, vous avez enfin trouvé une compagne ? L’interrogea-t-elle depuis l’autre bout de table. J’imagine qu’il ne doit pas s’agir de n’importe qui, étant donné votre rôle au sein du Puy. Oserai-je vous demander qui est l’heureuse élue ?

Au vu de l’importance qu’avait Myr'Hennis Vect en Elda, la daedhelle s’interrogeait sur l’identité de sa future compagne. Maître incontesté des ruelles et boyaux volcaniques, seul connaisseur des plans de chaque bâtisse que comptait le Puy, amateurs des passages oubliés et secrets, personne ne pouvait approcher le Grand Architecte comme bon lui semblait. Et il n’avait pas la réputation d’engager des discussions triviales et sans importances pour passer le temps. Non, il devait s’agir d’une lignée reconnue ou d’une personnalité d’importance.

Gardant un calme olympien, Myr’Hennis attendit patiemment que l’aubergiste réagisse à l’honneur qui lui était fait pourtant elle mit plus de temps qu’il ne pensait. Ce qui, en réalité, était tout à fait compréhensible. Lorsqu’elle parla enfin un fin sourire se dessina sur les lèvres de l’architecte. Si elle pensait pouvoir s’y soustraire aussi facilement c’était peine perdue. Il passa délicatement une main dans ses cheveux pour remettre une ou deux longues mèches rebelles à leurs places.

« Et vous avez raison mais ne vous inquiétez pas, pour votre manque de compétence, vous ne serez bien évidemment pas seule, vous participerez mais tout ne reposera pas sur vos épaules. Cela dit je suis certain que vous ferez le nécessaire pour vous en montrer digne. »

Evidemment il était hors de question qu’une humaine s’occupe entièrement de l’organisation et du déroulement de la cérémonie ; surtout une cérémonie aussi importante. L’eldéen se retourna ensuite vers les convives comme si tout était réglé, ne laissant pas le temps à l’aubergiste de rétorquer quoi que ce soit il s’assit, il attrapa une coupe de vin qu’un serviteur avait posé à côté de lui et il la fit lentement tourner. Ensuite il enchaîna.

« Vous avez déjà osé il me semble. »

Une fois le liquide bien aéré, même s’il ne savait pas du tout si ce dernier en avait besoin, il trempa les lèvres dedans et reposa la coupe après une moue de dégout. Il ne savait vraiment pas pourquoi il s’était fait avoir, du moins une seconde fois, car il connaissait déjà le goût et pourtant… sans doute l’habitude mais c’était pénible.

« Toutefois vous avez aussi droit à ma générosité n’est-ce pas ? L’heureuse élue se dénomme Krish Al'Serat. » Dire qu’il n’en était pas fier aurait été un odieux mensonge et il fallait dire que ça se lisait sans peine sur ses traits. « Mais qu’en est-il de vous ? Vous posez des questions sans même vous présenter. »

Al’Serat, Krish Al’Serat. C’est un nom qu’elle avait déjà entendu par le passé. Et ce nom, si sa mémoire ne lui faisait pas défaut, appartenait à la Maîtresse des Forges, et accessoirement l'une des plus puissantes personnalités de Thaar. Ce n’était donc pas si étonnant comme mariage, deux pontes de la société drow s'associant afin d’assoir leur pouvoir.

- Vous avez raison, avec tout ce remue-ménage j'en ai oublié les formalités d'usages. Vous pouvez m'appeler T'sisra. Déclara la noirelfe dans un hochement de tête en guise de salut.

Et la tenancière revint à nouveau s’occuper de sa clientèle. Le temps des alcools était venu, les meilleurs qu’elle possédait d’après elle. Ainsi, après avoir servi son invité de marque, elle se dirigea vers la noirelfe située à l’autre bout de la table.

- Je ne doute pas de la qualité de vos liqueurs, mais je ne boirai ni l’une ni l’autre. De l’eau m'ira très bien. Répondit-elle avec un sourire avenant. Je vous remercie.

Puis son attention revint bien vite à l'énergumène occupé à tout faire pour être le centre de l’attention de toute la tablée.

- Ainsi donc, le Grand Architecte et la Maîtresse des Forges tissent le grand amour dans une idylle toute puysarde. C’est étonnant, mais pas si surprenant. J’imagine que les thaaris doivent en avoir l’échine frissonnante, de voir l’une des leurs se rapprocher des instances dirigeantes du Puy ?