À la fin de l'aventure, le héros rentre chez soi | Clémence

À la fin du mois de Favriüs de l'An XVIII du Onzième Cycle,
Cantharel, Marquisat de Sainte-Berthilde, Royaume de Péninsule.

Après de si longs jours et de si longues nuits à arpenter des territoires qu'il ne connaissait que de nom, des murs familiers se dessinaient à l'horizon. Même les plus grands amateurs de voyages, d'aventures et de découvertes ressentaient la joie et l'excitation à l'idée de revenir chez soi. Et, pour Andran comme pour tant d'autres, cela ne pouvait se résumer qu'à un sourire. Un intense voyage s'achevait enfin, et, jusqu'à ce que la gloire l'appelle de nouveau, il pourrait ranger épée et armure. Sa monture avançait d'un pas lent en cette fin de trajet, la ville de Cantharel émergeant toujours plus de l'horizon tel un lieu sacré gage de salut.

Parti en hiver, le chevalier fut heureux de retrouver sa ville chérie sous un jour nouveau, plus agréable et plus chaleureuse, en cette douce journée marquant le début d'une nouvelle saison. Des portes jusqu'au cœur de la ville, l'affluence se faisait bien plus importante qu'en hiver, bien que les températures se voulaient parfois capricieuses. Posant un pied alourdi par sa lourde armure de plates, Andran conclut son trajet jusqu'à sa demeure à pied. Son cœur palpitait d'excitation mais également d'anxiété. Il s'agissait de leur première longue séparation depuis qu'ils avaient fait le choix de partager leur vie sous un même toit. Mille interrogations traversèrent l'esprit du chevalier : l'avait-elle bien vécu ? Quelle serait sa réaction lorsqu'elle le reverra ? Acceptera-t-elle toujours les départs de son compagnon ? Il en finit même par se demander si Clémence serait bel et bien là. Pourquoi n'aurait-elle pas profité de l'absence de son chevalier pour s'absenter également ?

Une fois devant le portail protégeant sa demeure, il porta un regard sur le ciel pour vérifier qu'il n'était pas encore tard, et ouvrit les grandes portes en fer. Le printemps avait redonné éclat à sa demeure, et notamment aux buis et fleurs qui ornaient l'entrée de sa maison, elle qui était tristement terne lors de son départ, en plein milieu de l'hiver. Il conduisit Nirazam, sa majestueuse jument, aux écuries, où elle put retrouver son fidèle ami, Sessiz, le cheval de Clémence. Elle n'avait donc pas quitté les lieux. Ce n'était pas son genre de fuir sans un mot, mais cela l'apaisa de savoir qu'elle était là. Il retira la selle de son destrier, s'empara de toutes ses affaires, puis entra à l'intérieur, chez lui. À peine la porte d'entrée franchit, il bascula la tête en arrière et se satisfit d'être enfin de retour, de sentir une odeur familière, et il savait qu'il pourrait profiter d'un peu de repos bien mérité pendant quelques jours, si ce n'est quelques ennéades.

Si, d'ordinaire, il se serait empressé d'ôter son armure, il n'en fit pas de même cette fois-ci, posant son casque, son bouclier, et le reste de ses affaires au pied d'une commode, se mettant en quête de trouver celle qui enchantait ce lieu en son absence. Il commença ses recherches dans les cuisines, puis le salon, et c'est lorsqu'il s'apprêtait à la quérir à l'étage qu'il l'aperçut au beau milieu de leur jardin. Comme l'hiver cédait sa place au printemps, et que Clémence avait vécu assez longtemps dans une région agricole, cela lui parut presque évident de la trouver là-bas. C'était bien pour cela qu'il avait acheté cette demeure et pas une autre, d'autant plus qu'il était lui-même féru de botanique. Il franchit la porte menant au jardin, et admira sa belle, qui, malgré ses mains et sa robe probablement maculés de terre, n'en était pas moins sa princesse.

« Clémence… » l'appela-t-il d'une voix douce, pendant qu'il s'approchait d'elle. Lorsque son regard vint rencontrer le sien, il ne put retenir plus longtemps un sourire radieux. Ils parcourent ensemble les derniers pas qui les séparèrent et se laissèrent aller à une longue et puissante étreinte. « Vous m'avez manqué… » laissa-t-il échapper, prolongeant la dernière syllabe, bien que sa voix était étouffée par l'épaule de Clémence, dans laquelle il avait plongé sa tête. Lorsque leur embrassade prit fin, ils prirent quelques minutes pour se regarder droit dans les yeux avant de s'embrasser. « J'ai rêvé de ce moment depuis de trop nombreuses nuits. Je suis heureux qu'il se réalise enfin. »

Les mains dans la terre, vêtue d'une des premières robes qu'Andran lui avait achetée, Clémence s'attachait à rendre l'arrière-cour un peu plus présentable. Tant qu'il faisait froid, elle avait travaillé à l'intérieur. Atelier de peinture, verniss, disposition de meuble, couture de rideaux... Elle était parvenu à finaliser une chambre d'amis avant les beaux jours. La salle de bain, en revanche, avait nécessité l'intervention d'un artisan. Mais, avec le retour du soleil et des températures plus clémentes, la jeune femme avait commencé à flâner un peu dans ce petit espace clos. Elle avait alors pris le temps de constater tout ce qui s'y trouvait, tout ce qui était à refaire... et tout ce qui ne lui plaisait pas. Alors, sans même s'en rendre compte, elle avait commencé à désherber les pavés, à retourner la terre dans les carrés dépourvus de plantes et à penser à comment rendre ce petit kiosque un peu plus sympathique. Elle avait même pris le temps de s'occuper de l'avant de la demeure afin de la rendre plus présentable et accueillante.

Le temps qui passait, elle ne le comptait pas. Elle ignorait quand son compagnon rentrerait et préférait ne pas y songer... Cela lui semblait moins lourd à porter ainsi. Sans quoi, elle aurait eu l'impression de mourir d'impatience et ne voulait pas passer ses journées à se languir devant une fenêtre de la devanture.

Ce jour-là, elle plantait des plans déjà fleurit, ceci afin de gagner plusieurs précieuses ennéades avant que cet espace ne se retrouve coloré par les teintes fleurs. Elle avait choisi des roses d'un rouge chatoyant qui devraient s'accrocher à l'arche métallique qui surplombait l'une des allées. Alors qu'elle donnait les derniers coups de pelles pour tasser la terre, les pots vides reposant à côté d'elle, elle entendit une voix derrière elle. Son premier réflexe fut de se figer en comprenant que quelqu'un était entré mais elle reconnut bien vite la voix et elle se tourna vers le chevalier. Elle le dévisagea d'un air ébahi et se releva tandis qu'il approchait. Elle resta immobile jusqu'à ce qu'il la rejoigne, incertaine...

Est-ce un rêve ?

Puis il la serra dans ses bras. Elle sentit sa chaleur l'entourer, sa lourde armure se plaquer contre elle et son odeur lui chatouiller les narines.

Ce n'était pas une rêve... Il était bel et bien rentré.

La petite pelle tomba bruyamment sur les pavés avant qu'elle ne passe enfin ses bras autour de son cou pour l'étreindre de plus en plus fort à mesure qu'elle réalisait. Il l'embrassa et elle répondit à ses baisers, incapable de lui dire quoi que ce soit. Leur étreinte s'acheva sur un aveu de la part d'Andran qui lui confiait le nombre de fois où il avait songé à ce moment.

-Pas moi... Rétorqua-t-elle du tac au tac, la voix nouée par un sanglot et une larme perlant sur ses joues souriantes. Parce que j'ai préféré ne pas songer à ce moment avant qu'il ne vienne... Pour que le rêve ne produise qu'aujourd'hui.

Son sourire se fit plus large encore. Elle caressa son visage, retrouvant le contact de cette barbe qu'elle connaissait si bien. Un nouveau sanglot de bonheur l'étreignit dans un rire puis elle vint l'embrasser à son tour, avec force. Lorsqu'elle retrouva son regard, elle vit quelques traces de terre qu'elle avait laissé sur ses joues. Il était vrai qu'elle était toute sale... Et, même si lui n'était pas tellement mieux après son voyage, elle fit mine de vouloir les effacer.

-Désolé, je vous ai barbouillé. Elle regarda sa tenue et tenta de reprendre contenance après cette effusion. Et si nous nous changions ? Nous pourrons discuter confortablement à l'intérieur. Le bœuf en sauce sera bientôt prêt et je fais toujours trop à manger...

Clémence avait appris à cuisiner pour nourrir un régiment de chevaliers... Alors elle ne faisait pas beaucoup les courses. Une session de cuisine la nourrissait pour plusieurs repas. Le retour d'Andran lui permettrait de varier les menus un peu plus souvent...

Entendre sa voix exotique et chantante pour la première fois depuis des lustres le fit frissonner. La logique des choses aurait sûrement préféré que ce soit elle qui vienne de loin, et pourtant elle n'avait pas quitté cet endroit depuis longtemps. Si une voix avait manqué dans cette maison, c'est bien celle du chevalier, qui pourtant avait le même accent rugueux et rocailleux de ses comparses nordiens. Il avait beau le savoir, cette radicale différence entre leur voix respective ne cessait de l'étonner lorsqu'ils venaient à se revoir après une longue séparation. Pourtant, cette voix orientale sonnait le son d'une trompette lui annonçant qu'il était bel et bien de retour sur ses terres. Il était bel et bien chez lui, et ce n'était pas de tout repos, après un si long voyage, et une si longue absence.

« Je suis ravi de voir que vous n'avez pas chômé en mon absence. » admit-il, répondant à ses rires et sourires par les siens. Elle aurait pu se morfondre dans le salon en attendant qu'il revienne, et c'est ce qu'elle aurait certainement fait à une époque. Non. Elle s'était occupée du jardin, peut-être de l'intérieur de la maison également. Elle avait certainement revu Élise, Hans, et les chevaliers avec qui elle s'entendait bien. Ce n'était qu'un début, mais un bon début. « Je ne vous avais jamais vu dans un état pareil, mais je ne suis pas moins nécessiteux que vous de prendre un bon bain. »

Malheureusement, les aventures d'un chevalier ne lui offrait pas toujours le luxe d'être propre. Néanmoins, Andran comme Clémence y étaient certainement habitués… à leur manière. Ni son armure, ni ses vêtements, ni même son propre destrier ne renâcleront à une bonne séance de nettoyage. Malheureusement pour eux, l'être aimé était la priorité du chevalier, et il ne pouvait pas rêver qu'un bon repas chaud et savoureux pour ressentir pleinement le goût de ces retrouvailles. Il s'agira du premier temps d'une bien bonne journée.

Après avoir récupéré ses affaires, Andran et Clémence gravirent ensemble l'escalier menant à leur chambre, là où il put enfin se dégourdir les épaules alourdies par le poids de son armure. Il la posa sur le mannequin dédié à la porter à sa place, et posa son épée et son bouclier sur le râtelier. Ce n'était ni confortable, ni esthétique, et Andran le savait bien : il fallait réellement qu'il leur trouve une salle. Clémence n'était pas une de ses sœurs d'armes, et il y avait peu de chances qu'elle soit charmée à l'idée d'avoir un tel attirail dans une salle qui se voulait plus sobre. Pendant que sa compagne prenait son bain la première, le chevalier prit soin de vider sa besace et de ranger ses affaires. Une fois ceci fait et que Clémence eût terminé de se changer, il prit le chemin de la salle de bain, et s'offrit son premier bain chaud depuis des jours voire des ennéades. Il avait bien remarqué que sa belle avait fait achevé les travaux dont cette salle avait besoin. La chambre avait eu droit à ses quelques retouches également, comme les rideaux et de nouveaux meubles, entre beaucoup d'autres choses. C'est ce qu'Andran avait voulu, et il aura le luxe de lui demander comment elle s'était occupé pendant tout ce temps. C'est avec le sourire qu'il sortit de son bain et se changea, isolant ses vêtements sales des autres pour un lavage intensif. Une fois prêt, il rejoignit sa bien-aimée dans la salle à manger, elle qui avait prit soin de mettre la table.

« Enfin un bon repas chaud… » soupira-t-il d'un air soulagé. Il avait beau être habitué à manger de la nourriture froide, sèche et parfois fade lors de ses voyages, cela ne pourrait jamais remplacer l'appétit qu'il pouvait ressentir pour un bon repas fraichement préparé. « Du sel, du poivre, une sauce… en votre compagnie… Que demander de mieux ? » ajouta-t-il en étirant un sourire sincère. Alors qu'ils commencèrent à manger, Andran rompit très rapidement le silence. Il ne pouvait s'empêcher de poser cette question qui le hantait. « J'espère que… que mon départ n'a pas été trop difficile ? J'ai vu que vous aviez fait avancé certains travaux, comme la salle de bain, et j'en suis ravi, loin s'en faut. Mais… c'est la première fois que… que nous … nous vivons une séparation comme celle-ci et… je voulais savoir comment… vous l'aviez vécu… quotidiennement. » bafouilla-t-il, fuyant son regard immédiatement après le croiser. Il manquait peut-être de tact, mais il souhaitait obtenir par ses mots plutôt que de le préjuger à sa manière de s'occuper en son absence.

Clémence avait retrouvé un peu de prestance. Depuis qu'elle devait assumer le rôle de compagne d'un chevalier haut gradé au sein d'un Ordre religieux, elle avait dû apprendre comment se rendre présentable et se mettre à son avantage. Cependant, ce soir, elle n'avait pas opté pour la mode péninsulaire... Elle avait revêtu une robe de couleur crème. Elle était plutôt simple et faiblement cintrée mais la découpe et les finitions étaient des plus exotiques. Quant à ses cheveux, elle les avait orné de ce même bijou qu'elle portait le jour où il était venu la trouver sur les terres de sa famille.
Depuis l'arrivée d'Andran, elle se sentait plus légère et l'entendre descendre l'escalier avait provoqué un frisson le long de son échine. Elle n'avait plus l'habitude d'avoir une autre présence chez elle... Impossible pour elle de se défaire de son sourire heureux. Elle était aux anges de savoir qu'elle n'était plus seule, de retrouver une compagnie qui serait à ses côtés chaque jour, de se coucher dans un lit qui lui semblerait moins froid... de sentir le regard aimant de l'homme qu'elle aimait sur elle...

Tandis qu'elle mangeait, la belle métisse remarqua vite que quelque chose n'allait pas. Le chevalier ne semblait pas à son aise... Elle s'en inquiéta mais n'eut pas le temps de poser la moindre question qu'il aborda de lui-même le sujet. Elle sembla presque abasourdie de découvrir qu'il se nouait le ventre avec cette crainte qu'elle ait mal vécu son absence. Elle s'avança afin de lui prendre la main, rassurante.

-Je vous l'ai dit : j'ai préféré ne pas compter les jours. Je me suis plongée dans les tâches ménagères et les travaux pour ne pas penser à votre absence. Je ne dirais pas que cela a été facile mais je savais à quoi m'attendre quand j'ai accepté de revenir et de vivre avec vous.

Il avait cru -cela faisait longtemps maintenant- qu'elle lui reprochait d'être chevalier. Ce à quoi elle avait répondu que c'était probablement la chose qu'elle aimait le plus chez lui. Sa dévotion envers les autres, ses valeurs, son sens du devoir... Il était tel que les récits épiques décrivaient les hommes comme que lui. Tous n'étaient pas aussi nobles que lui mais c'était ce qui contribuait à le rendre unique aux yeux de la jeune femme. Alors s'il devait partir des ennéades ou des mois durant, elle l'acceptait... Parce qu'elle l'acceptait, lui.

-Et puis, je n'ai pas été totalement seule. J'ai eu de la visite, de l'aide... Je suis allé au Sanctuaire pour rendre cette aide qui m'était apportée. Et j'ai prié, tous les jours.

Au regard qu'elle lui lança, il pouvait comprendre que ce n'était pas pour elle qu'elle priait. Elle ne rêvait que d'un chose : qu'il rentre sain et sauf. Et si elle devait attendre plus longtemps pour cela, alors soit. Cela l'avait aidée à prendre son mal en patience.

-Mais pour l'instant je ne pense qu'à une chose... C'est d'être dans vos bras cette nuit.

Elle lâcha la main d'Andran pour venir caresser sa joue. Le voir n'était pas suffisant. Elle ressentait le besoin de le toucher, de sentir sa chaleur, ses bras, son odeur... Elle voulait combler ce vide qu'il avait laissé et qu'elle avait entretenu en attendant son retour. Maintenant qu'il était là, elle voulait se jeter à corps perdu dans cette étreinte, se retenant d'aller se blottir contre son buste pour retrouver le battement rassurant de son cœur.

Andran sentit un frisson lorsque Clémence lui prit la main. Dès lors, il ne pouvait que la regarder alors qu'elle lui répondait. Comme depuis le premier jour, il avait tendance à constamment s'inquiéter pour elle, à la surprotéger, à penser qu'elle ne saurait pas se débrouiller seule. C'était le cas à une époque, mais il avait bien du mal à admettre que Clémence était autonome, et encore moins que son statut était un frein à leur relation. Malgré cela, il savait pertinemment que cela était au mieux. Finalement, leur relation n'était pas si différente d'une autre : lui partait à la guerre ou ailleurs, et elle l'attendait en priant, mais en trouvant la force de vivre durant cette épreuve, jusqu'à se réjouir du retour de l'être aimé.

« Je… Moi aussi. » répondit-il en étirant un léger sourire. À son tour, il prit la main de Clémence pour la caresser de son pouce. « Je suis content de savoir que tout s'est bien passé en mon absence, et encore plus heureux de pouvoir reprendre notre vie ensemble. Je me languis déjà l'idée que, ce soir, nous dormirons ensemble une première fois depuis trop de temps. »

S'il n'imaginait pas sa vie sans voyages, combats et autres aventures en tout genre, il avait désormais une raison de ne pas céder à cette tentation. Ou plutôt avait-il une autre découverte à réaliser, puisque sa relation avec Clémence en était toujours à ce qu'il pouvait appeler un “début”. Leur vie commune est relativement récente, et les plus grandes étapes d'une vie de couple n'étaient pas encore franchies. Le mariage, les enfants, entre les deux se nichant le sexe… La maison était le commencement d'une réelle vie commune, et il s'avérait prometteur. Le reste viendrait en son temps, il le savait, mais chaque jour passée sans elle lui donnait l'assurance dont il manquait.

« Et donc, pour aujourd'hui, vous aviez prévu de vous occuper du jardin ? » demanda-t-il, lui qui n'avait plus raison de s'inquiéter. Maintenant qu'il était revenu, il se devrait bien d'aider sa chère et tendre si besoin est, ou même s'il en ressentait l'envie. C'était souvent à l'occasion de ces activités parfois simples et triviales qu'ils avaient partagé, ensemble, la plupart de leurs moments de complicité. « Comme je ne pense pas passer toute l'après-midi avec mes frères d'armes, mais que je leur rendrai visite, je voulais savoir comment me rendre utile auprès de vous. »

Clémence serra un peu plus ses doigts sur ceux d'Andran. Son fin sourire traduisait son bonheur de le retrouver enfin. Car même si elle n'avait pas tenu de calendrier, elle avait néanmoins ressenti le poids de son absence. Se coucher seule avait été plus difficile qu'elle ne l'aurait cru les premières fois. A présent, elle s'y était habituée, bon gré mal gré, et le voir prendre place à ses côtés dans leur lit lui serait aussi naturel qu'étrange.

Le repas reprit son cours jusqu'à ce que le chevalier reprenne la parole, s'interrogeant sur le déroulement du reste de la journée. Il était contraint de rentrer faire un état des lieux de sa mission et prendre des nouvelles de l'Ordre. Il devait donc s'éclipser quelques heures. Quant à l'aider, il était un peu tard pour cela. La jeune femme secoua la tête de droite à gauche.

-Prenez votre temps, j'ai terminé au jardin pour aujourd'hui. Je voulais planter ce que j'avais ce matin pour pouvoir arroser plusieurs fois avant la nuit. Cet après-midi, j'avais prévu de faire un peu de lessive et... je crois que je n'aurais pas besoin de ma prière supplémentaire aujourd'hui.

Elle priait chaque soir, comme à l'accoutumée, mais elle consacrait une prière entière à Andran chaque jour depuis son départ. Maintenant qu'il était rentré, cette mesure était devenue inutile. Elle devrait revoir son programme et, puisqu'il prévoyait de revenir tôt à la maison, elle pourrait sans doute se consacrer directement à lui à la place.

-Si vous croisez Kolgrim ou Elise, évitez de leur parler de leur relation. Ils sont un peu en froid depuis hier... Cela ira sans doute mieux d'ici quelques jours : ils passent leur temps à se brouiller et à se réconcilier. Et chaque fois, ils semblent de plus en plus proches. C'est assez étrange.

Clémence ne précisait pas la façon dont ils se réconciliaient... Ils avaient tous deux un fort caractère. C'étaient des passionnés. C'était la raison pour laquelle ils s'enflammaient aussi aisément en cas de désaccord... et pour se rabibocher. Elise lui racontait l'intensité de leurs ébats sans trop de retenue, provoquant des rougeurs sur les joues de son amie. Elle n'avait pas vraiment l'habitude de parler de ce genre de choses et... cela lui rappelait les attentions d'Andran à son égard deux mois plus tôt. Cette expérience inoubliable qui l'avait surprise autant qu'elle lui avait plu. Ils étaient loin d'avoir vaincu toutes ses craintes mais elle était fière et heureuse d'avoir fait un pas vers la guérison avec son compagnon.

« Comme je sais que je devrai bientôt reprendre mon quotidien au sein de l'Ordre, j'aurais souhaité profiter de ce temps de répit que j'ai à disposition pour le passer avec vous. » avoua Andran en gloussant nerveusement. Après un tel voyage, il ressentait plus le besoin et l'envie de passer un moment de complicité et de tendresse que de camaraderie et de virilité. Et l'Ordre était assez exigeant pour ordonner sa présence assidue dans les jours qui suivent. « Après une telle séparation, il s'agit bien de la première chose dont j'ai envie. »

Finalement, à travers cette longue aventure, Andran avait aussi bien ressenti l'absence de chevaliers qu'il connaissait bien et avec qui il savait s'amuser que celle de sa compagne. Pire encore, ne pas savoir quand ils allaient se revoir, ou même s'ils allaient se revoir, s'était avéré plus difficile qu'il ne l'aurait cru. Et, si Clémence avait quotidiennement prié pour sa sécurité, Andran n'avait pas manqué de faire de même, son souhait le plus cher étant sa ferme volonté de la revoir et de la prendre dans ses bras. Néera s'était montré une nouvelle fois bienveillante puisque ce vœu s'était exaucé… enfin.

Lorsque Clémence évoqua la relation entre Kolgrim et Elise, Andran manqua de peu de rire aux éclats, mais il ne cacha pas un sourire moqueur. Ces deux-là étaient décidément intenables, et imprévisibles et cela l'amusait beaucoup. Cela résidait dans leur caractère, mais surtout dans la nature de leur relation. Nombreux étaient les nobles qui appréciaient la compagnie des petites gens, les deux savaient, au fond, que leur relation était sans avenir. Mais, Kolgrim et Elise étaient passionnés, et la passion emportait son lot d'excès, qu'ils soient positifs ou négatifs. Le bien-être était décuplé, et les disputes se voulaient tout aussi excessives. Mais, si Andran s'était mêlé de leurs affaires une fois, il ne se sentait pas prompt à récidiver.

« Je ne souhaite pas interférer, mais… » commença le chevalier, reprenant son sérieux, qui lâcha un soupir nerveux. « S'ils sont toujours plus proches, comme vous dites, j'ai peur que… lorsque viendra le moment, leur séparation ne soit très douloureuse. » Andran et Reold n'avaient pas voulu se montrer trop durs envers les deux, tant qu'ils faisaient attention à ne pas laisser s'ébruiter les rumeurs et qu'ils tenaient les autres chevaliers à l'écart. Après son départ, il ne savait pas comment Reold s'était chargé de garder un œil sur eux, et encore moins ce qu'Elise avait raconté à son amie. Andran n'avait plus qu'à espérer que les interdits n'avaient pas été bravés. Cela finit par l'inquiéter. « Je verrai bien à leur humeur où ils en sont. Peut-être même que Kolgrim voudra m'en parler, s'il en a déjà pas parlé à Reold. »

Reold et Andran étaient les deux seules personnes avec qui Kolgrim avait parlé de sa relation avec Elise. S'il n'était pas le premier à batifoler à droite et à gauche, il était le premier avec faire cela sous les yeux de ses frères d'armes, et avec leur employé qui plus est. Mais, le caractère de l'un et de l'autre avait obligé le Maître et l'Inquisiteur à prescrire quelques règles, pour éviter qu'Elise ne devienne le jouet des chevaliers, notamment les plus intenables. Ainsi, elle conservait son emploi, personne ne serait sanctionné et les deux pouvaient s'amuser hors des murs du Sanctuaire en toute tranquillité. Mais, comme la discrétion n'est pas le fort des hommes et des femmes passionnés, reste à savoir si le chevalier et la servante ont su faire attention.

« Je verrai bien en temps voulu… Revoir tout le monde me suffira pour aujourd'hui, je pense. J'espère être de retour avant la fin de l'après-midi. »

-Je crois qu'ils en ont parfaitement conscience. Mais Elise semble vouloir en profiter tant que c'est possible. Elle préfère avoir le cœur brisé plutôt que rempli de regrets, selon ses propres mots.

La question avait déjà été abordé entre les deux femmes. Que Clémence ait pris les devants ou que la servante en ait parlé la première n'avait pas d'importance. L'important, c'était qu'elles en avaient discuté et que le contenu de cette conversation pouvait apaiser les craintes d'Andran. A priori, toutes ces pensées étaient bien présentes dans l'esprit des deux amants (ou tout du moins de l'amante) qui se contentaient de vivre le moment présent tant qu'il durait.

Le repas se poursuivit et prit fin. Le chevalier dut alors prendre congé et sa compagne se rendit avec lui jusqu'au hall d'entrée. Là, elle vint se loger dans ses bras et, les mains posées sur son torse, elle se redressa pour venir l'embrasser. Un baiser plutôt long et chargé d'une émotion forte... Un baiser proche de certains qu'ils n'avaient échangé que lors d'un moment si précieux de leur relation. Un baiser contenant le manque qu'elle avait ressenti en son absence et qu'elle ressentait déjà à l'idée de le voir disparaître pour quelques heures de plus. Un baiser qui, elle l'espérait, saurait lui donner l'envie de revenir prestement...

Et ce fut le cas. Alors qu'il lui avait dit qu'il prévoyait d'être revenu pour la fin de l'après-midi, il était rentré bien avant le début de la soirée. Clémence se trouvait alors dans la cuisine, préparant une tarte. Sa lessive était terminée et étendue dans une pièce inoccupée de la maison. Elle avait ensuite revêtu son tablier afin de ne pas salir cette robe provenant de chez elle qu'elle avait choisi pour lui... Pour être telle qu'il l'aimait, assumant ses origines étrangères, mettant en valeur sa couleur de peau et laissant ses cheveux lâchés.
Andran ne savait guère cuisiner mais il resta néanmoins avec elle. Travailler avec lui qui la regardait... La belle métisse lui lança plus d'un regard à la fois heureux et gêné. Et pas uniquement parce qu'il était là. Le baiser qu'elle lui avait donné avant qu'il s'absente était un peu osé et elle ne s'en était aperçue qu'après son départ. Elle peinait donc à le regarder sans que le rose ne lui monte aux joues lorsque, au milieu d'une conversation, le silence se faisait ou que leurs mains se frôlaient lorsqu'elle lui demandait de lui passer un ustensile ou un sachet de farine...

La tarte terminée, il était l'heure de dîner. Aussi passèrent-ils à table le temps que le dessert cuise. Ils dînèrent dans la salle à manger mais, la tarte n'étant pas tout à fait prête lorsqu'ils eurent fini, il prirent le sucré dans le salon, près du feu et avec un jeu de carte.
Lorsque la nuit fut bien installée, il était temps d'aller se coucher. Clémence s'était sentie moins rougir au cours de la soirée... Jusqu'à ce qu'ils évoquent le fait de monter dans leur chambre. Elle en avait envie et appréhendait en même temps. C'était une sensation qu'elle ne connaissait pas et qui la dérangeait. Ce n'était qu'Andran après tout. Mais elle avait bien conscience de comment se déroulait les retrouvailles au sein d'un couple et, même si elle savait que rien ne l'y forçait... Elle ne pouvait s'empêcher de se sentir un peu mal à l'aise parce que... une petite part d'elle avait envie de retrouver ce contact qu'ils avaient eu deux mois plus tôt.

Lavant rapidement les assiettes du dessert, le temps que le chevalier monte et se change, la jeune femme tenta de chasser cette sensation étrange. Cela allait à peu près jusqu'à ce qu'arrivée en haut des escaliers, elle voit la lumière s'échapper de la porte entrouverte de leur chambre. Elle marqua un arrêt puis s'avança. Elle entra, adressa un sourire heureux et gêné à son compagnon tout en refermant derrière elle. Puis elle se dissimula derrière le paravent pour se changer. Elle enfila sa chemise de nuit avant de réapparaître aux yeux d'Andran. Le vêtement était plus léger que ceux qu'il l'avait déjà vu porter, changement de saison oblige. Les bras étaient nus et le décolleté... s'il était loin d'être indécents pour deux amants confirmés, elle le trouva soudainement terriblement provocateur. Elle avait bien tenté de garder son jupon en-dessous, comme elle le faisait avant le départ de l'Inquisiteur, mais cela se voyait et faisait assez moche alors elle avait renoncé et l'avait retiré... Elle se tenait donc devant lui, nue sous un vêtement si léger qu'elle aurait pu sentir un courant d'air. Un vêtement blanc qui se démarquait de sa peau mate, rendant sans doute la vision un peu plus agréable encore.

Le cœur battant, elle vint s'étendre aux côtés de son compagnon après avoir soufflé la dernière bougie de son côté, se glissant sous les draps en faisant en sorte que sa robe ne remonte pas trop haut sur ses jambes. Puis elle se rapprocha de lui pour s'immiscer dans ses bras, comme elle l'avait toujours fait... Fermant les yeux, elle retrouva bien vite un certain apaisement et se blottie un peu plus contre lui. Son odeur l'enveloppa rapidement, aussi sûrement que ses bras, et elle huma profondément le parfum de sa peau qui se dévoilait entre deux pans de sa chemise. Et ses lèvres déposèrent un baiser à cet endroit sans même qu'elle s'en rendre compte...

Chemise de nuit (à gauche):

Andran ne répondit que par un bref hochement de la tête à la remarque, gardant pour lui ses réflexions et ses inquiétudes. Pour ne pas s'en mêler, le mieux était de ne pas en parler. Sans éviter le sujet, lui et Kolgrim n'en parlaient peu, avant son départ vers le Sud, tout comme ils savaient ne pas constamment aborder celui de Clémence, plusieurs mois auparavant. Au final, rare étaient ceux qui évoquaient ces sujets du point de vue sentimental. Certains vantaient leurs exploits quand l'humeur générale s'y prêtaient, mais les chevaliers mariés gardaient leurs épouses loin du Sanctuaire, et Kolgrim en aurait fait de même, avec ou sans les interdits de Reold.

Après un si long voyage, Andran préférerait surtout ne pas y songer, et conserver le maximum de son énergie restante pour Clémence. Bien entendu, il sera content de les revoir, de raconter son aventure, et de prendre tout le monde dans ses bras, mais les entrainements patienteront jusqu'à au moins demain. Le couple termina son repas, et Andran aida sa chère à débarrasser la table avant de partir. Il passa rapidement dans sa chambre pour reprendre son épée, afin de ne pas arriver devant Reold sans aucun symbole de chevalerie, puis prit le chemin de la sortie. À l'entrée, il se laissa aller à un long moment de tendresse avec Clémence comme il en attendait depuis trop longtemps. Et c'est dans un baiser si rare, et pourtant si familier, qu'ils scellèrent leurs retrouvailles, un baiser tel celui qui avait scellé le renouveau de leur relation, en Estrevent. Celui qui procurait chaleur, bien-être, et frissons dans tous le corps d'Andran. Ils restèrent quelques instants blottis l'un contre l'autre, tête contre tête, corps contre corps, les yeux clos, puis se séparèrent à nouveau, cette fois-ci pour beaucoup moins longtemps. Le chevalier prit la route de ce qui était devenu son deuxième repaire, l'Ordre des Marcheurs Austères, dont il était absent depuis longtemps également. En pleine session d'entrainement, les guerriers s'arrêtèrent lorsque leur frère d'armes s'annonça dans la cour. Comme toujours, les salutations commencèrent par des applaudissements, avant de se terminer par une accolade générale. Chaque retour d'un Marcheur Austère se déroulait ainsi, et se poursuivait par les poignées de mains viriles entre le revenant et chacun de ses frères d'armes. Cela peut durer un moment, surtout lorsque tous, ou presque tous, sont présents en période creuse d'activité. C'est lorsque tout le monde retourne à ses occupations, l'entrainement, en l'occurrence, qu'Andran et Reold ont droit à un rapide tête-à-tête avant que ce premier ne reparte chez lui.

« Dis-moi… il n'y a pas eu de heurts en mon absence ? » demanda ce premier, un poil espiègle.
« Non, pas vraiment. Avec le début du printemps, certains s'apprêtent déjà à repartir. Mais… je gère. Rentres chez toi, et… je t'accorde un jour ou deux pour te reposer. » répondit Reold, qui tapa amicalement l'épaule de son ami.
« Deux jours ? » s'étonna Andran.
« Aujourd'hui exclu. Oui, oui, je sais, c'est généreux… mais tout le monde a eu droit à sa période de congé, plus ou moins récemment. Comme ces dernières ennéades n'étaient pas bien actives, j'en ai profité pour laisser tout le monde souffler quelques jours. » commenta le Maître, qui agita les mains d'un air démonstratif.
« Tu en as profité, au moins ? »
« J'y compte bien. Quand on recouvrera de l'activité, j'en profiterai pour te laisser les rênes et m'accorder quelques jours. En attendant, c'est ton tour. Profites ! Tu lui as manqué. » lui souhaita Reold, en lui adressant un clin d'œil.
« C'est réciproque… merci mon ami. Fais-moi signe si tu en as besoin. »

Les deux amis partagèrent une nouvelle accolade avant de se séparer. Andran rentra chez lui, soulagé de pouvoir se reposer quelques jours, et de rester avec Clémence. Il en avait besoin, comme tout chevalier après une longue épopée. Revoir ses camarades lui avaient procuré le plus grand bien, mais il n'était pas prêt à partager avec eux les séances d'entraînement intensives habituelles. Cela était déjà arrivé à certains chevaliers de reprendre trop tôt, et de s'y blesser lorsque les combats se voulaient plus vifs, et qu'ils n'étaient pas prêts. Alors, autant laisser deux jours plutôt que de prendre le risque d'une indisponibilité de plusieurs ennéades. Andran fut de retour avant la soirée, et Clémence n'était même pas encore entrée aux fourneaux. Il haussa un sourcil lorsqu'elle lui demanda de rester près d'elle pendant qu'elle préparerait le repas, et notamment sa tarte, mais il accepta, curieux. Vu son talent culinaire, le chevalier préféra laisser Clémence faire, se contentant de l'assister légèrement. Tiraillé par la fatigue, Andran parvenait toutefois à tenir la conversation autour de choses et d'autres et cela lui faisait du bien malgré tout. Ces instants de complicité lui avaient trop manqué pour qu'il ne se laisse déborder par l'épuisement du voyage. Une fois la tarte terminée et enfournée, le couple passa à table, dégustant un repas animé par la complicité retrouvée entre les deux amoureux, se concluant par quelques parties de cartes le temps du dessert. Une soirée apaisante pour conclure des retrouvailles merveilleuses.

Puis, les ténèbres nuptiaux s'intensifièrent et invitèrent le monde à se coucher. Andran y serait allé plus tôt si Clémence n'avait pas été là, car il avait besoin de récupérer. Pendant qu'il se changea devant leur lit, la jeune femme fit de même derrière son paravent. Il s'habilla d'une tenue de nuit simple, et tira les rideaux de la fenêtre pour amenuiser les rayons du soleil matinaux qui pointeront demain. Alors qu'il s'apprêtait à s'allonger sur son lit, Clémence émergea de derrière son paravent dans une tenue de nuit des plus inhabituelles. Une robe blanche comme les ailes de Néera, laissant son buste et ses bras nus, et suffisamment cintrée pour que, avec un peu d'imagination, le chevalier puisse entr'apercevoir ses jambes ou son ventre. La dernière fois qu'Andran l'avait aperçue dans une tenue légère, le belle estreventine se sentait terriblement gênée, et pourtant celle-ci était moins habillée encore. S'il n'était pas subjuguée par la radiance de Clémence dans sa belle robe blanche, le chevalier se sentirait presque bête de s'être vêtu d'une tenue aussi simple. Sans commentaire, Andran étira un large sourire, la mine charme, puis s'allongea sous leurs draps, rapidement suivi par Clémence. Ils éteignirent leur bougie presque en même temps, et, ils ne purent s'empêcher de se blottir l'un contre l'autre. Andran passa un bras derrière sa compagne pour que sa main trouve son épaule opposée, pendant que sa tête se posa doucement sur ses cheveux noirs. Il sentit la jeune femme se mouvoir, et il ne comprit sa manœuvre que lorsqu'il ressentit ses douces lèvres se poser sur le bout de son torse laissé libre par sa chemise. Il ressentit un léger frisson qui lui arracha un sourire, et il la remercia d'un bisou dans les cheveux, ne voulant pas gêner la position dans laquelle ils se trouvaient. Rapidement, Andran s'endormit, même s'il aurait souhaité partager un dernier geste, mais il se sentait trop fatiguée pour réussir à rester concentré et à faire attention aux réactions de Clémence.

Andran se réveilla peu après l'aube. Cette nuit fut l'une des plus agréables qu'il ait pu passé depuis un certain moment. Un sourire illumina son visage lorsque son regard croisa celui de Clémence, qui l'avait devancé. Sa main vint trouver son visage pour lui caresser tendrement la joue, puis il amena sa bouche à venir à son tour pour l'embrasser. Ses yeux brillaient de bonheur, car il a trop longtemps prié et espéré passer une telle nuit avec elle, et surtout de se réveiller dans ses bras.

« Quel bonheur que votre visage soit la première chose que je puisse admirer au réveil. » glissa-t-il après leur baiser. Doucement, le chevalier approcha ses lèvres du buste de Clémence, et lui déposa un baiser, comme elle l'avait fait la veille à son égard. Il posa son majeur et son index joints au même endroit, comme s'il voulait bénir la chaleur de ce baiser, et releva la tête pour retrouver les iris de la jeune femme. « J'espère qu'il vous aura été aussi agréable qu'il ne l'a été pour moi hier… »

Le baiser de Clémence n'avait pas été suivi de réaction. Andran avait bien rapidement sombré dans le sommeil, laissant la jeune femme seule avec ses émotions. Elle qui avait rougi en se présentant à lui dans cette tenue. Elle qui avait eu grand peine à soutenir son regard toute la soirée. Elle se retrouvait désormais dans les bras de son compagnon, se délectant de son contact tout en écoutant sa paisible respiration. Elle ne réalisait pas encore tout à fait qu'il était rentré. Cela lui semblait si irréel... Cette maison avait été vide durant un mois et demi et, soudain, il était là et leur vie reprenait comme avant... Est-ce seulement possible ?

Plusieurs heures s'étaient écoulées lorsqu'elle était enfin parvenue à trouver le sommeil. La nuit fut somme toute assez calme mais bien courte. A peine les premières lueurs du jour commencèrent à percer à travers les rideaux qu'elle ouvrit les yeux. Et elle put aussitôt constater que la veille n'avait pas été un rêve... L'Inquisiteur était bien là, dormant tel un prince. Il ne tarda pas à se réveiller à son tour et elle lui rendit le sourire heureux qu'il lui adressa. Elle ferma les yeux, profitant de sa caresse puis de son baiser dans un soupir de bien-être. Ces attentions avant même d'être sortie du lit lui avaient manqué...
Aux quelques mots qu'il prononça, elle n'eut pas le temps de réagir. Andran descendit légèrement dans leur lit jusqu'à ce que sa tête de trouve en-dessous du niveau de son cou. Il l'embrassa alors dans cette zone que jamais ses lèvres n'avaient exploré. L'image d'hommes s'étant déjà tenus à cette hauteur sur elle lui revint à peine une seconde avant d'être chassée par une sensation bien différente de celle qu'elle aurait ressenti auparavant. Les lèvres de son chevalier sur sa peau n'avait rien à voir avec ce qu'elle avait connu...

C'était...

C'était...

-J'espère qu'il vous aura été aussi agréable qu'il ne l'a été pour moi hier…

Clémence le regardait sans savoir quoi dire ni faire. S'il avait été agréable ? Oh que oui... Et cette pensée la fit rougir tandis que son cœur se mit à battre plus fort dans sa poitrine. Il se tenait toujours là, un peu plus bas... Et ne montrait pas de signe de vouloir remonter. Mais elle réalisa soudain que les secondes passaient et qu'elle ne lui avait toujours pas répondu.

-Hum... Oui. Enfin... S'il avait été aussi agréable pour vous... Vous ne vous seriez pas endormi.

Il n'y avait aucun reproche dans sa voix. C'était une constatation des plus pudiques. Ce simple baiser ravivait une flamme qu'elle pensait éteinte depuis le départ de l'Inquisiteur. Une sensation qu'elle connaissait encore bien peu malgré l'ancienneté de leur relation mais qu'elle n'avait pourtant aucun mal à reconnaître. Comment le lui dire néanmoins ? Devait-elle même lui avouer ce qu'elle ressentait à cet instant ? Devait-elle lui confier que les prémisses étaient apparu au moment où elle l'avait retrouvé dans le jardin la veille ?
Il n'avait rien remarqué durant les heures qui s'étaient écoulées depuis leurs retrouvailles. Elle s'attendait donc à ce qu'il en soit de même ici et, si une part d'elle était un peu déçue, une autre était rassurée... Leur première expérience de la sensualité ne pouvait à elle seule faire disparaître ses craintes sourdes entretenues par des années et des années de servage.

La remarque de Clémence lui arracha un rire discret. Andran n'avait effectivement pas tardé à s'écrouler tant il était épuisé par ce long voyage. Il avait bien aimé le geste de tendresse que la jeune femme lui offrit la veille, mais il s'était trouvé bien incapable de lui répondre. Pire encore, la fatigue aurait pu amenuiser sa concentration, et il aurait pu être capable de commettre des impairs qu'ils auraient eu du mal à se pardonner.

« La fatigue s'en est mêlée, c'est vrai, mais cela ne l'a empêché en rien de me faire du bien. » répondit-il en opinant de la tête sur son oreiller. Lorsque ses yeux croisèrent ceux de son amour, il ne put retenir un sourire presque espiègle. « Je me sens bien mieux ce matin. »

Une bonne nuit de sommeil suffisait à requinquer un chevalier durement affaibli par une longue quête. S'il lui en faudrait plusieurs pour se sentir pleinement en forme, il était déjà plus radieux ce matin, et cela n'irait qu'en s'améliorant. Le regard toujours plongé dans celui de sa compagne, Andran y lisait comme une certaine forme de désir. Il l'avait ressenti également, hier comme aujourd'hui, même si la fatigue l'avait emporté cette nuit. Pourtant, il hésitait. Et s'il se trompait ? Risquait-il grand chose dans tous les cas ? Il plissa les yeux, comme pour trouver la réponse dans le regard de Clémence.

Puis, après une profonde inspiration, il s'approcha doucement de Clémence et laissa sa main se promener sur son cou et son buste laissés par sa robe. Du bout des doigts, Andran caressa la peau douce et mâte de la jeune femme, espérant attiser un désir déçu la veille. Comme durant cette nuit mémorable, avant son départ il y a deux mois, il avança prudemment, guettant les réactions de Clémence. Ses mains ne s'aventuraient jamais plus loin que ce qui lui était ouvert par la robe de la jeune femme.

Par la suite, ses mains se murent sur le vêtement de la belle estreventine, sans lui réclamer qu'elle le retire, car il était suffisamment fin pour qu'elle sente ses caresses. De son cou et son buste, le chevalier se laissa aller à ses bras et ses hanches, puis son ventre. Il y dessina des mouvements irréguliers pendant quelques minutes, le temps de profiter de tant de volupté dont il a été privé pendant trop longtemps.

Enfin, vint le moment de franchir cette première étape. Andran sentait qu'il fallait presser légèrement le pas. Ce vêtement commençait à ne plus lui suffire, et il voulait sentir pleinement la peau de sa belle. Surtout, il voulait revoir et retoucher sa poitrine, voire progresser. Mais, pour l'instant, le noble poursuivait ses caresses, bien qu'il se montrait de plus en plus insistant…

Clémence plissa légèrement les paupières, semblant ne pas comprendre le regard qu'Andran lui lançait. Qu'y avait-il ? Elle s'efforça d'esquisser un sourire, ignorant si elle devait le faire doux, rassurant, amoureux... Cela lui donnait un air indécis et hésitante. Et elle l'était en quelque sorte.
Le chevalier revint à sa hauteur et, les yeux toujours plongés dans les siens, elle sentit ses doigts effleurer sa peau. Le moment était peut-être ce qu'il y avait de plus simple mais il était particulièrement intense pour la belle estrevine. Allongée dans la pénombre de leur chambre, elle s'était toujours vêtue que de cette robe qu'elle sentait à peine sur son corps. Elle soutenait le regard de son compagnon tandis qu'il parcourrait son décolleté plutôt provocateur à son goût. Elle tentait de contrôler sa respiration, pas tout à fait certaine des intentions de son cher et tendre. Et puis cette main aguicheuse ne se contenta bientôt plus de ce maigre triangle de peau. Elle partit à la découverte de son buste. Il commença très sobrement, tant et si bien que Clémence éprouva de moins en moins le besoin de tempérer ses réactions. Puis il remonta le long de son ventre, lentement. Et son envie revint peu à peu alors qu'il progressait vers sa poitrine de manière aléatoire. Ce petit jeu était une torture... Si une part d'elle redoutait toujours l'intimité de leur relation, une autre désirait le voir continuer, s'aventurer toujours plus haut et même la toucher. Mais faisait-il exprès de frôler la naissance de ses rondeurs ou bien n'y prêtait-il pas attention ?

Les doutes de la jeune femme s'envolèrent quand, enfin, ses doigts adressèrent leur première attention à l'un de ses seins. Alors... il en avait envie ? Et il voyait certainement qu'elle aussi... Elle sentait les rougeurs de ses joues. Elle luttait pour ne pas fuir son regard. Ses propres mains étaient posées sur lui mais pour le moment incapables de faire quoi que ce soit. Même en essayant toujours de contrôler ses réactions, il devait bien voir le désir qui était le sien, sans quoi il n'aurait pas continué. Et dans son regard, elle lisait quelque chose qu'elle avait déjà vu dans les yeux des hommes... Mais en différent. L'envie d'Andran était là mais elle ne ressemblait pas à ce qu'elle avait connu avant lui. Elle l'avait déjà vu lors de leur premier moment d'intimité et il avait cette même étincelle ce matin-là.

Au bout d'un moment, Clémence comprit que le chevalier attendait son aval pour aller plus loin. Un signe plus tangible que ses yeux brillants et sa respiration modérée et vacillante. Alors, après une hésitation, elle posa la main sur celle de son amant, l'invitant à arrêter de cajoler sa poitrine. Puis elle le fit légèrement remonter... et immiscer ses doigts sous le tissu. La bretelle de sa chemise de nuit commença à s'écarter et elle l'invita à continuer jusqu'à ce qu'elle ait dépassé son épaule. Là, elle fit redescendre la main d'Andran afin qu'il repousse ce petit carré de linge plus bas. Toujours plus bas... Et lorsque son sein ne fut plus masqué à la vue de l'Inquisiteur par le tissu mais par sa paume, elle posa cette dernière sur sa peau et ferma les yeux dans un bref soupir avant de chercher aussitôt à apaiser sa respiration.
Elle rouvrit les paupières afin que son compagnon puisse lire en elle. Elle le lui offrait, le laissant libre de reproduire les caresses qu'il y avait faites un peu plus tôt à travers le vêtement. Mais plus il le cajolerait et moins elle parviendrait à retenir ses expressions de désir. Et moins elle en aurait envie aussi... Cette petite part d'elle-même prenant de plus en plus le pas sur celle qui redoutait l'acte de chair plus que tout autre chose.

Andran ne s’était pas trompé. Clémence ressentait, ce matin, ne serait-ce qu’une once de désir, certainement emmagasinée depuis cette fameuse nuit pleine de lascivité. Depuis lors, elle y avait probablement songé, tout comme lui, se posant mille et une question sur ce moment. Comment la deuxième fois serait-elle ? Quand allait-elle avoir lieu ? Pourront-ils aller plus loin, si ce n’est au bout ? Avant son départ, il n’y songeait qu’en félicitant leurs efforts respectifs accomplis. Mais, pendant son départ et depuis son retour, il voulait progresser encore, quitte à franchir l’étape ultime si l’occasion se présentait. Ce matin-même était le moment parfait pour ce faire.

De son côté, Clémence n’avait pas tout de suite réagi aux caresses sensuelles de son chevalier. Elle le regardait, mais il comprenait aisément qu’elle le laissait faire. Il sentait les mains de sa princesse sur lui sans qu’elles ne dessinent le moindre mouvement. Après ces longues minutes de caresses à travers ce vêtement, certes fin mais bien présent, la jeune femme l’invita à passer les mains dessous, et à sentir pleinement sa peau douce de ses mains. Peu à peu, ses mains purent profiter de plus d’espace à mesure que sa robe tombait. Les bretelles glissaient le long de ses bras, et sa poitrine se dévoilait enfin à ses yeux et à ses paumes. Une nouvelle fois. À une heure différente. Si Andran était assez serein depuis le début de cette séance tendre et lascive, sa respiration se faisait plus rapide, son cœur battant la chamade d’excitation. Il repensait à cette nuit, il y a quelques mois, et songeait également à cette nouvelle possibilité d’aller plus loin. Il sentait en lui cette volonté, ce désir, cette pulsion. Elle se faisait plus intense à chaque caresse, qu’elle se dessine sur son ventre ou sur sa poitrine. Et, alors que leur regard était toujours accroché à celui de leur partenaire, Andran s’approcha de Clémence pour l’embrasser langoureusement, une main s’immobilisant doucement sur sa poitrine. Un baiser empli de passion qu’il tenait à faire prolonger quelques secondes pour être des plus explicites. Lorsqu’il arriva à son terme, il s’éloigna si lentement de ses lèvres que Clémence pouvait sentir son souffle chaud et intense sur sa peau douce pendant plusieurs secondes.

Quand leur regard se croisa à nouveau, Andran ne put retenir un large sourire, la façade qu’il donna à certaines craintes qui le hantaient encore. Pourtant, il lisait dans les yeux de sa belle un désir qui se faisait plus présent, comme si elle cessait, petit à petit de s’en cacher. Cela le soulageait, car il savait qu'à cet instant où ce désir se transformerait en peur, il devra s'arrêter. Suite à leur baiser, et alors qu'ils se regardaient toujours, le chevalier reprit ses caresses tendres, en profitant pour conquérir chaque partie de son ventre que sa robe tombante laissait libre. Se rapprochant d'elle une nouvelle fois, il baissa la tête pour lui déposer un nouveau baiser sur le buste, puis un nouveau plus bas, descendant doucement jusqu'à ses seins sans interrompre ses caresses. Il termina sa série de baiser au dessus du nombril de Clémence, à cet endroit même où il posa sa paume comme pour l'y bloquer. Et, sa main fila rapidement comme un songe sur le bas de son ventre, en dessous de son nombril, le bout de ses doigts, comme pour lui demander la permission de s'y aventurer… sachant pertinemment qu'il se rapprocherait dangereusement de la partie la plus intime de son corps…

Le temps n'avait plus court dans la chambre aux rideaux tirés. Sous les mains et les baisers d'Andran, Clémence parvenait de moins en moins à lui dissimuler ce qu'elle ressentait. Sa respiration s'accélérait, son cœur battait plus fort, son corps se réchauffait à mesure qu'il se dénudait. Tout cela, c'était des sensations qu'elle avait déjà ressenti par le passé mais qu'elle ne savait pas encore appréhender. Lorsqu'il vint lui donner son seul et unique baiser de la matinée, elle le serra dans ses bras pour le sentir contre elle. Elle le laissa se détacher à regret, offrant son buste à ses attentions autant qu'à ses regards, si l'envie l'en prenait.
Et puis, le chevalier s'affaissa dans le lit. Il se rapprocha et vint embrasser sa peau. Au début Clémence en eut le souffle coupé et respira de moins en moins alors qu'elle le voyait descendre... et descendre encore... Il était doux et tendre mais elle appréhendait grandement ce contact qu'elle connaissait et qui n'avait jamais rien eu d'agréable pour elle auparavant.

Les lèvres d'Andran atteignirent l'un de ses seins. Et le gravirent ensuite. Lorsqu'elles se posèrent pour la première fois sur ses pointes, elle fut submergée par une vague de peur qu'elle parvint à contrôlée tant bien que mal. Tant et si bien qu'il recommença... Elle put alors ce rendre compte que... cela n'était pas aussi désagréable que cela. Alors elle se détendit un peu et, à la troisième fois, elle se libéra d'un soupir de surprise et de plaisir à la fois. C'était doux et cela attisait son désir en même temps. Elle comprenait enfin l'intérêt d'un tel geste... Alors elle enlaça son chevalier comme elle put, faisant disparaître ses doigts dans ses cheveux et une main dans sa chemise. Elle voulait l'inviter à continuer alors qu'elle sentait sa crainte fondre comme neige au soleil à mesure qu'il l'embrassait à cet endroit.
Mais son compagnon ne se conterait pas de cette approche nouvelle... Au bout d'un moment, il délaissa ses seins pour descendre sur son ventre et s'arrêter à mi-chemin entre sa poitrine et...

De nouveau, la peur saisit Clémence alors qu'elle comprenait sa requête silencieuse. Elle avait pu aller jusque là et il espérait parvenir à aller plus loin encore. Elle comprenait son désir mais elle était partagée entre plusieurs sentiments opposés... Elle aussi aimerait pouvoir se défaire de son passé pour parvenir à sauter ce pas que bien des couples auraient franchis depuis longtemps à leur place. Et en même temps, la vision d'un homme entre ses cuisses lui rappelait tellement de souvenirs... Tellement d'horreurs.
Les yeux ouverts, la belle métisse ne parvenait pas à les baisser, craignant de retrouver une image trop connue et effrayante. Elle respirait fortement, sa poitrine se soulevant à un rythme soutenu. Elle sentait l'air frais de la chambre sur sa peau, intensifié par le récent passage de son compagnon et de ses baisers langoureux. Elle avait redouté de le voir se rendre à cet endroit et pourtant... Le résultat avait été aussi surprenant que délectable. Elle avait plus envie de lui que jamais... Alors... Peut-être que si... elle le laissait se rendre plus bas...

Clémence eut une hésitation. Et une seconde. Finalement, elle récupéra la main perdue dans les cheveux de son amant et vint chercher la sienne. Comme un peu plus tôt, elle guida ses doigts jusqu'à la limite de sa robe et l'invita à passer en-dessous. Puis à descendre lentement le long de ses courbes... Caressant ses fesses tout en les dénudant à leur tour... Elle mourrait d'angoisse et en même temps... d'envie et de curiosité. Elle se raccrochait à la sensation des lèvres d'Andran sur ses seins, se disant que cela ne pouvait pas être moins plaisant s'il se rapprochait du centre du plaisir. Alors, elle lui donnait son accord tacite pour continuer, se livrant entièrement à lui, misant davantage sur sa confiance en lui que sur sa peur et espérant parvenir à surmonter cette dernière.

Ses nombreux baisers sur sa poitrine avaient eu l'effet escompté, même si Andran était forcé d'admettre qu'il n'avait pas été totalement sûr de lui procurer du plaisir. Il avait senti les mains de Clémence venir à lui, notamment celle qui vint trouver sa peau sous sa chemise, ce qui ne manqua pas de le faire frissonner. Si la belle estreventine n'était pas loin d'être totalement nue, lui portait encore son pantalon et sa chemise de nuit. Pendant cet instant de flottement entre sa volonté d'explorer plus bas et l'hésitation de Clémence, il en était venu à se demander s'il ne devait pas au moins retirer son haut. Mais, la jeune femme s'empara de sa main, et l'invita à dessiner un mouvement jusqu'à ses courbes, abaissant toujours plus cette robe qui tenait le rôle de la barrière. L'un comme l'autre n'était pas totalement rassuré par cette situation. Andran se souvenait avoir coupé court à leur dernier instant charnel à ce moment-là, lorsqu'il avait clairement lu la peur sur le visage de Clémence.

Pourtant, il n'hésita pas longtemps à poursuivre ce chemin qu'elle accepta de lui offrir. Certes, elle demeurait craintive, mais le chevalier savait qu'elle ne l'était moins que la dernière fois, et qu'il devait garder un œil sur ses réactions. Il caressa les cuisses de sa belle, avec ce même geste soyeux, et prolongea son mouvement jusqu'à ses fesses, avant de descendre le long de sa jambe jusqu'au creux de son genou. Puis, il répéta le même geste en sens inverse, remontant même jusqu'à son cou afin de pouvoir retrouver son regard et lui embrasser la joue à deux reprises, comme pour la rassurer, et faire évacuer ses doutes. Il ne tarda pas à reprendre ses caresses, de son cou jusqu'à sa jambe sans s'interrompre, avant de dessiner plusieurs allers-retours sur sa cuisse. Il s'amusait parfois à remonter jusqu'à son ventre ou sa poitrine, et laissaient ses mains se balader jusqu'à ses hanches ou ses fesses.

Face aux doutes de Clémence, Andran ne tenta pas d'initiatives, et esquiva les zones proches de son entre-jambe pour ne pas brusquer la jeune femme. Il savait que sa patience paierait, car elle n'avait besoin que d'être rassurée, de comprendre que de tels gestes pouvaient lui procurer du plaisir. Et, à vrai dire, le chevalier pouvait déjà se contenter de ce qu'il avait là. Pour la première fois, il voyait Clémence totalement nue, et surtout, il pouvait le toucher, le caresser, et l'embrasser sans qu'elle ne le rejette. Mieux, elle y prenait du plaisir. Cependant, plus Clémence lui en offrait, plus il en voulait, et l'occasion lui paraissait trop belle pour ne pas gravir la dernière étape. Ce n'est pas pour autant qu'il souhaitait précipiter les choses, et le fait d'en avoir envie ne signifiait pas qu'ils étaient prêts. Andran n'oubliait pas que, s'il n'était à rien d'atteindre l'entre-jambe de Clémence, elle ne s'était pas du tout rapproché du sien. Il était encore habillé, et il avait peur de ternir ce moment en prenant le temps de se déshabiller, d'autant plus que la jeune femme le laissait manœuvrer son corps sans se préoccuper du sien. Les minutes s'égrenèrent sans que le chevalier n'essaie d'en faire plus, et il eût alors une idée. Sa main atteignant le genou de Clémence, il passa ses doigts derrière son creux pour la soulever et la plier. Il apposa sa tête sur son genou pendant que sa main continua de caresser sa cuisse d'un mouvement ample et lascif. De manière plus lente et prudente que ses paumes, sa tête commença également à dessiner une caresse. Son nez assaillait sa jambe de son souffle chaud et rapide, s'accélérant un peu plus lorsqu'Andran déposa son premier baiser sur sa cuisse. À mesure qu'il s'approchait dangereusement de son entre-jambe, le chevalier ralentit la cadence en vérifiant les réactions de Clémence, dont il n'attendait que l'autorisation pour atteindre sa destination…

Les mains d'Andran s'aventuraient sur des parties du corps de Clémence qu'elles n'avaient encore jamais explorées. Mettant de plus en plus à bas son vêtement, la belle finit par ne plus en porter du tout. Sa respiration était courte et parfois même irrégulière. A chaque nouveau centimètre de peau conquis, elle était prise de panique et luttait pour ne pas se laisser déborder. Et puis, plus il allait et venait sur une zone déjà conquise, plus elle lui était acquise. Il était doux et patient, elle le lui rendait par de tendres regards. Et ces mêmes gestes qui l'effrayaient quelques minutes plutôt achevaient finalement de l'enivrer... La conduisant à l'autoriser à aller encore plus loin.
Les deux baisers sur sa joue eurent le mérite de la faire sourire durant ce moment si ambivalent. Malgré la peur qui était la sienne, elle trouvait cet instant très beau. Sa main se posa sur la barbe du chevalier dans un geste tendre. Elle allait bien, malgré tout. Elle produisait d'énormes efforts parce qu'elle savait que cet homme à ses côtés n'avait rien en commun avec ceux qui l'avaient précédé. Il était affectueux, attentionné et se souciait d'elle bien plus que de lui. Et c'était une chance... Car elle se sentait bien incapable de lui rendre ce qu'il lui donnait pour l'instant. Elle avait déjà beaucoup trop de choses à gérer... De nouvelles sensations à appréhender, des angoisses à refouler, une lutte intérieure à modérer... Elle parvenait tout juste à caresser le peu de peau à laquelle elle avait accès par le col de la chemise élargi de son amant afin de lui faire savoir que son désir l'habitait bel et bien. Et uniquement parce que c'était lui...

Andran replia une de ses jambes et elle sentit l'air frais venir l'effleurer entre ses cuisses. Elle écarquilla quelques peu les yeux en le voyant se rapprocher de son genou et sa respiration s'emballa en le voyant porter toute son attention sur le chemin menant à son intimité. Le chevalier avait accroché son regard un peu plus tôt et ne le perdait plus désormais tandis que Clémence, les mains désormais libres, avait saisit les draps de part et d'autre de son corps désormais étendu au trois quart sur le dos. Elle le voyait faire avec tendresse et langueur, s'assurant régulièrement que tout allait bien pour elle. Elle était paniquée à chaque instant de sa progression mais... elle ne l'arrêtait pas. Comme depuis le début de leur matinée, elle était partagée entre peur et désir... Et il pouvait lire les deux dans son regard, tout comme le fait qu'elle prenait sur elle. Pas pour lui... Ou pas seulement. Mais une part d'elle voulait savoir si, comme tout le reste, ce contact autrefois redouté et écœurant, ne serait pas en réalité... délicieux lorsqu'il était réalisé par l'être aimé.
Après les longues minutes durant lesquelles elle l'avait laissé s'approcher de plus en plus près, le moment fatidique était venu... Andran n'attendait qu'un signe d'elle pour franchir les derniers centimètres. Elle avait juste besoin d'un instant supplémentaire... Et puis, finalement, elle reposa sa tête sur l'oreiller. Fixant le plafond, elle ne se sentait plus capable de le regarder tandis qu'elle lui livrait la dernière chose qu'il n'avait pas encore pu obtenir. La dernière partie de son corps qu'il n'avait pas encore explorée.

Durant quelques secondes, le temps se suspendit. Le regard accroché sur les décors du plafond de leur chambre, Clémence était immobile. Consciente que son amant ne devrait pas tarder à l'approcher, elle tentait néanmoins de se concentrer sur autre chose : sa respiration. Au prix d'un nouvel effort, elle l'apaisa, la rendant moins forte et plus régulière. Le fil du jour n'avait plus cours désormais pour elle au point qu'elle était devenu incapable de dire s'il s'écoulait des minutes ou bien des heures tandis qu'elle attendait.

Soudain, son dos se crispa, ses yeux se fermèrent, son souffle se coupa et ses doigts serrèrent les draps un peu plus fort. Andran venait d'appliquer ses lèvres sur son entre-jambe. Elle retenait la vague de terreur qui venait de l'assaillir et tâchait de rester aussi immobile que possible afin de ne pas effrayer le chevalier. Ce n'était pas la première fois qu'elle avait peur devant un contact nouveau... Et si le plaisir qu'elle en retirerait était proportionnelle à la peur affrontée, alors sa volonté ne devait pas céder maintenant.
La sensation se fit moins forte au second contact. Le troisième lui sembla presque agréable. Au quatrième, elle commença à se détendre... Et au cinquième, elle prit soudain une bouffée d'air alors qu'une douce vague de plaisir se distillait dans son ventre. Tandis que son amant continuait, ses traits se parèrent d'une expression bien différente et teintée de surprise alors qu'elle découvrait ce qu'Elise lui avait si souvent raconté. Son corps s'anima de nouveau, ondulant légèrement sous les attentions que son compagnon lui prodiguait. Sa respiration se faisait plus forte qu'au cours de leurs précédents échanges et cela allait crescendo. Elle baissa le regard pour voir Andran l'embrasser sur des lèvres dont il ignorait tout jusque là. Désormais totalement allongée sur le dos, il n'y avait plus la moindre peur dans son regard. Seulement du plaisir, de la surprise et... du bonheur.

Andran s'approchait toujours plus de l'entre-jambe de Clémence, dont il attendait le moindre signal. Un signal d'alerte pour lui intimer de s'arrêter, ou un signal favorable à ce que sa bouche entre en contact avec ses deuxièmes lèvres inaccessibles il y a encore plusieurs mois. La main sur la cuisse de Clémence s'immobilisa alors que son bras soulevait toujours sa jambe, et sa bouche entra enfin en contact avec son intimité. Il y déposa un léger baiser, le premier qu'il ait pu offrir à une femme sur cette partie du corps. La sensation fut étrange et agréable à la fois, comparable au premier regard, ou au premier baiser. Pourtant, elle était différente à bien des égards. Le plaisir charnel de cet instant de volupté procurait une vague de bien-être différent que le plaisir sentimental d'un moment courtois ou chaste. Quoi qu'il en soit, Andran savait que le premier baiser était le plus intense, mais jamais le plus adroit, et il suffisait de voir la crispation de Clémence pour le comprendre. Ou alors était-ce son passé qui resurgissait, si ce n'est les deux. Mais, elle avait confiance en lui, et le laissait manœuvrer. Il devait réessayer. La peur de l'échec s'agrégea à toute cette excitation emmagasinée dans son corps bouillant d'extase, faisant battre son cœur encore plus vite. Sa respiration se voulut encore plus irrégulière et rapide.

Quelques secondes furent nécessaire pour qu'Andran se ressaisisse et se détende. Une fois radouci, il put alors s'essayer à un deuxième contact avec sa fente. Il hésita moins longtemps à en déposer un troisième, puis un quatrième, un cinquième, sa main s'agrippant doucement sur la cuisse de Clémence. Cette dernière voyait sa réaction évoluait de la peur au plaisir, gratifiant ses propres efforts et la patience de son compagnon, le visage illuminé par un sourire. Toute forme de peur s'échappa de son cœur pour ne le laisser profiter que du plaisir érotique procuré par ce contact charnel. Andran poursuivit sa séance de baisers, bien qu'ils se voulurent plus longs et plus intenses. Puis, il prit l'initiative d'y ajouter sa langue à l'occasion d'un énième baiser. Ce détail si peu gracieux dans les racontars graveleux s'avéra être plus agréable lorsqu'il est vécu. Le chevalier sentait le corps de sa compagne onduler de plaisir, alors que ses gémissements se faisaient moins discrets. Non… elle ne gémissait pas. Elle… elle jouissait, car elle y prenait du plaisir. Elle aurait gémi si Andran avait été l'un de ces nombreux hommes qui avaient profité de sa détresse pour l'abuser. Or, elle l'aimait, lui faisait confiance et se délectait de partager un moment intime avec lui car elle y consentait. Et, plus elle y prenait du plaisir, plus il lui offrait des baisers intenses et passionnés, jusqu'à atteindre l'orgasme.

On lui avait souvent conté qu'il saurait lorsqu'une femme prendre du plaisir, et qu'elle atteindrait l'orgasme. Andran avait trouvé cela louche, étrange, mais maintenant il comprenait. Les ondulations de son corps, la jouissance, cette respiration rapide… toutes ces choses dont il ne savait rien, il les vivait pour la première fois. Il les comprenait. Surtout, il les appréciait. Le sexe était une notion abstraite, inconnue pour lui, et un tabou pour leur couple à cause du passé douloureux de Clémence. Peu à peu, cette épisode normal de la vie d'un couple le devenait également pour eux, malgré les difficultés qui les avaient obstrués. Et Andran s'en acclimatait pleinement, poursuivant ses gestes tendres sur son entre-jambe, même si ses mains avaient repris leur activité sur ses jambes et son ventre. Puis, il se redressa légèrement pour retirer sa chemise, et, alors que ses mains retrouvèrent la poitrine de la jeune femme, le chevalier se reposa à côté de la jeune femme. Son torse vint se coller à son épaule, sa main s'agrippa à sa cuisse pour attirer sa belle à lui, alors qu'il laissa sa jambe s'approcha de celles de Clémence. Sa main se posa sur son ventre, puis reprit ses caresses sur son corps et ses jambes, n'hésitant plus à s'aventurer jusqu'à son intimité, bien qu'elle n'osait pas s'engouffrer à l'intérieur. Andran s'approcha encore un peu plus de sa compagne, couvrant son cou de baisers. Devenait-il trop désireux ? Trop capricieux ? Clémence était-elle prête à aller au bout ? À s'ouvrir jusqu'à la dernière étape ? Lui l'était. Lui le voulait. Lui le désirait. Et ses gestes se voulaient probablement trop insistant pour que Clémence ne comprenne pas le message… mais, Andran ne pouvait se permettre de se passer de son consentement.

Clémence soupirait de plus en plus sous les lèvres d'Andran. Si elle trouvait ses baisers envoûtant pendant leur premier moment d'intimité, cela n'avait rien à voir avec ceux qu'il lui offrait maintenant. Car ils ne faisaient pas qu'attiser son désir... Ils lui procuraient du plaisir. Un plaisir qu'elle ne connaissait pas jusque là alors qu'elle avait déjà connu tout cela. Il n'y avait rien de nouveau pour elle ce matin-là... A ceci près que, cette fois, elle était consentante. Cette fois, elle était avec un homme qu'elle avait choisi. Cette fois, cela lui faisait du bien.

Soudain, l'approche du chevalier changea et la belle se crispa légèrement. Non pas parce qu'elle n'aimait pas cela... mais parce qu'elle était surprise. Il continua à l'embrasser langoureusement entre les cuisses et son corps commença à accompagner involontairement ses mouvements de bouche. Ses soupirs se muèrent lentement en gémissements qu'elle essayait d'atténuer en se pinçant les lèvres. Mais c'était si... si...
Soudain, sa tête bascula en arrière et son dos se cambra. Son esprit se dissocia du monde réel l'espace de quelques instants tandis que, sous la langue de son amant, elle jouissait pour la première fois de sa vie. Cela dura de longues secondes avant que son corps ne se détente de nouveau et s'affaisse sur le matelas. Étourdie, elle ne réalisa pas tout de suite qu'Andran retirait sa chemise avant de venir la rejoindre. Il lui témoigna de nouvelles attentions, toujours désireux d'elle tandis qu'il venait de consumer entièrement sa flamme à elle. D'abord, Clémence ne dit rien, pas tout à fait certaine de savoir ce qu'elle ressentait après qu'il lui ait ainsi fait tourner la tête. Et puis, elle pensa à ce qu'une suite à ce moment impliquerait et... son ventre se noua. Elle avait déjà pris beaucoup sur elle pour en arriver-là et elle n'était plus capable de fournir plus d'efforts pour le moment.

La belle métisse posa une main sur le torse de son compagnon et se recula jusqu'à ce qu'il lâche prise. Elle n'était plus vraiment dans l'instant et son regard était perdu au milieu de beaucoup trop de pensées... Elle avait conscience qu'elle lui demandait de patienter encore... Quelques heures. Quelques jours. Peut-être plus...

-Pardon, mais je...

Elle ne pouvait en faire davantage pour le moment. Elle l'avait laissé embrassé sa poitrine... son ventre... Elle l'avait laissé la déshabiller et la dévoiler entièrement à son regard... Elle l'avait laissé caresser ses jambes de ses mains et de ses lèvres... Elle l'avait laissé la lécher entre ses cuisses... Elle était parvenu à se laisser aller au point de lâcher prise. La dernière étape était peut-être minuscule aux yeux d'Andran mais c'était le grand plongeon aux yeux de sa compagne.
Une nouvelle peur saisit la belle alors qu'elle se souvenait d'anciennes réactions de son amant lorsqu'elle l'avait repoussé -certes plus brusquement que ce qu'elle venait de faire-. Elle redoutait qu'il le prenne plus mal encore alors qu'elle lui refusait ce qu'il venait de lui donner...

-Pas maintenant... S'il vous plaît... Je ne peux pas. Je sais... qu'il ne nous reste presque rien pour... Elle ne parvient pas à achever cette phrase, hésitant quelques fois avant de renoncer et de passer à la suite de ses pensées. Mais ce n'est pas... rien... pour moi.

On l'avait tant de fois possédée de force... L'acte qu'il leur restait à accomplir représentait tout ce qu'elle avait subi. Tout ce qu'elle représentait aux yeux de ces hommes. Un objet dans lequel venir se planter pour assouvir son propre désir. Alors oui, son compagnon n'était pas comme eux, elle le savait mais elle espérait qu'il comprendrait qu'elle franchissait les étapes les unes après les autres... et que c'était un grand pas qu'elle venait d'accomplir avec lui. Une marque de confiance, aussi, alors qu'elle s'était laissée aller ainsi. Et, enfin, une preuve d'amour. Parce que s'il n'avait s'agit que d'elle, elle n'aurait pas pris la peine de fournir autant d'efforts.
Partagée entre la crainte de la réaction d'Andran, l'angoisse qui venait de la saisir à l'idée de passer à la suite de leurs ébats et la fatigue émotionnelle de tout de qu'elle avait vécu depuis son réveil, ses yeux se mirent à luire dans la pénombre de cette chambre alors que l'émotion était à deux doigts de la submerger.

Cette fois-ci, ce fut la tentative de trop. Quand Clémence l'éloigna d'une main, Andran comprit qu'ils n'iraient pas plus loin pour aujourd'hui. Bien qu'il s'était préparé à cette éventualité à chacune des étapes qu'ils avaient franchi ce matin, le chevalier se sentait frustré et déboussolé de devoir s'arrêter si près de franchir un cap. Cela était arrivé plusieurs fois durant leur relation, mais il ne s'y habituera probablement jamais. Pour un homme de son rang et si fier, il était toujours difficile de ravaler son ego, et ce n'était jamais agréable d'être ainsi repoussé. Sa mâchoire se contractait pour masquer au mieux sa frustration. Son regard se plissa et s'abaissa sur ses mains croisés devant lui lorsqu'il s'éloigna de Clémence pour se redresser. Andran demeura silencieux un instant face aux excuses de sa compagne, hésitant et anxieux, passant la main dans les cheveux pour essayer de se radoucir.

« Je sais… » finit-il par répondre, alors qu'il tourna enfin la tête pour regarder la jeune femme dans les yeux. Il remarqua qu'elle était au bord des larmes, certainement craintive de la froideur dont il fait souvent preuve, sur le moment, dans ce genre de situation. « Je ne v… » ajouta-t-il, ne concluant sa phrase que par un soupir gêné basculant sa tête vers l'avant.

Ce n'était pas tant le geste que sa soudaineté qui le dérangeait. Malgré tout, Andran ne pouvait pas le lui reprocher, car il comprenait sa réaction a posteriori et sa peur était légitime. Sa frustration passait rapidement, et, comme elle tempérait ses réactions brusques après coup, le chevalier ne lui en tenait jamais rigueur. Ce n'était qu'une réaction orgueilleuse venant d'un noble qui n'a toujours eu qu'à tendre la main pour obtenir ce qu'il veut. Pourtant, si Clémence était au bord des larmes, c'est qu'elle croyait le contraire. La seule peur de l'acte sexuel ne pouvait l'effrayer à ce point… pas avec lui, en tout cas. Et, vu ce qu'ils avaient accompli ensemble, cela paraîtrait dément qu'elle éclate en sanglots.

Le cœur noué, Andran s'approcha de Clémence, allongée et nue, sans dire un mot, et posa sa main sur sa joue pour qu'elle vienne trouver son regard. Il posa son front contre le sien, et passa son bras derrière son dos pour l'attirer à lui, non pas pour lui demander un acte charnel, mais tout simplement pour lui offrir une étreinte chaste et amoureuse. Il la serra contre lui, non plus avec la douceur érotique dont il fit preuve quelques minutes plus tôt, mais avec la force apaisante de l'amant dévoué qu'il était pour sa princesse. Il ne se préoccupait plus de ses cuisses, de son intimité, ou même de sa poitrine qui s'appuya sur son torse, mais simplement de ses larmes et de sa peur. Andran posa sa main sur les cheveux de Clémence, qui vint enfoncer son visage dans le creux de son épaule.

« C'est à moi de vous présenter mes excuser, pas à vous… » avoua-t-il, alors qu'il interrompit leur étreinte pour trouver son regard. Il posa ses mains sur ses joues, balayant le peu de larmes qui s'étaient permises de couler d'un bref coup de pouce. « Nous vivons quelque chose d'extraordinaire, et vous voilà en larmes à cause de ma stupide réaction d'orgueil… » Il baissa le regard, ses mains délaissant ses joues pour s'écraser sur les draps d'un air peiné. « Je pensais sincèrement que nous arriverions à aller jusqu'au bout, et… j'en avais envie… mais… ce n'est pas grave… Je suis conscient de vos efforts, et d'ores et déjà fier de ce que vous avez accompli ce matin. » Il releva les yeux, réajusta une mèche de ses cheveux derrière son oreille et lui embrassa le front. « Vous m'en offrez beaucoup trop pour que je me montre ingrat… alors, ne pensez jamais que je vous reprocherai de dévoiler vos limites. »

Passant le regard sur les jambes nues de sa belle, Andran étira un sourire en admirant la robe blanche qu'il avait repoussé jusqu'à ses pieds. Il tendit le bras pour s'en saisir, et la remonta soigneusement jusqu'à sa poitrine, passant lui-même les bras de Clémence sous les bretelles pour la rhabiller. Il conclut son geste par un doux baiser déposé sur ses lèvres. C'était le mieux qu'ils puissent faire ce matin, et il l'acceptait pleinement. Le chevalier s'est toujours montré patient avec elle. C'était même lui qui avait mis un terme à leur premier moment charnel. Alors, pourquoi il lui reprocherait d'avoir fait de même ce matin ?

« Je vous aime, Clémence. Je suis infiniment heureux d'avoir pu vivre un tel moment de plaisir après un si long départ loin d'ici. »

Lorsqu'Andran s'approcha de nouveau d'elle, Clémence sentit aussitôt la différence dans ses gestes. Elle passa les bras autour de son cou et le serra contre elle tandis qu'il en faisait autant. C'était tout ce dont elle avait besoin à l'instant... De le savoir tendre et amoureux après ce qu'ils venaient de faire, le plaisir qu'il lui avait donné et le refus qu'elle venait de lui opposer. En silence, elle se libéra de quelques larmes, un peu soulagée de le voir rajuster sa réaction et de tenter de l'apaiser. Par les gestes et les mots, il chercha à la rassurer et à lui montrer combien il était satisfait de ce dont elle avait été capable ce matin. Elle l'écouta sans rien dire, lui répondant d'une caresse sur la joue et d'un sourire ému afin de lui faire savoir qu'elle allait bien, malgré tout.

Chose assez inattendue : le chevalier sa rhabilla. Pourtant, après un tel moment d'intimité, on avait tendance à oublier ses vêtements et toute bienséance pour profiter de "l'après". Mais elle appréciait son geste autant que sa significationet se laissa faire, l'aidant légèrement en se mouvant de manière à permettre au vêtement de remonter le long de son corps puis le rajustant, notamment au niveau de la poitrine. Une fois décente, elle passa ses mains dans le dos d'Andran, l'invitant à revenir s'allonger et à la prendre dans ses bras. Elle ne voulait pas qu'il s'éloigne. Pas maintenant. Elle avait besoin de sa présence et de sa tendresse. Elle avait besoin de s'en rassasier pour combler l'angoisse qui l'avait saisie quelques minutes plus tôt et avant qu'ils ne se séparent tout à fait pour entamer leur journée.

-Je vous aime aussi... Dit-elle alors que sa tête est posée tout contre le torse de celui qu'elle peut malgré tout appeler son amant désormais. Vous m'avez tellement manqué. Je... ne pensais pas... pouvoir aller aussi loin. Et... je ne... je ne regrette pas.

La belle estrevine sentit ses joues se réchauffer et elle enfonça un peu plus sa tête dans son buste comme pour s'en cacher alors qu'il ne pouvait pas la voir. Elle n'en revenait pas de ce qu'elle venait de faire... Il l'avait vue nue. Il l'avait embrassée partout sur le corps. Elle avait ondulé sans retenue sous ses attentions. Elle avait même gémi... Elle avait l'impression de s'entendre encore et elle trouvait cela terriblement gênant.

-J'espère... ne rien avoir fait qui... vous aurait choqué.

Elle n'a pas la moindre idée de ce à quoi elle ressemblait pendant qu'il lui donnait du plaisir. Et même si sa réaction était peut-être des plus normale, elle ne pouvait savoir comment il l'avait perçu, lui. C'était ses premières fois avec elle mais aussi ses premières fois tout court. S'il ne saurait lui confier si elle avait eu les réactions habituelles, il était au moins capable de lui donner son ressenti concernant cette expérience.

Au contact de l'être aimé, Andran et Clémence se détendait petit à petit, se remettant de cet instant fort en émotion, et surtout de ce flottement due à sa brusque fin. Il ne restait plus rien, et beaucoup à la fois, à faire pour remédier aux maux de la jeune femme. Pour elle, tout le défi demeurait sur cette dernière étape, et pour lui ce serait la fin de sa longue période de virginité. Lorsqu'il y pensait avec le recul, cela lui paraissait bien plus difficile que lorsqu'il est emporté par son désir sur le moment. Pourtant, si cela se déroulait comme ce matin, il n'avait pas de quoi s'inquiéter. Sa seule crainte était de devoir attendre trop longtemps pour réessayer.

La réflexion de Clémence le laissa perplexe. Ses yeux se plissèrent et ses sourcils se froncèrent, essayant de trouver une quelconque signification à ce qu'elle venait de dire. Pourquoi aurait-il du ou pu être choqué ? Certes, Andran n'avait jamais eu de relation sexuelle auparavant, mais les racontars ou les récits qu'il a pu entendre à ce sujet n'étaient pas bien différents de ce qu'ils venaient de vivre à l'instant. Elle s'était offerte à lui, et lui s'était montré le plus patient et le plus doux possible pour ne pas l'effrayer, et surtout lui témoigner que, même dans une telle situation, un homme pouvait faire preuve d'amour et de tendresse. Et, le moindre faux pas aurait été immédiatement sanctionné. Peut-être évoquait-elle ce moment où elle lui avait donné les clés de son intimité ? Andran se souvenait bien d'avoir fait preuve d'audace et d'initiative lorsqu'il s'en était approché. Il se souvenait surtout des gémissements de Clémence et… son corps tressaillait chaque fois qu'il amenait sa bouche à son entre-jambe. Au départ, la sensation paraissait étrange, sans vraiment l'être, car la première découverte laissait toujours un résultat ambivalent. Il avait fallu attendre plusieurs tentatives pour que le chevalier prenne la main, et bien plus encore pour que le corps de Clémence commence à se contracter sous l'effet du plaisir. Durant toute cette séquence, Andran ne s'est jamais senti dérangé ou choqué par sa compagne.

« Je… je ne crois pas… Au contraire, c'était… une découverte des plus agréables. » répondit-il alors que sa tête opinait légèrement de droite à gauche d'hésitation. Il laissa échapper un gloussement qui le fit sourire. Si Clémence ne mentionnait aucune étape durant laquelle elle s'était sentie mal, c'est qu'il devait avoir bien fait les choses. C'était plutôt encourageant. « Mais… bien que je n'ai jamais vécu cela auparavant je… je me suis jamais senti choqué de quoi que ce soit… »

Jusqu'à maintenant, Andran ne pouvait que se contenter que de son éducation durant sa jeunesse pour savoir comment cela fonctionnait. Par la suite, il n'avait plus qu'à écouter les exploits de ses proches, souvent racontés dans leurs manières les plus facétieuses. D'autres se montraient plus bienséants, mais cela ne rendait pas la chose moins dégoutante et difficile à appréhender. Et ça ne s'est jamais arrangé à mesure qu'Andran tomba amoureux de Clémence, une femme avec laquelle il fallait se montrer doux et prudent. Leur relation n'était pas passionnelle comme l'était celle entre Elise et Kolgrim, et, même si ce dernier lui avait prodigué quelques conseils, Andran savait pertinemment qu'il ne pouvait pas le prendre comme modèle.

« Pour être honnête je… je crois que c'est à vous de me dire si… cela vous a été… agréable… » admit-il, les joues rougissantes de gêne et de peur. C'était sa première fois. Rien ne lui a laissé croire que Clémence n'avait pas pris de plaisir, or il ne pouvait le savoir que par ses mots. « Je… je n'ai fait que suivre mon intuition pour… pour vous faire du bien… mais… » Andran haussa les épaules. En parler était bien plus gênant que le faire, d'autant plus ce n'était pas un sujet qu'il abordait quotidiennement. Il essayait au mieux de se montrer élégant, car le sexe n'était pas une chose qu'il voulait et qu'il pourrait concevoir comme quelque chose de bestial. Avec Clémence, tout était différent. « Mais… il ne s'agit que de la première fois que… nous sommes allés aussi loin donc… si j'ai… si à un moment, vous… il est possible que… cela ait été… différent, ou… moins appréciable… je… je le comprendrai parfaitement… »

Clémence conservait la tête plaquée contre le torse nu d'Andran, préférant la sensation de sa peau et de son étreinte à celle de son regard durant ce moment terriblement gênant qui devait leur permettre de connaître les impressions de l'autre quant à ce qu'ils venaient de vivre. Il était normal qu'ils s'en acquittent, surtout après une première fois. Mais cela rendait les choses plus éprouvantes encore pour le jeune couple.

-Eh bien, je... C'était... J'appréhendais... au début de chacune de vos... initiatives nouvelles. Nouvelles... pour nous.

Elle ne voulait pas penser aux autres ni à son passé. Certainement pas maintenant. Et elle ne voulait pas non plus rappeler maintenant qu'elle n'était pas une innocente pucelle. Cependant, si elle n'était pas vierge du sexe en lui-même, elle l'était de l'acte d'amour. Mais c'était sa manière de lui faire savoir que ses intuitions s'étaient avérées être les bonnes. Il avait fait comme les autres, à ceci près que son approche et ses intentions étaient différentes de ses prédécesseurs. Là où les autres lui avaient écarté les cuisses de force, lui avait demandé permission sur permission. Là où on la léchait autrefois pour faciliter la suite des ébats, lui ne l'avait fait que pour elle... Et là où on l'avait prise de force, lui avait accepté qu'ils s'en arrêtent là.

-J'ai pris sur moi pour vous laisser continuer... Et plus vous répétiez vos gestes, plus je...

Elle sent ses joues devenir cramoisies alors qu'elle abordait verbalement un sujet aussi intime. Elle était certes moins timide dans l'expression de ses émotions quelques instants plus tôt mais en parler une fois le moment passé était très différent. Néanmoins Andran n'aurait pas les réponses à ses interrogations dans des phrases inachevées. Il voulait être certain de ne pas avoir mal interprété ce qu'il avait vu et qu'il n'avait pas mal agi. Il était en droit de savoir qu'il avait été parfait.

-Mes efforts ont chaque fois été récompensés... J'y ai pris beaucoup de plaisir. Se lança-t-elle finalement. Et je... j'ai... je crois que j'ai... joui...

Elle avait prononcé ce mot plus bas. Elle se recroquevilla un peu plus contre lui, dissimulant d'autant plus son visage dans le creux de son bras. Difficile pour elle d'en être totalement certaine sans l'avoir jamais vécu auparavant mais cela ressemblait assez à l'orgasme étant donné que le feu en elle s'était éteint ensuite. Difficile pour elle de l'avouer aussi... Cette fin était pourtant le but de tout ébat... Même lorsqu'un seul des deux la connaissait. Sa gêne était mue par la nouveauté et une certaine forme d'inexpérience quant à ce qu'ils venaient d'accomplir ensemble.

Étonnamment, savoir que Clémence était tout autant gênée que lui rassurait Andran. Cela lui prouvait qu'il s'agissait d'une nouvelle expérience pour elle également. Elle n'était pas tout à fait terminée, car il manquait la dernière étape, mais elle constituait déjà une grande avancée. Il leur faudrait plusieurs nuits ou matinées pour pleinement prendre la main, et ne plus trembler à l'idée de faire l'amour. Pourtant, cette première serait certainement la plus mémorable et la plus éprouvante, car elle marquait le cap franchi. Clémence s'était montrée capable de s'ouvrir, de se dévoiler à nue devant lui, et, malgré le doute, elle avait su se laisser faire. Chacune de ses explications laissa Andran pensif, qui l'écoutait sans la regarder. Lui qui craignait toujours de se montrer maladroit vis-à-vis de Clémence, endolorie par son passé et par ses peurs, il était plutôt ravi d'avoir réussi à passer un moment intime avec elle sans accroc. Sa dernière remarque sur le fait qu'elle est joui lui arracha un sourire et un gloussement.

« Ce… n'y voyez pas quelque chose… d'anormal… ni même de… gênant… » voulut-il répondre, les joues rouges et la voix nouée par l'hésitation. Jouir n'était-il pas le résultat d'un orgasme, du plaisir procuré par un ébat ? Les hommes qui racontaient leurs exploits n'omettaient jamais ce détail, pourtant. Cependant, pour une femme comme Clémence, Andran savait que cela n'était pas quelque chose de courant. « Je… je pense que c'est même une bonne chose… Je… je suis heureux de… de ne pas m'être montré maladroit et… d'avoir su vous procurer du plaisir malgré… malgré mon inexpérience. Ce… cela dépasse mes espérances. »

Pour un homme qui avait accumulé les maladresses depuis le début de leur relation, Andran se sentait sincèrement fier de ne pas en avoir commis une nouvelle à un tel moment, même si cela aurait été assez légitime. Un autre facteur aurait pu joué en sa défaveur, mais cela le soulageait qu'il n'ait rien à se reprocher. Il saurait comment faire pour la prochaine fois, et n'aura donc pas à craindre une réaction craintive ou le mécontentement de Clémence. Elle-même pourra plus facilement lui faire confiance à l'avenir. Le chevalier en avait encore tant à apprendre, mais cela lui paraissait fondamental pour ne plus ressentir la peur de l'échec.

« Je n'ai même pas envie de quitter ce lit… » chuchota-t-il, alors qu'il se mut pour resserrer son étreinte avec Clémence, et poser sa tête sur ses cheveux. Ses yeux se perdirent dans le vide, et sa main vint quérir celle de sa belle pour l'empoigner doucement. Andran n'en avait pas besoin de plus pour être heureux. « Je me sens si bien dans vos bras. »

Un sourire se dessina que le visage de la belle métisse en entendant Andran tenter de la rassurer. Oui, il était vrai que c'était la conclusion normale de toute relation intime mais elle n'avait encore jamais connu cela. Elle était habitée de plusieurs émotions qui se mélangeaient assez mal. L'amour, le bonheur mais aussi un part de honte que son compagnon tentait de gommer par la tendresse dont il faisait preuve. Puis elle s'efforça de sortir de sa cachette, revenant poser sa joue sur son torse nu pour s'y blottir un peu plus sereinement, évitant toujours le regard du chevalier.

-Je suis contente que ce soit avec vous... Je veux dire... Pour toutes ces premières fois. L'autre jour, derrière le paravent... Et ce matin.

Parce que c'était bien des premières fois en un sens. Elle aurait même pu remonter à leur premier baiser... leur première étreinte... leur première nuit de sommeil. Tout cela était nouveau finalement parce que l'homme qui l'accompagnait était différent et parce que cette fois elle avait voix au chapitre. Elle était l'égale de son partenaire et non son objet. Même si elle avait peur, elle appréciait ces moments et parvenait à jouir -dans tous les sens du terme- de ce qu'il lui offrait. Et c'était cela qui la rendait heureuse malgré d'autres sentiments ambivalent.
L'Inquisiteur lui confia ne pas vouloir se lever de si tôt et elle eut un petit rire amusé. Cet étreinte était si différente des autres. La peau de son amant lui semblait différente... infiniment plus douce. Tout comme ce câlin... ou la moindre attention qu'il pourrait lui porter. Tout était amplifiée.

-J'ai l'impression que m'extirper d'ici serait une véritable épreuve... Lui confia-t-elle afin de lui faire savoir que son sentiment était réciproque.

Il leur faudrait bien se lever tôt ou tard pour remplir leur estomac qui finirait par crier famine mais, tant qu'ils pouvaient repousser ce moment, cela convenait parfaitement à Clémence. Joignant le geste à la parole, elle se serra un peu plus contre lui -si tant était que ce soit possible-. Le silence revint dans la chambre et quelques bruits éloignés de la rue leur parvinrent. Bruits qu'elle n'avait pas remarqué jusqu'alors. Des sabots sur le pavé, quelques voix inaudibles, un marchand ambulant, les pleurs d'un bébé... La vie avait repris son cours dans toute la ville tandis que leur maison demeurait les volets clos.
Finalement, après un moment, l'estrevine décida de rompre le silence de leur chambre. Il y avait une question qui lui brûlait les lèvres depuis un moment et qu'elle n'osait pas lui soumettre. Mais après ce qu'ils avaient osé ce matin... Elle pouvait peut-être se le permettre.

-Andran ?... Est-ce... une règle de bonne conduite qui... nous oblige à... nous vouvoyer ? Cela me convenait jusqu'à maintenant, parce que je l'interprétais comme une forme de respect. Mais à présent... J'ai plutôt l'impression que cela maintient une certaine distance entre nous... Et... à l'aube de me perdre avec vous... je... cette mesure me semble... inappropriée.

Clémence n'était pas certaine d'être tout à fait claire... Elle savait qu'Elise et Kolgrim se tutoyaient mais leur relation était basée sur les rapports charnels à l'origine. Peut-être était-ce une convenance de passer outre le "vous" lorsque l'on s'engageait dans ce genre de liaison ? Est-ce qu'une relation amoureuse signifiait de conserver cette politesse, même dans l'intimité ? Au début, elle appréciait cette attention de la part de son compagnon. Qu'il continue de lui témoigner sa considération de cette manière alors qu'ils avaient échangé leur premier baiser le rendait totalement différent de ses hommes qui la tutoyaient avant même d'avoir fermé la porte... C'était ce qui lui avait permis de lui donner un peu plus sa confiance. Mais cette marque de respect montrait ses limites aujourd'hui. S'il n'était pas d'accord, elle comprendrait... Et s'adapterait.

Un doux silence s'était installé entre les deux amants, donnant l'impression que le temps s'était figé autour de leur chambre close. La ville pourrait être dévastée par un envahisseur ou par les dieux que ce moment d'intimité n'en serait pas altéré. L'absence de luminosité les empêchait de savoir combien de minutes ou d'heures s'étaient égrainées jusqu'à maintenant. Et, pour l'heure, cela importait peu. Dans les bras de sa belle compagne, Andran n'avait pas besoin d'autre chose pour être détendu.

Si l'animation de la ville leur paraissait lointain et filait comme un songe, ce n'était pas le cas lorsque l'un des amants choisit de doucement rompre le silence. La voix de Clémence résonnait comme une mélodie dans ses oreilles, et, même s'il eût préféré le silence, il ne pouvait s'empêcher de l'écouter avec attention. À dire vrai, ses interrogations l'amusèrent. Andran vouvoyait toujours les femmes. En tant que chevalier, il associait toujours le vouvoiement à la courtoisie dont il devait faire preuve à l'égard des femmes. Il tutoyait son frère, ses amis, ses frères d'armes mais jamais Clémence, ni sa belle-sœur, Anne-Lise, ou encore Natalya, l'épouse de Reold. Pourtant, ces dernières n'avaient pas la même place que Clémence dans le cœur du chevalier, et la question de sa compagne était plutôt légitime, finalement.

« J'ai toujours vouvoyé les dames parce que j'y vois comme une forme de respect et de courtoisie, quelle que soit leur condition ou leur rang. » répondit-il, pensif. Il se souvenait avoir toujours vouvoyé sa mère, sa tutrice ou d'autres femmes qu'il connaissait, même lorsqu'il est devenu adulte et un chevalier accompli. Mais Andran savait que certains couples n'hésitaient pas à se tutoyer, comme c'était le cas pour Reynard et Anne-Lise. « J'ai pris l'habitude de vous vouvoyer par respect mais pas que. Aujourd'hui, vous occupez une place particulière dans mon cœur alors… je ne sais pas, j'ai pensé que vous vouvoyer vous témoignerait… une certaine forme de reconnaissance par rapport à cela. »

Andran n'a jamais songé à tutoyer Clémence, même lorsqu'elle était sa protégée et qu'elle dépendait exclusivement de lui. Aujourd'hui encore, alors même qu'ils étaient désormais un couple et qu'ils étaient intimes, le simple fait de lui dire “tu” plutôt que “vous” lui paraîtrait étrange. Cela dit, Clémence n'avait pas la même éducation ni la même culture, et sa réflexion ne faisait que le lui prouver. Là où Andran y voyait une marque de respect et de courtoisie, elle l'interprétait autrement, comme une forme de cordialité distante. Clémence aurait pu être radicalement différente de ce qu'elle est aujourd'hui qu'il l'aurait quand même vouvoyé.

« Ceci étant dit… si… si vous souhaitez que… nous essayions de nous tutoyer je… je n'y vois pas de problèmes même si… je dois vous prévenir que j'aurai certainement du mal à m'y habituer. » ajouta le chevalier, amusé par sa propre remarque, avant de reprendre son sérieux car une question lui vint à l'esprit. « Mais… nous sommes ensemble depuis longtemps, maintenant et… cela fait bien longtemps que nous aurions pu nous tutoyer alors… pourquoi ne se poser la question qu'aujourd'hui ? » demanda-t-il sans aucune forme de reproche, seulement de curiosité et d'étonnement.