Le vêtement n'est-il pas l'armure de la chair ?

Deuxième ennéade de Favrius, An 18 du XIeme cycle, Thaar

Depuis l'aube des temps, ou du moins la création de la cité de Thaar, les riches et les pauvres étaient séparés. Les premiers trônaient, seuls mais puissants, dans leur immenses palais. Les seconds étaient parqués, à peine mieux lotis que les esclaves qu'ils côtoyaient. Telle était la vie de la tentaculaire Thaar, rude, étonnante, terrible et chatoyante. Hommes et femmes suaient et saignaient, n'offrant que leurs larmes comme seuls regrets, pour le plaisir des plus riches. Cette structure était inchangée depuis des millénaires car il existait deux choses : l'espoir et l'esclavage.

L'espoir de sortir un jour de la gangue éternelle dans laquelle on pataugeait, de pouvoir rêver à autre chose que la bière âcre et la viande de chien rôtie des auberges de la ville basse. Celui qui réussissaient pouvoir alors dormir sur ses deux oreilles, avec des gardes (plus ou moins) loyaux pour veiller sur sa vie. Et même s'il devait finir égorger, cela serait dans des draps de soie. Enfin venait les esclaves, cette caste honnie de tous. Devenir moins que le chien d'un homme était l'humiliation suprême, l'anathème par excellence de cette société. Ne pas être un esclave était une fierté en soi. L'homme simple chérissait sa simple liberté et se considérait mieux loti. Cette illusion calmait les ardeurs des plus pauvres, les empêchait de se retourner contre leurs maîtres.

Telles étaient les pensées d'Ophelia alors que son palanquin avançait avec une certaine grâce dans les rues des Soieries. Le vacarme du bazar de Thaar était si diffus que l'on se croyait dans une autre ville. La jeune femme s'émerveillait toujours de la métropole de l'Ithri'Vaan. Ashaï avait ses atouts et ses charmes mais rien ne pouvait se comparer à Thaar. Sa ville natale possédait aussi des quartiers cosmopolites et une population conséquente mais palissait face à sa voisine. Ophelia aimait Thaar et l'Ithri'Vaan. Plus que tout, elle voulait régner et apporter sa pierre à l'édifice thaari. Ce n'était certes pas la raison principale qui l'amenait ici aujourd'hui, l'affaire était principalement un grand achat d'esclaves pour ses tanneries, mais elle espérait plus de la part d'une Princesse Marchande telle que Maralina Irohivrah.

Pour préparer cette première rencontre, Ophelia avait revêtu ses plus atours. Une longue robe, tout à fait décente, d'une belle couleur plume réhaussée sur le col et les manches de fourrure de renard argenté. La seule folie à cette mode péninsulaire était la longue fente sur le côté de la robe, dévoilant ses jambes à l'occasion. Elle portait d'ailleurs de jolies bottes de monte, tannées et parfumées de même que ses longs gants de daim. Sa chevelure, qui d'habitude était simplement attachée, avait été soigneusement huilée et coiffée en une épaisse couronne dont s'échappait quelques boucles rebelles et de belles épingles en jade. La belle Moyra avançait à la tête du palanquin, suivie de la pupille d'Ophelia, elle aussi vêtu de goût. La quinzaine de gardes, mélange de mercenaires et d'hommes au service de la famille depuis des années, complétait cette riche procession. Si on oubliait les serviteurs évidemment. Malgré tout, lorsqu'ils arrivèrent face au palais de la princesse marchande et qu'un garde s'avança, ce fut Ophelia qui ouvrit le rideau du palanquin et s'adressa à l'homme, preuve de respect ultime envers son illustre hôte.

Je suis Dame Ophelia de l'Aiguille Dorée, marchande d'Ashaï et maîtresse de la compagnie de l'Aiguille Dorée. Je suis ici pour rencontrer Dame Maralina pour affaires, elle m'attends en ce jour.