À la fin de l'aventure, le héros rentre chez soi | Clémence

Ainsi dont, ce n'était pas une règle de bienséance mais un choix personnel. Rien n'interdisait le fait qu'ils se tutoient tous les deux. Elle écouta cependant ses raisons de ne pas y avoir songé lui-même plus tôt et elle ne pouvait qu'admettre ses explications. Encore une fois, il voulait simplement lui témoigner son respect. A son tour, il s'interrogea sur le fait qu'elle ne lui ait pas formulé cette requête plus tôt et elle prit quelques instants pour y réfléchir. Le sujet n'est pas évident à aborder.

-Ils me tutoyaient... tous... Tous ces hommes... Ces seigneurs...

Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas parlé de tout cela. Elle se blottit un peu plus contre le chevalier comme pour y trouver un peu de réconfort. Il connaissait déjà son histoire, elle ne lui apprenait rien. Elle n'était certes pas entrée dans les détails parce que cela aurait été trop douloureux mais ce serait surtout sordide. Et Andran n'avait pas besoin de tout savoir. Et si l'état psychologique lui avait permis de comprendre qu'elle avait été fortement malmenée, il n'avait pas idée à quel point... Seulement, aujourd'hui, elle ne le voyait plus comme l'un des leurs. Il était au-dessus de tous les autres. Il était celui qui la protégeait. Celui qui l'encourageait. Celui qui la consolait.

-Ils n'avaient pas la moindre considération pour moi. Alors... J'appréciai le fait que vous ne preniez pas cette liberté avec moi.

C'était une des raisons qui l'avait amenée à le croire, à lui faire confiance lorsqu'il lui affirmait qu'il tenait à elle. Chevalier, protecteur, ami, compagnon, amant... Quelque soit son statut par rapport à elle, il demeurait le même. Tendre, prévenant, aimant... Alors, pourquoi vouloir changer maintenant ? Certes, ils s'apprêtaient à devenir les plus intimes qui soit mais ce n'était pas sa seule raison. Au contraire, cela pouvait même paraître étrange qu'elle veuille qu'ils se tutoient alors qu'ils approchaient de cet acte si souvent abusé par ces autres qui ne lui témoignaient aucun respect.

-Vous... Après ce long moment passé tout contre lui, elle s'écarta légèrement et chercha son regard. Elle posa une main sur sa joue avec tendresse. J'ai totalement confiance en vous, Andran. J'avais déjà confiance avant d'emménager avec vous et, depuis, vous me prouvez chaque jour que vous en êtes digne. Et que vous m'aimez... J'entends ces mots que vous avez pour moi. Et qu'ils soient dit avec un "vous" ou un "tu", je sais maintenant qu'ils garderont toujours la même valeur. Et que je n'ai pas besoin du "vous" pour savoir que vous me respecter et que vous m'aimez. Il y a... la façon dont vous dites les choses... la façon dont vous me regardez... la façon dont vous me touchez...

Elle baissa un peu les yeux à l'évocation de ce dernier point. Elle pensait à lorsqu'il lui prenait la main, la serrait dans ses bras, l'embrassait... mais pas seulement... Elle se souvenait de ses caresses et de ses baisers sur son corps et, ce qui l'avait fait lâché prise, c'était sa délicatesse ainsi que l'amour qu'il mettait dans chacun de ses gestes. Et elle ne doutait pas que leurs ébats ressembleraient à cela, le jour où elle aurait la force de le laisser aller jusqu'au bout. Alors, plus rien ne justifiait qu'ils conservent le vouvoiement.

-Vous m'avez montrée aujourd'hui... que j'y arriverai. Vous repoussez mon passé un peu plus loin chaque jour et je sais maintenant qu'avec votre aide, j'arriverai à le surmonter. Je ne ressens plus le besoin de cette marque de politesse... De ce vouvoiement qui m'a longtemps permis de vous croire lorsque vous me parliez de vos sentiments. Et je sais que les efforts que je fournis aujourd'hui... N'en seront plus au bout du compte. Elle eut une hésitation avant de se jeter à l'eau. Je t'aime, Andran... Il me tarde le jour... où je parviendrais à me fondre dans tes bras. Sans peur... ni appréhension. Parce que je sais maintenant qu'il arrivera. J'étais terrifiée hier. J'ai eu peur aujourd'hui... Et pourtant je sais que j'aurai moins peur demain... Et c'est grâce à toi.

Andran ressentit des frissons parcourir son corps lorsque Clémence évoqua son passé. Ce sujet n'avait pas été rappelé depuis un certain temps, ce qui ne manquait pas de prouver que la jeune femme s'en remettait réellement. Elle parvenait à se remémorer de ses souvenirs sans trembler ou fondre en larmes, comme ce fut le cas à une certaine période. C'est également en cela qu'elle a accompli d'incroyables progrès. Le chevalier, lui, évitait soigneusement ce sujet. Il n'avait pas besoin de connaître les détails, parce que cela ne l'aurait que bloqué encore plus dans leur relation, si ce n'est vis-à-vis des femmes en général. Maintenant qu'il savait que certains hommes se comportaient comme de véritables vis-à-vis des femmes prostituées, Andran préférait se raccrocher à ses vieilles habitudes. Ce n'était pas toujours un choix, et, quand bien même, cela ne justifiait pas la brutalité.

Face au silence du chevalier, et probablement à sa mine impassible, Clémence poursuivit son raisonnement. Sans savoir quoi lui répondre, il préférait l'écouter avec attention. Il fixa son regard lorsqu'elle leva la tête pour trouver le sien, et étira un sourire timide en réponse à sa caresse sur sa joue. Ce qui n'était qu'une question devint l'opportunité pour elle de lui déclarer ce qu'elle avait sur le cœur et qu'elle n'avait pas pu lui dire puisqu'il n'était pas là. Elle n'en avait certainement pas pensé moins. Andran appréciait ces déclarations enflammées, et chaque mot prononcé par Clémence fit élargir son sourire. Une fois qu'elle eût terminé de parler, il prit la main de sa belle toujours posée sur sa joue pour croiser ses doigts sur les siens avec amour. Clémence n'avait pas tort : le tutoiement ou le vouvoiement ne changeait en rien la force des mots, de l'amour, ou de la courtoisie. Dans les deux cas, l'intonation de sa voix suffisait à lui faire comprendre qu'elle parlait avec son cœur. Et, si elle-même déclarait que ses maux ne seraient bientôt qu'un souvenir, c'est qu'Andran avait réussi ce pourquoi il l'avait pris sous son aile, au départ. Il était partagé entre l'excitation et la fierté. Ce dont il rêvait était à portée de main.

« Vos mots me vont droit au cœur… » répondit-il, en gloussant d'amusement lorsqu'il se rendit compte qu'il l'avait encore vouvoyé par habitude. Celle-ci sera certainement plus tenace que d'autres, mais il était prêt à tenter l'expérience par curiosité, et pour faire plaisir à Clémence également. « Notre relation n'a pas toujours été facile et… je suis heureux de vous… de t'entendre dire que, petit à petit, vos… » Décidément, il n'y arrivait vraiment pas. « Tes peurs s'estompent. Ce que nous avons fait ce matin en était déjà une preuve mais… l'affirmer par les mots est tout aussi important pour moi. À l'allure où nous progressons sans cesse, je… je pense que ce jour où tu n'auras plus jamais peur arrivera bien plus tôt que nous ne pourrions l'espérer. »

Andran n'avait plus peur de l'avenir avec Clémence, et à chaque progrès qu'elle accomplissait, il prenait confiance. Il se souvenait encore de cette période où il craignait que ses sentiments ne soient pas réciproques, que la jeune femme ne lui fasse pas confiance… qu'elle ne l'aime pas vraiment. Puis, il pensait leur histoire terminée jusqu'à ce qu'il aille en Estrevent la quérir, malgré toutes les difficultés que connaissaient leur relation. La maladresse du chevalier, les origines estreventines de Clémence, le sujet des relations charnelles… ces choses qui étaient lointaines et révolues. Le plus dur était derrière eux, et… bientôt plus rien ne s'opposera à leur bonheur.

« Moi aussi, je vo… je t'aime, Clémence. Chaque jour à vos… à tes côtés me rend toujours plus heureux, et il me tarde de pouvoir pleinement vivre notre amour. » déclara Andran à son tour, son regard toujours plongé dans celui de sa chère. Anxieux, il sentait son cœur noué, brûlé par un aveu qui hantait son esprit depuis très longtemps. Sa main qui tenait encore celle de Clémence se fit tremblante alors qu'il baissa le regard. « Je… il y a quelque chose qui… qui me préoccupe depuis longtemps maintenant mais… ce… j'avais pensé vous en faire part à une occasion différente, mais… elle ne me paraît pourtant pas si absurde… » S'il y songeait depuis longtemps maintenant, il n'a jamais su comment l'aborder. Il s'agissait d'un sujet dont il craignait la réaction de Clémence, de par son importance telle qu'il ne souhaitait pas perdre son temps à se corriger. Après une profonde inspiration, il releva le regard, serrant doucement sa poigne sur la main de la jeune femme, comme si cela l'apaisait. « Depuis quelques temps, je… je songe à… Maintenant que nous vivons ensemble ici, et que notre relation évolue comme nous l'avions rêvé, je… je pense sincèrement que… aujourd'hui, je suis absolument certain de ce que je veux. » Andran approcha la main de Clémence jusqu'à devant son visage, inspirant une nouvelle fois pour se donner le courage de lui dire ce qui lui pesait sur le cœur. Ses joues avaient viré au rouge écarlate, alors que cœur battait la chamade. « Je souhaite demander ta main pour… pour te demander humblement de devenir mon épouse… »

Alors qu'Andran parlait, Clémence sentit son ventre se nouer et elle lui adressa un regard toujours plus inquiet. A mesure qu'il serra ses doigts sur sa main, elle en faisait autant pour l'aider à se rassurer. Quoi qu'il ait à lui dire, elle souhaitait l'encourager à parler, posant même sa main libre sur son torse.

Allongés dans la pénombre, au milieu des draps défaits, vêtus de leurs tenues de nuit, le chevalier pensait peut-être que le contexte n'était pas parfait mais... Après tout ce qu'il s'était passé depuis leur réveil, après tout ce qu'ils venaient de se dire... C'était idéal, au contraire. Et lorsque le chevalier lui fit sa demande, la belle estrevine ne masqua ni sa surprise ni son choc. Elle eut un sursaut, reculant légèrement et ramenant la main posée près du cœur du noble jusqu'à ses lèvres.

Venait-il vraiment... de... ?!

Durant quelques secondes, le temps se suspendit tout autant que le cœur de la belle et Clémence se retrouva incapable de dire quoi que ce soit, réalisant avec difficulté qu'Andran venait de lui demander de l'épouser. L'idée mit du temps à faire son chemin dans son esprit et ses yeux stupéfaits commencèrent à briller... avant qu'une larme ne perle sur sa joue. Elle était en train de fondre en larme tant et si bien que sa réponse ne parvint pas à passer sa gorge nouée. Elle ferma les yeux pour tenter de se calmer un bref instant puis les rouvrit pour retrouver les prunelles de son compagnon.

-Oui... Souffla-t-elle.

Elle retira sa main de devant sa bouche et laissa apparaître un immense sourire. Elle éclata en sanglots mais elle ne pleurait ni par tristesse, ni par peur... Elle pleurait de joie.

-Oui. Répéta-t-elle à haute voix avant de venir étreindre le chevalier, le serrant de toutes ses forces. De tout mon cœur, oui.

Pour qu'Andran se sente soulagé, il ne fallait pas seulement avouer ce qu'il avait sur le cœur, mais également que Clémence accepte un tel engagement. En Péninsule, le mariage avait une importance particulière à bien des égards, notamment parce qu'il s'agissait plus d'un traité diplomatique que d'une réelle preuve d'amour ou d'affection. Cependant, un humble chevalier comme lui ne pouvait pas espérer plus qu'un mariage d'amour, et il s'en contenterait très bien. Il ne savait pas si l'Estrevent voyait le mariage de la même manière que les péninsulaires. Il avait déjà du mal à se défaire de la méfiance de Patience, la sœur de Clémence, donc il ne voudrait pas devoir jouter verbalement avec le reste de sa fratrie… d'autant plus qu'il y en a un ou deux qui préféreraient s'en passer pour jouer de l'épée. Mais, il ne voulait pas y penser. Pas maintenant du moins.

Désormais, celle qui fut sa protégée, son amie, sa compagne, son amante devenait sa fiancée. Bientôt, elle sera son épouse et… plus tard encore, la mère de ses enfants. Les deux amoureux ne s'étaient jamais pris dans les bras d'une manière aussi forte en émotion. Face aux larmes et au bonheur de Clémence, Andran retint les siennes en lui offrant un baiser des plus passionné comme il n'a que rarement l'habitude de le faire. Jamais il n'aurait pensé qu'elle serait si heureuse à l'idée de l'épouser, mais cela était la preuve formelle qu'elle était prête à partager sa vie avec lui et de s'éloigner de sa famille pour lui. C'était la plus belle preuve d'amour que Clémence pouvait lui donner. Andran ne remercierait jamais assez Néera pour l'avoir mis sur la route de cette femme.

« Je suis si heureux ! Si heureux ! » s'exclama-t-il après leur long baiser. Andran souriait à pleine dents alors que tout son corps frissonnait de bonheur. Même s'il souhaiterait faire preuve de retenue, il n'y arriverait même pas. Il était comme un enfant à qui on avait offert le jouet dont il avait toujours rêvé. Une larme finit par perler sur sa joue, alors même qu'il ne pleurait jamais, ou très rarement. « J'ai tant rêvé de ce jour… depuis notre premier baiser, notre premier nuit ensemble, ou même lorsque nous étions en froid je… je savais que je ne pouvais me lier qu'à v… qu'à toi. » Andran posa son front contre celui de Clémence, et ferma les yeux lorsqu'il sentit nouvelle larme perla sur sa joue. Son bonheur était trop grand pour qu'il ne parvienne à les retenir. « Tu as toujours été la seule femme de ma vie… et tu le seras désormais pour l'éternité. » Sur ces mots, le chevalier plongea ses mains dans la chevelure noire de sa fiancée, et l'embrassa comme pour graver ses mots sur ses lèvres.