Je ne les comprends pas, mais elles me font du bien [Radwëdh & Cilastiel]

1ère ennéade
Barkios, second mois de printemps
An 18 du XIe Cycle

Radwëdh n’arrive pas à dormir ce soir. Quelque chose trouble son Souffle. Seulement, l’elfe ne sait pas très exactement ce que c’est. Elle plisse les yeux et se masse les tempes, prise d’un léger mal de tête dont la réelle nature l’échappe, mais qui est plutôt soudain. Elle se lève et soupire, tout en prenant un verre d’eau pour se désaltérer. Les yeux plissés, son regard se perd à l’extérieur de sa fenêtre ouverte ; la lune est haute ce soir et elle a l’impression qu’elle l’appelle pour une marche nocturne. Cela lui ferait sans doute du bien. Elle sort donc de son lit pour enfiler un manteau léger par-dessus sa chemise de nuit ainsi que des bottes. Elle n’oublie pas son luth ni son sac en bandoulière contenant son carnet à dessin et un crayon. Ses mères dormant à point fermés, l’elfe s’efforce de ne pas faire de bruit et ferme doucement la porte. Radwëdh a l’habitude de ces escapades nocturnes et c’est pourquoi elle n’est pas inquiète et s’enfonce dans la nuit, les yeux toujours plissés à cause de cette légère douleur au crâne.

Comme toujours, Alëandir est très calme à cette heure. Quelques gardes patrouillent les rues, mais sans plus. Certains la saluent d’un signe de tête à son passage et polie, Radwëdh fait de même, continuant sa route vers une destination en particulier : l’Harmalaica. Il est peut-être impossible pour l’elfe de déchiffrer les bruissements des feuilles, mais elle adore s’asseoir dans la verdure et les écouter lui murmurer des choses, qu’elle traduit en notes et qu’elle gratte ensuite sur son luth. Et ce soir, elle en a besoin.

Arrivée devant l’immense forêt citadine, elle s’enfonce donc dans la verdure épaisse, écartant les lianes et les branches qui s’entremêlent sur son chemin. Elle ne peut s’empêcher de sourire, apaisée et dans son élément. Certes, cela n’a pas toujours été le cas, mais maintenant que les arbres ne crient plus d’agonie, l’elfe peut enfin se laisser bercer par les voix. Avec cette douce symphonie dans les oreilles, son mal de tête s’estompe peu à peu et l’elfe fredonne, tournoyant sur elle-même dès que l’espace lui permet. Elle retire d’ailleurs ses bottes, désireuse de sentir le tapis de feuilles sous ses pieds nus. Et puis, un sourire encore plus radieux se peint sur ses lèvres dès qu’elle entend une voix plus forte, mais si belle : l’Estel! Elle court vers lui, comme si elle a hâte de retrouver un vieil ami de toujours. Se dressant enfin devant elle, elle s’assoit par terre et s’accote sur lui, poussant un soupir d’aise. Elle retire son luth de son épaule et paisiblement, elle joue de son instrument, chantant d’une voix claire, mais très douce, comme si elle ne veut pas déranger la nature qui l’enveloppe, mais qu’elle désire accompagner le son du vent et des voix.

Une silhouette noire parmi les branches de l'Estel se redresse et se penche vers les racines.

Il est étrange d'être capable de distinguer les notes d'Anaëh à celles des mortels. Les deux font de la musique mais elles ne produisent pas les mêmes sons. Cependant, ces mélodies se répondent et s'emmêlent. C'est ce qui intrigue la petite elfe en noir. Depuis son perchoir, elle observe la taledhelle avec son luth. Elle n'a jamais été très sensible à la musique auparavant mais celle-ci la touche et éveille sa curiosité. Il est évident que la jeune femme perçoit la Symphonie car elle semble l'accompagner de sa voix et de son instrument. Dans quel but ? Elle n'en sait trop rien car cela ne semble pas affecter la Mélodie outre mesure.

Après un petit moment, Cilastiel, la Noss à la coiffe d'oiseau dont la moitié de la cité a déjà entendu parler, descend lentement de sa branche. Elle s'approche sans un bruit, comme pour ne pas perturber les Chants, que ce soit de la forêt ou de la musicienne. Elle tend une oreille mais ne constate pas de variation dans Anaëh. Alors, le geste de l'elfe intrigue de plus en plus la mage des ombres qui finit par chuchoter alors qu'elle se tient à un pas derrière son épaule.

-Pourquoi vous jouez ?

Ses oreilles frétillent lorsqu’elle croit entendre un bruissement de feuilles suspect, mais l’elfe ne relève pas, préférant continuer de jouer sa musique, les yeux fermés et un sourire d’aise sur les lèvres. Elle ne voit donc pas l’ombre se profiler près d’elle et lorsqu’on chuchote à deux doigts de son épaule, elle plisse les yeux et s’arrête un instant de jouer. Elle les rouvre ; cela ne vient certainement pas des arbres. Elle se tourne et sursaute en remarquant une étrange elfe au chapeau d’oiseau la fixer. Radwëdh cligne des yeux, se rappelant cette discussion entre deux gardes qu’elle a surprise. Une étrangère à l’accoutrement peu citadin se baladait il y a de cela quelque temps dans la cité. Une Noss...Elle penche un instant la tête, la détaillant. Elle secoue finalement la tête se rendant compte qu’elle lui a posé une question. Elle baisse finalement les yeux sur l’herbe, serrant son luth contre elle ; l’a-t-elle dérangé ?

-Je joue souvent ici...En fait, je croyais être seule. Désoler si je vous ai dérangé avec mes chants.

Elle finit par regarder l’Estel et pose sa main sur l’écorce. Elle détecte cette voix qu’elle ne comprend pas, mais sourit, toujours aussi rassurée lorsqu’elle se trouve ici, même si cet étrange elfe vient de briser un peu sa quiétude. Ça ne l’ennuie pas. Au contraire, sa nature curieuse la rattrape et elle ne peut s’empêcher de vouloir comprendre pourquoi elle est ici. Elle répond avant tout à sa question.

-J’accompagne les voix à ma manière. C’est ma façon de communiquer avec elles, même si je ne comprends pas. Je crois qu’elles aiment puisque je me sens bien en ce moment.

Elle se sent un peu honteuse de ne pas savoir tout déchiffrer malgré les années, mais...ce don l’a aussi fait beaucoup souffrir. Elle n’a pas oublié cette dissonance dans la Symphonie lorsque des hommes ont fait du mal à la forêt. De ne pas comprendre entièrement ce qui s’est passés alors qu’elle ressentait la souffrance de l’Anaëh l’a traumatisé. Et maintenant, elle réapprend à s’approprier ce don, car cela reste une partie d’elle. L’elfe sait combien elle a encore un bon bout de chemin à faire avant de savoir déchiffrer leur langage, mais elle se sent prête à relever ce défi.

-Vous aussi vous l’entendez? Demande-t-elle, les yeux brillants de curiosité.

Ah... Oui. Cilastiel n'a pas anticipé le fait qu'elle pourrait effrayer la musicienne malgré tout. Elle pense avoir fait de son mieux mais elle n'est pas forcément bien placée pour le savoir. Même si elle ressemble à une elfe normale à présent, elle n'est toujours pas très douée avec les autres.

-Tu ne me déranges pas. Je ne dors plus à cette heure-ci. Et je vois que toi non plus.

Elle ne remarque pas l'incongruité de la situation. Elle, un être si petit qu'on la prenait pour une enfant, tutoie la femme qui se tient devant elle et qui, elle, la vouvoie. Certaines trouveraient certainement cela amusant, d'autant plus en sachant qu'elle n'avait pas le rapprochement aussi facile avant sa récente transformation.
La dame lui confirme ce qu'elle a compris, à savoir qu'elle jouait en accord avec la Symphonie. En revanche, elle ne comprend pas vraiment le principe de "communiquer" avec Anaëh. Elle qui se laisse bercer par la Mélodie, elle a observé depuis longtemps que ce langage est à sens unique. Alors elle penche la tête sur le côté pour signifier que sa phrase l'interpelle. Signe qui ne doit pas être très clair car elle finit par l'interroger sur sa propre perception des Voix de la forêt.

-Je les entends et je les suis. Ce sont elles qui m'ont menée ici.

Les Noss ne viennent dans l'Harmalaica et près de l'Estel que très rarement. Pour s'y rendre, encore faut-il savoir qu'il existe et où il se trouve. Et ce qui achève de dissuader la plupart d'entre eux, c'est l'océan dissonant qui les sépare de leur destination. Cilastiel a été éprouvée pour arriver jusqu'ici mais c'est bien parce qu'Anaëh a insisté qu'elle l'a fait. Autrement, elle aurait sans doute rebroussé chemin à mi-parcours.

-Si je peux comprendre ce qu'Elles me disent, tu devrais y arriver aussi. Observe-t-elle, oubliant que son interlocutrice ne la connaît absolument pas et que, par conséquent, elle ignore qu'elle entend la Symphonie depuis moins longtemps que pratiquement tous les autres elfes pourvu de cette sensibilité.

Un léger sourire s’affiche sur les lèvre roses de Radwëdh lorsque l’autre elfe lui annonce qu’elle ne dort pas. Ah bon? Elle aussi est prise d’insomnie? Depuis que des prêtres et prêtresses de Tari ont réussit à la guérir de ses maux psychologiques, ils n’ont toutefois jamais réussit à la soulagé de celui-ci. Parfois, Radwëdh doit donc se plier à la volonté de son corps et c’est pourquoi trouver refuge ici l’apaise au moins sans lui donner sommeil. Elle ne s’était pas attendu à avoir de la compagnie ce soir, mais cela ne la dérange pas du tout malgré l’étrange apparence de son interlocutrice. Fascinée par ce masque d’oiseau, Radwëdh scrute les détails : des plumes d’ébène à l’apparence soyeuses et du métal travaillé ornant la coiffe. À chaque mouvement de tête de la petite Noss, un éclat d’argent brille sous les quelques rayons de lune qui parviennent à traverser le feuillage de l’Estel. Ayant l’œil pour les belles choses, l’elfe adore le style original et qui semble être très personnel.

-Ces insomnies se produisent souvent avec moi. J’ai l’habitude. Votre coiffe est très jolie d’ailleurs, ne peut s’empêcher d’ajouter la citadine.

En l’observant, l’Épervier se rend compte qu’elle correspond très exactement à la description de cette Noss qui a franchi les murs de la cité il y a de cela quelques temps. La peintre ne craint pas l’étrangère ni ne ressent de la méfiance. Elle est plutôt curieuse, d’autant plus que c’est la première fois qu’elle parle réellement à quelqu’un qui entend les Chants. Habituée à voyager de cités en cités, ce n’est pas la première fois qu’elle croise une Noss. C’est toutefois la première fois qu’on s’adresse à elle avec autant de familiarité. Elle en penche d’ailleurs la tête sur le côté, mais ne s’outre pas le moins du monde. Elle pose son luth tout près et ramène ses jambes contre elle, observant toujours l’autre elfe.

-Je les comprend d’une certaine façon. Ce que je n’arrive pas à expliquer c’est pourquoi c’est un ressentit plutôt qu’une réelle compréhension de leur langage. Est-ce ainsi que ce devrait plutôt fonctionner? Vous me semblez tout savoir de ce qu’Elles disent...Comme si Elles n’ont plus de secrets pour vous.

Cela fait beaucoup d'informations à intégrer et à traiter et Cilastiel se surprend à parvenir à le faire très facilement. Ou, en tout cas, plus facilement qu'autrefois. Elle entend ce que lui dit la musicienne sur son sommeil et elle entend son compliment. Seulement les réponses qu'elle doit lui donner ne son pas aussi simples qu'on pourrait le penser.

-Il n'est pas fait pour être joli. Répond-elle pour son masque. Il a une signification. Puis, sans s'expliquer davantage et sans transition, elle revient sur ce qu'elle a dit à propos de ne pas dormir. Je parle de sommeil. Tu parles d'insomnie. Je dors très peu. Toi, tu devrais dormir. Qu'est-ce qui t'en empêche ? Demande-t-elle, curieuse de comprendre.

La petite elfe ne réalise pas qu'elle est peut-être indiscrète et pose ses questions sans retenue. La taledhelle semble un peu perdue, d'une certaine manière. Peut-être à cause de la Symphonie car elle semble se réjouir lorsqu'elle lui répond qu'elle l'entend elle aussi. Elle écoute lui parler de sa perception et de son incompréhension quant au fait de ne pas comprendre précisément les mots des arbres. Elle voudrait pouvoir traduire ce langage comme la mage des ombres peut traduire le drow ou l'oliyan mais ce n'est pas ainsi que les choses fonctionnent. Cilastiel l'a compris en s'immergeant dans la nature durant deux mois.

-Pourquoi vouloir mettre des mots sur ce qu'Elles disent ? Ce n'est pas une langue qui s'écoute avec les oreilles et la tête. Elle s'écoute avec le cœur et le ventre. La Noss lève les yeux vers la cime des arbres qui les entoure, tendant l'oreille. Les arbres sont calmes... Paisibles. Nous sommes en sécurité et ils nous le font savoir. Ils nous transmettent leur état d'esprit. As-tu vraiment besoin de savoir ce qu'ils se disent en cet instant ?

La mage des ombres baisse les yeux pour revenir sur la musicienne. Elle entend tout cela depuis peu mais elle semble comprendre bien mieux le fonctionnement de la Symphonie que son interlocutrice. C'est assez étrange... Et mettre des mots pour expliquer ce qui n'est qu'une série de ressentis est une tâche ardue, surtout pour elle. Mais elle sent la détresse de cette jeune femme et peut-elle vraiment l'ignorer après ce qu'elle-même a traversé ? Après toutes ses ennéades d'errance, de questions, d'incertitudes, de doutes... Non, impossible. De la même manière qu'Artiön lui est venue en aide, elle viendra en aide à la Taledhelle.

Ne pas fait pour être jolie ? La peintre baisse les yeux, espérant qu’elle n’a pas dit quelque chose d’insultant. Elle ne connaît pas toutes les coutumes des Noss encore, même si elle en a rencontré quelques-uns sur les routes sans vraiment pousser les discussions. De nature discrète, l’Épervier observe plutôt que de poser des questions. Elle est d’ailleurs troublée par ce changement de sujet soudain de la petite Noss et penche la tête sur le côté. Son regard se fait ensuite fuyant, car c’est un sujet qu’elle a très peu abordé avec des étrangers ; ce serait très long à expliquer et la taledhelle ne sait pas si elle a la force de se replonger à nouveau dans ces souvenirs et revivre la douleur. Seulement, elle a l’impression que son interlocutrice comprendrait peut-être ?

-Cela se produit parfois depuis qu’on m’a soigné d’une intense crise de tristesse. Il m’arrive de ne pas pouvoir dormir, même si je vais mieux.

Elle tapote l’écorce de l’Estel avec un léger sourire, heureuse qu’Anaëh se porte mieux. Enfin, elle a cette impression. C’est toutefois bien dur pour elle d’en être bien certaine puisqu’elle ne vit pas à travers la verdure. Elle est ici, dans cette cité de pierres, qui est pourtant sa maison et qu’elle hésite à quitter. Elle ne peut pas et n’y pense pas. Radwëdh restera fidèle à son Aran jusqu’au bout de son immortalité.

La suite l’étonne et l’elfe ne peut s’empêcher d’écouter, son cœur de plus en plus troublé et ses perspectives chamboulées par ces révélations ; ainsi, durant tout ce temps à se poser des questions, elle comprend en fait bien plus qu’elle ne le croît ? Ce langage n’est que des ressentis et dont on ne peut mettre des mots dessus. Soudainement, le visage très pâle de la Taledhelle s’éclaircit et les morceaux de cette énigme se mettent en place. La souffrance qui l’a secoué des années plus tôt lorsque des Hommes ont fait du mal à leur précieuse Anaëh est dû au fait qu’elle partage tout simplement leurs sentiments. Cela, peu d’elfes des pierre a pu le lui expliquer bien clairement. Du moins, la plupart ne pouvaient pas comprendre.

-Je...Non...Tu as raison. Mais je croyais que c’était comme nous lorsque nous communiquons. En fait, pas tout à fait comme nous. Je croyais que ces ressentis étaient plus clairs. Parfois, mon instinct me fait défaut. 

Cilastiel regarde la Taledhelle avec simplicité. Elle n'a pas l'air hautaine avec elle et ne cherche pas à lui faire de leçon. Elle se contente de répondre à ses questions du mieux qu'elle le peut. Elle est peut-être un peu distante mais la conversation ne se prête pas à l'humour ou au jeu, ses sentiments n'entrent pas en ligne de compte. En cet instant, elle ressemble plus à Macabre qu'à Ciryië.
La petite elfe l'écoute avec intérêt parler de ses problèmes de sommeil et de son manque d'instinct. Elle-même ne vit pas tout à fait la même chose. Si elle dort peu, c'est parce que son corps s'est habitué au manque de sommeil, pas parce que quelque chose la perturbe. Quant à l'instinct, c'est bien la seule chose de naturel qu'elle ait toujours conservé, même lorsqu'elle n'avait aucun sentiment. Cependant, elle est en mesure de comprendre l'absence de quelque chose qui fait défaut mais aussi ce sentiment profond qui fait perdre pied à un moment ou à un autre.

-Je comprends. Fait-elle avec solennité. J'ai déjà trouvé des raisons de perdre le sommeil et même l'appétit à un point dangereux.

Elle semble si jeune. Même pas adulte, ou à peine. Difficile de croire qu'elle a bien failli se laisser mourir par tristesse et désespoir. Pourtant, c'est vrai. Après la mort violente d'Hiradrilion et l'emprisonnement de Neraën par ses assassins, elle a bien cru qu'elle en mourrait. Elle en est ressortie plus fragile et instable qu'avant à cause de son esprit déséquilibré. Parviendrait-elle à mieux encaisser le choc si cela devait se reproduire aujourd'hui ? Elle n'en est pas certaine. Mais elle se demande toujours ce qu'elle ressent pour cet homme qui l'aime et qui espère un réponse de sa part. Si Anaëh ne l'a pas envoyé le retrouver, c'est qu'elle ne doit pas encore être prête.

-Si ton instinct te fait défaut, alors fais en sorte de te reconnecter avec lui. Elle regarde autour d'elle, ce fragment de forêt paisible et, au-delà, la ville endormie cachée derrière ces arbres. Mais ce n'est pas ici que tu y parviendras. Elle revient vers la musicienne. Elle n'est pas tout à fait certaine qu'elle soit "armée" pour se retrouver seule dans les bois. Elle sait que son cas est une exception sans quoi il y aurait beaucoup plus d'elfes errants et elle n'aurait pas passé autant de temps à essayer de comprendre ce qu'il lui arrivait car il y aurait eu des cas précédents pour lui servir d'exemple. Et pas seule...

Cilastiel se trompe peut-être mais cette jeune a l'air moins solitaire et moins endurcie qu'elle. En cas de danger, elle peut s'enfuir dans les ombres pour se mettre à l'abri. Que peut faire cette Taledhelle ? La vie des cités n'arme pas les cœurs face au danger. C'est le risque lorsque l'on fit dans la sécurité des murs.

Cette aura de mystère qui entoure la petite elfe perturbe Radwëdh, qui n’arrive pas à déterminer l’âge de celle-ci. Elle lui semble plus jeune qu’elle et pourtant, cette maturité avec laquelle elle s’exprime trahit des années de vécu que la jeune elfe des Cités manque peut-être. Elle n’ose pas lui demander son âge, mais Radwëdh sent qu’elle peut lui faire confiance. Si certains elfes des pierres comme elle la regarderait d’un œil suspect, pas Radwëdh, qui est prête à se laisser guider par la Ornedhel s’il le faut. Probablement à cause de cette curiosité naturelle chez la musicienne pour les autres, qu’ils proviennent des cités ou non, qui l’a toujours animée et poussée à poser des questions. D’autant plus que c’est la seule elfe avec qui elle peut s’ouvrir sur son don sans qu’elle ne hausse les sourcils d’incompréhension et qu’elle lui demande des précisions qu’elle ne saurait lui donner. Parfois, cela fatigue la Taledhelle, car c’est un rappel pour elle qu’elle ne maîtrise pas assez cette part d’elle.

Lorsqu’elle lui annonce qu’elle a elle-même perdu l’appétit et le sommeil et qu’elle a bien failli y passer, la Taledhelle penche légèrement la tête sur le côté, surprise par cet aveu. Peut-être ont-ils plus en commun qu’elles ne le pensent? Enfin, cette petite elfe semble beaucoup plus sûre qu’elle sur de nombreuses choses, ce qui donne envie à Radwëdh de la suivre.

Elle suit ensuite son regard, qui balaie ce coin vert d’Alëandir, pendant qu’elle parle d’instinct. Se reconnecter avec celui-ci, mais pas ici? Que propose-t-elle alors? Il est vrai que la Symphonie est bien moins forte ici que lorsque la verdure de l’Anaëh les engloutit. Seulement, si la Taledhelle n’en est pas à son premier voyage hors des murs d’Alëandir, jamais elle n’a quitté la sûreté des routes. Est-ce cela qu’elle sous-entend par retrouver son instinct? Elle baisse les yeux sur son luth ; elle n’oserait pas s'engouffrer dans la verdure seule, c’est certain. Elle lève ensuite son regard sur la Ornedhel, une interrogation peinte sur le visage et des questions plein les orbes, mais désireuse de comprendre son don une bonne fois pour toute :

-Mais toi, tu sais t’y retrouver en Anaëh? Je ne connais que les routes...Je peux me défendre, car mon métier de peintre me fait voyager de cités en cités, mais j’ignore si je peux faire face aux dangers de la forêt seule...

Si elle doit quitter la vie des Cités pour quelque temps, elle est prête à le faire. Du moins, elle espère que son Aran lui accordera cela. Elle ignore s’il a besoin d’elle pour une mission et comme elle lui est dévoué, elle préfère ne point prévoir au cas où. Et puis, elle ignore si elle aura de nouveau la chance de pouvoir creuser dans cette partie d’elle qu’elle ne connaît point et enfin la comprendre.

L’elfe se rend compte qu’elles ne se sont pas présenté. Les joues un peu rouges, elle lui sourit :

-Je suis Radwëdh. Désolé de ne pas m’être présenté avant.

Un discret sourire se dessine sur les lèvres de Cilastiel. Elle ? S'y retrouver ? Qu'est-ce qui lui fait penser ça ? Elle n'a compris qu'elle était arrivé à Alëandir que parce qu'elle connaît bien cette ville. Sinon, elle n'avait pas la moindre idée de vers où elle allait. Et elle ne saura pas davantage où elle ira lorsque Anaëh la rappellera.

-Je ne sais pas me diriger en forêt. C'est elle qui me dit où je dois aller. Mais je ne suis pas un bon exemple... Je ne suis... Pas comme les autres.

Même parmi les ornedhels, elle ne se comporte pas comme tout le monde. Elle est assez solitaire, même si elle est assez bien accueillie parmi les clans qu'elle rencontre. Elle n'est établie nulle part, ne suit pas d'itinéraire précis, ne respecte pas de territoire... Sa seule voie, c'est celle que la Symphonie lui dicte de suivre. La majeure partie du temps, elle ne sait absolument pas où elle se trouve. Mais c'est la confiance qu'elle porte en Anaëh et l'oreille qu'elle lui prête qui lui permettent de rester en vie. Et c'est ce qui manque à cette Taledhelle.

La petite elfe penche la tête sur le côté. Il est vrai qu'elles ne se sont pas présentées mais elles n'en avaient pas besoin pour discuter. D'ailleurs, elles n'en ont toujours pas besoin mais pourquoi pas.

-Cilastiel. La Noss ne s'arrête pas sur la signification de son nom qu'elle a déjà donné trop de fois en trop peu de temps et continue. Tu dois t'éloigner des chemins tracés par nos frères de pierre. Retourner à la nature, à l'essentiel, pour retrouver tes sens, ton instinct. Comme je l'ai fait. Si tu le souhaites, à mon prochain passage, je te prendrais avec moi.

Traduction:

Pas comme les autres? Radwëdh ne comprend pas et penche la tête sur le côté. Alors, si elle ne peut se retrouver en Anaëh, comment a-t-elle fait pour survivre jusque là? Elle a sa réponse dès que la Ornedhelle lui fait savoir que c’est la forêt elle-même qui l’a guidée. L’artiste se demande jusqu’à quel point elle pourrait y parvenir seule comme elle...Serait-elle assez courageuse? Après tout, Alëandir a toujours été sa demeure et elle s’est habituée à ces murs de pierre, entre lesquels elle se sent en sécurité. Seulement, elle a besoin de comprendre une bonne fois pour toute. C’est pourquoi son visage s’illumine d’un sourire dès que la petite Ornedhelle lui donne son prénom et qu’elle lui propose de venir la chercher lorsqu’elle sera de nouveau de passage. Elle hoche la tête avec vivacité :

-Oui je le veux bien Cilastiel. Merci! Je...J’aimerais beaucoup comprendre cette facette de moi une bonne fois pour toute. Il est vrai qu’ici, je ne peux pas l’explorer tout à fait.

Elle caresse un instant l’écorce de l’Estel, espérant qu’elle n’aura aucun empêchement futur. Radwëdh devra se préparer mentalement, car on lui a souvent dit que si l’Anaëh est magnifique, elle peut aussi être impitoyable. Au moins, elle n'affrontera pas ces dangers seule et, bien qu’elle ne connaisse pas cette Anëdhelle, elle sait qu’avec elle, elle parviendra à comprendre enfin ce don. Elle n’ose d’ailleurs imaginer la puissance de la Symphonie et le bien-être qui doit remplir le coeur d’un elfe sensible à ces voix après s’être noyé dans la verdure profonde de l’Anaëh. Cela la terrifie un peu, mais elle se sent prête.

Elle ne sait pas quand elle retrouvera cette petite elfe, mais son sourire encore accroché aux lèvre, elle lui dit :

-Tu sauras où me trouver, alors. Je t’attendrai ici, lorsque le temps viendra, car ce n'est de toute façon qu'ici que je peux pleinement profiter de ces Voix. Merci pour tout Cilastiel.