[Etat Major] La fièvre pour héritage

Hiver ~ Début quatrième ennéade de Verimios an 17:XI
Palais des Trois

L'armée était arrivée.

La ville s'emplit petit à petit. La ville devenait foisonnante de vie. Les gradés avaient pris leur place dans le quartier militaire. Les soldats se répartirent le reste et réinvestirent les camps. Les prêtres avaient rejoint les temples. C'est ainsi que la Grande Prêtresse apprit leur arrivée. Ce ne fut pas facile pour elle de sortir de ses  nouvelles études.

Elle ne laissa à son collègue, S'arg, le Grand Prêtre de Kiran lié aux armées, que le temps d'un bain, avant d'être mis au courant. Bien entendu, il n'était pas heureux de l'apprendre. Il sentait l'entourloupe. Mais, à y réfléchir, cela pouvait avoir un avantage. Il y a quelques mois, ils en avaient rêvé, aujourd'hui, elle leur apportait sur un plateau d'argent. Ceci dit, il ne pouvait pas garder le silence. Il demanda une réunion à l'Etat Major. C'était à eux de décider s'il fallait en disposait ou non.

Et c'est ainsi que deux Grands Prêtres attendait devant la porte de bois massive où l'Etat Major se réunissait. Ils se connaissaient de longue date ayant travailler tout deux pour le second Ost. Ils ne s'appréciaient pas particulièrement, lui encore moins qu'elle. Mais ils étaient tout deux mû par une même volonté : servir l'Eda.
Ordonné ensemble, marchant ensemble, ils arboraient sobrement la tenue de leur rang. Lui était fluide avec sa chevelure ondulant dans le vent, les pans de son vêtement flottant toujours élégamment. Elle, elle était tout l'inverse. Pour l'occasion elle avait troqué son turban pour une large tresse où la blancheur des sa chevelure jurait avec les étoffes sombres de son ordre. Sur sa robe noire et bleue, elle avait passé un manteau sombre, d'où rien ne dépassait. Elle était tendue. Par le froid. Par l'appréhension. Par le stress.

Enfin, la porte devant laquelle ils attendaient s'ouvrit. Enfin, elle n'entendrait plus les tambourinements de son cœur. Ils s'avancèrent dans la pièce d'un même pas. Ils saluèrent ensemble, le poing sur la poitrine, comme des soldats. L'Etat Major était présent.

Quand elle releva son regard de grenat, elle chercha un visage aimé. Oui, en se présentant à ce jour, elle s'était dédie. Mais elle n'était pas seulement présente pour lui. Elle l'était également pour eux. Eux, gradés de la Glorieuse armée d'Uriz. Eux, soldats qui attendaient dehors dans le froid. Eux tous qui avaient la lourde tâche de mener la Vengeance divine.

Le Karliik Glenn regarda la statue du Général trônant au centre du temple en répétant doucement les prières, celles gravées dans le métal de son armure noire, qu’il connaissait par cœur bien avant de les porter. Il se décida finalement à entrer dans le temple sous le regard d’un dornien étonné qui en sortait. Kerath se dirigea vers un prêtre qui marchait, absorbé par ses pensées, la présence du colosse le ramena bien vite sur terre.

« Comment puis-je vous aider? » Demanda-t-il à l’imposant soldat sur un ton d’une froideur neutre.
« Je veux faire une offrande à Meingal, j’ai besoin d’un braseros et d’une lame sacrificielle. » Le prêtre lorgna sur l’anneau d’onyx qui pendait sur le plastron avant de répondre.
« Je m’en occupe. »

Il s’en alla ensuite, laissant le général seul avec ses pensées qui vint se placer devant la grande statue couronnée qui le dominait de toute sa taille. Il poussa un long soupir, si seulement il avait pu ouvrir les yeux plus tôt mais il savait très bien qu’il n’avait pas pu et qu’il n’aurait sans doute pas pu. Il entreprit de retirer son gantelet droit, retirant les attaches unes à unes pour finalement le poser à ses pieds pour se mettre à retirer son brassard qu’il déposa également aux pieds de la statue puis il entama une prière. Lorsqu’il eut enfin terminé le prêtre de Meingal l’attendait avec une dague dans les mains et deux esclaves qui tenaient un brasero. Kerath se recula et les esclaves déposèrent le récipient rempli de braises ardentes sur le piédestal. Le prêtre commença à scander une prière, le soldat lui emboîta vite le pas, et lorsqu’elle fut terminée Kerath tendit la main pour recevoir la dague. Sur l’intérieur de son avant-bras il écrivit « Ilharn » avec la pointe de la lame avant de tendre son bras au-dessus du brasero, les gouttes de sang grésillèrent avant de disparaître lorsqu’elles tombèrent sur les braises.

Il déposa ensuite la lame dans les braises et de sa main nouvellement libre il attrapa son vieux pendentif en bois en forme de soleil qu’il plaça sur lesdites braises en grimaçant à cause de la chaleur qui lui brûlait les doigts. Le sang se mit à couler sur l’épais pendentif alors qu’il commençait à s’enflammer. Lorsqu’il fut complétement consumé par les flammes il reprit la dague sacrificielle pour l’appliquer sur sa plaie afin de la cautériser. La mâchoire crispée, il rendit l’arme à son propriétaire en le remerciant d’un hochement de tête.

De retour du quartier des temples, le Karliik Glenn retira à nouveau ses protections pour y observer sa plaie. Si le frottement causé par le retrait de son gantelet et de son brassard était en soit une offrande à Kiel, il était nécessaire et bientôt il pourrait voir ce que pensait le Juste de son sacrifice. C’était vain d’espérer le voir maintenant mais il avait tout de même espéré. Il replaça son équipement avant de se diriger vers la salle ou l’Etat-Major devait se réunir. Kerath déposa son heaume sur la table centrale et il grimaça en voyant qu’une personne manquait cruellement à l’appel : la haute-prêtresse d’Uriz. Il aurait dû s’y habituer, s’y résoudre, mais comme pour sa plaie cautérisée, le soldat espérait tout de même. Vu que Diltree n’était pas là, le colosse passa la prière en l’honneur du Père à rendre un hommage muet à Meingal.

Le général en chef des armées du Puy passa une main dans ses cheveux blancs coupés courts avant d’annoncer :

« La séance peut commencer. »

Les soldats aux ordres du commandant de Sol’Dorn ouvrirent la porte pour laisser entrer les deux grands-prêtres de Kiran qui étaient à l’ordre du jour. Comme d’ordinaire il ne s’assit pas en même temps que les autres, préférant pouvoir vagabonder dans la pièce, pour notamment en faire le tour. Derrière son siège, les mains posés sur le sommet du dossier le regard du général s’arrêta d’abord sur l’eldéen avant de passer sur Na’ri pour la détailler.

« Les Jumelles ont-elles exaucées vos souhaits? »

Et nous revoilà à Sol’Dorn. Sans réellement savoir pourquoi, cette cité m’horripile. Sans doute est-ce parce que le siège qui fut réalisé par nos armées, fut le siège le plus long et ennuyeux de toute ma carrière. Quelle déception que ceci. Bien que je portais Krish dans mon cœur et mon estime, comme beaucoup de Drows alors, je dois bien l’avouer : cela avait été une déception.

J’avais suivi le Karliik depuis bien des ennéades maintenant, devenant presque littéralement son ombre. Mais je m’ennuyais. Tandis qu’il faisait son offrande à Meinghal, moi… Je déambulais dans les rangs du second Ost, discutais avec mes officiers avant de me rendre à cette énième réunion de l’état-major. Si être Obok Senger apportait un regard complet et une expertise bien plus développée que lorsque je n’étais que Streea, cela rendait les choses longues et parfois décevantes. J’avais hâte de satisfaire l’Eda Vengeur, et de prendre les armes et me battre avec la fougue d’Uriz et la sauvagerie de Zhak’Bar.

L’état-major avait débuté. Le Karliik, comme à son habitude, n’était point assis. Il déambulait dans la salle, s’approchant de ses ouailles à la manière d’un berger. Cela avait au moins le mérite de mettre tout le monde d’accord sur qui était le chef. Lorsque les deux prêtres entrèrent, je tournais machinalement la tête vers eux. Peut-être auraient-ils quelque chose d’intéressant à dire cette fois.

La porte en bois se referma sans un grincement. Avec le Karliik Glenn, seuls les deux prêtres étaient  debout.

« Les Jumelles ont-elles exaucées vos souhaits? »
Intérieurement la Grande Prêtresse soupira. Comme si les Jumelles étaient des déesses qui étaient là pour exaucer des souhaits. Elles n'étaient pas là pour cela. Avec le Destructeur, leur rôle était de mettre au défis les peuples. Oui, les eldéens avaient réussit la Première épreuve. Mais ce n'était pas pour autant qu'à présent elles exhaussaient les souhaits.

- " Bel'la Yisfi ?" S'impatienta le daehedel aux côtés de la concernée.
- " Dans les marais se trouvait un pathogène. Aujourd'hui, il peut être dans vos mains. " Elle aurait pu faire un laïus sur la longueur d'un siège, sur le froid dehors, sur les nerfs et l'épuisement des soldats. Le souvenir de Sol'Dorn était surement suffisamment frais dans la mémoire de tous pour épargner les bienfaits d'une épidémie en temps de guerre.
" Seulement c'est une arme à double tranchant. Nous n'en sommes pas protégés malgré la bénédiction des Jumelles. "

Elle marqua une pause pour laisser les grands pontes déduire ce qu'il fallait tirer de ses paroles. Et éventuellement leur laisser poser des questions.

" Quelque soit votre décision, je vais travailler sur l'élaboration d'un remède. Dans un premier temps, il ne sera pas parfait. " Na'ri n'avait pas besoin de leur autorisation pour travailler sur le pathogène de son choix. Elle les informait juste. " Si vous acceptez, je pourrais détacher une petite équipe pour travailler su l'amélioration de la souche. Pour ce qui en est de la propagation, j'ai déjà l'accord du Grand Prêtre de Leetha pour travailler avec vos équipes."

Le Grand Prêtre de Kiran observait les réactions des soldats. Lui aussi avait des gens sous ses ordres et il attendait de savoir s'il leur permettait de travailler sur la souche ou non.

Se tenant les mains dans le dos, Kerath marchait en attendant le rapport qu’on devait lui faire et vu qu’il tardait à venir, plutôt que brusquer les grands-prêtres, son esprit vagabonda à nouveau vers la campagne qui s’annonçait. Tous les détails étaient prêts, ça faisait plus de deux mois qu’il travaillait dessus et il avait eu le loisir de planifier les moindres détails. L’eldéen posa un pied sur le balcon pour observer les ingénieurs de siège du second ost construisaient des morceaux de tours de siège à l’ombre de ceux du troisième ost qui, eux, œuvraient à reconstruire le pan de muraille que le Karliik Glenn avait fait s’effondrer lors du siège de Sol’Dorn. Peut-être était-ce le semblant de départ du général qui poussa le grand-prêtre à fustiger sa comparse mais peu importe la raison, le résultat fut au rendez-vous.

Lorsque Na’ri prit la parole le colosse retourna à l’intérieur, ses yeux plissés à cause du soleil se détendirent en revenant à l’intérieur. Il reprit sa marche pesante, suivant les murs de la pièce, ne s’arrêtant pas pour s’assurer que le bruit de ses pas ne dérange pas l’oratrice ou qui que ce soit d’ailleurs, bien qu’il ne cherchât pas à faire du bruit. Il s’arrêta enfin, à mi-chemin entre la table de l’Etat-Major et les deux prêtres. De profil, le dos bien droit, il ne faisait face à aucun des deux groupes mais il tourna la tête pour directement regarder la grande-prêtresse. S’il n’était pas en possession de connaissances aussi poussées que celles de la prêtrise de Leetha sur les bienfaits de leur divinité tutélaire, son long service dans le second ost lui avait tout de même appris une chose ou deux sur le sujet.

« Quelle est le moyen de propagation ? Quelle est la période d’… » le mot lui échappait et sa langue claqua dans l’espoir que le mot en question réagisse au coup de fouet et daigne bien venir. Heureusement ce fut le cas et il quitta le bout de sa langue pour passer ses lèvres. « D’incubation? Quelles sont les symptômes ? Est-ce qu’il afflige toutes les races ? Et surtout : quel est le taux de mortalité ? »

Cette fois il tourna la tête vers le conseil de guerre pour voir s’ils voulaient poser des questions ou bien des remarques, avant de reprendre sa marche pour finalement retourner se positionner derrière son siège. Croisant les bras sur le dossier de son siège, il écouta les divers officiers discuter entre eux ou avec les prêtres jusqu’à ce que Na’ri reprenne la parole.

« Avec plaisir. » Le général accompagna sa réponse d’un sourire carnassier. « Il y a une minorité d’elfes à Naélis et plus il sera difficile pour eux de se soigner et mieux ce sera. »

Si la maladie en elle-même pouvait faire des dégâts non négligeables dans la population coincée derrière les murs d’une cité ou d’une forteresse, la peur d’un meurtrier invisible était souvent bien plus redoutable.

« Cela dit, avant d’utiliser cette maladie, en fonction de comment se déroulent les opérations, je comptes utiliser des cadeaux de la Mère des Parasites plus… classiques. La majorité de la population reste humaine et si les elfes ne sont pas affectés par les maladies ordinaires, peut-être que nous pourrons jouer sur les divisions raciales. Peut-être même que nous arriverons à dénicher un traître ou deux. » Le Karliik lança un rapide regard au Barra et au représentant du clergé du Menteur avant de reprendre. « Surtout si nous relâchons cette nouvelle maladie et que la Doth’ka arrive à dire aux chefs des communautés elfiques que nous avons l’antidote... » le sourire carnassier réapparut sur les lèvres de Kerath alors qu’il réfléchissait aux options, aux possibilités, apportées par les deux prêtres de Kiran.

La présence du Karliik Glen avait tu les autres. Comme si… comme si avoir une personne au dessus des Obok Sender leur avait ôté la capacité de parler, de penser, d'émettre un avis. Ce n'était pourtant pas comme ça avant.

Kerath à son habitude occupait toute la place. Ce n'était pas par opportunisme, ni par désir de briller, c'était juste par horreur du vide. La mort de la Reine l'avait bien montré. Sans tête, il s'était autoproclamé Triumvir. Par chance les Triumvir actuels lui avaient laissé sa tête. Chance ou calcul ? Na'ri ne voulait pas savoir, juste protéger son petit. Il y avait des choix qui ne se pardonnent pas, comme une menace à peine voilée.

Les pas de celui qu'elle aimait résonnaient lourdement sur le sol. Il posa une avalanche de questions. Quelques autres voix autours de la table s'élevèrent. Finalement, ils n'avaient pas tous donné leur langue à Murrpau. Na'ri sorti de son manteau des dossiers qu'elle distribua d'abord aux Obok Sender. S'arg s'échinait à briller en répondant à toutes les questions, non pas ordre de pertinence, mais par ordre hiérarchique.

Elle tendit le dernier dossier à Kerath tandis que celui-ci étreignit le dossier de la chaise. Alors, elle le plaça sur la table, face à lui.

« Qu’est-ce qu’il te fait penser que j’ai envie de continuer à travailler à tes côtés ? » S'en souvenait il ? Elle oui. Pourtant il parlait avec légèreté des cadeaux des Jumelles. Et ils faisaient même partie de sa stratégie. Peut-être que c'est parce qu'elle n'était plus là que le culte de Kiran avait pleinement retrouvé sa place au sein de l'armée. Dans un léger sourire, elle se recula et tâcha de s'effacer. La Grande Prêtresse n'avait plus rien à dire, ni même à voir. Elle n'était qu'une civile après tout. Avec curiosité, elle observa celui qui fut son rival. S'arg, avait ses mains appuyées sur le plateau poli de la table. Déjà il proposait des souches plus conventionnelles au Karliik. Contrairement à sa consœur, il était prolixe en paroles et s'investissait réellement dans l'établissement de la stratégie.

A l'armée, elle avait offert son cadeau d'aurevoir. A eux d’en faire ce qu'ils voulaient.