L'amour chante sa symphonie et les festivités font danser [libre]

Favriüs, premier mois de printemps
An 18 du XIe Cycle

Radwëdh penche la tête sur le côté, étudiant son tableau et incapable de décider si elle devrait peindre la robe en bleu ou en vert, deux couleurs que Caeda adore. Le problème, c’est qu’elle doit se décider bien vite puisque le mariage de sa cousine a lieu dans deux jours et cette peinture est un cadeau qu’elle tient à lui faire. Cela fait un mois qu’elle puise dans sa créativité sans limites pour lui faire une œuvre parfaite en plus d’aider à l’organisation de la réception. Douée pour ce genre de chose, Radwëdh s’est empressé de se proposer, plutôt excitée à l’idée de mettre la main à la pâte, tout en lui préparant un présent qui lui permettra de décorer sa future demeure. Peut-être qu’un jour, ce sera à son tour de se marier. Pour l’instant, l’elfe vit un bonheur par procuration à travers le regard pétillant de joie de sa cousine, qui lui avait annoncé cette nouvelle des mois plus tôt.

Concentrée sur sa toile, elle ne se rend pas compte que c’est maintenant le milieu de l’après-midi. Son front se plisse et certaine qu’elle a un rendez-vous, elle jette un œil à son calendrier. Les fleurs! Voilà ce qu’elle doit faire! Elle doit s’assurer qu’elles conviennent pour les festivités. Elle doit aussi rendre visite à sa cousine et finaliser les dernière touches sur sa robe avec d’autres membres de sa famille. Pestant contre sa fâcheuse manie à s’égarer dans ses songes, elle s’empresse de retirer son tablier et de se laver les mains tachées de peinture. Elle pique ensuite une course jusqu’à l’herboriste local en premier, espérant ne pas arriver en retard.

***

Caeda jette un dernier coup d’œil à sa robe dans le miroir, tout sourire aux lèvres et le cœur bouillonnant d’allégresse, mais aussi d’une certaine nervosité; c’est aujourd’hui le grand jour et bien qu’elle se sente prête à partager le restant de sa vie avec celui qu’elle aime, de faire ce grand pas la fait tressaillir d’émotions diverses et nouvelles. Ayant l’œil pour les jolies choses, sa cousine a fait un excellent travail avec les dernières touches de sa tenue verte, très simple et légère, qui rappelle Kÿria. Les épaules sont dénudées et les manches ne sont en fait qu’un long tissu transparent ayant la même teinte verte que la robe. Une traîne de ce même tissu, maintenu par des broches argentées au bout de chaque épaule, tombe gracieusement derrière. Malgré la simplicité, Radwëdh a su ajouter une touche d’originalité en lui confectionnant une ceinture avec des broderies argentées représentant des branches de vignes en floraison et qui s’entrecroisent. Elle ne remerciera jamais assez le soutien de sa cousine ni de toute sa famille durant tous ces mois de préparatifs. Cela fait une ennéade qu’elle n’a pu profiter de l’étreinte de Kelvhan et elle a cette impression que l’attente a été bien plus longue que cela. Maintenant, ce matin même, elle peut enfin le retrouver et parer de beaux habits en plus.

Ses parents entrent finalement et c’est le signal pour l’elfe qu’il est temps de se rendre au sanctuaire pour la cérémonie du mariage, pendant que les festivités ont déjà commencées pour les citadins.

Arrivé au lieu de culte, Caeda entame son entrée, fébrile et accompagnée par la prêtresse de Kÿria qui lui fera office de marraine. Un chant clair s’élève durant la procession et si elle peut entrevoir sa cousine, sa famille et les autres invités, elle n’a d’yeux que pour son futur mari, qui se tient déjà à l’avant, aussi beau qu’un coucher de soleil, mais aussi rayonnant qu’un soleil du midi.

L’adepte d’Arcamenel pose un doux regard sur le premier des amants ayant mis le pied dans le sanctuaire. Il est heureux pour lui et pour elle aussi, comme pour chaque couple qu’il a pu marier jusqu’ici. Il essaie de se montrer rassurant. Il est lui-même marié depuis bien des années alors il comprend parfaitement ce que doit ressentir le jeune homme qui attend sa promise depuis maintenant neuf longues journées. Ce mélange fébrile d’excitation et d’appréhension. On n’oublie jamais ce sentiment que l’on ne ressent qu’une fois aussi intensément.

Son regard se tourne une demie seconde vers l’assemblée joyeuse. Leur joie est très certainement égale à celle du reste de la cité. C’est toujours comme ça, une telle cérémonie emplit de joie même les cœurs les plus durs. Y a-t-il plus beau qu'une union de deux souffles,mis à part est la venue d'un enfant pour couronner celle-ci ?

Soudain, la future épouse apparait aux côtés de l’elfe qui parrainera leur union, la Main de Kÿria en personne. Lui, serviteur du Barde, se met à chanter d’une voix claire et sans la moindre fausse note. D’habitude il aime s’accompagner d’un instrument de musique mais il tient à faire les choses bien pour un tel évènement alors il n’y a que sa voix qu’on entend.

Les amants peuvent s’en apercevoir au bout de quelques vers, la chanson qu’il entonne est une chanson d’amour qui n’est rien d’autre qu’un clin d’œil à leur propre couple, un reflet de leur histoire. Il est particulièrement fier de lui sur ce coup-là, il a secrètement demandé conseils aux proches du couple afin que la surprise soit totale pour eux.

Il chante jusqu’à ce que la demoiselle se retrouve face à son futur époux, alors seulement sa voix se tait l'espace de quelques instants. Ils forment un parfait couple, ne peut-il s’empêcher de penser l’espace d’une demi seconde.

Même perdue entre d’aussi nombreux Souffles, même étant partie dans le but de partager avec deux promis ce qui devrait être leur grand moment, l’esprit de Kaëlistravaë avait du mal à s’arracher à ce qu’avait dernièrement été sa propre expérience de vie. Les hauts enivrants. Les bas dévastés. De jouissives ascensions et de terrifiantes chutes. Depuis qu’elle avait retrouvé l’élu de son cœur, sa vie n’avait été que virevolte et chaos. Bien loin de la stabilité qu’elle s’était elle-même construite durant son existence en Ardamir jusque-là. Et pourtant… et pourtant elle ne pourrait être plus heureuse. Malgré les inquiétudes qui étaient les siennes à toute heure du jour. Aujourd’hui, elle pouvait se vanter – en plus de La Mère, de L’Amant et de La Voilée, en plus d’un époux aux épaules larges comme le monde – de pouvoir compter sur tout un peuple pour la soutenir au courant de ses épreuves.

Tout cela, il n’y avait pas une seconde qui passait sans que Kaëlistravaë s’échine à tenter de le rendre. Faire de son mieux, toute consort qu’elle puisse être,  pour être la Reine que mérite Anaëh. Faire de son mieux pour être reconnue comme une oreille attentive, une conseillère patiente, une douce confidente, une figure maternelle, s’il on osait le dire. Être l’exaltée féminité, pendant naturel à l’intensité virile de l’Aran. La soie à sa rugosité. La Lune à son Soleil.


Tant d’efforts pour canaliser une nature pourtant déjà sienne. Tant d’effort pour cultiver la générosité dans laquelle elle avait été élevée, et malgré tout, voilà déjà des ennéades, des mois, un peu plus de deux ans, que l’esprit de Kaëlistravaë n’arrivait plus à se détacher totalement de ses propres préoccupations. Et à voir le sourire de la joyeuse petite enfant dans les bras de sa mère, décrivant avec ferveur tout ce que son vocabulaire encore rudimentaire lui autorisait ; à voir son ventre déjà prenant de nouvelles replètes rondeurs, comment pourrait-on lui en vouloir ?

Seulement aujourd’hui n’était pas son jour à elle. Aujourd’hui était le jour de deux autres, de deux autres pour lesquelles elle voulait tout simplement être heureuse. Bien qu’il faille tout de même se l’avouer, assister à l’union d’autres n’était pas sans lui rappeler ce que ce jour avait représenté pour elle.
Alors elle était d’autant plus heureuse pour les futurs époux et d’autant plus heureuse pour elle-même. Car quand bien même celui avec qui elle partageait sa vie n’avait pas pu l’accompagner, l’atmosphère n’en restait pas moins pour elle qu’un heureux bain de joyeux souvenirs. Une bouffée d’air printanier au sein d’une Anaëh faussement calme.

Tu as du mal à rester en place et Eryvïnn, adossé à l’arbre au centre de votre maison, te regardes passer et repasser, un sourire aux lèvres.

« On va nous attendre. » Tu t’arrêtes net et Pôdcalen sors sa tête de sa cachette dans l’arbre, une feuille dans la bouche et une patte enroulée autour d’une lettre. Mais cette fois tu n’y fait même pas attention.
« Alors aides-moi à retrouver ma couronne. »
« Laquelle? » Les poings sur les hanches, tu le regardes en haussant un sourcil. Tu t’arrêtes alors qu’un mot allait passer tes lèvres. C’est que tu commences à le connaître ton époux et cette scène te donne une désagréable sensation de déjà-vu. En effet ce n’est pas la première fois qu’il te pose cette question, adossé au tronc, les bras et les jambes croisées, un sourire narquois accroché aux lèvres. Alors pour t’éviter une moquerie que tu sais va arriver tu lèves une main et tu sens les vignes au-dessus de ta tête.
« T’aurais pu me le dire plus tôt. » Grommèles-tu dans un murmure, plus pour toi qu’autre chose. Cela dit tu sais très bien qu’Eryvïnn l’a entendu, parfois tu te dis que la Mère n’aurait peut-être pas dû vous donner une ouïe aussi fine.
« J’aurais pu mais alors j’aurais loupé ton expression bougonne et c’est hors de question. »
« Un jour tu vas me tuer. » Tu soupires avant de l’enlacer et tu fermes les yeux, profitant de sa présence, de sa main qui passe dans ton dos pour te serrer contre lui.
« Tu peux pas mourir avant moi, tu sais très bien que le voile ne me va pas du tout. » Tu confirmes d’un hochement de tête dont la vitesse se calque sur celle des battements de son cœur. « Par contre mon amour il faut vraiment qu’on se mette en route. »

Tu dois admettre qu’arriver en retard à une cérémonie que tu es sensé mener, ou du moins dont tu es sensé être témoin, avec un prêtre d’Arcamenel. Surtout que c’est toi qui t’es proposé pour t’en charger ; sans nouvelles de tes frères et sœurs partis à Naélis tu n’as toujours pas le cœur de fêter ton anniversaire mais tu ne peux pas refuser non plus une occasion de te changer les idées et de profiter d’un rassemblement d’elfes. Comme à chaque fois, tu échanges quelques mots avec Eryvïnn alors que vous vous souvenez de votre mariage et en voyant la robe de la mariée, comme à chaque fois, tu regrettes de ne pas demander à un artisan de refaire celle que tu as porté pour ton mariage ; au final à chaque fois tu ne le fais pas parce que tu sais que tu ne la porteras jamais, cette fameuse robe, et que tu n’as pas envie de faire travailler quelqu’un pour rien. Les siècles l’ont emportée et seuls tes souvenirs et ceux de ton époux t’assurent que l’un des jours les plus beaux de ta vie fut bien réel et non pas les restes d’un rêve merveilleux qui s’accroche à ta conscience même après ton réveil.

Mais ce jour n’est dédié ni à ton mari, ni à toi. Tu rejoins Caeda et tu la serres dans tes bras en guise de salutations. Excitée, tu ne peux t’empêcher de retarder légèrement la cérémonie en complimentant sa robe. Mais tu es rappelée à l’ordre par les parents de la mariée et vous avancez en direction de l’Estel, devant lequel attendent le marié et le prêtre d’Arcamenel. Tu avances d’un pas léger, les yeux fermés car tu n’en a pas besoin pour te déplacer dans Harmalaica, tu tends les oreilles pour profiter pleinement des chants de la Symphonie et celui de l’adepte d’I Lend et tu ne sais pas si c’est voulu de la part de ce dernier mais les deux semblent se répondre.

Une fois que les deux futurs époux sont enfin réunis, tu lances un regard à Eryvïnn que tu n’as pas de mal à trouver dans la foule et tu vois qu’il a le même sourire, un peu idiot mais joyeux, que toi sur le visage. Tu fais un pas de côté pour laisser toute la place au prêtre d’Arcamenel afin qu’il remplisse son rôle capital.

Les oreilles de Radwëdh bougent au son de la Symphonie et l’elfe a un peu de mal à se concentrer sur la cérémonie. Elle aimerait en comprendre les notes, mais comme d’habitude, elle ne peut que profiter de la mélodie, se balançant doucement au rythme apaisant, mais jovial des chants. Elle ne peut s’empêcher de sourire de toutes ses dents dès qu’elle voit sa cousine s’avancer vers l’Estel, belle comme un printemps en fleur. Près d’elle se trouve ses mères, se tenant la main, sereines et se jetant parfois des regards amoureux. Radwëdh se surprend ensuite à se demander si un jour elle trouvera quelqu’un avec qui passer sa vie. Les joues roses de Caeda et cette joie qui émane de ses traits lui donne envie de trouver sa moitié. La peintre est toutefois patiente; pourquoi bousculer le tout? Si personne n’a encore ravi son cœur, c’est que ce n’est point le moment. Pour l’instant, l’elfe vie donc un bonheur par procuration.

***

Enivrée par la beauté de son futur mari et par le compliment qu’elle a reçu sur sa tenue, Caeda s’avance toujours, tentant de ralentir le pas au même rythme que la Haute-Prêtresse de Kyriä; poussé par l’excitation de tenir enfin la main de Kelvhan et de profiter de son étreinte, l’elfe semble se mouvoir d’elle-même avec rapidité.

Une bouffée de bonheur lui remplit le cœur lorsqu’elle entend les chants du prêtre d’Arcamenel s’élever à travers la nature qui les entoure; les souvenirs de leur première rencontre, ces innombrables promenades dans les jardins publics à s’ouvrir l’un à l’autre et leurs intérêts communs n’ont faits que sceller davantage leur union. Caeda pose une main sur son cœur, bercée par la mélodie et par ces chants relatant ces fragments de leur vie à tous les deux avant qu’ils ne décident de s’unir pour toujours. Malgré le léger retard, le début de cette cérémonie est parfait et l’elfe ne peut demander mieux; enfin, cette longue ennéade sans Kelvhan est passée et tous ceux qu’elle aime sont présents ici, pour assister et l’accompagner durant l’un des plus beaux jours de sa vie. Toujours escortée par la Haute-Prêtresse, Caeda se place finalement en face de son futur mari, tout aussi souriant qu’elle. Les battements de son cœur s’accélère lorsque la Haute-Prêtresse s’écarte pour laisser le prêtre d’Arcamenel entamer la cérémonie officielle d’union. Il n’y a plus de retour en arrière, mais elle est prête et s’accroche au regard scintillant de Kelvhan.

Le prêtre souris lorsque les deux amants du jour se font enfin face. Sa voix s’est tue un instant laissant la symphonie seule chanter.

 Par des gestes doux, il vient quérir la main de la jeune femme puis celle du jeune homme et pose cette dernière sur la première, paume contre paume. Pour accompagner son geste, il évoque à nouveau leur histoire commune. Cette fois par des paroles simples mais efficaces. Il évoque aussi leur futur. Ce qui sera si l’Amant et la Mère en décident ainsi. Puis lorsque son second récit se termine, il attrape une tresse multicolore qui reposait jusqu’ici sur un petit piédestal. Il la tend au-dessus des mains unies.

-Entends, Arcamenel, leur coeur à l'unisson.
Voit, Ô Amant Céleste, leur désir d'union.
Aujourd'hui, devant nous, dévoile les sentiments
de Kelvhan et de Caeda
Aujourd'hui, devant toi, ils demandent humblement
Écoute, Amant Céleste, car ils chantent ton Nom
Donne leurs, Arcamenel, ta bénédiction.
Frères et Sœurs, enfants de la Mère, chantez sans fin
Pour unir deux êtres qui n'en formeront qu'un.
Emplissez vos cœurs de joie, chantez l'amour
Qu'il brille haut et clair, librement, pour toujours.
 
Alors le prêtre porte son attention sur Kelvhan.

-Fils, toi qui porte ton cœur haut devant les Dieux,
Fils, toi que Kÿria observe aujourd'hui en ces lieux.
Fils, toi qui demande l'appui d'Arcamenel le Barde.
Ce souhait est-il guidé par ton seul vouloir? »

Et lorsqu’il répond, l’elfe au cheveux blond hoche la tête et se tourne vers Caeda.

-Fille, toi qui porte ton cœur haut devant les Dieux.
Fille, toi que Kÿria observe aujourd'hui en ces lieux.
Fille, toi qui demande l'appui d'Arcamenel le Barde;
Ce souhait est-il guidé par ton seul vouloir ? »

Elle aussi répond. Alors à nouveau l’air solennel du serviteur du barde se fend d’un sourire et il pose la tresse sur les mains des amants.

-Alors réjouissez-vous! Que les dieux soient témoins
De celui et de celle qui offrent ici leur main
De celui et de celle qui la reçoivent en gage.
 Reconnaissez cette main qu'on vous donne librement
Car c'est elle qui demain, aux côtés de la vôtre,
Tracera pour vous deux un avenir commun.
Chérissez cette main comme elle vous chérit
Car son seul touché apaisera vos peurs
Car nulle autre que celle-ci ne ravira vos cœurs.
Elle sèchera vos larmes de tristesse ou de joie
Et un beau jour viendra, si Kÿria le veut,
Où elle se posera sur le front d'un enfant
Qui comprendra le monde, avide et innocent,
À travers l'amour qu'il lira dans vos yeux.
Cette main qui vous apaise, cette main qui vous protège
Renouvelant vos promesses à chaque frôlement
Jamais ne faillira même les siècles passant. »