De modestes présentations | hôtes du palais d'argent

8e ennéade de Verimios 17:XI
Dans les entrailles du palais d'argent

Je soupirais lentement en me laissant aller en arrière. Depuis mon retour de Sol'Dorn, et pendant les quelques ennéades qui l'avaient précédé, j'avais renoué avec mes origines de la façon la plus douce qui soit : celle d'un lit. Mais quel lit ! Grand. Immense même. De quoi ? Trois ou quatre lais ? Avec un matelas comme je n'en avais jamais essayés et des draps plus doux que ma robe de mariée. Les coussins étaient si voluptueux que la tête semblait flotter sur un nuage et les cheveux y glissaient comme sur de la soie ? ... S'en était peut-être ?

- Par les Anciens... elle savait vivre. " Et ce n'était qu'une chambre d'honneur. Je n'imaginais même pas la qualité de ses appartements !

Lorsque Shyn'tae m'avait appris la nouvelle et proposé de venir loger ici, j'avais sauté sur l'occasion. Si la chambre de l'ancienne maîtresse des lieux était encore barricadée, j'avais eu la permission de prendre celle que je voulais et découvert par la même occasion les sous-sols du célèbre Palais d'Argent. Une merveille étrange dépourvu de fenêtre. En plus de me réjouir par l'incongruité de ces lieux secrets, l'idée d'un entrainement pour la visite que j'avais prévu de faire au Puy avec Shyn'tae m'avait décidée à tester ce curieux mode d'habitation. Peut-être en reviendrais-je avec des idées pour ma nouvelle demeure.

Ma nouvelle demeure. J'avais refusé de m'engager auprès de Dante pour une maison, tout comme avec Shyn'tae, mais l'occasion que j'avais eu à Sol'Dorn était un trop beau pied de nez aux ecclésiastiques sombres. Je n'en revenais toujours pas. Et l'espace était assez grand à la fois pour faire mes expérience, garder des ressources, avoir une bonne bibliothèque et peut-être même un petit espace ou recevoir quelques riches clients ou créer un salon d'érudits. Tant d'idées. Tant de possibilité. Et plus important que tout : j'avançais !

Tournant la tête mes yeux fragiles tombèrent sur la silhouette floutée d'une babiole en fer accroché au mur. L'éclat métallique ramena à mon souvenir celui des griffes qu'elle portait le jour ou j'avais vu son sourire moqueur pour la dernière fois.

- Je boirai un verre en ton honneur, ma chère ribaude. "

Une de plus qui me pensais sans grand intérêt et qui était morte bêtement avant la pauvre éphémère que j'étais. Elle avait essayé d'avoir Dante - cette pensée fugace me serra la gorge et je l'offrait sans remord à la garde de mes sœurs. Elle m'avait envoyé en pâture à un meurtrier fou. Elle avait brisé Sanglante. Elle avait laissé Shyn'tae se faire enlever. Et maintenant, elle était morte ! Un sourire se dessina sur mes lèvres.

Tout était parfait.

A un détail près !

A peine l'idée m'avait effleuré l'esprit que je me redressais, nue sur les draps pâles du lit que les esclaves avait refait le matin même.

- Un bain ! "

Ni une ni deux, j'attrapais une chemise de lin, passait mon épaisse jupe de voyage et sortait fureter dans le couloir, passant de place en place selon l'intuition, pour tenter de trouver Shyn'tae. J'avais à peine eu le temps de la croiser depuis mon retour, la veille au soir.

Lorsqu'enfin, je touchais au but, c'était avec mon éternel maintien régalien et un sourire orgueilleux. Mes cheveux roux n'avaient pas été aussi long depuis bien des années - bien qu'ils me tombent à peine sur les épaules - mais c'était sans commune mesure avec la transformation de l'elfe noire. Adieu la cicatrice qui lui mangeait le visage, bonjour quelques rondeurs en plus. Enfin elle avait l'air de se porter mieux ! Depuis Ys, cela restait un plaisir de la voir ainsi.

- Que dirais-tu d'un bain ? J'ai quelques bonnes nouvelles de Sol'Dorn et je suis curieuse d'entendre celles de Thaar. "

Shyn'tae n'était pas certaine d'aimer le métier d'actrice. L'idée qu'on puisse connaître la fin d'une histoire lorsqu'on commençait à y participer était théoriquement assez commune. Lorsque des drows racontaient l'Histoire des dieux et des fondateurs d'Elda, on ne s'attendait pas à ce qu'ils innovent, pourtant, même au Puy, la drow avait toujours préféré les joutes théâtrales, ce conflit où les acteurs rivalisaient de ruse, de mensonge et d'astuce pour que l'histoire qu'ils racontaient ensemble finisse par devenir la leurs. Bien évidemment, elle n'y avait jamais participé, elle n'était pas assez douée pour cela.

Encore une chose évidente qu'il faudrait remettre en question. A quel moment avait-elle décidé qu'elle en était incapable? Comment pouvait-elle en être certaine ?

Et surtout, quel importance cela avait-il d'être douée pour essayer quelque chose ?

En tout cas, c'était différent de la chorégraphie savamment orchestrée du Prince Vega. Ce spectacle lui aurait donné l'impression d'être un pantin si elle ne s'était autant ingéniée à le plier selon ses désirs. Avec plus ou moins de succès, bien sûr, car le Prince n'était pas né de la dernière pluie, mais elle avait su trouver des compromis là où il était possible d'en trouver.

Par contre, elle appréciait tout le travail qu'il fallait déployer pour parvenir à un résultat grandiose. Elle appréciait voir s'organiser cette fourmilière d'humains, de nains, de drows, tous unis vers cet objectif si éphémère. La foule se souviendrait-elle? Que resterait-il de ce spectacle.

La drow avait choisi ce qu'elle désirait qu'elle retienne. Elle doutait que la réalité correspondrait à ses désirs, mais quoiqu'il arrive, ce serait intéressant: L'occasion d'apprendre.

En attendant, il fallait travailler, car le grand jour approchait à grands pas. Pour ne rien arranger, Hanegard était parvenu à lui mettre dans le sable dans une action aussi héroïque que presqu'inattendue, et ce uniquement parce qu'elle venait de faire de même avec lui. C'était sans aucun doute la plus fidèle représentation de la haute société Vaani à laquelle elle avait assisté depuis le début des répétitions. Malheureusement, ce n'était pas dans le script.

C'était donc courbaturée, lasse et du sable plein les cheveux qu'elle été revenue des sablons après cette journée de répétition exténuante. La drow avait une idée très précise de ce qu'il convenait de faire en ces circonstances. D'abord trouver Modeste ou Irulan, puis les entrainer dans un....

- Que dirais-tu d'un bain ? J'ai quelques bonnes nouvelles de Sol'Dorn et je suis curieuse d'entendre celles de Thaar. "

C'était devant l'entrée des appartements de Modeste qu'Irulan l'avait trouvée. La daedhel avait tourné la tête vers celle qui lui volait ses pensées et une moue faussement surprise et innocente éclaira son visage, sa tête légèrement inclinée de coté.

- Comment peux-tu ainsi connaitre mes plus grands désirs ?
- Soit je suis pleine de surprise, soit tu l'es moins que ce que tu crois. " sourit-elle en pointant du menton les cheveux ensablés de l'eldéenne, et une sourire malicieux lui répondit.
- Les bains chauds, ma plus grande faiblesse... Alors, la sombre créature passa la moitié du corps par la chambranle, appuyée sur une jambe. Modeste ? On va prendre un bain, tu nous accompagnes?

La jeune humaine releva les yeux de sa planche à dessin alors qu'elle se trouvait confortablement installée dans un nuage de coussins. Elle découvrit alors la tête de son amante dépassant de l'entrebâillement de la porte et mit quelques secondes avant de se remémorer et de traiter les contenu de ses paroles.

-"On" ? Demanda-t-elle un peu interloquée par cette demande. Prendre un bain avec Talraë, elle l'avait déjà fait, bien évidemment. Et, bien évidemment, elles n'avaient pas été très sages. Mais il ne s'agissait pas que d'elles deux cette fois-ci et elle se demandait de qui d'autre elle pouvait parler... D'autant qu'elle n'avait encore rencontré personne parmi les autres habitants de ce palais. A croire que ses proches avaient raison de parler d'elle comme d'une ermite depuis qu'elle avait emménagé.
- Avec Irulan! Tu l'as probablement croisée... Hmm... Peut-être en tout cas. Le palais était grand, et Shyn'tae devait bien reconnaître qu'elle n'avait pas particulièrement cherché à favoriser les rencontres entre la joaillière et la sorcière. Était-ce d'ailleurs une bonne idée de mettre l'une dans les pattes de l'autres ?

La drow y pensa quelques fractions de seconde. Près d'elle, Irulan avait levé un sourcil dubitatif.

Peut-être pas, mais ce serait intéressant à voir. Il était probable que personne ne meurt en tout cas. Et cela arriverait forcément: Quelle meilleure occasion qu'un bain pour cela. Oui, à défaut d'être excellente, cette idée était excitante, et c'était là sans aucun doute le plus important.

- Je reviens. sur le ton de la confidence et le regard pétillant, l'Eldéenne disparu dans l'entrée de la suite de Modeste. Là, tel un félin prédateur, elle se lova contre elle pour la flatter de tendre baisers. Alors ?
Si l'étreinte fut aussi bien accueillie que d'habitude, l'invitation ne la tentait guère. Elle n'était pas certaine de savoir comment réagir ni se comporter avec la femme que Shyn'tae aimait. Ne serait-elle pas un peu jalouse alors qu'elle-même n'osait pas lui avouer ses sentiments de peur de perdre la relation qu'elles avaient ? Et comment Irulan la percevrait-elle de son côté ? Essaierait-elle de la jauger ? De la tester ? Non, il n'y avait rien à faire. Un tel moment d'intimité avec une inconnue qui pourrait voir en elle une ennemie sinon une rivale, cela n'avait rien d'enchanteur.
-Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée. Tu devrais y aller avec elle. Entre l'atelier et nos petites expériences, je t'accapare beaucoup depuis mon arrivée ici. Profitez-en.

L'oreille droite de Shyn'tae s'était dressée, accompagnée en cela par un froncement de son sourcil gauche. Modeste commencait à reconnaitre cette expression pour ce qu'elle était, celle de l'incrédulité. Quelque chose était en train de se produire, et dans sa naïveté toute Eldéenne des choses de l'amour et des sentiments, sa sombre amante ne parvenait pas à en saisir tous les tenants et les aboutissants.
- Tu m'accapares trop ? Je ne pense pas... consentit-elle finalement à murmurer, pensive. Puis, soudain, le regard de la noirelfe s'eclaira comme si elle venait d'être frappée par une éclair de comprehension. Sans autre préavis, Shyn'tae venait de l'embrasser avec la fougue qui la caractérisait. "Promis, je me consacre entièrement à toi ensuite, jusqu'à ce qu'on soit incapable de faire autre chose que s'endormir dans les bras l'une de l'autre.

Derrière le battant entrouvert, une crinière rousse se détourna pour s'éloigner.

Shyn'tae disparut derriere le chambranle de la porte avant que son visage mutin ne réapparaisse briévement quelques secondes plus tard."Tu voudras bien partager un repas sinon ? Je risque de mourir de faim. On peut envoyer une invitation impromptue à Cassis ! Et si jamais tu changes d'avis, viens! " Là dessus, la drow s'échappa, tourbillon de noir et de blanc. Modeste la regarda partir, un sourire sans joie aux lèvres. Elle avait cru qu'elle parlait de sexe... Alors que cela n'avait rien à voir. Dans un soupir, elle baissa les yeux sur son ouvrage. Il fallait avouer que leur relation n'était basé que sur cela depuis le début. Même si elles menaient une affaire toutes les deux, leur boutique tournait encore autour de ce sujet-là. Alors, même dans ce contexte, elles en parlaient et elles essayaient les créations de la jeune femme. Comme s'il n'y avait rien d'autre dans la vie...

Dans le couloir, Irulan avait déjà disparu. Cela aurait pu être frustrant si Shyn'tae n'avait su exactement où la trouver. Ondoyant sur ses talons, elle virevolta gaiement d'escalier en escalier, laissant derriere elle étoffes et vêtements. Ces chaussures se laissaient finalement aisément mater, preuve qu'il n'y avait décidemment rien qu'elle puisse faire moins bien que ce foutu prima Tael'chath. Elle aurait probablement pu faire n'importe quoi avec, sauf peut-être courir dans les dunes... Heureusement, il y avait remarqueblement peu de dunes à Thaar. Et encore, en y pensant, il serait certainement possible d'imaginer un sortilège pour y remedier. Evidemment, l'idée n'était guère utile, car si elle avait du maintenir sa concentration pour se déplacer, il aurait été plus simple de s'envoler ou même d'enlever les fameuses sandales. Mais si la recherche avait du se limiter aux exercices de pensée utiles, Shyn'tae supposait qu'elle n'aurait jamais rien découvert.

C'est ainsi vêtue seulement  de ses ornements et du fourreau de son épée qu'elle rattrapa son amie sur les bords des bassins chauffés du palais. Il était si bon d'avoir un palais, elle comprenait qu'on puisse y prendre goût, et cela même lorsqu'il n'était pas le sien.

Dans la large salle aux bassins digne de contes, une ambiance embuée gonflait l'air d'humidité et laissait une chape de brume flotter au ras de l'eau. Cécilie venait de se défaire de ses vêtements et commençait à se laver au savon à côté du bassin. La légèreté qu'elle avait en proposant un bain à sa compagne était un peu retombée. Si elle avait été drow, son oreille se serait tournée à l'arrivée de Shyn'tae, mais la physionomie humaine était plus discrète. Elle l'écouta donc approcher sans mot dire.

La drow n'avait pas eu besoin du temps necessaire à enlever ses légers nu pieds pour s'apercevoir que quelque chose n'allait pas. La lanière de cuir qui ceignait sa taille suivit, et elle s'accroupit pour poser sa lame sur le rebord du bassin, avant de plonger sa silhouette dans l'eau délicieusement chaude. Avec nonchalance et un sourire, elle se glissa souplement jusqu'à Irulan. Le regard qu'elle portait sur la chevelure et les courbes de l'humaine était aussi doux que sans équivoque.

- Je peux t'aider ? sa main délicate s'était approchée du savon que tenait son amante. Il y avait définitivement un problème. Etait-il lié à celui qu'elle avait cru discerner en Modeste ? C'était comme si quelque chose qu'elle n'avait pas encore saisi se jouait en coulisse. Son oreille droite fut agitée d'un tic, signe exterieur incontestable du dilemme interieur de la drow. Cécilie avait compris assez tôt qu'il faudrait un peu de travail à Shyn'tae avant qu'elle ne puisse envisager serieusement une carrière en bluff.

- Avec plaisir. " répondit la voix de l'humaine. Elle passa le morceau de tissus qu'elle utilisait à son amie, mais il y avait bien une distance dans son ton. La raideur de son dos n'était pas tant un indicateur de son humeur étant donné le maintien régalien qu'elle arborait si souvent, mais Shyn'tae la connaissait assez pour sentir qu'il y avait bien... quelque chose.

Le tissus imbibé d'eau chaude se posa sur ses épaules, la noirelfe le maniant sur la peau pâle et soyeuse avec une sensuelle attention. Alors son amante reprit.

- J'espère que tu t'es renseignée sur ta petite bijoutière. Je sais que tu as sûrement plus l'habitude des drows, mais il me reste un semblant d'humanité. Il me déplairait fortement d'être défigurée d'une maladie honteuse par ton intermédiaire. "

Les oreilles de la drow avaient frémi. Tension, curiosité, malaise ? Sa main ne s'était pourtant pas interrompue un instant alors que le silence s'empara du bain. Shyn'tae croyait distinguer au loin l'explication dans les ténèbres. Que pouvait-elle répondre à ca. "Je n'y avais pas pensé" était la première réponse qui lui était venu à l'esprit. Une verité, mais Shyn'tae soupçonnait qu'elle ne donnerait pas satisfaction. Elle ne l'aurait pas satisfaite elle.
- Modeste est comme un canevas vierge plein de promesse, mais ce n'est pas quelque chose que je voudrais laisser à la chance... Ca me déplairait d'en être la cause.

"Modeste n'est pas vraiment le problème, parce que je suis loin d'avoir honoré Isten qu'avec vous deux," était aussi une vérité, qui signifiait que le problème n'était pas la jeune joaillière. Irulan l'ignorait-elle, ou avait-elle mis l'accent sur elle pour une tout autre raison. Non, du coup, le problème n'était pas Modeste, c'était Shyn'tae.

Elle avait plongé le tissu dans l'eau, et revint parcourir les courbes du dos de la majestueuse demoiselle, du creux à sa taille bien dessinée. Les lévres noires se posèrent entre les pales omoplates.

- Ce n'est pas quelque chose auquel les miens pensent naturellement. Ce n'est pas une excuse. C'est si facile de laisser à celui qui subit les catastrophes qu'on cause le soin de s'en protéger. Je suis sûre qu'un medecin pourra verifier cela lorsqu'il ne sera pas occupé à se lamenter sur mon état général. Cela le distraira.

En réalité, L'Eldéenne ne s'était pas sentie aussi bien physiquement depuis longtemps. Sa poitrine s'appuya contre le dos de son amante alors que ses lévres y dessinait des motifs. Le tissu avait parcouru ses larges hanches, puis suivant la vallée de sa taille, s'attardait sur son ventre.

Cela aurait du être tout, mais elle sentait qu'il y avait autre chose en jeu, autre chose qui avait commencé dans les yeux de Modeste quelques minutes plus tôt. Elle soupçonnait la crainte de la maladie d'être une excuse, mais de quoi ? Irulan avait-elle peur que Shyn'tae la délaisse pour Modeste ? Non, cela n'avait aucun sens, ca aurait été un peu comme si ses études magiques lui avaient reproché de s'interesser aussi à la nourriture.

- hmm... Tu me séduis à chaque fois que je t'admire ainsi.. droite, superbe et altière. C'était vrai et l'orgueilleuse humaine appréciait toujours les compliments.

L'eldéenne put deviner un sourire fière malgré la perspective peu bavarde qu'elle avait sur son visage. L'humaine se laissa aller contre le corps de la noire elfe, plongeant un peu plus dans l'eau chaude comme elle en rêvait depuis son retour de voyage. Elle avait envie de rebondir simplement sur la légereté de ces derniers mots mais une autre questions lui caressait la langue au rythme des gestes de son amie.

- Comment fais-tu pour que les plaisirs charnels n'engendrent chez toi aucun attachement, qu'il soit en bien ou en mal ? "

Le tissu chaud et humide s'arréta sur le ventre de l'humaine, avant de reprendre lentement son voyage, signe que la drow lovée contre son dos examinait sa question. Son souffle effleurait les courbes délicates de son cou.

- Je ne suis pas certaine de comprendre correctement ta question. Elle s'immobilisa quelques secondes supplémentaires, plongée dans une intense reflexion, avant de reprendre ces caresses qui se déguisaient en nécessité. La tête de Cécilie s'était laissée aller en arrière, posée contre son épaule. Son bras blanc glissait dans le dos noir. " Ca a forcément un impact. La recherche du plaisir t'apprend bien des choses sur tes partenaires. Et c'est naturel d'apprécier ceux avec qui on passe de bons moments. Evidemment, je connais aussi des Maitres du plaisir charnel avec qui je ne partage rien d'autre. " Se mordillant la lévre inferiere, elle poussa un délicieux soupir qui orna le visage de l'humaine d'un sourire à la fois retenu et amusé.
- Le plaisir ne se suffit-il pas ? Comment vois-tu les choses, toi ?"

Cécilie ne répondit pas de suite, laissant les caresses se poursuivre lentement. Mais derrière ses paupières closes, elle réfléchissait à son tour. Elle avait en effet l'impression de ne pas avoir été tout à fait comprise, mais c'était un constat des plus logiques et il constituait en lui-même une réponse. Shyn'tae ne faisait rien de particulier, elle était comme ça parce qu'on l'avait éduquée ainsi. Il n'y avait rien de plus à comprendre.

Les raisons de sa question lui paraissait de plus en plus mesquine. Voilà que la jalousie venait fourrer son nez dans les jupons de sa fierté... juste un peu. Non que ses aspirations par rapport à l'eldéenne aient changées, il lui fallait seulement accepter de ne pas être la seule et l'unique. Elle détestait cette idée !

- Peu importe. Je suppose que tu as raison. " remarquais-je seulement, ma main remontant de son dos à sa joue. Elle frémit, lui faisant l'effet d'un chat ronronnant." Mais il me faudrait un exemple pour en tirer une certitude. "
- Puis-je apporter mon assistance, sublime reine ? La drow avait légèrement tourné la tête, et ses lévres vinrent caresser la main qui s'était attardée sur sa joue quelques instants plus tôt, puis saisir doucement un doigt qui s'attarda trop longtemps.
- Fait. Prouve que tu as appris bien des choses. "
La pique était dérisoire au vu de l'identité de l'enseignante dans la plupart de leurs ébats, mais Cécilie savait que sa partenaire saurait l'apprécier. Et puis ce jeu qui était le leur était une bonne façon de se détendre une fois de temps en temps. Le tissu continua sa danse le long des courbes de son ventre puis, lorsqu'il fut temps d'abandonner toute trace de faux semblant, échappa à la drow pour choir dans l'eau du bain. La tentatrice l'oublia. A la place, sa main remonta sur la peau mouillée jusqu'à la poitrine galbée de l'humaine. Elle commençait à la connaitre, et mit ce savoir en application avec dévotion.

***

Une heure plus tard...

La nuit avait déroulé son tapis d'étoiles au dessus des toits de la cité des princes marchands. Ici, au sommet des soiries, la ville lui répondait avec toute l'arrogance de ses maitres. Elle rayonnait de milles feux vacillants, de mille lanternes, des rues aux méandres du fleuve, des toits plats aux eaux peu profondes du port maritime. Une brise légère soulevait avec nonchalance les feuilles des palmiers écornées par le froid et les étonnantes fleurs exotiques qui encadraient la terrasse de pierre perpétuellement chauffée. Peu de batiments égalaient le palais d'argent, autant en hauteur qu'en emplacement. Apparitions fugaces entre les feuillages, les coupoles du Joyau et les quelques flèches des heureux élus capable de mordre un peu du ciel visible de la terrasse semblaient flotter sur une mer d'encre.

C'était un jardin que la nouvelle maîtresse des lieux avait voulu au milieu du ciel.

Six braseros encadraient la partie centrale de la terrasse. Dans le périmetre qu'ils formaient, des divans couverts de coussins aux mille couleur vives encadraient plusieurs desserte portant d'innombrables plats à l'odeur alléchante. Patisseries au miel, Légumes, fruits exotiques, viandes mélés avec audace par un cuisinier qui avait compris l'attirance de l'actuelle maitresse des lieux pour la nouveauté et l'experience attendaient qu'on les découvrent. Un peu partout, d'autres braseros et quelques paravents avaient été installés pour chasser la froideur de cet hiver inhabituel.

Shyn'tae se tenait à demi allongée sur un divan, vétue seulement d'une chemise de soie diaphane à demi ouverte. La vallée de ses seins, exposée à la brise nocture, dansait à chacuns de ses mots et de ses mouvements. La ceinture d'Eveil coupait son ventre juste au dessous du nombril. Une jambe nue dépassait des coussins et pour l'heure, Cécilie était assise auprès d'elle. Le maintien aussi noble qu'à son habitude, ses mains étaient posées très correctement sur le rebord de l'assise, ses jambes étendues sur le sol. Elle avait songé à remettre ses confortables vêtements de voyage, mais Shyn'tae lui avait trouvé un long peignoir de satin blanc qu'elle avait ajusté de façon bien pudique par rapport à la drow. Fermé jusqu'au cou et tenu par une ceinture qui la serrait très correctement au-dessous d'une poitrine plus opulante que ce que la plupart de ses tenues laissaient présagées, seule sa jambe gauche se laissait librement admirée par la lune. Ses cheveux roux encore gorgés d'eau mais soigneusement peignés reposaient sur ses épaules frèles, les scillons humides dessinant des arabesques dans le tissus.

Alors que les deux baigneuses parlaient à voix basse, une silhouette apparut à la limite du bâtiment. Modeste s'arrêta un instant avant de pénétrer sur la terrasse. Pour l'instant, elles n'étaient que trois mais la jeune humaine ne pouvait qu'espérer que Cassiopée ne tarderait pas trop. Elle ne voulait pas se retrouver seule au milieu de ce couple et c'était la perspective de la présence de la marchande qui l'avait poussée à quitter sa chambre.

Elle fut cependant étonnée de voir qu'elle s'était presque trop habillée. Depuis quelques temps, Shyn'tae avait investi dans une nouvelle garde robe pour elle, sous le couvert de lui permettre de s'habituer à porter des vêtements plus luxueux, s'accordant avec les bijoux qu'elle devrait vendre bientôt. Elle ne pouvait décemment pas porter ses anciennes frusques au milieu de toutes ces parures si coûteuses et extravagantes. Cependant, bon nombre de ces tenues étaient aussi fastueuses qu'ouvertes. Dos nus, décolletés plongeants, jupes largement fendues... Tout était fait pour officiellement mettre en avant ses charmes afin que son image corresponde à celui de la boutique qu'elle devrait bientôt tenir. Officieusement, il était évident que la drow la préférait tout simplement ainsi. Elle n'avait aucune hésitation à endosser des tenues légères et dénudées devant son amante seule, mais en public... Aussi la sombre elfe avait dû largement insister pour les lui faire porter. Ce soir-là cependant, Modeste avait préféré porter quelque chose de bien plus à son image. Ce n'était pas un dîner d'affaire après tout. Alors, par-dessus une robe blanche toute simple, elle en avait enfilé une autre faite d'un voile dans les tons bleu et transparent. Le vêtement était simplement cintré sous la poitrine et voilait librement le long de son corps. Au niveau des bras, il se trouvait être bien plus bouffant, donnant un aspect à la fois décontracté et élégant à la jeune femme qui approchait du couple.

-Bonsoir. Fit-elle simplement, évitant d'afficher toute expression de gêne et de malaise en présence d'Irulan, même si cela se lisait un peu dans ses épaules tendues et la distance physique qu'elle conservait avec Shyn'tae, ce que la rouquine ne sembla pas saisir le moins du monde. Enchantée de vous rencontrer enfin. Dit-elle poliment à l'attention de la femme pour qui son amante nourrissait de tendre sentiments.

Les yeux bleus de l'autre humaine croisèrent avec franchise ceux de la bijoutière mais il n'y avait aucune chaleur sincère dans ce regard. La jeune bijoutière avait retenu un frisson. L'Eldéenne les observa l'une et l'autre alternativement. Ca se passait plutôt bien, estima-t-elle.

- De même. Modeste, c'est bien ça ? Shyn'tae m'a parlé de votre talents et... " elle jeta un regard cryptique à l'eldéenne. " Nous discutions d'un petit projet. Vous avez déjà eu l'occasion de réaliser des plastrons ou des brassière pour des spectacles de danse ? "

Modeste resta silencieuse. Il était évident que cette femme ne l'appréciait pas mais elle avait du mal à en déterminer la raison précise. Est-ce parce qu'elle couchait avec Shyn'tae elle aussi ? Ou croyait-elle qu'elle profitait d'elle et de son argent en logeant ici et en revêtant des tenues qu'elle ne pourrait pas s'offrir en temps normal ? D'autant qu'elle n'avait aucun travail pour le moment et se trouvait donc totalement dépendante de son amante jusqu'à ce qu'elle ait achevé leur projet de boutique. Il y aurait matière à se méprandre sur ses intentions... La supposée soeur de Sauveur Hadajoui chassa toutes ces pensées. Il était évident qu'elle n'aurait pas les réponses ce soir de toute manière. De son côté, la sombre Eldéenne se leva avec grace, une lueur d'excitation illuminait son regard.

- Oui viens! Nous allons nous produire, il faut que ce soit parfait, et que ça parle de notre pays pour des gens du nord. On ne peut pas se tromper en en faisant trop. J'imaginais breloques et clochettes, bracelets et médaillons. Vêtues seulement d'or et d'argent au dessus des hanches, et de soies diaphanes. Tout bougerait avec nos mouvements ! Et ça pourrait en plus faire connaitre ton art au-delà de Thaar. Alors qu'elle parlait, ses mouvements, des bras, des jambes, de son torse, sinueux, mimaient les idées qu'elle voulait faire passer, comme si les mots n'avaient pas suffit. Son enthousiasme fit sourire la rouquine, toujours peu certaine de cette folle entreprise."Oh... Tu prendrais des Mezze ? Ceux là sont à l'aubergine. C'est excellent. Je savais que ce légume devait être utile à quelque chose.

La bijoutière reporta son attention sur la sombre qui ne témoignait que son enthousiasme à l'évocation de leur spectacle de danse. Ne voyait-elle pas la tension qui régnait entre les deux femmes ou préférait-elle l'ignorer ? Irulan tourna à nouveau un regard distant sur l'autre humaine, la mettant d'autant plus mal à l'aise. Mais à l'abrit de sa caboche, le froid était bien loin. Elle ne s'attendait pas à ce que la jeune prodige dégotée par Shyn'tae soit si contrôlée et si rigide...