Au (plus petit) bal masqué [Sauveur]

Verimios, neuvième ennéade
An dix-sept du onzième cycle

Le manoir dans lequel je venais de mettre les pieds ne m’était pas inconnu, comme ne me l’était pas le sort de son ancien propriétaire. Il était resté à l’abandon pendant un certain temps avant que je ne sache exactement à qui je pouvais l’offrir. Je me doutais que ce n’était pas vraiment une vérité, mais c’était celle que l’on m’avait servie, et je n’avais pas besoin de savoir ce qu’on avait fait de ceux qui l’avaient habité pendant près d’un an. Son propriétaire actuel, lui, je le connaissais bien, si bien que c’était grâce à moi qu’il possédait ces lieux. Il était le dignitaire de la Corporation d’Argent qui avait fait partie du paysage de Geresh depuis si longtemps qu’il ne m’était pas inconnu avant sa récente et belle promotion. Il était à mes côtés quand j’avais présenté ce document si important au Conseil de Thaar, et j’avais même appris entre temps qu’il avait été à mes côtés quand un certain soulèvement avait eu lieu. Je lui devais bien ce genre de récompense, et je lui devais bien de le faire monter dans la Corporation alors que tant de places s’étaient libérées.

Je lui devais ce genre de récompense et pourtant c’était lui qui avait décidé de cette fête en ma faveur.

Il avait jeté son dévolu sur un bal masqué, un choix curieux mais que je trouvais à mon goût, et j’étais bien sûr venue avec Sauveur. Il n’y avait pas de blanc, cette fois, dans ma tenue, ou en tout cas beaucoup moins, alors qu’on ne retrouvait cette couleur qui me couvrait la gorge qu’au niveau des manches qui dépassaient d’une veste noire et des finitions de cette même veste. La robe et tout ce qui restait étaient noir et or, aux couleurs du symbole de notre belle Cité. Noir et or, c’étaient aussi les couleurs du masque que je portais, un masque qui me dotait de deux oreilles qui s’élevaient bien au dessus de ma chevelure laissée totalement lâche, un masque décoré d’arabesques qu’on aurait pu retrouver magiquement éclairés sous ma peau, un masque particulièrement élégant qui embrassait la forme si caractéristique du lapin, ce qui n’avait bien sûr dissuadé personne de faire certains traits d’esprit. Des traits d’esprits pas forcément mérités, car je n’avais jamais porté autant de tissu pendant mes diverses apparitions publiques. Peut-être que mon voisin, celui dont je gardais le bras prisonnier, n’était pas innocent quand à cette relative pudeur.

Rien n’avait démarré encore, et pour cette raison j’eus l’impression d’attirer beaucoup de regards en entrant.

« Il fait moins froid dedans que dehors au moins. »

J’avais levé la tête vers Sauveur avec ces mots inconséquents. Il pouvait voir sous le masque un petit sourire.

Comme si on m’avait attendu, ce qui était assez improbable alors que je passais ainsi relativement inaperçue, la musique démarra une poignée de minutes après notre arrivée, quelques danseurs s’activèrent mais je restai là à regarder Sauveur comme si c’était la première fois que ça arrivait. C’était notre première sortie officielle, une sortie importante dans notre vie de jeune couple pris dans une relation qui jusqu’à récemment était particulièrement chaotique, et je ne me rendais qu’à peine compte qu’on venait de passer tout ce temps ensemble sans jamais nous montrer. Et même là, le secret que nous ne faisions aucun effort à garder entier restait protégé par une paire de masques. D’autres masques continuèrent de s’agiter autour de nous et je me rendais bien compte qu’il fallait que je fasse quelque chose, mais un détail revint bien vite, je n’étais pas une danseuse particulièrement adroite et je me reposais énormément sur les autres pour ne pas paraître idiote.

Le masque et le reste de la tenue d’Aerianna :

Sauveur levait des yeux à la fois sceptiques et incrédules sur les décorations de la vaste salle. Ce n'était pas la première fois qu'il se rendait à une sauterie pour gens fortunés mais c'était la première fois qu'il en était le convive et non le garde du corps. Enfin, le convive... C'était évidemment Aerianna qui était invitée et elle l'avait entraînée avec lui. Même s'il n'avait pas fait montre un enthousiasme fulgurant, il n'était pas contre l'idée de sortir un peu avec elle plutôt que de passer une soirée de plus dans l'intimité du palais de la belle. C'était le propre de tous les jeunes couples : profiter d'abord l'un de l'autre avant de quitter enfin leur cocon. Il s'était assez bien prêté au jeu de cette soirée d'ailleurs. Elle avait choisi un costume de lapin, ce qui l'avait amusé étant donné leur relation des plus... chaleureuse. Il avait alors joué la carte de l'humour en optant pour un déguisement de renard. Cependant, il avait laissé le soin à sa compagne de le choisir pour lui, peu friand de mode.

C'était la première soirée mondaine mais c'était aussi leur première soirée affichée en tant que couple. Suite à la proposition d'Aerianna, il avait plus ou moins emménager avec elle. Il avait toujours une petite maison dans un quartier paisible de Thaar mais il ne l'utilisait que lorsqu'il récupérait ses filles pour quelques jours. Même si, la dernière fois, il les avait ramenées directement à Geresh... Cela s'était d'ailleurs plutôt bien passé et, si les choses perduraient sur le long terme, il songerait à se défaire de ce loyer inutile. Même s'il demeurait un pincement au cœur lorsqu'il croisait Sanaa, il parvenait à être heureux et à profiter pleinement de sa relation avec la Princesse. Une complicité nouvelle s'était créée entre eux, maintenant qu'ils partageaient des moments plus sereins, tant en terme d'émotions que de passions.

Ainsi, le prédateur et sa proie se tenaient près l'un de l'autre. On les avait débarrassé de leurs manteaux à l'entrée et ils ne rayonnaient plus que par leurs seules tenues masquées. Sauveur baissa les yeux pour reporter son attention vers Aerianna et découvrir son sourire dissimulé. Il n'avait qu'à voir ses yeux pour imaginer l'expression de son visage.

-Il fallait me le dire. Répondit-il le plus simplement du monde. Puis il se pencha pour lui susurrer quelques mots à l'oreille. Je t'aurais réchauffée. Il déposa un baiser sur sa tempe et se redressa, faisant mine de rien face à son allusion à double sens.

Cela ne faisait qu’une poignée d’instants que nous avions franchi les portes et déjà il me donnait envie de nous séparer de cette foule pour un autre genre d’affaires. Il fallait dire qu’il n’avait pas tellement à forcer, et si ma vie était plus épanouie depuis que nous la partagions, j’étais bien aisément distraite par sa proximité. Si distraite que le drow argenté devait parfois attendre plusieurs heures avant de me voir revenir prête à gérer les affaires de Geresh à ses côtés. Il n’y avait que la Corporation d’Argent finalement qui avait droit à ma pleine attention, mais lorsqu’elle se remettrait totalement de ses émotions je savais que j’aurais de moins en moins besoin de la tenir par la main. Mais ces affaires étaient presque trop lointaines pour m’en préoccuper, et si ça ne fonctionnait pas à chaque fois le but de ce genre de soirée était de leur permettre de s’enfouir plus profondément encore pour ne réapparaître qu’au petit matin, quand le reste disparaissait.

« Je n’ai pas dit que je n’avais plus froid. »

Je ne m’étais pas empêchée de lui donner une petite réponse, l’air de rien, sans même le regarder, sans m’attarder avant de m’élancer dans la pièce, attrapant au dernier moment une de ses mains pour l’entraîner avec moi, comme je le faisais si souvent. J’allais éviter de trop m’approcher de la piste de danse dans un premier temps, sans penser qu’elle avait été une porte vers tant de bien par le passé, sans penser qu’elle pouvait encore l’être, mais je n’avais pas posé la seule question à Sauveur qui saurait raviver mon intérêt dans la chose. Mes pas m’amenèrent plutôt près de plusieurs groupes d’invités différents, avant qu’ils ne m’écartent d’eux à chaque fois quand j’en avais assez entendu. On continuait de ne pas me reconnaître, et au lieu de vouloir ouvrir la bouche pour changer ça je laissais faire, baissant la tête lorsque quelqu’un se mettait à me regarder avec un peu trop d’insistance. Je devais vraiment donner l’air de ne pas savoir ce que je faisais à Sauveur, mais j’espérais qu’à force il ait pris l’habitude.

De grands yeux interrogatifs vinrent se planter dans son regard, d’ailleurs.

« Tu as appris à danser ? »

Sauveur regarda Aerianna avec intensité tandis qu'elle venait de répondre à sa phrase pleine de sous-entendus. Elle savait qu'il n'était guère difficile d'obtenir son attention en la matière et que, le plus souvent, il ne fallait pas lui en promettre. Jusque là, elle n'avait connu de longues heures de débauches qui raisonnaient dans presque toute l'aile où ils logeaient mais il savait aussi faire vite et très bien et, cela, elle ne l'avait pas encore expérimenté. Or, c'était bien plus approprié dans ce gens d'évènement pour ne pas s'éclipser plus longtemps que nécessaire.
Le garde du corps observa la Princesse s'éloigner avant de la suivre, contraint et forcé par cette main qui avait saisi la sienne. Enfin, forcé... Il le voulait bien aussi, il fallait l'avouer. Il l'accompagna donc de groupe en groupe, sans réellement comprendre ce qu'elle trafiquait. A quoi bon se mêler aux gens si c'était pour ne pas ouvrir la bouche ? Craignait-elle qu'on la reconnaisse ? Si oui, pourquoi ?

Après un long moment, Aerianna parla enfin et se fut pour lui poser une question en a parte. L'Hadjaoui tourna alors son regard vers la piste de danse et observa les couples qui y évoluaient. Il détailla rapidement leurs gestes, leurs postures, leurs manières... Il savait danser, oui, mais à la façon d'un homme du peuple : libre et sans la contraire que pouvait représenter une chorégraphie pré-établie.

-Si tu n'as pas peur d'avoir l'air ridicule... Dit-il sur un ton amusé, les yeux toujours sur les danseurs. Puis il se tourna enfin vers elle, plissant les yeux. Dis-moi, tu joues à quoi depuis tout à l'heure ?

Sauveur se doutait que sa compagne avait un but avec sa façon d'agir depuis le départ mais il n'en trouvait malheureusement pas la raison. Il ne se disait rien d'intéressant dans ces conversations, du moins en avait-il l'impression mais il n'était pas issu de ce monde.

Par mimétisme mon regard suivit le sien. Je ne savais pas trop pourquoi il mettait autant de temps à répondre, dans mon esprit il n’y avait autre réponse que oui ou non, et regarder les autres danseurs n’apporterait pas la moindre précision. Cet esprit était façonné par quelqu’un qui venait de ce monde par-delà la mer, cet esprit n’avait pas hésité à prendre les influences de l’Ithri’Vaan sauf quand il s’agissait de danse. C’était pour ça, d’ailleurs, qu’en dehors de quelques danses très codifiées il fallait tant me guider. Je souris à sa réponse, forcément, en me rendant compte qu’il avait dû jauger les danses qu’il voyait du regard pour savoir s’il pouvait les imiter ou non. Un petit rire caractéristique retentit, que la danse ne soit plus une option m’arrangeait en réalité, en cet instant et en ce lieu, mais il faudrait que j’y remédie, le compagnon d’une Princesse se devait de connaître quelques pas, au moins.

Mais tout s’envola avec cette nouvelle question.

Le manège n’avait pas duré si longtemps mais il était assez évident pour qu’il semble déjà s’en inquiéter, et si je ne m’en étais pas vraiment rendue compte je n’étais pas surprise. Je l’avais déjà mené relativement à l’écart pour discuter avec lui mais je forçai encore le trait en me collant contre un mur puis en jetant des regards pour veiller qu’aucun intrus ne se soit glissé près de nous. Satisfaite, je reportai mon regard sur Sauveur, et la pointe de curiosité que j’avais montrée ainsi que ce sourire que j’avais affiché n’étaient plus là. Je lui tenais toujours la main comme si c’était mon bien le plus précieux mais toute mon attitude s’était transformée. Il y avait un point sensible, quelque part là-dessous, un point sensible que je ne pouvais pas lui cacher vraiment. Je réfléchis un temps, cherchant les mots qui seraient les plus efficaces, cherchant comment communiquer assez précisément ce qu’il demandait de moi.

« Tu te souviens de notre discussion, cette première nuit ? »

Bien sûr qu’il s’en souvenait, de la nuit la plus étrange qu’il ait passée avec moi.

« Je t’avais dit que je ne savais pas ce qu’ils attendaient de moi… ils sont là, les ils, et je n’ai jamais eu de réponse à mes questions… » Je levai un doigt pour désigner un homme, plus loin, à la carrure d’un forgeron. « Pas celui avec le masque d’argent, lui je sais, il veut que je m’appuie sur lui pour gérer la Corporation, c’est pour ça qu’il a organisé cette soirée… je parle des autres. » Le doigt s’abaissa et l’entièreté du bras suivit pour venir longer ma robe. « Ceux qui sont là pour Geresh, ceux qui parlent de l’avenir, ceux qui parlent du Conseil, je ne sais pas ce qu’ils me veulent, et encore moins ce qu’ils veulent de moi pendant une telle soirée. Il y en a peut-être qui veulent danser avec moi, d’autres discuter de je ne sais quoi, d’autres juste me trouver et me pointer du doigt un instant… » Le sourire revint. « Tu m’as déjà dit ce que tu voulais, je t’ai déjà dit ce que je voulais, et on se fout de ce qu’ils veulent, on est venus pour nous… »

Le sourire s’agrandit encore, et si le message n’était pas assez clair j’y ajoutai un détail.

« Pas besoin d’ôter les masques, ils pourront essayer de deviner si ça les intéresse… »

Le manque de réaction de Sauveur me perturba quelque peu, est-ce qu’il ne voulait pas ? Il ne comprenait peut-être simplement pas. Ou peut-être s’en doutait-il mais il avait du mal à croire que je veuille vraiment dire ce que je disais, il ne me pensait pas sérieuse. Légèrement agacée je laissai mon regard dévier de son visage un instant. J’avais prévu de bien vite le ramener, il n’y avait que cette incompréhension qui m’agaçait, pas tout ce qu’il représentait, mais mon regard s’accrocha sur quelqu’un qui me regardait plus loin. Son visage était masqué mais je n’avais pas besoin de ça pour le reconnaître avec sa peau d’argent et ses trop longs doigts qui tenaient une coupe. Sa posture était légèrement négative, comme si lui avait compris ce que je demandais de Sauveur, et quand il me vit regarder dans sa direction il tendit brièvement sa coupe vers une autre personne masquée, non loin de lui. C’était notre hôte, bien sûr, et Ulk me rappelait mes devoirs, mais je l’ignorai.

Tout n’avait duré qu’un instant, un instant qui renforçait mon envie de n’en faire qu’à ma tête et d’ignorer les attentes qu’on avait de moi, comme je l’avais dit une poignée de secondes plus tôt à la seule personne qui n’en avait pas trop. Il en avait tout de même, mais je n’en avais pas rencontrée une encore que je ne saurais combler. Je me dégageai du mur pour m’avancer vers Sauveur et en poussant sur son épaule le faire tourner sur lui-même et le plaquer à son tour contre le mur. Je comptais toujours sur un certain manque de résistance pour ces opérations et si j’avais très rarement été contrariée c’était une façon de m’assurer que je ne sombrais pas dans certains de mes travers. Quand j’eus terminé je me plaquai contre sa poitrine alors qu’une main commença peu à peu à remonter l’avant de ma robe, juste assez pour que l’autre, qui tenait encore celle de Sauveur, s’aventure sous le vêtement.

Ma main abandonna la sienne là, sur ma cuisse…

« C’est de ça… que je parlais… tu le veux aussi ? »

Non, Sauveur n'avait rien compris. Les intrigues politiques, les affaires commerciales, les discours à demi-mots... Ce n'était pas son truc. Pourtant, il était loin d'être idiot mais là, Aerianna avait poussé le côté énigmatique un peu trop loin. Et lorsqu'elle en était venu à ce qu'ils voulaient tous les deux, son esprit avait totalement décroché de la conversation qu'ils avaient eu en arrivant. Elle parlait de Corporation et de Geresh, le sexe ne faisait plus partie du paysage pour lui (et oui, c'était possible !). Il vit bien que sa compagne était agacée par son incompréhension et son silence mais il était bien trop occupé à réfléchir à ce qu'ils avaient pu se dire au sujet de leur avenir, de leurs aspirations communes pour répondre quoi que ce soit. Et ce masque cachait un haussement de sourcil interrogateur.
Finalement, le Princesse se fit plus claire et Sauveur se laissa faire. Bien avant que sa main ne fut déposée sur sa cuisse, il avait compris le message. Ses doigts glissèrent sur sa peau pour s'arrêter à la naissance de ses fesses.

-Quelle question... Mais là, j'avoue que tu m'avais perdu à cent mille lieues de ce sujet.

Pressant légèrement sur la jambe de la belle, une de ses phalanges parvint à atteindre son entrejambe et l'effleura, pouvant difficilement faire mieux dans une telle posture et avec autant de monde autour d'eux. Alors, il retira vivement sa main et fit redescendre les pans de la robe d'un geste.

-Pas ici.

Il lui prit la main et l'entraîna avec empressement. Bien vite, ils quittèrent la grande salle de bal et se faufilèrent dans un couloir. Quelques invités s'étaient isolés là pour discuter plus au calme, loin de la musique. Certaines portes étaient ouvertes et de la lumière apparaissaient sous le chambranle des autres. Sauveur continua d'avancer mais ne trouva rien dans cette allée susceptible de leur convenir. Il bifurqua et, trouvant un couloir vide, sauta sur l'occasion. Il attira brusquement Aerianna contre le mur et plaqua son corps au sien pour l'embrasser avec passion. Ses mains se firent baladeuses malgré les épaisses couches de tissu. L'une d'elles finit par relever les jupons de la Princesse pour lui permettre de venir la caresser sans la moindre pudeur. Mais il n'en ferait pas davantage. Pas ici. Il avait simplement voulu profiter de quelques minutes à l'abri des regards. De quelques minutes de risque alors que la foule se trouvait à seulement quelques pas. De quoi pimenter le jeu... Avant de se réfugier dans un endroit plus propice à l'action.
Ainsi, après un petit moment, l'ancien mercenaire retira sa main, laissant une nouvelle fois la robe retomber, et se détacha pour entraîner sa compagne encore un peu plus loin. Il trouva bien vite une porte et l'ouvrit. A l'intérieur, pas un bruit, mais des murs tapissés d'étagères pleines à craquer. Parfait ! Sauveur entra, attirant Aerianna avec lui. Puis il ferma derrière eux, tourna la clef dans la serrure et se jeta de plus belle sur le lapin devenue la proie docile du loup affamé.

Elle le connaissait depuis le temps... Elle savait qu'il ne fallait pas lui en promettre.

-On va pas pouvoir... jouer... bien longtemps... cette fois. Il souleva une des jambes de la Princesse, la faisant se retrouver en équilibre avait son corps pour seul soutien. Puis il planta son regard dans le sien. Et éviter de faire vibrer les murs.

Il la regarda d'un air de défi tandis qu'il venait de lui suggérer de se faire plus silencieuse que d'ordinaire. Qu'on les entende ne le dérangeait pas mais s'ils pouvaient éviter de perturber le bal à côté... Sinon, l'identité de la jeune femme serait rapidement révélée. Ne lui laissant pas vraiment le temps de répondre, il souleva sa seconde jambe et la porta ainsi jusqu'à un bureau qui se trouvait derrière une rangée d'étagère de l'autre côté de la petite pièce. Là, il l'allongea, souleva une dernière fois les pans de sa robe pour dévoiler tant ses cuisses que son sexe et se pencha pour venir l'embrasser, le lécher et le titiller. Puisqu'ils n'avaient pas le temps, il ne la ferait pas jouir ainsi. Il l'amènerait simplement aux portes de l'orgasme avant de la prendre, ici, dans une pièce qui avait vu passer bien plus de savants que de couples sulfureux...

Un petit frisson me parcourut le corps au premier semblant de caresse.

Le geste avait communiqué mieux que ses mots que comme pour moi le reste de ce qu’il se passait autour de nous n’avait que peu d’importance. Il n’allait pas aussi loin que je le faisais pourtant, il n’agissait pas comme s’ils n’existaient simplement pas, et l’entendre me refuser le plaisir charnel à cause d’eux me frustrait un peu. Ils auraient vite compris ce qu’il se passait, mais ça n’enlevait rien, ça ajoutait, même, tant qu’ils ne voyaient pas l’acte en lui-même, qui aurait pu rester dissimulé par mes vêtements amples, tant qu’ils se demandaient qui étaient les deux amants qui n’auraient pas ôté les masques. Il était probable que je surestimais le pouvoir d’un masque, mais j’avais eu envie de prendre ce risque, un risque tué dans l’œuf par deux mots, pas ici. Mais au moins il ne me refuserait pas l’acte en lui-même et je le suivis sans broncher. S’il ne le voulait pas, il ne le voulait pas, même alors que toutes les personnes présentes en ce lieu avaient déjà entendu ma voix ou connu quelqu’un qui l’avait fait.

On était à Geresh, après tout.

Sauveur semblait avoir choisi le second meilleur endroit, un couloir un peu en retrait mais un couloir qui n’était pas si loin de certaines discussions. On entendait des voix s’élever, peut-être déjà embrumées par l’alcool, mais surtout le risque existait encore, alors que rien n’excluait qu’un curieux se rapproche de sons qu’il comprendrait bien vite. Sa brusquerie bien rare me fit sourire juste avant qu’il ne plaque ses lèvres contre les miennes et je commençai à fondre sous ses attentions, comme toujours, écartant légèrement les jambes par anticipation. La récompense vint alors que les jupons remontaient et que la main qui s’était interrompue quelques instants plus tôt reprenait son travail. S’il n’avait pas contraint ma bouche par son baiser nul doute que je n’aurais pas retenu quelques gémissements d’aise. Mais il avait d’autres idées et ce couloir n’était encore qu’une étape, ajoutant à une frustration que je ne souhaitais pas lui montrer. Je le suivis tout de même, encore et toujours, parce que je ne pouvais pas décemment lui reprocher de ne pas suivre quelque chose que je ne demandais pas.

Une nouvelle pièce et tout alla bien vite alors que je n’avais déjà d’yeux que pour lui, alors qu’il avait déjà mis beaucoup de mes sens en éveil. Quelques mots, un équilibre précaire, l’obligation de faire confiance au corps qui soutenait le mien, l’autre jambe qui se dérobait et le bureau sur lequel je fus installée. Ç’aurait pu être la pièce dans laquelle l’ancien conseiller de Geresh m’avait trouvée, ça ne l’était probablement pas mais même ainsi il y avait une petite envie de vengeance, même s’il n’avait pas habité en ce lieu depuis sa mort, une poignée d’années plus tôt… C’était idiot, je secouai la tête doucement, il n’avait pas d’importance, la seule importance était ce qu’il se passait là en cet instant, et comment j’allais compenser pour toute cette frustration mal placée. Pour cela j’eus envie de répondre au défi de Sauveur d’une bien différente façon, en ne continuant pas de me laisser faire et de suivre ses limites, j’eus envie de lui donner un autre défi qu’il n’avait aucun intérêt à suivre.

« Essaie de m’en empêcher… »

Et sa bouche vint me trouver. Encore un frisson, plus important que tous les précédents, et je retrouvais cette position bien particulière d’être si loin de lui quand lui était si proche. Mes mains tentèrent de rejoindre sa tête, avec succès, et je la pressai contre moi, consciente que c’était tout ce qui m’était permis. La tension montait et les gémissements aussi, et la seule chose à laquelle je pouvais penser était que je ne voulais pas que ce soit aussi court qu’il me l’avait promis, je voulais que ça dure, comme ça durait toujours. Je voulais passer la nuit là, attirer l’attention et empêcher tous ceux qui se trouvaient dans cette grande demeure de penser à autre chose. La bouche de Sauveur fit quelque chose de particulièrement bon et dans un petit cri je revins au moment avant de rire d’un petit gloussement. Je souris, et entre deux gémissements alors que tout allait crescendo, d’une toute petite voix, je lui parlai.

« Je veux me marier avec toi… »

Il avait peut-être entendu un mot, mais il ne saurait s’il l’avait réellement entendu.

Essayer de l'en empêcher ? Et comment ? Il n'allait tout de même pas la bâillonner. Et puis, il était bien obligé d'admettre qu'il se délectait de ses gémissements continus et de ses cris de surprise et de plaisir mêlés. Il s'affairait avec une application croissante à mesure qu'Aerianna frémissait sous ses attentions. Même de là où il se trouvait, il sentait tout son corps se tendre comme un arc et il obéissait à ses mains qui voulaient le contraindre à rester en place pour le moment. Bien, il ferait durer un peu plus longtemps le plaisir, mais pas trop malgré tout. Lui-même s'était mis en condition pour un ébat court et il était déjà prêt à honorer cette femme comme il l'avait déjà fait mille fois depuis le début de leur relation.

Avec la barrière de jupons entre eux et alors que l'ex-mercenaire était concentré sur toutes les réactions physiques de la Princesse, il n'entendit pas les quelques mots à peine soufflés à son attention. Mots pourtant si cruciaux auxquels il avait déjà pensé mais qu'il n'avait pas eu l'occasion de concrétiser entre la rivalité créé par Sanaa envers Aerianna puis la situation délicate qu'avait provoqué leur séparation par rapport à leurs filles. Sans tout cela, sa demande... ses demandes... seraient faites depuis longtemps.

Alors Sauveur continuait inlassablement son jeu entre les cuisses de sa partenaire, attisant son plaisir pour la mener proche de l'orgasme sans pour autant lui permettre de l'atteindre. De sa langue et de ses doigts, il attendait qu'elle en veuille plus encore... Et lorsqu'il la sentit si fébrile, effleurant la jouissance sans qu'il ne lui permette de la toucher ne serait-ce qu'un peu, là, il se releva et remonta le long du corps gracile de sa compagne. De ses dents, il chercha la pointe de l'un de ses seins à travers l'épaisse couche de tissu, non pas pour lui faire mal mais il fallait au moins cela pour qu'elle le sente désirer ses monts inaccessibles dans cette tenue. Il se rendit ainsi jusqu'à ses lèvres et l'embrassa avec passion tout en défaisant l'attache de son propre bas. Une fois son vît libéré de sa prison de coton, il ne tarda pas à disparaître dans un tout autre écrin, provoquant chez les deux amants un soupir de plaisir et de soulagement qui interrompit très brièvement leurs baisers. Commencèrent alors de lents vas et vient en elle qui ne manqueraient pas de s'accélérer bien vite.

-Hhhhh... Aerianna... Je ne me lasserai... jamais... de te... faire l'amour... Mon cœur...

C'était la première fois qu'ils faisaient ça à la va vite au cours d'une réception et il comptait bien que ce ne soit pas la dernière. Cependant, qu'ils soient chez elle, à profiter d'autant de temps qu'ils le souhaitaient, ou dissimulés dans la première pièce venue pour assouvir une envie soudaine et pressante, il constatait qu'il prenait toujours autant de plaisir à la torturer avec délice...

Bien sûr qu’il n’avait pas essayé de m’empêcher de produire ces sons, ou il aurait dû tout bonnement s’arrêter. Au lieu de ça il continua, usant de tous ses atouts pour faire monter chaque gémissement, chaque petit cri, en me gardant totalement sous son contrôle. Même ma déclaration, qui avait à moitié eu comme but de reprendre ce même contrôle, n’avait pas fait le moindre effet. Je savais qu’il ne l’avait pas entendue, j’espérais que ce n’était que ça, tout ce qu’il se passait depuis des ennéades allait dans ce sens et que j’espérais de tout mon être qu’il le voyait. J’espérais, parce qu’il y avait toujours des doutes, et parce que ces doutes existaient je n’allais pas prendre de deuxième chance aujourd’hui. Je préférais consommer son ardeur jusqu’au bout et aviser ensuite, surtout que lui semblait partager cette envie là et que ça ne faisait que promettre une grande intensité dans notre jouissance. Et dire qu’il m’avait enseigné la patience, toutes ces premières fois…

Comme s’il avait entendu mes pensées il abandonna mon entrejambe un instant et ne m’emporta pas jusqu’à la délivrance tout de suite. Son corps remonta le long du mien alors que mes nerfs à vifs étaient laissés à l’abandon, et à part ces petites morsures – je notai qu’il en était capable et que je pouvais sûrement essayer de les demander les prochaines fois où ma poitrine serait découverte – il ne partit pas à l’assaut de mes sens tout de suite. Sa bouche arriva à la mienne en y amenant un goût que je reconnaissais si bien et nos langues s’entremêlèrent dans une danse endiablée qui me permit d’oublier quelques instants l’incendie qu’il avait allumé plus bas. L’oubli dura jusqu’à ce qu’il se défasse de la première pièce de sa tenue et en même temps que son entrée en moi me tira un hoquet de surprise mêlée à un grand plaisir mon masque commença à se déloger, déjà malmené par celui de Sauveur au milieu de tous ces baisers. Il me fallut un temps pour pouvoir porter ma main au visage et l’ôter, puis un temps pour le lancer aussi simplement au travers de la pièce.

Si je n’avais pas été en proie à autant de plaisir peut-être que j’aurais été celle à faire la déclaration que j’entendis, tellement nos corps et nos esprits parvenaient à entrer en totale symbiose. Je ne savais toujours pas pourquoi les mots amplifiaient les sens, mais les cris se firent plus grands après les avoir entendus. Et, alors que l’amplitude des mouvements grandissait, alors que mon bassin continuait de se mouvoir, alors que le rythme de ses ébats s’accélérait, je m’agrippai à son cou de toutes mes forces. Ma bouche était si proche de son oreille que je finis par la mordiller, mais même ce contrôle là me fut dérobé et il n’entendit plus que tous mes cris qui se faisaient de plus en plus rapprochés. La surcharge de sensations approchait à grand pas et je profitai de chaque instant, de moins en moins capable d’aligner une poignée d’idées pour en faire une pensée constructive. Rien n’avait à être constructif, il n’y avait que Sauveur.

Je criai son nom alors que je savais que tout se terminerait bientôt…

Sauveur connaissait désormais chaque réaction d'Aerianna, chaque intonation, chaque variation dans sa voix. Il savait comment retarder l'échéance autant qu'il maîtrisait l'art de lui donner ce qu'il voulait. Impatiente, la Princesse avait fini par apprécier leurs ébats interminables car la jouissance qu'elle en obtenait dépassait ses attentes. Pour autant, cet échange rapide était loin d'être désagréable pour elle. Au lieu de ralentir lorsque cela devenait trop intense, il accélérait encore. Et lorsqu'elle se mit à crier son nom, il passa rapidement un bras sous la cuisse de la belle afin de la relever, lui permettant ainsi de pénétrer plus loin en elle, leurs bassins se collant l'un à l'autre avec plus d'aisance...

Et ce qu'il cherchait à obtenir arriva à quelques allées et venues.

Les cris de sa compagne se libérèrent de toute la tension accumulée depuis qu'ils avaient quitté la salle de bal tandis que son sexe enserrait plus fermement le sien. Il résista de longues secondes à l'envie de se laisser aller à son tour, attendant qu'Aerianna arrive presque au bout de son long plaisir pour exploser enfin dans un râle étouffé. Encore haletant et achevant quelques vas et vient plus doux et toujours délicieux, il embrassa la belle avec passion mais, surtout, avec tendresse. Il s'interrompit seulement un instant pour envoyer voler son propre masque, chose qu'il n'avait pu faire plus tôt, trop occupé qu'il était à maintenir le bureau en place et son amante tout contre lui. Puis il s'interrompit encore...

-Je t'aime. Souffla-t-il avant de lui donner un nouveau baiser. En rentrant, tu me feras le plaisir de retirer cette foutue robe... Que je puisse accéder à ton corps librement, sentir ta peau contre la mienne et lécher tes seins que je sais lourds et en train de pointer mais qui me sont inaccessibles... Fit-il avant de se pencher de nouveau, le prédateur fondant encore sur sa proie toujours prise au piège sous lui.

Sa requête était formulée tel un ordre mais un ordre qui faisait plutôt office de suggestion et d'invitation à reprendre leurs ébats plus tard, là où ils étaient certains que personne ne pourrait venir les déranger et où ils pourraient prendre tout leur temps pour leurs petits jeux habituels. Ceux qui augmentait leur frustration autant que leur désir. Ceux qui leur permettait de repousser l'acte en lui-même durant lequel ils variaient les rythmes et les positions. Ceux qui leur offrait un orgasme aussi tardif que délicieux...

Le message se voulait clair : Ce rapport à la dérobée... ce n'était qu'une mise en bouche.

Encore cette explosion de plaisir, encore cette extase, et encore ces cris, des cris qu’on ne pouvait probablement pas ignorer jusqu’à la salle de bal. Je ne pouvais pas penser au fait que Sauveur avait totalement ignoré mon défi, je pouvais simplement penser qu’encore une fois il comblait tous mes désirs. Peut-être qu’il suffisait, en réalité, que toutes ces envies de grandeur étaient ridicules, que je pouvais aussi rester dans la simplicité d’une montagne d’or couplée à tous ces plaisirs charnels. Beaucoup s’étaient arrêtés là, en Ithri’Vaan. Il était si doué, même alors qu’il ne maniait pas une seule once de douleur… Je ne savais quel dieu l’avait placé sur mon chemin – je savais juste que ce ne pouvait être Kiel – mais je lui étais si reconnaissante. Les dernières allées et venues de celui qui partageait la plupart de mes jours et de mes nuits titillaient chacun de mes nerfs à vif et il me restait quelques gémissements à extérioriser quand il ne m’embrassait pas tendrement.

Je ris à sa déclaration d’un petit rire qui n’avait rien de moqueur, un petit rire amoureux si c’était possible.

« Je t’aime… mais je ne sais pas de qui tu parles… ce n’est pas dans cette poitrine que tu trouveras de la lourdeur… pas maintenant en tout cas… et tu n’as plus l’excuse du masque… »

Il n’y avait qu’une fois dans ma vie où mes seins auraient pu correspondre à cette description, et c’était un moment que je préférais effacer de mon esprit. Je ne savais même pas s’il avait eu le temps de se former, je ne savais pas s’il avait eu le temps d’exister, avant que celle qui aurait dû le créer ne le tue lâchement, en laissant une main aux longs doigts endormir son cœur le temps que tout soit terminé. Sauveur verrait ce moment, je le partagerais avec lui, je voulais lui en faire le serment, mais le temps n’était pas encore arrivé. Plus calme que je ne l’avais été depuis très longtemps, je laissai mon visage enfoui dans son cou quelques minutes. Il ne reconnaissait peut-être pas cette réaction mais il ne pouvait que ressentir que j’avais besoin de cette tranquillité et que j’avais besoin qu’elle dure aussi longtemps qu’elle le ferait. Je n’étais pas vraiment triste, j’étais heureuse, je ne pouvais qu’être heureuse dans un moment comme ça, mais une sorte de mélancolie me prit et si je ne le fis pas j’aurais presque pu pleurer en cet instant.

Quand elle passa, je l’embrassai et poussai doucement sur sa poitrine, signalant que je souhaitais me relever.

Mon sourire était étiré et authentique et je n’avais d’yeux que pour lui en me dégageant de son étreinte. Ignorant le désordre du bureau mais aussi les traces et autres humeurs que nous laisserions forcément sur notre passage je me redressai véritablement sur deux jambes vaillantes mais tremblantes. Je flattai d’une caresse l’entrejambe exposée de mon amant en passant près de lui puis je m’éloignai vers où j’avais lancé le masque. Ses promesses n’étaient pas tombées dans l’oreille d’une sourde et nous avions à faire si l’objectif était de poursuivre le moment ailleurs. Il fallait que je me montre au moins au maître des lieux, Ycal, et je ne le ferais pas sans montrer ma participation au principal jeu de la soirée. Je trouvai le masque et le ramassai en traînant un peu dans ma position, penchée en avant, même si les jupons de la robe dissimulaient ce que dans d’autres circonstances aurait été un beau spectacle pour Sauveur. Il manquait au masque la moitié d’une oreille et une fêlure le traversait dans la diagonale et je le revêtis. C’est masquée que je me retournai pour regarder mon amant et déclarer quelques mots d’une petite voix comme si je ne faisais que donner l'heure.

« Tout à l’heure, je t’ai dit que je voulais me marier avec toi. »

Craignant que la réaction de Sauveur n’achève de briser le masque je l’enlevai pour le garder en main.

-C'est que tu ne les as pas soupesés quand on fait l'amour. Tu devrais essayer une fois. Tu verras qu'ils sont beaucoup plus lourds que d'habitude. Lourds de plaisir. Sauveur se pencha pour venir susurrer quelques mots à l'oreille de la belle. Et je t'avoue que cette vision serait terriblement excitante pour moi... Dit-il avant de déposer quelques baisers dans son cou avec envie.

Il n'avait jamais rien imposé à Aerianna, jamais. Il lui faisait toujours des suggestions, par les mots ou par les gestes. Libre à elle de les réaliser ou non, de se laisser faire ou non. Elle n'était pas du genre timide et il n'était ni vicieux, ni irrespectueux, ni violent. Alors elle lui disait rarement non. Est-ce déjà arrivé qu'elle refuse d'ailleurs ? Il n'en était plus certain tellement cela lui était égal de la voir rejeter une de ses propositions. Le but était de prendre du plaisir à deux.

Sauveur se fit plus docile tandis que la Princesse lui fit savoir qu'elle voulait se redresser puis se dégager. A peine debout, elle était de nouveau habillée et présentable mais, lui, cela lui demandait un peu plus de travail pour remonter son pantalon et le refermer. Occupé à sa tâche, il ne prêta plus attention à sa compagne qui s'éloignait pour récupérer son masque abîmé par son geste plutôt impulsif. La voir masquée avait rendu cet instant un peu plus intense encore de son point de vue. Même s'il savait que c'était elle sous cet artifice, c'était comme s'il était en train de coucher avec une autre. Cela lui donnait des idées pour leurs prochaines fois...

Alors qu'il achevait de rajuster sa veste par-dessus son pantalon, il perçut de nouveau la voix d'Aerianna, basse. Il releva la tête et marqua un temps d'arrêt. D'abord pour essayer de comprendre ce qu'elle venait de dire. Ensuite pour intégrer ses paroles. Il avait bien entendu un brin de voix sourd pendant leurs ébats mais il ne s'en était pas soucié, pensant que c'était en lien avec leur activité torride. Il découvrait à présent qu'il n'en était rien... Elle l'avait demandé en mariage.
Durant des secondes interminables, il prit le temps de détailler les traits de la Princesse pour finalement constater qu'elle était tout ce qu'il y avait de plus sérieuse. Et cela le renvoyait à des idées qui avaient germé dans son esprit, il y avait bien longtemps maintenant, mais qu'il n'avait pas pu mettre à exécution pour tellement de raisons... Alors que le temps s'était comme suspendu, il s'avança vers sa compagne.

-Tu as l'air d'avoir peur que je te dise non. Fit-il avant d'arriver suffisamment près pour pouvoir la prendre dans ses bras.

Sauveur n'avait pas un rôle très marquant auprès d'Aerianna, d'un point de vue politique ou commercial. Il s'occupait d'organiser la sécurité autour d'elle et de... la détendre chaque fois qu'elle en avait besoin ou tout simplement envie, ce qui voulait dire : souvent. Mais cette organisation semblait leur convenir à tous les deux. Peut-être parce que la Princesse avait eu peur de devoir prendre pour mari un homme qui voudrait récupérer son pouvoir et régir sa vie mais cela, l'ancien mercenaire l'ignorait. Lui n'en avait cure de la puissance et de l'argent. Du moment que tous ses besoins et ceux de ses proches étaient comblés, peu lui importait le reste.

-Tu crois vraiment que je pourrais refuser de me lier officiellement à toi...

Il posait désormais sur elle un regard plein de tendresse et souriant d'un bonheur naissant alors qu'il était en train d'accepter de réaliser son souhait. Une main glissa dans le cou de la belle et il se pencha pour l'embrasser avec amour durant un long instant avant que Sauveur ne les interrompe pour souffler quelques mots à son tour.

-Je veux me marier avec toi, moi aussi. Murmura-t-il avant de l'embrasser encore.

Peut-être qu’il devrait me répondre par la négative, peut-être que c’était trop dangereux pour lui, pour nous. Depuis qu’il résidait ici, à Geresh, je m’étais retenue sur certains comportements qu’il n’approuverait pas, mais si nos vies devaient être liées de cette façon il y serait invariablement exposé, un jour. Il connaissait ces penchants, même s’il ne les comprenait pas, même s’il n’en connaissait pas toute l’étendue, n’étais-ce pas injuste de lui faire cette demande en cet instant ? Il nota ma peur, même s’il ne l’attribuait pas à la bonne raison, puis il se rapprocha. Pour le meilleur ou pour le pire, ses bras effacèrent le doute au moment où ils étaient venus m’étreindre. C’était si facile de m’y perdre et de penser que tout ne pouvait qu’aller bien. Après tout, vu à quelle épreuve notre amour avait survécu, c’était presque raisonnable de penser qu’aucune autre ne pourrait nous vaincre, qu’au pire les épreuves pouvaient nous séparer un temps et que des mesures pouvaient être prises pour éviter exactement ceci.

Il y avait autre chose que je voulais de Sauveur, mais cela nécessitait que je sois au bon endroit de ma vie.

Il ne disait pas accepter, il disait ne pas pouvoir refuser. Sur un plan purement logique la réponse venait de s’offrir à moi mais elle ne me satisfaisait pas vraiment. Est-ce qu’il voulait jouer ? Est-ce que c’était trop dur de répondre ? Est-ce qu’il avait à ce point l’impression que j’avais peur de sa réponse ?C’était comme s’il voulait prendre des gants, mais le tendre baiser qu’il m’offrit acheva de faire disparaître tout ce qui n’était pas important, il ne pouvait signifier autre chose que oui, surtout après un tel regard. S’il initia le contact je ne fus pas la moins entreprenante et l’amour cohabita avec la passion. Il répondit alors plus directement et avec le soulagement mon attitude changea. Je lâchai le masque encore une fois et enroulai un bras autour du cou de Sauveur avant de l’entraîner contre un mur, ou plutôt une étagère. Le baiser se fit plus sauvage, ce n’était pas parce qu’on parlait mariage que la nature et l’intensité de notre relation changerait, après tout.

Répétant un geste qui semblait avoir eu lieu une éternité plus tôt, je posai une de ses mains sur ma cuisse.

« Non… allons dire au revoir à notre hôte… on reprendra après… à la maison… »

***

Si on ne découvrirait le désordre mis dans cette pièce vraisemblablement qu’après notre départ, le couple que nous formions attirait certains regards. Il y avait ceux qui avaient noté en début de soirée les sous-entendus de l’assortiment des masques et qui avaient déjà fait le lien avec les cris entendus, ceux qui remarquaient plutôt dans quels états étaient les masques alors qu’ils ne se souvenaient que de masques en parfaite condition, celui d’un être argenté que je ne pouvais éviter… L’anonymat était tout de même relativement préservé, et le temps d’émettre quelques petits rires la plupart se détournèrent du spectacle. La plupart, sauf ceux qui se rendaient compte que notre chemin nous mènerait directement au maître des lieux. Lui était trop concentré sur une conversation pour se rendre compte que je m’approchais avec un entrain particulier et il fallut qu’on pointe dans ma direction pour qu’il se retourne, souriant dès le moment où son regard s’était perdu dans le mien. J’appelai son nom d’une voix chaleureuse.

« Ycal ! Je te présente Sauveur, que tu as déjà dû croiser au palais, Sauveur, je te présente Ycal, de la Corporation d’argent. »

Des murmures montèrent, le nom était apparu, quelques minutes plus tôt, et ils s’en souvenaient.

« C’était une belle soirée, j’aurais voulu rester un peu plus longtemps mais certaines affaires nécessitent toute mon… attention… Tu sais ce que c’est. »

Je soulevai son masque pour déposer un baiser enjoué sur sa joue et murmurer quelque chose.

« Désolée pour la salle d’étude… »

Et comme ça, en tenant la main de Sauveur, je quittai la grande pièce, souriante.