Un nouveau foyer [Pv Sinieth]

Aegden était dans le même état qu'elle. Il fallait dire que c'était si inattendu, si soudain... Elle rit... Sans le vouloir, elle rit de voir son compagnon pleurer autant qu'elle, de verser autant de larmes de joie. La Mère des elfes n'aurait pu leur faire de plus beau cadeau. Arcamenel les avait réuni et Elle avait approuvé cette décision en les unissant à tout jamais avec cet enfant. Un enfant conçu dans une période si sombre... Une vie créée quand la mort régnait. C'était un message magnifique. Et ils en étaient les porteurs.

Les mains posées sur les avant-bras de son compagnon qui avait lové son visage dans ses paumes, Sinieth pleurait toujours. Tout en riant parfois nerveusement.

-Nous... Nous allons peut-être garder nos meubles finalement. Suggéra-t-elle dans un nouveau rire amusé alors que ses propres mots lui semblaient si surréalistes.

Elle avait à peine commencé à regarder ce qu'il y avait dans les tiroirs de cette chambre d'enfant afin de faire une liste détaillée de ce qu'ils allaient donner à une autre famille. Mais tout compte fait, ils allaient tout garder afin de préparer l'arrivée de leur propre bébé.

Un bébé.

Un bébé...

A son tour, la jeune femme porta ses mains sur le visage de son compagnon pour lui caresser les joues et les sécher.

-Kÿria nous approuve... Réalisa-t-elle avant de pencher la tête pour poser son front sur le sien.

Elle avait déjà eu plusieurs compagnons et, se sachant difficilement fertile du fait de sa proximité avec les elfes, elle n'avait jamais pris grand soin de se prémunir contre une éventuelle grossesse. Et d'ailleurs, rien ne s'était jamais promis. Mais avec Aegden, il n'avait pas fallu longtemps pour que le miracle se produise... Ils avaient à peine essayé, sans même penser à engendrer une progéniture, que c'était fait. Et le fait qu'elle venait juste de changer de culture ne devait pas être une coïncidence. la Déesse Mère l'attendait de ce côté de la frontière.

Serait-ce elle qui aurait soufflé à Arcamenel de mettre son grain de sel entre eux ?

Mais alors qu'ils étaient tout à leur bonheur, un grincement se fit entendre dans le couloir. Celui de cette planche entre les deux chambres libres. Sinieth écarquilla les yeux en réalisant que son père était toujours là. D'un geste délicat, elle posa ses mains sur celles d'Aegden afin de retirer les siennes de son visage. Puis elle se mit debout et se rendit prestement dans le couloir. Andrea était en train de descendre sans plus faire de bruit, laissant le couple seul.

-Attends !

L'androgyne s'arrêta au milieu des marches et se retourna paisiblement. Ses traits rayonnaient avec douceur alors que son enfant le plus âgé allait enfin connaître la joie d'être mère.

-De combien suis-je enceinte ? La question fit sourire le paternel.
-Un peu plus d'un mois.

Le calcul était vite fait... Cela ne pouvait correspondre qu'à une seule date : la toute première fois où ils avaient fait l'amour. Les indices de l'acte de Kÿria se succédaient.

-Cet enfant est pratiquement un elfe. La naissance sera pour début d'année prochaine. Ou fin de cette année s'il est pressé de vous rencontrer.

Si Andrea n'était pas un mage de la Vie comme les autres, il s'y connaissait parfaitement en grossesse. Nombre de fois, il avait accompagné les filles qui travaillaient pour lui afin qu'elles mènent les leurs à terme. Il était même présent pour les aider à mettre leur enfant au monde puis les soigner, elles et leurs bébés. Il se doutait que sa fille ne voudrait pas de lui. Cependant...

-Il est en bonne santé. J'espère que j'aurais l'occasion de voir auquel de vous deux il ressemble le plus.

Ce n'était pas une requête, mais seulement un espoir. Même si Sinieth finissait par l'accepter dans sa vie dans les ennéades à venir, il n'était pas dit qu'il soit encore en Anaëh au moment de la naissance. Il avait deux enfants à charge et, si l'occasion se présentait de les ramener à leur mère, il devrait les raccompagner.
Devant le regard plein de gratitude de sa fille après les précieux renseignements qu'il venait de lui donner sans avoir eu besoin de les réclamer, il se retourna à nouveau et reprit sa descente, prévoyant de les laisser seuls pour le reste de la soirée.

-Merci Andrea.

Aegden avait rejoint Sinieth dans le couloir lorsqu’elle avait fait mine de se lever et d’apostropher son père. Malgré les dernières larmes et la joie irrépressible qui étreignait son cœur Aegden fit de son mieux pour reprendre un peu de sérieux et se montrer sincère envers l’elfe blanc.

-Merci pour tout.

Il n’avait pas fait que leur ouvrir les yeux ce soir en particulier. Sans l’androgyne il n’aurait peut-être jamais pu retrouver sa compagne après ses derniers ennuis. Il l’avait soigné et avait pris soin d’elle. Il avait décidé de le faire chercher et de lui faire confiance sans jamais l’avoir rencontré. Si le couple pouvait passer la soirée à pleurer de joie, c’était aussi un peu grâce au vaani.

Et le soldat le laissa finalement partir, accusant encore le coup de ces révélations. Il aurait probablement besoin de plus d’une soirée pour ça…

-Je ne te laisse plus prendre de risque jusqu’à ce que notre enfant soit né. Il plaisantait à moitié en reportant son attention sur la jeune femme. Si tu as besoin de quelque chose même si je travaille viens me chercher ou demande à un soldat de le faire. Je ne suis jamais loin sans le faire savoir de toute façon. Tous les deux vous restez au calme. Pas de sources de fatigue inutiles.

Se connaissant et étant du genre protecteur en règle générale, il savait pertinemment qu’il aurait tendance à vouloir mettre sa compagne dans un cocon. Mais avait-il tort au final ? Sinieth avait affronté la guerre en étant enceinte. Elle avait couru d’immenses risques pour elle et l’enfant qu’elle portait sans même le savoir. C’était un miracle de plus que l’un et l’autre soient en parfaite santé.

Ne souhaitant pour le moment pas s’attarder sur cette pensée effrayante, il lui prit la main et la guida dans cette chambre qu’ils avaient cru ne jamais utiliser tel quel. Il observa alors la pièce avec plus d’attention que lors de leurs premières visites. Un instant sa mains libre vint s’attarder sur le bois clair d’un berceau et il eut l’air pensif. Il essayait d’y imaginer un bébé gazouiller. Son bébé.

Soudain, les trois mois qu’il restaient avant son arrivée lui semblèrent immensément long autant qu’incroyablement courts. Il était terrifié et il avait hâte en même temps. Il se remit à sourire.

Sinieth rit de nouveau, avec tendresse.

-Rassure-toi. Si j'avais su, je n'aurai jamais pris tous ces risques.

Participer à la guerre était une porte d'entrée en Anaëh pour elle. Certes, elle y aurait été admise de toute manière mais risquer sa vie aux côtés de son nouveau peuple lui traçait une voie dorée pour s'intégrer. Cependant, elle avait fait tout cela en pensant ne mettre qu'elle en danger... Si elle avait eu conscience de la vie qui couvait en elle, elle se serait rangée à l'avis de son compagnon et serait restée à l'abri. Non pas pour elle, mais pour leur bébé.

Aussi émue et réjouie que son cher et tendre, elle l'accompagna dans cette chambre jusqu'alors ignorée. Ils allaient devoir la préparer. C'était du travail supplémentaire pour eux qui en avaient déjà tellement. Mais si Sinieth s'épuisait aussi aisément, il serait peut-être bienvenu pour elle de prendre un peu de recul et de se préserver. D'autant que, théoriquement, elle ne faisait pas partie du culte de Tari. C'était un devoir moral qui la poussait à apporter son aide.
La jeune femme vint étreindre le bras du militaire en pleine rêverie, posant sa joue sur son épaule pour regarder dans la même direction que lui. Elle avait vu nombre de bébés naître dans sa famille mais jamais le sien... Elle posa de nouveau l'une de ses mains sur son ventre et étira un sourire qui traduisait autant sa joie que ses doutes.

Était-ce bien réel ?...

-Je vais devoir me dégager du temps...

Pour se reposer. Pour préparer l'arrivée du bébé. Pour se rendre au Temple de Kÿria. Pour se procurer des vêtements qui iront avec ses rondeurs grandissantes... Et puis, c'était son premier. Elle avait tant de choses à apprendre. Aegden, de son côté, avait beaucoup de travail, une fonction à assumer. Il ne pouvait pas tout lâcher comme ça. Elle, en revanche, pouvait aisément réduire sa charge.

-J'espère que les personnes que j'accompagne comprendront...

Si elle était enceinte de plus d'un mois, alors ils pouvaient d'ores et déjà en parler. Les risques qu'elle le perde était minime... Surtout s'il était en bonne santé. Et, s'il était toujours en elle, c'était qu'il devait être bien accroché alors qu'ils avaient affronté une guerre tous les deux.

-Et j'apprécierai d'autant plus que tu puisses rentrer plus souvent. Ajouta-t-elle pour évoquer de nouveau l'idée du bureau, déposant un baiser sur son épaule. Nous pourrions t'installer dans le salon-bibliothèque avec balcon finalement. La pièce est bien assez grande.

-Ils comprendront je t’assure. Aegden était sorti de sa torpeur et fixa à nouveau sa bienaimée. Avoir un enfant est la plus belle chose qui puisse arriver à un couple. Aegden sourit à nouveau. C’était bien entendu leur cas, c’était évident et il n’avait pas besoin de le préciser. Mais c’est aussi un évènement pour toute la communauté. Ce n’est pas pour rien que ce sont à nos enfants que sont dédiés les plus importantes de nos fêtes. Si on ne s’entraide pas dans ce genre d’évènement, est-ce qu’on peut encore se considérer comme des fils de Kyria ?  Il marqua une courte pause avant de reprendre. Je te promets que j’essaierais de travailler ici quand c’est possible. Il rit doucement. Je ne suis pas discret quand j’ai quelque chose en tête, tu peux être certaine que mes camarades vont vite comprendre et me pousser eux même chez moi si jamais je me montre un peu trop zélé. Ça aussi ça fait partie de l’entraide anedhelle.

Non pas qu’il ait envie de se tenir délibérément loin de sa compagne et de son futur enfant, bien au contraire. Cependant il ne se rendait pas toujours compte du temps qui passait, sans parler des impératifs liés à sa fonction. Même s’il ne laisserait jamais tomber l’armée, il en était incapable, il ferait en sorte de passer un maximum de temps avec sa famille et personne ne lui en voudrait. La guerre était finie et ses camarades savaient se débrouiller sans lui.

-En parlant de dégager un peu de temps, j’aimerais allez prier devant l’Estel dans les jours à venir, si tu veux venir avec moi. On pourrait en profiter pour demander un peu d’aide, des conseils ce genre de choses aux prêtres de Kyria ? Il passa une main dans ses cheveux roux. Je sais bien qu’on a un peu de temps avant que le bébé arrive mais…

Machinalement il s’amusa à mouvoir le berceau de droite à gauche. Si Sinieth aurait besoin de temps pour se préparer à tout cela, c’était aussi le cas du soldat. Il n’avait jamais eu de frère et sœur, ni été réellement en présence de nouveau-né. Il n’était pas certains de savoir comment s’y prendre avec des bambins et il voulait être prêt pour son propre enfant. Un instant il vint à regretter de ne pouvoir présenter cette immense nouvelle à ses propres parents. Ne pas avoir de modèle lui faisait presque peur. Il fixa à nouveau Sinieth, un nouvel éclat dans le regard.

-Je veux que tout soit parfait pour lui. Je veux être à la hauteur.

Courir, se battre il savait faire. Être le chef d’une milice, il avait fini par savoir-faire. Mais être père, comment savoir ?

Sinieth avait vu tant d'enfants naître qu'elle en oubliait que c'était une chose rare chez les elfes. Cependant, elle-même n'était pas totalement une elfe. Et même si personne n'avait trop eu le temps de le découvrir, elle n'était pas née en Anaëh. On pouvait donc douter du fait que son sang soit totalement éternel. Sans compter qu'elle venait seulement d'arriver, elle avait encore une place à se faire au sein de la communauté. Et, déjà, elle réclamait du temps pour elle, pour élever son enfant. Un enfant qui ne serait peut-être pas totalement un elfe lui non plus ?

Mille questions l'habitait mais elle adressa malgré tout un sourire à son compagnon. Il n'était pas nécessaire qu'elle se fasse un sang d'encre alors que rien de tout cela n'était arrivé jusque là. Et puis, elle n'avait pas non plus totalement achevée ses démarches pour devenir une anedhelle à part entière.

-Bien sûr que je viendrais. D'ailleurs... Il faudrait peut-être que je me renseigne pour... une conversion ? Et peut-être... Une cérémonie du Choix ?

Elle se glissa dans ses bras avec douceur, entourant son buste pour l'étreindre doucement.

-Je voudrais faire les choses bien, moi aussi. Et si le fait de participer à cette guerre a donné un peu de légitimité à mon installation ici, je crois que mon insertion ne serait pas complète sans cela. Notre prière sera l'occasion d'en parler.

Sinieth reposa sa tête sur l'épaule d'Aegden, sereine. La soirée s'annonçait bien différente de ce qu'ils avaient imaginé. Il leur fallait encore réaliser la nouvelle. Et puis, en parler. Il y avait tant de choses à régler et à penser que la jeune femme eut l'impression qu'elle ne parviendrait jamais à se souvenir de tout. Ni qu'ils auraient le temps de tout faire. Cependant, elle se garda d'en parler à son compagnon pour ne pas l'accabler davantage. Elle savait que les femmes réalisaient plus rapidement l'arrivée d'un premier enfant que les hommes. Cela tenait au fait de pouvoir le porter en elles et le sentir, sans doute. Et puis, si elle libérait son emploi du temps, elle pourrait prendre le temps de se renseigner, de prendre des notes, de s'organiser...

C'était une nouvelle vie qui commençait pour eux. Encore... Une vie bien plus heureuse encore que celle pour laquelle la jeune femme avait quitté son pays d'origine.