[Fernel] Je ne fais que passer.

Les paroles de Dante amènent un sourire poli sur mon visage tandis que je lâche la main de mon père, pour reprendre en silence la coupe de vin que j’ai abandonnée sur la table.

- Dante…J’ai regardé ma mère mourir pendant des mois, sans parvenir à lui apporter le moindre soulagement. Crois-tu réellement que la mort de son meurtrier va me causer de la peine ?

Je prends une gorgée de ce vin couleur rubis et dépose ensuite le verre sur la table, dans un geste calculé.

- Je te remercie de prendre ton rôle de frère à cœur mais…c’est exactement à cause de ce genre de comportement que je suis restée dans l’ignorance pendant si longtemps. Si tu veux me protéger, ce qui est tout à ton honneur, il vaudrait mieux éviter de me tenir loin de tout ce que je dois savoir. Ce temps là est terminé. Je ne veux plus qu’on prenne des décisions à ma place. Je demandais un avis et un conseil et de te remercie de me l’avoir donné.

Mon regard accroche celui de mon frère, adoucie. Peut-être ai-je été un peu directe avec lui, qui ne veut que me ménager après tout.

- Ecoute…En tant que châtelaine de Fernel, j’ai des responsabilités, des devoirs mais aussi des apparences à maintenir. La coutume en Péninsule voudrait que je fasse de cette exécution un divertissement public, quelque chose de sensationnel qui marquerait les esprits. Je ne suis pas de cette trempe là. Toute vie est précieuse. Même celle de cet homme. Ce qui me fera de la peine, ce n’est pas que cet être vil souffre. Ce qui me fera de la peine, par contre, c’est d’assister au déclin d’un potentiel qui n’aura jamais pris corps. Tout ce qu’il aurait pu faire et qu’il n’a jamais fait. C’est LA que se situe la tristesse, Dante. Pas dans sa mort.

Dans un soupir, je prends un petit fruit sec à mon tour et mords dedans, pensive.

- Je ne veux pas devenir amuseur public. Je veux qu’il paye pour toutes les monstruosités qu’il a avouées. Et il payera. En comité restreint mais face à tous ceux qui ont souffert et face à ceux à qui il a menti ou causé du tort. La noblesse de la région est conviée. J’hésite à demander à Anaëlle d’assister à cela. Elle a failli mourir sous la main de Geoffroy, cet abominable homme. Rien que d’imaginer…Mais c’est une jeune fille douce et fragile. Un petit être tout pur et innocent à qui il a tout pris. Je verrai cela avec elle…

Je finis mon fruit, les sourcils froncés avant de jeter un regard à mon père. Cette conversation doit être curieuse pour lui aussi, même s’il n’en montre rien. Comme d’habitude. Il ferait un redoutable adversaire aux échecs, j’en suis persuadée. Les paroles de Dante me font soudain l’effet d’un morceau de glace appliqué sur ma nuque. Je reporte mon attention sur lui, un peu plus pâle soudain.

- J’ai assisté à cet interrogatoire parce que je voulais être là.  Et si Père n’avait pas été là…il est probable que je l’aurais tué à coups de trousseau de clés sur le crâne. Je ne pouvais plus supporter son sourire suffisant. C’est Père qui m’a empêchée d’aller plus loin…Et il n’a jamais été question de…enfin…de sexe, comme tu dis.

Mon regard glisse vers mon père, sans que je ne demande d’explication sur ce point précis. Le sujet me met très très mal à l’aise et j’ai beaucoup de mal à l’évoquer, hormis avec mon père, justement. Dante pourra voir sans difficulté que je préfère changer de sujet. Non, décidément, parler tripes et boyaux ne me dérange pas. Par contre, parler de …sexe…oui. Je n’en suis pas particulièrement fière. Pas plus que je ne suis fière de ce que j’ai fait quand j’ai lu ses aveux. Un frisson de dégoût s’empare de moi d’ailleurs, rien qu’à y songer.

- Il y a des choses dont je ne suis pas fière mais…je ne les regrette pas. Parce qu’elles étaient nécessaires à mon bien-être. C’est tout.

A la question de père, judicieusement placée, je réponds de suite, pour parler d’autre chose :

- Je suggère que vous combiniez vos savoirs pour obtenir quelque chose qui corresponde à ce que je demande. Deux empoisonneurs, un assassin et un chasseur sous mon toit, je pense que les conditions sont réunies pour que je ne me salisse pas les mains. Et qu’il ne salisse pas trop les sols.

Je ne dis rien. L’embarras est suffisamment présent sur mon visage pour que j’évite d’en rajouter par des balbutiements ridicules ou une attitude de jouvencelle effarouchée. Viendra sans doute un temps où tout ceci me fera rire, où, à tout le moins, je pourrai parler en parfaite connaissance du sujet, mais ce temps n’est pas encore venu. Les doigts crispés sur mon verre, je mesure tout le ridicule de ma situation, encore vierge à un âge où toutes les femmes ont au moins un voire deux enfants…Ma mère a parfaitement manœuvré pour que je reste loin de toutes les tentations. Et on voit désormais le résultat. Je ne sais plus très bien sur quel pied danser, effrayée par la perspective de la chose tout en étant soumise à des désirs puissants que je ne peux assouvir, des désirs qui m’occupent lorsque je suis seule dans ma chambre, après avoir passé toutes mes journées en compagnie de l’homme que j’aime sans avoir seulement pu faire autre chose que le prendre dans mes bras. Je songe parfois, avec mélancolie, à ce temps pas si lointain où je jouais parfois avec les jeunes gens de château. Et je me disais bien souvent que si j’avais été moins vertueuses et moins surveillée, j’aurais moi aussi pu profiter de choses dont tout le monde semble s’accorder sur le plaisir qu’elles procurent.

Il ne me reste donc plus qu’à attendre. Au point où j’en suis, je ne suis plus à un an ou deux près, après tout.

Père pose sa serviette sur la table, et propose une visite des sous-sols. Je le regarde en haussant un sourcil, intriguée.

- Est-ce réellement une bonne idée, Père ? Te rappelles-tu de ma…dernière visite ?

S’il l’a oubliée, ce n’est pas le cas pour moi. Je n’ai pas revu Geoffroy depuis ce jour là, pas plus que Sylvie d’ailleurs.

- Mais soit…Je vous accompagne.

Je me lève, invitant les deux hommes à faire de même et dis, d’une voix posée.

- Nous ne resterons pas longtemps alors. La vue de ces personnes m’indispose et j’ai bien peur de…de sortir de mes gonds s’ils disent un mot de trop, une fois de plus. Allons-y.

Je les précède et sors alors de la pièce, hélant un serviteur afin qu’il m’apporte de quoi me couvrir les épaules. Les sous-sols sont froids, en cette saison, après tout, et seule une fine chemise couvre mes bras. On m’apporte alors ma cape doublée de fourrure, dans laquelle je m’emmitoufle avec bonheur, attendant les deux hommes afin de les mener là en bas. A moins que mon père ne décide d’ouvrir la marche.

Je prends la tête du trio que nous formons, mon père et mon frère sur mes talons. Ils ne peuvent le voir mais juste devant eux se trouvent une femme qui sourit de toutes ses dents. Je ne me retourne pas, évidemment, je ne voudrais pas les indisposer par cette rayonnante bonne humeur alors que nous nous dirigeons vers les cachots. Ce n’est pas le moment.

Lorsque nous arrivons enfin dans les sous-sols, je laisse pourtant mon père prendre les devants. J’ignore où se trouve la cellule de Sylvie, n’ayant plus posé un seul pied en ces lieux depuis ma dernière entrevue avec Geoffroy. Qui plus est, le sous-sol est désormais son domaine, l’endroit qui est sous sa supervision.

Je ne suis pas spécialement heureuse d’être là, tout comme je ne suis pas malheureuse. J’attends juste d’avoir les avis éclairés de deux hommes qui savent de quoi ils parlent.

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Dans la cellule, il y a une femme. Enfin…Elle a été autrefois une femme, une jolie femme même. Avant de croupir dans cette geôle, elle était à l’apogée de celle-ci, les chairs souples et fermes, les lèvres pleines, le regard luisant, la chevelure brillant au soleil. Une beauté.

Et cette femme est au sol.

Elle est propre.

Elle a été lavée récemment, elle a été coiffée aussi, sa robe est dépourvue de tâches et le seau d’aisance est vide. Le sol est balayé, presque aseptisé.

Et pourtant au milieu de cette propreté, l’être est éteint. Elle murmure des choses aux ombres, des choses qu’ils ne peuvent pas entendre. Une supplique. Une douce et plaintive supplique, la tête tournée vers le plus noir endroit de son cachot.

Lorsqu’elle entend les pas approcher, elle interrompt ses paroles, et va se terrer aussi loin que le permettent les chaînes qui entravent ses poignets considérablement amaigris. Il y a plusieurs personnes. Est-ce aujourd’hui ? Est-ce qu’elle va mourir ?

Quand la clé tournera dans la serrure pour ouvrir la porte, ils verront Sylvie en train de trembler dans son coin, le front couvert d’une sueur qui trempe les petites mèches qui balaient son front, les yeux creusés dans les orbites, cernée d’une manière terrible. On dirait qu’elle n’a pas dormi depuis des jours. Elle ne regarde personne d’autre qu’Elazar. Et ne dit rien.

Est-ce qu’il en a sur lui ? A-t-il apporté une petite fiole pour apaiser ses douleurs ?? Dans ce regard douloureux, il y a toutefois une lueur d’espoir, toute petite. Mais elle ne demande rien. Elle attend.

Je reste aux côtés de mon père pendant que mon frère avance vers Sylvie. Mais…Est-ce bien elle, d’ailleurs ? Elle a maigri un peu. Et son visage semble différent. Elle regarde mon frère comme s’il était devenu le sauveur de ses derniers jours. Je ne peux m’empêcher de renifler, vaguement incommodée par l’odeur douceâtre qui se dégage de cet endroit.

Un regard à mon père puis je reporte mon attention sur les mouvements de Dante, curieuse de voir sa façon de procéder à lui.

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Qui est cet homme ? Il est si grand…Et ces yeux…C’est la première fois qu’elle en voit de semblables. Si elle avait quelque espoir, il s’est vite envolé alors que le genou de l’inconnu touche le sol pour l’observer de plus près, de son regard vairon et de ses grandes mains qui la touchent un peu partout. Elle regarde les mains, elle le regarde lui, elle scrute ses poches du regard. En a-t-il sur lui ? Est-ce que c’est un nouveau jeu ?

- Sylvie.

A un geste qu’il a en la palpant aux flancs, la blonde a un violent geste de recul, longeant le mur dans un sursaut. Enchaînée peut-être mais pas complètement amorphe. Elle n’a pas eu mal, elle ne veut juste pas qu’il s’amuse. Etienne, lui, ne s’amuse jamais. Elazar non plus. Du moins pas comme ça.
Les questions de cet homme trop grand la font alors rire. Rire fort. Un grand éclat de rire presque hystérique. Elle se penche vers lui, en hochant la tête, le sourire large, l’œil complètement fou. Il y a du monde aujourd’hui. Elle n’a plus l’habitude. Du tout.

- Tu vois…Je sais pas…ça fait des jours que je suis là…J’ai sûrement gardé une information CAPITALE pour la fin. Partir en beauté t’vois…

Elle tourne la tête vers Louise et crache à ses pieds, avant de rire à nouveau.

- Elle sait déjà tout. Et moi aussi, je sais TOUT. Ca te plait, petite bâtarde, de voir tout ça ? Tu vois…Je….Mpffff !

Un petit mouvement de fierté pour ne pas perdre la face, sans le moindre doute, mais soudain…la douleur. Elle se plie en deux, à court de souffle, le front luisant d’une sueur malodorante, avant de rire à nouveau.

- Vous en avez apporté ? Pardon…J’ai été agressive…Juste…J’ai mal…Je le ferai plus, c’est promis.

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Je ne dis rien pendant quelques secondes, regardant Sylvie s’essouffler en vain, je me contente de me rapprocher de mon père et de soupirer. Il n’y a rien à faire pour elle, c’est un cas désespéré et la mort ne pourra que lui être salutaire. Il n’y a rien à en tirer.

- De quoi parle-t-elle ? Qu’attend-t-elle, au juste ?

Le mouvement est brutal. Le souffle est soupé par la main immense. Le rire s’est tu. Il ne reste plus qu’une paire d’yeux roulant dans leurs orbites tandis que les poignets s’agitent fébrilement, secouant bruyamment les chaînes. Pas besoin de la prier, elle se tait parce que tout ce qu’elle essaye de faire, là, c’est tenter de trouver de l’air. Pourtant, elle se raidit, intensément, lorsqu’il approche et qu’il…hein ?

- …. ????!!!!!

Impossible de rentrer la tête dans les épaules, elle serre les dents et ferme les yeux, le front luisant de sueur, une sueur qui roule sur les longs doigts de Dante. Quelle horreur…La sensation de cette langue sur sa gorge est juste abominable. Elle tourne la tête, les yeux fermés, le nez plissé, les lèvres serrées. Abominable. Et en plus le voilà qui crache au sol, comme si elle était dégoutante. Elle est dégoutante, oui, mais ce n’est pas sa faute !

La pression se relâche un peu, un tout petit peu, assez pour que l’air réintègre ses poumons. Cela l’apaise un peu et cela lui fait rouvrir les yeux.

Une fiole. Il en a une ! Toute l’agressivité qui se trouvait dans ce beau regard vert d’eau vient de disparaître, il n’y a plus que de la crainte. La crainte de ne pas l’obtenir. Et aussi…Une certaine veulerie. Elle reste contre le mur, sans bouger, les yeux luisant d’envie et de manque mêlés. Horrible.

Elle fera n’importe quoi pour obtenir cela, peu importe le reste. Peu importe les regards posés sur elle.
Une intervention. Une fiole. Et …une question. Il faut qu’elle réponde bien. Il faut qu’elle soit gentille. Même si elle n’en pense pas un traître mot, l’esprit obscurci par l’état de manque et par la haine de cette jeune femme là bas qui la regarde. Une belle femme enveloppée dans une cape de valeur, toute jolie dans sa robe de velours émeraude et la gorge garnie de perles.

- Je regrette…J’voulais juste vivre bien, c’est tout. Pardon.

Puis elle se tait et regarde Dante, les yeux remplis d’espoirs. Elle le voit se tourner, mais elle ne voit pas ce qu’il fait. Ce qui n’est pas le cas de Louise…

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Age différent. Style différent.

Là où père brille par sa politesse et une douceur qui n’annoncent rien de bon, Dante, lui, entre directement dans le vif du sujet. Au sens propre comme au sens figuré. J’ai un sursaut lorsqu’il plaque sa main sur la gorge de Sylvie. Un petit sursaut qui me fait me rapprocher de mon père, un peu plus. C’est la première fois que je le vois agir aussi brutalement et cela me heurte, au fond de moi. La veille, cet homme était encore Claude, cet homme si charmant et si doux qui a reçu toutes mes confidences et là… Je n’ai pas l’habitude de ce genre de choses. Personne n’a jamais été brutal avec moi et je serais bien incapable de me défendre si cela arrivait…Il faut absolument que j’apprenne à au moins parer ce genre de mouvement. Parce que je n’aurai pas toujours quelqu’un à mes côtés pour me protéger…

Lorsque Sylvie me regarde pour demander pardon, je ne dis rien. Je me contente de tenir son regard, avant de hocher la tête.

J’allais dire quelque chose mais je vois Dante se tourner et sortir une lame. Instinctivement, je viens chercher la main de mon père et la serre très fort en soufflant :

- Non mais que fait-il ???? Père ????!!!!

C’est fulgurant.

Ca fait mal. Très mal.

C’est déjà fini.

Alors qu’il essuie sa lame sur sa robe, elle a le réflexe de porter sa main à sa gorge et n’y parvient évidemment pas. Ses mains sont retenues par les entraves de métal…

C’est douloureux.

Les mots prononcés à son oreille, elle ne les comprend pas particulièrement. Tout simplement parce qu’elle n’a pas vraiment l’impression que l’homme en rouge ait particulièrement joué avec elle. Cela étant, même s’il lui a fait mal, il est gentil, il dépose des gouttes dans sa main. Alors, elle se laisse glisser le long du mur pour s’asseoir ensuite au sol, en prenant garde de ne pas renverser les toutes petites gouttes qui luisent dans sa main. Aux pieds de Dante, Sylvie ne dit rien, elle aspire avec avidité le liquide et déglutit…avec une terrible difficulté. Elle porte alors une main à sa gorge et se plie vers l’avant, le dos secoué par des sanglots silencieux.

Aucun son, aucun bruit n’émane de ce corps qui tremble.

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La main posée sur ma bouche, j’observe Sylvie, les yeux agrandis par la peur. Car j’ai peur. Oui.

Je n’ai même pas envie de le dissimuler…ce qu’il vient de faire est absolument atroce.

J’ai vu la lame briller, fugace éclair à la lueur de la torche.

J’ai vu le sang couler sur sa gorge, rapide vision d’horreur, avant qu’elle ne se ratatine au sol, en lapant sa main comme le ferait un petit chat.

J’ai vu le tremblement silencieux, la souffrance en sourdine.

Alors à la peur succède autre chose. La colère arrive, je le sais, je le sens, je la sens s’éveiller en mon ventre alors que je serre la main de notre père, avec une violence qui me déstabilise un peu. Mère savait, elle, que cela m’arrivait parfois, en situation de stress intense. Et elle s’arrangeait toujours pour que je n’y sois jamais soumise. Je lâche la main d’Elazar, qui n’a répondu à aucune de mes questions, et siffle, les dents serrées :

- Dehors. Tout de suite.

Je tourne les talons et sors de la geôle, les deux mains sur ma bouche. Une fois les deux hommes sortis et la porte fermée, je fais volte-face et avance rapidement vers mon frère, pointant mon index sur son torse, glaciale.

- J’avais dit : « pas d’armes à table ».

Il est immense. Dangereux. Je suis petite. En colère. Il pourrait m’abattre d’un revers de la main, je le sais mais je ne parviens pas à me contrôler. Je tapote nerveusement mon index sur lui à défaut sans doute d’avoir le cran de le gifler. Et ce n’est pourtant pas l’envie qui manque. Probablement l’instinct de survie…

- De plus, je t’ai demandé un avis éclairé, pas d’agir en solo de la sorte. Comment OSES-TU prendre de telles initiatives sans m’en avertir au préalable ? Tu crois que c’est un jeu ?

Mon père n’existe plus. Il n’y a que lui que je regarde, l’œil flamboyant.

- Tu es chez moi, ici. Et chez moi on respecte MES règles. Est-ce que c’est clair ?

J’abaisse la main et lance un regard lourd de sens à Elazar.

- Vous continuerez seuls, j’en ai assez vu. Je rentre au salon et je vous y attendrai. J’enverrai Jacques visiter les geôles d’ici deux heures. Et s’il me revient que Geoffroy possède la moindre nouvelle égratignure, la moindre petite blessure fraîche…

Je laisse la phrase en suspens. A leurs yeux, probablement une menace de femme qui s’énerve pour rien. Aux miens, une menace dont je me réserve la teneur, puisque l’ambiance semble être à la dissimulation et aux coups fourrés. Je tourne alors les talons, toute pâle de m’être ainsi emportée, le dos droit et digne jusqu’à la sortie du sous-sol.

Peur. Colère. Tristesse…Désillusion.

Si elle savait Louise que ce qu'il vient de faire est pure miséricorde...

Vous y croyez vous? Non, sans blague, juste le plaisir enlever le jouet d'Elazar vaut bien cette petite scène. Elazar n'a pas le temps de répondre, pour la bonne raison que le temps qu'il se rende compte, il était trop tard. Aussi se tait il, mais dans els yeux gris luit le déplaisir certain. Sans un mot, pare qu'il n'a rien à dire, il suit Louise dans le corridor.

- Dehors. Tout de suite.rangeant son outil Dante emboite le pas. Solidement campé sur ses jambes, détendu. Ce n'est pas comme s'il ne s'y attendait pas remarque.

- J’avais dit : « pas d’armes à table ».

Une lueur interrogative passe dans les prunelles dépareillées. Elle sait que la canne du vieux est une canne-épée? Au petit air qu'il voit du coin de l'oeil, sûrement pas. Dante lève le petit scalpel qu'il a dans la main avant de la ranger dans sa sacoche de cuisse.

Ce n'est pas une arme, c'est un outil que je traine toujours. Si tu ne veux pas d'armes à ta table, ne nous invite pas ...

Il la laisse s'approcher et tapoter son son index sur le torse. A chaque toucher, peut elle sentir la peau se évulser. Chaque contact le heurte, remontant le long de la chair et de la nuque de l'homme qui s'y était préparé mais réveillant son instinct qu'il jugule. La voix grave se module en un ton glacial.

Et je te prierais d'enlever ton doigt de là... S'il vous plait.

- De plus, je t’ai demandé un avis éclairé, pas d’agir en solo de la sorte. Comment OSES-TU prendre de telles initiatives sans m’en avertir au préalable ? Tu crois que c’est un jeu ?

Il est temps de se poser pour ce qu'on n'est pas.

Toi, crois tu que c'est un jeu? La droguer pendant des ennéades après savoir ce que vous aviez à savoir, pour ensuite la laisser dépérir en lieu et place de la pendre haut et court? Elle souffre, tu te venges. Je le comprends. Je ne savais pas que ma soeur était cruelle à ce point. A moins que ca ne soit de père ce petit manège. C'est le genre de jeu qui lui plait.

Du coin de l'oeil, il voit Elazar regarder nonchalamment ses ongles, l'air stoïque comme d'habitude. Il lui éclaterait la gueule... Mais qu'il pense qu'ils tombent encore dans leur vieux travers!!! Intérieurement Dante souris. Extérieurement, il a l'air vexé et décu.

- Tu es chez moi, ici. Et chez moi on respecte MES règles. Est-ce que c’est clair ?

Au regard lourd de sens vers sa personne, Elazar s'incline.

Comme Ma Dame le souhaite.

Ma dame? MA... MON... Il connait son côté possessif... Il sait maintenant exactement de quel angle manipuler les choses pour le faire souffrir à long terme. Très long terme...  Sous ses dehors impassibles, Dante exulte.

- Vous continuerez seuls, j’en ai assez vu. Je rentre au salon et je vous y attendrai. J’enverrai Jacques visiter les geôles d’ici deux heures. Et s’il me revient que Geoffroy possède la moindre nouvelle égratignure, la moindre petite blessure fraîche…

Il la laisse s'en aller, puis regarde Elazar qui laisse tomber son masque inutile.

Et si nous allions rendre visite à Sieur Geoffroy?  

Je tiens ma promesse. Je fais savoir à Jacques que dans très exactement deux heures il devra rendre visite au prisonnier et l’observer afin de vérifier qu’il n’a pas été maltraité comme l’a été Sylvie. Toutes mes recommandations données, je rentre, en furie, dans la salle à manger, jetant ma cape sur un siège de bois avant de me diriger vers la table sur laquelle trône encore les carafes de vin et les verres vides. Le visage fermé, le regard probablement durci par cet échange houleux avec mon frère, je remplis mon verre et le vide d’un trait, avant de m’en verser un second que je garde contre ma poitrine.

- Les hommes…

Et puis merde. Je prends la carafe, le verre, et vais prendre place sur un des hauts sièges de bois face aux flammes. Peut-on réellement trinquer à la déception ? Je lève mon verre et bois ensuite une longue gorgée de ce merveilleux liquide rubis, tout sourire ayant disparu de mon visage.

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Cinq cellules plus loin, il y a un homme enfermé là depuis de nombreux jours.

Un homme qui a tout entendu. La voix de Louise, ses exclamations, les réponses de cette voix si basse, dangereuse…

Un homme propre, nourri, habillé et peigné.

Les pas qui se dirigent vers sa geôle…Il tend l’oreille. Louise n’est plus là. Il aurait reconnu son petit pas de fée des bois entre mille. Là il y a le Maître. Et quelqu’un d’autre.

Pourquoi faut-il qu’il amène du monde ? N’a-t-il pas été gentil, respectueux, parfaitement soumis au point d’avoir pu obtenir une salutaire couverture et un oreiller pour apaiser les douleurs que le froid apporte à ses vieux os ?

Car Geoffroy a vite compris que lutter ne servait à rien. Il se laisse faire, désormais, pour éviter de trop souffrir.

Certains jours, même s’il plie aussi souplement qu’un roseau sous les assauts répétés de l’homme en habit rouge, il est battu comme plâtre. Sans raison. Sans un mot. Et il a la main lourde, ce Redinem.

Il fait particulièrement froid ce soir et il est emmitouflé dans la couverture avec soin, assis dans un coin, sous la torche, illusoire moyen d’obtenir un peu de chaleur.

La porte s’ouvre.

Il plisse les yeux pour mieux voir et ne dit rien à l’entrée des deux hommes. Il les observe, sans comprendre puis fronce les sourcils en avisant Dante de la tête aux pieds avant de regarder Elazar, l’œil luisant.

Il s’en va.

Il le laisse en compagnie de cet inconnu, il entend le bruit de la canne s’éloigner dans le couloir. Et il en fronce les sourcils.

Ce n’est pas son genre de faire cela.

Alors il reporte toute son attention sur le grand homme qui lui fait face et il se relève. Il plie soigneusement la couverture et la dépose, aussi adroitement que possible, sur l’oreiller, de manière presque religieuse. Ces deux accessoires sont ses seuls biens et ses seuls réconforts désormais…

L’homme est un peu amaigri, il n’a plus cette habitude de faire de bons repas tous les jours, mais il se porte bien. Aussi bien qu’on peut l’être en étant enchaîné.

- Je sais qu’il y est. Et..Je devine qui vous êtes. Je vous imaginais plus petit.

Parce qu’il s’était imaginé un fils naturel. Or, même s’il y a des similitudes entre Elazar et Dante, la différence physique est telle qu’il est impossible qu’il soit le fils naturel de l’habit rouge, au contraire de Louise qui, elle, affiche certains légers traits de ressemblance avec son père.

- Il a dit que vous, vous offririez une mort rapide. Douloureuse. Mais rapide.

Geoffroy n’a plus cette superbe qu’il possédait autrefois. Là, il ressemble à un gentil grand-père, un vieux bonhomme maltraité et qui souffre sans se plaindre.

- Quant à Sylvie…Je ne sais pas. Il n’y reste jamais longtemps. Contrairement à ici…Je sais juste qu’il lui apporte quelque chose qui l’apaise puis la fait se tordre si fort de douleur qu’elle hurle parfois, qu’elle le supplie. C’est un éternel recommencement.

Le prisonnier hausse les épaules.

- On s’y fait.

Geoffroy passe ses mains sur ses poignets marqués et demande, d’une vois tout à fait polie et respectueuse :

- Quant au fait que je sois encore en vie…C’est sans doute parce que je l’amuse. Cela l’amuse de me torturer. Du moins c’est ce que je crois, sinon il y a bien longtemps que je serais mort. D’ailleurs…C’est pour cela que vous êtes là ?

Geoffroy ne dit rien pour l’instant. Il se contente d’observer Dante, avec un sincère intérêt. Il est le premier être humain qu’il voit depuis des ennéades, hormis Elazar. Cela lui apporte un certain soulagement de pouvoir parler, même brièvement, avec quelqu’un d’autre. Quand le nouveau venu s’approche de lui, il n’a pas un geste de recul, rien du tout. Même à terre, Geoffroy sait reconnaître les gens dangereux. Et lui, il l’est cela ne fait aucun doute. Puis…que pourrait-il bien faire avec ses mains entravées, hein ? Non, autant jouer le jeu. Au moins, ce sera un peu amusant. Un peu…

- Compliant ? Mais…Je m’adapte c’est tout. Si je parle, il agit. Si j’agis, il punit. Si je réagis, il devient horriblement déplaisant. Et j’ai eu mon compte de déplaisir, donc…Je reste gentil, soumis et obéissant. On appelle ça l’instinct de survie. Puis comme il le dit, il est sévère mais juste. Quand il a ce qu’il veut…il s’en va. On s’y fait, à force. On peut même y trouver du plaisir, je vous l’assure.

Geoffroy ne plaisante pas et pourtant il esquisse un petit sourire entendu. C’était cela, la solution qu’il avait cherchée si longtemps sans jamais parvenir à mettre le doigt dessus. Ses victimes, il aurait du les enfermer, au lieu de les laisser vagabonder partout et acquérir de sottes idées de liberté féminine. Elles auraient toutes fini par aimer ça, même Louise. Petite Louise, sa petite fée des bois…

La brutalité d’Elazar lui aura permis de comprendre deux ou trois choses, sur le tard. Et notamment qu’on peut apprécier à peu près n’importe quoi pour obtenir une couverture et un oreiller.
Le vieil homme sait qu’il va mourir. Il ne sait pas quand ni comment mais l’échéance approche. Il n’a pas peur. Par contre, cette main-là…qui s’aventure là où son corps est très souvent sollicité, le fait sursauter avant qu’il ne s’apaise, aux paroles de Dante.

- Ce que j’ai fait ?

Son regard soudain rêveur se perd derrière Dante. Quels souvenirs…Tout ce qu’il a fait pour obtenir ce qu’il a toujours désiré…Il était si près de réussir…Il ne s’estime pourtant pas à plaindre, il a terriblement bien vécu, avec les honneurs, dans l’opulence et l’abondance, disposant de tout ce qu’il a toujours désiré ou presque.

- Mhhhh longue histoire…C’est que j’ai été fort actif voyez-vous…Alors…Dans l’ordre…

Il se caresse le menton, avec un petit sourire satisfait, en comptant sur ses doigts :

- J’ai comploté pendant des années pour en arriver là où je suis. J’ai tué des gens, des femmes, des enfants. Mhhh j’ai assassiné mes épouses aussi, ces insupportables boulets…Avec l’âge, vous savez, les femmes, ça se relâche de partout, c’est un peu dégoutant à toucher…Je les préfère jeune…Si vous saviez…Un peu comme Anaëlle mais en plus intelligent que cette tarte rousse. Jeune, ferme, jolie. Obéissante…Quel délice.

Il sourit encore, parfaitement sincère.

- J’ai assassiné la mère de ma petite fée des bois, ma perle des neiges. Elle était un obstacle…C’était triste, elle se faisait dessus à la fin. Puis je suis parti à Serramire avec mon petit oiseau bleu, pour qu’elle ne voit pas cela…Quel beau voyage…Elle est tellement belle, votre soeur…Je la voulais…Tellement, si vous saviez…Quelle femme…Seulement, c’est bien la fille de son père. Elle est venue ici, dans une tenue si provocante que j’ai bien cru que mes braies ne tiendraient jamais le choc…Elle m’a fait mal…si mal. Cette petite perle…Elle est fabuleuse.

Il regarde Dante, une curieuse lueur dans les yeux :

- J’en aurais fait ma femme, je lui aurais appris toutes ces choses de l'amour qu’elle ignore encore, c’est ce qui fait d’elle un si merveilleux cadeau. Elle agit avec son petit instinct d’oiseau vengeur, et elle fait ça très bien…Elle m’a fait bien plus mal que votre père. L’homme qui l’épousera sera bienheureux…Mais..Ce ne sera pas moi. Tant pis…Votre père a mis fin à tout ceci…Quelle tristesse. Avez-vous d’autres questions, Monsieur ?

La politesse, c’est important. Toujours.

Geoffroy lève un sourcil, un peu surpris par la question.

- Je ne me souviens pas avoir jamais senti la moindre odeur d’alcool en tout cas…et il vient régulièrement oui…Je ne peux pas vous donner une fréquence précise, je ne sais même pas quel jour nous sommes ni si c’est le jour ou la nuit…Tout ce que je sais c’est qu’on est en hiver parce que j’ai froid et que…que je n’ai pas souvent l’occasion de me remettre de ses visites.

Ce qui est l’exacte vérité. Elazar ne fait pas que le prendre, il le bat aussi, rudement. Parfois les deux en même temps. Quand il ne s’adonne pas à ces caresses indécentes que son prisonnier apprécie tant, maintenant…Mais ça, il ne le dira pas, il ne l’avouera jamais.

- Et peu importe ce que vous pensez de nos façons péninsulaires de voir les femmes. J’ai gouté aux charmes de l’Estrevent. J’avoue que l’un dans l’autre, les femmes s’équilibrent. Ici ont-elles au moins le bon goût de se taire. Et si elles manquent de goût, ma foi, il n’y a rien de tel qu’une petite « discussion » afin de rétablir les choses…Si vous me suivez. Et quoi que vous en pensiez, je ne fais rien qu’être honnête. Dire la vérité. C’est ce qu’il me serine à longueur de temps, quand il est ici…Alors… ?

L’approche de Dante le fait froncer les sourcils, il recule contre le mur et détourne le visage. Le murmure de cet homme immense hérisse les poils de sa barbe, tandis qu’un mauvais frisson désagréable lui parcourt le dos. Le souffle un instant coupé, il ne ferme pas pour autant les yeux mais il écoute. Et ce qu’il entend…Il regarde alors Dante, interloqué.

- Comment ça, vous aider ? De quelle façon ?

Le baiser, aussi ténu soit-il, le fait se raidir avant qu’il ne grogne, dans sa barbe :

- Je sais que je vais mourir. Et je préfère ça à …ceci…, dit-il en montrant les poignets entravés. Mourir, c’est la garantie de ne plus souffrir. Alors oui…j’ai hâte. Et si au passage, vous pouviez lui casser sa canne sur la gueule, vous m’en verriez ravi. Lui remettre une bonne fois sa tronche de pervers à l’endroit…haha, quelle jouissance avant de m’en aller.

Le regard de Geoffroy fixe celui du chasseur, tranquillement. Non, il ne plaisante pas. Oui, il est à nouveau parfaitement honnête.

- Autre chose ?

- Cet homme…Il reste toujours fidèle à lui-même. Il y a des jours où il est plus brutal, des jours où il est moins violent…

Et il y a des jours où il serait même presque doux. Presque. Et ce sont ces jours là les pires. Quoiqu’il en soit, il a une faiblesse oui. Elle est évidente, elle crève les yeux et elle est aussi jolie qu’un petit bouton de rose. Belle et pleine d’épines.

- Et si par faiblesse, vous entendez quelque chose qui pourrait l’obliger à se plier à votre volonté…Alors oui, il en a une.

Le vieil homme glisse le long du mur, un vague sourire rêveur flottant sur les lèvres minces. Une faiblesse toute en courbes et en beauté, une femme du Nord, à la peau pâle et au regard de velours. Une femme qui ignore tout de sa séduction et qui pourtant l’utilise si bien, sans même s’en apercevoir. Qu’est-ce qu’il l’a désirée, Louise. Si fort. Si intensément. En a-t-il rêvé, de ce jour où elle serait enfin à lui…Il s’était imaginé tellement de choses, tellement de possibilités, tellement de fantaisies charmantes et perverses à la fois…Il inspira profondément avant de lever les yeux vers Dante.

- Vous devriez l’observer quand Louise est avec lui. Il ne la quitte pas des yeux. Jamais. Je ne les ai vu que deux fois ensemble…Et cela m’a suffi pour comprendre.

Le regard qu’Elazar a jeté à sa fille lorsqu’elle l’a frappé et pratiquement étouffé avec son collier…Il y avait de la fierté dans ce regard là. De la fierté et autre chose qu’il n’a pas su définir, tant la douleur a été terrible. Innocente mais pas naïve, la petite garce. Elle savait très bien où frapper pour faire mal. Et ça lui a plu, au vieux, il l’a vu. Un vieux rire fourbe s’échappe alors de sa gorge. Un rire plein de cynisme, totalement ironique.

- Dire qu’elle va m’exécuter parce que j’ai voulu l’avoir pour moi tout seul. C’est drôle…Quant à vos « pleiks », j’ignore ce que c’est mais si on doit se revoir lui et moi, nous serons égaux. Et là…là il fera moins le fier, c’est une certitude.

La vengeance dans une autre vie…Après tout pourquoi pas… ?

- Savez-vous si les cuisines sont à l’heure du repas ? J’ai faim…

Geoffroy ne se pose pas tellement de question. On lui offre de la nourriture, il la prend. Il la renifle toutefois pour s’assurer qu’il s’agit bien de viande comme il le prétend et hoche la tête avant de hausser les épaules.  

- On nous servait ça en pleine guerre, autrefois. Ça tient au corps. Merci.

Il mord ensuite dedans, mastiquant longuement tout en se demandant quelle bête a bien pu fournir une viande pareille, si fine et si tendre malgré la sécheresse. Il engloutit littéralement le premier morceau et mange le second plus lentement, sous le regard de Dante.

- Quelque chose vous amuse.

Non mais que dit-il ? Le goût des… ?

- … ! C’est une plaisanterie ??

On dirait bien que non. L’attitude de cet homme là devant lui est explicite : il était tout à fait sérieux. Une effroyable nausée révulse l’estomac de Geoffroy qui se dirige vers le seau d’aisance, pour rendre tout ce qu’il vient d’ingérer, le souffle entrecoupé de plaintes. Quand son estomac sera vidé de son contenu, il restera contre le mur, les yeux mi-clos, livide, murmurant enfin :

- Cette famille de dégénérés…Depuis le père jusqu’aux enfants…

Une quinte de toux immonde lui soulève à nouveau le cœur.

- Allez-vous en, laissez moi tranquille. C’est assez de devoir supporter les tourments de votre père. Allez-vous en.

Il eut alors une pensée pour Louise. Développera-t-elle, elle aussi, avec le temps, les travers de ce sang vicié ? En son cœur, il espère que oui. Parce qu’il sait. Il sait ce qui couve sous le velours noisette, il l’a déjà vu, même si elle fait de gros efforts pour le cacher. Elisabeth le savait, elle aussi, et c’est bien pour cela qu’elle ne laissait jamais sa fille sans occupation, tout comme elle s’arrangeait toujours pour qu’elle ne soit jamais trop contrariée tout en étant couvée. Mais…que reste-t-il comme garde fou à Louise, désormais ? Aaron. Et combien de temps restera Aaron quand il verra ce qui gronde dans ce petit corps délicieux ? Geoffroy en a un sourire. Un affreux sourire teinté de vomissures.

- Sortez d’ici. Vous me dégoutez. Tous.