Promenade de santé en Arétria | Marc-Aurèle & Magnus

An 18
Verimios, Première ennéade, au matin du cinquième jour
Arétria-la-Ville

C’est la fin d’un voyage qui a permis à Louise et à Marc-Aurèle de faire plus ample connaissance, que cela soit à cheval ou lors des arrêts dans les auberges le long de ce trajet qui les mènent tous vers Arétria ? Tous ? Oui. Il y a beaucoup de monde, en effet.

Premièrement, il y a Marc-Aurèle de Terrefière, le représentant du Comte d’Arétria venu négocier en terres ferneloises sur ordre de son suzerain. Il est venu seul, sur une monture qui avait eu bien besoin de soins, seulement armé de sa claymore et vêtu de son armure de plates. Il a été dignement reçu par la châtelaine, sa monture a été soignée, nourrie et entretenue tout au long de son séjour ce qui a procuré de grands bienfaits à l’animal qui renâcle gaiement désormais aux côtés de Lasgalen, le cheval de Louise. Marc-Aurèle, quant à lui, a pu circuler aussi librement que le permettaient les derniers événements survenus dans les Monts d’Or, il a pu se familiariser avec les coutumes de Fernel, les palefreniers, observer de plus près toute la vie paisible de ce domaine aux pieds des montagnes.

Il y a aussi cette troupe venue de Thaar qui les a accompagnés jusqu’à Serramire, profitant de la sécurité d’un convoi armé et de la présence de deux seigneurs et de leur escorte pour faire un voyage à moindre péril. Les personnes de cette petite troupe, les Balandrins, n’ont posé aucun souci de quelque nature que ce soit et ils ont salué bien bas avant de se rendre en la cité de Serramire dans laquelle Louise et son escorte ne se sont guère attardés.

Il y a ensuite Enguerrand et Philippe. Enguerrand, le fidèle maître d’armes de Louise et ce qui s’apparente le plus à un conseiller. Il l’a suivie absolument partout, que cela soit en Estrevent ou à Kirgan, il était donc impensable qu’il ne soit pas présent lors de ce déplacement en Arétria. Il est toujours bon d’avoir une fine lame à ses côtés quand on se rend en un pays potentiellement agité par des conflits. Philippe, lui, fait partie de sa garde. Il était lui aussi présent à Thanor et à Kirgan. Aymeric et Tristan, les deux autres membres de ce quatuor inséparable, sont restés à Fernel afin de garder un œil sur les alentours. Ce sont deux hommes de métier, parfaitement aptes à gérer n’importe quel incident.

Il y a encore ce charriot, assez haut et lourd, chargé de victuailles et de céréales, de caisses et d’un gros tonneau de bois de chêne. Il y a aussi des présents, les bagages de Louise et de sa petite suite, ceux du cocher et du palefrenier qui les accompagnent.

Et enfin il y a Louise. Une Louise heureuse parce qu’en mouvement. Heureuse de pouvoir sortir de cette pesante atmosphère distillée par la présence de Khalinas Do’ath. Heureuse d’être à dos de cheval, sur les chemins, au grand air. Heureuse de découvrir quelque chose qu’elle ne connait pas, ou alors très peu.

- Dame Louise, je pense que nous ne sommes plus très loin.

La châtelaine a elle aussi aperçu la ville au loin, après avoir dépassé les villes de Wenden et de Karlsburg.  Elle se penche vers Marc-Aurèle, avec un sourire.

- Tout s’est bien passé, vous voyez ?

Elle est vêtue de confortables habits de voyage. Un pantalon, des bottes souples, une chemise blanche aux longues manches et au col haut agrémentée d’un gilet cintré de velours gris orné de feuilles de chênes de file d’argent. Elle porte également sa cape de laine bleue doublée, une longue cape ornée d’une large capuche. Ses cheveux sont noués sur la nuque en un chignon tressé et sur sa tête se trouve ce cercle de métal orné de feuilles de chênes stylisées qu’elle affectionne tant.

- Dites-moi, mon ami, pensez-vous que cela soit vrai ce que nous a raconté la petite Suzie à l’auberge hier soir ? Le comte aurait réellement fait pendre haut et court des gens dans une clairière non loin d’ici en laissant un écriteau ?

Elle observe Arétria-la-Ville avec beaucoup de curiosité.

- Pensez-vous que nous pourrons visiter quelque peu la ville d’Arétria ?

Arétria-la-Ville se profilait au loin depuis plusieurs kilomètres déjà. Le territoire de la Malelande, Marc-Aurèle le connaissait bien. Il y était né, y avait été éduqué, y avait combattu, et, bientôt, il s’y marierait à la sœur des Terresang : Alicia.

Et que dire ? Malgré trois ennéades à être éloigné d’elle, et de Magnus, à ne se concentrer que sur les paysages et sur sa mission, le puissant guerrier, honorable chevalier, fidèle vassal… Ressentait une peur irrationnelle face à cette nouvelle mission qui s’imposait à lui : être un mari pour une femme de presque dix années de moins que lui. N’était-ce point ironique ? Même un peu atypique ? Et franchement humoristique ? Un si puissant guerrier capable de fendre l’ennemi en deux au milieu d’une mêlée, mis en échec et effrayé devant un petit bout de femme de même pas la moitié de son poids… Pathétique !

« Fort heureusement, tout s’est bien passé. Signe que la politique sécuritaire du Comte est efficace ! Il en sera ravi ! » Dit-il, un sourire sur ses lèvres, alors que son armure de plate s’animaient du bruit typique des plaques de plate coulissant les unes sur les autres. « La Malelande est une contrée violente ma Dame, mais je ne pourrais corroborer ou infirmer ces informations. Je n’ai jamais été témoins d’une telle action de la part du Comte. Mais il est un guerrier aguerri, ça, c’est une certitude. »

Marc-Aurèle était sincère dans cette réponse, mais il cachait tout de même une partie de la vérité. Ayant combattu à plusieurs reprises pour les Terresangs, et aux côtés de Magnus, il avait vu le Comte dans de piteux états. Couvert de sang, d’entrailles, de chaires, debout au milieu de cadavres écorchés, faisant lui-même le nœud coulant autour du cou d’un condamné. Mais il ne dirait rien. Après tout, malgré l’amitié naissante entre Louise et lui, il demeurait l’envoyé de son suzerain, et sa mission n’était pas encore terminée.

« Bien-sûr ! Nul doute que le Comte vous fera visiter la ville lui-même. Mais je tiens à vous prévenir, je ne serais pas beaucoup disponible. Une fois rentré, mes responsabilités me rappelleront bien vite… Et je dois passer un peu de temps avec ma promise. »

Les portes d’Arétria grandissaient à mesure que le cortège s’approchait. Déjà, les premiers gardes de la ville pointaient le bout de leurs trognes.

Spoiler:

- Loin de moi l’idée de vous tenir éloigné de votre promise, seigneur de Terrefière. Je comprends tout à fait l’empressement qu’un jeune fiancé peut avoir envers sa dulcinée.

Elle le comprend, oui. Tellement bien…Elle n’ajoutera rien à ce sujet, songeant pourtant avec un sourire à ce qui est dans le charriot et qu’elle a apporté pour cette demoiselle – et bientôt Dame de Terrefière. Louise a bien compris, compte tenu du portrait que lui en a dressé Marc-Aurèle, que l’état du Comté d’Arétria ne permettra peut-être pas à la future épouse de se parer comme il se doit aussi a-t-elle pris la liberté d’emporter des choses pour elle. Parce que le seigneur de Terrefière s’est montré un invité courtois et respectueux. Digne. Il ne sait rien de tout cela, elle l’a préparé elle-même, sans en aviser personne. Une façon de remercier comme une autre. Elle-même ne sait pas quand viendra le jour de ses noces, mais elle imagine qu’elle voudrait être à son avantage ce jour-là.

- Le Comte est un homme occupé lui aussi, m’avez-vous dit un jour. S’il trouve le temps de m’offrir une visite de sa ville, j’en serai déjà bien heureuse. Cela étant, je comprends tout à fait qu’il n’ait pas le temps pour une promenade. Au pire je m’y promènerai avec mes hommes avant de regagner Fernel.

Et elle n’en prendrait même pas ombrage, tout simplement parce qu’elle sait à quel point un seigneur n’a parfois que peu de temps pour les fantaisies charmantes. Cela étant, Louise n’a pas tellement l’opportunité de pousser plus loin ses pensées. Les portes de la ville sont en vue. Et le son des cors lui parvient. La curiosité la pousse à plisser les yeux en observant les remparts, les gens puis l’attitude du seigneur de Terrefière.

Lorsque les portes s’ouvrent et qu’elle aperçoit les silhouettes qui se tiennent là, debout, à attendre, elle hoche un instant la tête. Lasgalen s’arrête non loin de ces personnes qui patientent, ce qui permet à la châtelaine d’observer cet homme qui parle bizarrement, les poings posés sur ses hanches. Elle n’est pas bien certaine d’avoir tout compris aussi ne dit-elle rien pour l’instant, se contentant de rester en arrière-plan puisque ce n’est pas elle qu’on interpelle, visiblement.

Elle se contente de rester silencieuse, une main ornée de mitaine de cuir occupée à caresser l’encolure de son cheval tandis que son regard se perd déjà sur les remparts, notant ici et là les différences avec Fernel.

Des pas s'avancent avec précipitation dans le couloir de l'étage habituellement réservé aux membres de notre famille. Un garde entre dans le salon, à peine, s'enfonçant juste d'un pas dans la pièce. Il s'incline sous le regard interrogatif des membres de la fratrie actuellement présents à mes côtés. Il n'ose entrer plus loin et se tourne vers moi, s'inclinant de nouveau, peut-être même plus bas que tout à l'heure.

-M'zelle Alicia. Vot' frère m'envoie vous dire que M'seigneur de Terrefière arrive à la citadelle.

Mon visage paisible s'étire dans une expression de surprise mêlée à la joie et au soulagement. Enfin... Le revoilà. Je ne pensais pas qu'il en aurait pour si longtemps, je m'inquiétais. Je congédie le garde en le remerciant et il file sans demander son reste. Valendra me tend mes béquilles et j'étire un sourire plus large que le sien. Je me lève -toujours avec difficultés mais sans grimace désormais- et j'arme les flans de mes soutiens. Puis je quitte la pièce sans plus rien dire, sous les regards amusés et bienheureux de ma famille. Magdeleine me suit, se tenant prête si jamais j'avais besoin de son aide, comme le jour de du départ de mon fiancé où elle a tenu mes béquilles pour me rendre plus digne. J'avance assez rapidement malgré cette entrave si bien que ma servante peine à me suivre. Passant devant une fenêtre donnant sur la cour principale, j'aperçois Magnus face à un petit groupe et je m'arrête dans mon élan. Marc-Aurèle est devant lui, je parviens à le reconnaître. Il a amené avec lui une Dame à cheval et toute une petite équipée. Je souris, heureuse de constater qu'il est bel et bien là et qu'il va bien.

Je reste à l'observer un petit instant et je me souviens... Sa promesse au moment de son départ et puis nos échanges au cours des deux jours précédents. Si mon sourire demeure, il se fait peu à peu moins enjoué. Magdeleine le remarque et penche la tête sur le côté, comme pour s'assurer d'avoir bien vu.

-Mademoiselle ?

Elle doit m'appeler une seconde fois avant que je ne réagisse, relevant subitement le regard vers elle comme si j'avais oublié qu'elle était là.

-Vous ne descendez pas le rejoindre ?

Je le regarde à nouveau et j'achève de prendre une décision déjà prise.

-Non. Je vois dans le regard de ma suivante qu'elle ne comprend pas mon geste. Même si je ne lui en ai pas parlé directement, elle a constaté ma tristesse et mon inquiétude après mes fiançailles autant que ma joie après notre très brève discussion de son départ. Elle sait, sans pour autant connaître les détails. J'ai peur, Magdeleine. Peur de retrouver celui qui ne veut pas de moi...

Cela m'a fait beaucoup de peine, la façon dont il m'a traitée les premiers jours et sa réponse lorsque je lui ai demandé de me voir comme une jeune femme et non comme la sœur de son suzerain. Je ne m'attendais certes pas à un mariage facile, avec lui ou avec un autre, mais je ne m'attendais certainement pas à cela. Il a fait un effort au moment de son départ mais c'est peut-être à moi de me montrer reconnaissante et d'en faire un à mon tour...
Finalement, après une longue hésitation, je commence à m'éloigner de la fenêtre à reculons.

-Quand il sera prêt, il viendra de lui-même.

Je me retourne et je m'en vais sous le regard médusé de ma servante. Elle hésite à me retenir et décide de ne rien en faire. Elle sait que cette décision n'est pas facile à prendre pour moi et que je me fais peut-être même du mal mais je considère que c'est la meilleure chose que j'ai à faire pour le moment. Elle ne me fera pas changer d'avis ou ne parviendra pas à trouver les mots justes. Pour l'instant, Marc-Aurèle a le cœur léger. Il est heureux de rentrer chez lui et ce serait risquer de gâcher son retour que de lui rappeler, par ma simple présence, l'engagement qu'on l'a forcé à prendre envers moi. Cependant, c'est un homme de parole et d'honneur. Il n'oubliera pas la promesse qu'il m'a faite... Et il viendra, lorsque le moment sera opportun pour lui. Je le laisse décider où et quand nos chemins se retrouveront. C'est mon cadeau de bienvenue...

Comprendre tout à fait « l’empressement qu’un jeune fiancé peut avoir envers sa dulcinée »… Louise avait vu juste… En très petite partie. Comment Marc-Aurèle pouvait être empressé à l’idée de se marier, lui qui cultivait cet esprit solitaire, et ce sens des responsabilités dédiées à la vie de ses gens et à la gestion de son bourg ? Lui et Alicia ont dix années d’écart, bon sang ! Elle n’a que 17 ans, et lui, bientôt 26… Et si la société Péninsulaire était habituée à ce genre d’évènements, comprenez un mariage arrangé avec plusieurs années d’écart, Marc-Aurèle, lui… Ne s’y était point encore habitué. La vérité, c’est qu’il était terriblement effrayé.

Le seigneur de Terrefière était tout à ses pensées, lorsque le cor d’Arétria se fit entendre. Les chevaux et toute l’équipée traversèrent bien rapidement le seuil de la grande porte fortifiée de la cité. Magnus était là, avec des gardes et des serviteurs. Le grand homme – tant par la taille que par la fonction – était visiblement heureux du retour de son vassal, car ce dernier était accompagné par ni plus ni moins que Louise de Fernel, châtelaine d’une contrée lointaine, venue en tant qu’alliée et partenaire commerciale.

Ni une ni deux, Marc-Aurèle confia la bride à un des palefreniers qui n’attendait que ça, et dont les mires transpiraient la surprise de voir un si fier destrier aussi beau et aussi bien soigné. Dès le cheval maîtrisé par le palefrenier, Marc-Aurèle donna un puissant coup de pied en arrière, afin de se jeter au sol, son armure de plate sonnant de toute sa lourdeur.

Il s’approcha du Comte d’Arétria, Magnus de Terresang, tira sa longue et épaisse lame de son dos, et se plaça devant le suzerain. Le genou droit toucha le sol, le visage se baissa pour ne regarder que le sol, et les bras se levèrent pour supporter la garde, l’estoc, lui, reposant sur le sol en signe de respect et de soumission.

« Votre Grandeur, j’ai l’honneur de vous présenter Louise de Fernel, châtelaine de son état. Elle a honorablement accepté de me suivre afin de vous rencontrer. Et vous serez heureux de savoir qu’aucun brigand n’aura croisé notre route. »

Et il resta là, attendant les ordres de son suzerain.

La châtelaine observe donc le seigneur de Terrefière plier le genou devant cet homme là-bas, qui se révèle être le Comte d’Arétria. Et elle ne perd pas une miette de la scène. Elle ne s’est pas trompée à propos de Marc-Aurèle, ce qui amène un petit sourire, léger, flottant sur ses lèvres. C’est un homme noble et digne, un souffle chevaleresque, à n’en point douter, fidèle à son suzerain. Le comte d’Arétria doit sans doute apprécier à sa juste valeur un homme tel que Marc-Aurèle au point de le faire entrer dans sa famille. Les hommes comme lui sont rares. Elle le sait très bien.

Lorsque le comte approche pour la saluer, elle lui rend son salut d’un élégant mouvement de la tête avant de rabattre sa cape vers l’arrière et de littéralement sauter de sa selle, se réceptionnant en souplesse sur le sol, tout comme Philippe et Enguerrand, calquant leurs mouvements sur ceux de la chatelaine puis s’inclinant bien bas devant le Comte.

Louise, elle, regarde Magnus tout en lui adressant un sourire aimable, de circonstance, les rênes de son cheval au bout de ses petits doigts, faisant fi de toute considération à propos de son langage approximatif. Elle a compris l’essentiel, c’est bien tout ce qui compte après tout, même si elle ne peut s’empêcher de se demander comme il est possible que le vassal s’exprime mieux que le suzerain…

- Je vous remercie pour votre accueil, Monsieur le Comte.

Elle se tourne vers le charriot et sourit plus encore avant de reporter son attention sur lui.

- J’ai pris la liberté d’emmener avec moi de quoi apporter quelque soulagement tout en offrant un aperçu du produit de mes terres. J’ose espérer que cela vous conviendra.

Louise doit quelque peu lever la tête pour lui parler.

- Je vous suis. Cela étant, si cela ne vous dérange pas, j’aimerais prendre un peu de repos. Nous n’avons guère pris le temps de nous reposer ces dernières heures, le seigneur de Terrefière semblait craindre une attaque, ce qui nous a obligé à forcer la route.

Tout comme elle n’aime pas imposer des discussions importantes à ses visiteurs immédiatement après de longues heures de route, elle préfère prendre quelque repos avant de discuter affaire quand elle se déplace.

- C’est la première fois que je me rends en ces lieux. Je suis curieuse d’en apprendre davantage à propos d’Arétria, même si le seigneur de Terrefière m’en a déjà dressé un portrait.

Spoiler:

Pour Louise, c’est une première. Aider d’autres personnes, des personnes étrangères à Fernel, de cette façon-là. Cela a un côté plutôt gratifiant, quelque part, de savoir que grâce à la paix qui règne en son domaine et dans le Duché, elle est en mesure d’apporter un peu de soutien ailleurs. Bon d’accord, ce n’est pas gratuit, mais tout de même, il y a ce petit sentiment du devoir accompli et une certaine satisfaction d’avoir correctement géré les choses qui fleurissent en son cœur. Seule à la tête de son petit domaine caché dans les Monts d’Or, elle parvient à aider, au moins un peu, un comté lointain et cela, pour son estime personnelle, est important. Pourtant, son visage reste serein et calme, aucun triomphe, même modeste, sur ce jeune visage qui observe les choses, avec toute l’attention qu’on lui connait.

Elle a remarqué les regards qu’on lui lance, tout comme ceux qu’on adresse à sa petite suite. Enguerrand et Philippe ne sont pas en reste, juste derrière Louise, à la suivre comme son ombre. On sent ici, dans la ville, une ambiance un peu particulière, bien loin du calme et de la douceur de vivre de son petit bourg des montagnes. Les gens ont le regard fatigué, cerné, fuyant même parfois, alors qu’ils vaquent à leurs occupations. Toutefois son regard à elle sera immanquablement attiré par l’immense citadelle qui se dresse devant eux. Elle s’arrête même un instant pour l’observer, avec un sourire. Cela s’ajoutera à toutes les merveilles qu’elle a déjà pu observer au cours de tous ses périples.

- Je vous remercie Monsieur le Comte. Nous n’avons que peu de besoins, nous n’abuserons pas de votre générosité.

La plus exacte vérité. En voyage, Louise ne s’encombre pas de superflu et n’est jamais une réelle charge pour quiconque. La vie à Fernel est une vie simple, une vie économe même si on y vit bien. Elle transpose ce mode de vie partout où elle se rend, ce dont on lui sait gré en règle générale.
Lorsque Magnus demande à un intendant de faire un relevé de ce qui se trouve dans le charriot, Louise l’interrompt d’un geste doux de la main, avant de se tourner vers ses hommes.

- Si vous le permettez Monsieur le Comte, mes hommes vont se saisir de nos effets personnels et de quelques cadeaux destinés à votre sœur.

Philippe et Enguerrand acquiescent et s’emparent rapidement d’un coffre de chêne et de quelques sacs qu’ils tendent aux domestiques chargés de les conduire en leurs appartements. Louise aura alors un sourire tranquille pour Magnus avant de s’incliner légèrement et de rabattre sa cape dévoilant son arme à son côté, replaçant ensuite ses mitaines avec agilité.

- He bien nous nous verrons plus tard. A tout à l’heure.

Déjà elle s’éloigne, ses hommes sur les talons, toute à la découverte de ce nouvel environnement.

Se relevant immédiatement après que son suzerain le lui ai demandé, Marc-Aurèle se plaça de côté et légèrement en retrait dans le dos de Magnus, faisant face à Louise qui était encore sur son destrier. Il demeura silencieux, effacé, car il n’était point son rôle que d’être au cœur des paroles ni au-devant des protagonistes de ce qui allait se jouer bientôt ici.

L’attitude de Louise, fière et forte, rappelait bien vite l’attitude qui était la sienne lorsque Marc-Aurèle s’était présenté à elle, voilà plusieurs ennéades. De la même manière qu’elle lui laissa une chambrée, et un temps de repos et de découverte, la châtelaine demanda la même chose à Magnus qui, au grand étonnement de Marc-Aurèle, acquiesça, et consenti à toutes les demandes de la jeune châtelaine. Fière disions-nous, elle descend avec élégance de son destrier, et s’empare de ses biens et… D’un cadeau pour Dame Alicia ?

Les yeux de Marc-Aurèle s’écarquillèrent et s’illuminèrent devant toute l’interrogation qui était la sienne. Un cadeau ? Pourquoi ? Pour le mariage à venir, puisqu’elle sait qu’Alicia et Marc-Aurèle sont promis l’un à l’autre ? Mais le temps n’était point aux questions, ni à aux élucubrations. Car déjà, Magnus commanda à Marc-Aurèle – encore transpirant, poussiéreux et fatigué de son voyage – de s’éloigner et de discuter. Après quelques félicitations qui firent sourire le petit seigneur et qui le rendirent fier, le Comte entre direct dans le vif du sujet.

Le dos bien droit, la mine fière mais le visage neutre, Marc-Aurèle croisa ses mains devant lui – et non dans son dos comme il en a l’habitude, à cause de la gêne provoquée par son épaisse armure de plate – il entreprit une réponse :

« Selon vos indications Votre Grandeur : des reitres et du fer, contre des denrées et de l’expertise. La Dame de Fernel désire obtenir du fer, et une douzaine de reitres, en échange d’exportations de denrées qui survivront au transport, et à l’apport de quelques artisans, constructeurs et terrassiers. La Dame a bien remarqué l’état de nos routes. Celles de Fernel sont exceptionnellement bien terrassées, Néera m’en soit témoin. »

La petite délégation ferneloise suit les serviteurs du Comte, Louise en tête. Juste derrière elle, Philippe et Enguerrand. Le nez en l’air, toujours à tout observer, la châtelaine note ici et là certaines ressemblances avec son propre château, surtout dans la décoration austère et martiale, typique du Nord. Finalement, ce n’est pas si différent de Fernel…

Le constat sera le même dans ses appartements, pourvus de tout le confort sans en faire trop, ce qui lui convient très bien tout autant qu’à ses hommes.

- Posez le coffre et nos effets là-bas, dans un coin, messieurs, je vous prie.

Elle ôte ses mitaines, le nez toujours levé, avant d’ôter sa cape et de libérer au passage des volutes de poussière qui se répandent sur le sol. Louise a ensuite un regard lumineux pour cette baignoire fumante qui l’attend là. Et sur tous les hommes qui sont présents. Aucune femme. Elle a un regard pour Enguerrand et Philippe qui s’inclinent et sortent. Il ne reste donc que les serviteurs.

- Je désire avant toute chose être seule, mais si je pouvais disposer d’une cruche d’eau claire afin d’apaiser ma soif, je vous en serais reconnaissante.

Polie, aimable, courtoise, même avec les serviteurs. Elle a ensuite un sourire pour cet homme qui l’observe et ajoute:

- Pour le reste, je n’ai besoin de l’aide de personne, je peux parfaitement me débrouiller seule. Disposez tout ce qui est nécessaire à une toilette là-bas, dit-elle en montrant un petit tabouret, je m’occuperai du reste sans problème.

L’habitude. Quand on a passé des ennéades complètes à cheval, à fréquenter les auberges et les granges, on ne s’encombre pas de camériste. Louise est donc parfaitement apte à prendre soin d’elle sans assistance, y compris pour s’habiller, tout comme elle l’a fait à Kirgan, d’ailleurs.

- J’y songe, il y a bien quelque chose que vous pourriez faire pour moi.

Petit sourire en coin.

- Prévenez donc Dame Alicia de Terresang que je souhaiterai la voir après mon entrevue avec le Comte, si elle est disponible et si elle le souhaite également, s’il vous plaît.