Une flamme qui s'éteint allume une étoile.

Fin de la seconde ennéade de verimions 18 : XI.

Prudence dégustait une coupe de vin d’Hautval en remerciant la DameDieu que son père ait enfin changé d’avis et se soit mis à arrêter de pousser tout le monde à boire du vin local. Bien qu’en réalité elle devrait peut-être remercier Arcam, ce serait plus approprié mais Néera avait l’avantage qu’on pouvait la louer en public. Tenant sa tête avec sa main libre, la jeune femme regardait par-dessus la balustrade du balcon de ses appartements, laissant son regard vagabonder sur la cité qui s’étalait aux pieds du palais. Elle rêvassait, se languissant d’un jour où la ville lui appartiendrait, lui appartiendrait officiellement, d’un jour où on l’appellerait enfin son excellence, ou pourquoi pas son altesse et, quitte à rêver autant le faire jusqu’au bout : pourquoi pas sa majesté. Mais pour ça il fallait que ses plans fonctionnent ce qui n’était malheureusement pas dit. Réfléchir à tout ce qui pouvait mal tourner la sortie de ses rêveries et elle avala une gorgée de vin.

Toutefois elle savait que pour réaliser ses ambitions il lui fallait agir et non pas attendre en prières dans un temple que les dieux daignent se pencher sur son cas pour exaucer ses vœux comme le faisait son imbécile de frère. Elle se leva en entendant toquer à sa porte et posa sa coupe sur une table basse avant de retourner à l’intérieur.

« Entrez. » Elle remit sa robe en ordre avant de se diriger vers ladite porte, son cœur accéléra ses battements. Un membre du tercios langecin, hallebarde calée sur son épaule s’inclina devant la fille aînée du marquis en montrant une pièce de la taille d’un écu, noir, sur laquelle se trouvait un V sur le côté pile et une rose sur le côté face. « Je vous écoutes. »
« Nous avons des nouvelles : la noblesse sybronde commence à s’agiter dangereusement. Maître Veltre est d’avis qu’il faudrait nous en mêler. » Le soldat laissa une ou deux secondes de flottement pour voir si son interlocutrice allait répondre mais face au silence il ajouta : « et rapidement. »

Prudence acquiesça d’un hochement de tête. Elle était également de son avis bien qu’elle ait préconisé la patience à la dernière réunion parce qu’elle ne savait pas ce que son frère tramait et que si cet imbécile passait son temps au temple c’était bien parce qu’il y avait une raison. Après tout si elle passait son temps à comploter alors les autres devaient bien faire la même chose.

« Dites à maître Veltre que je m’en occuperais, j’ai un nom en tête, vous pouvez disposer. »

Le soldat s’inclina puis fit disparaître sa pièce dans une manche avant de sortir. Prudence retourna quelques instants sur son balcon pour observer la cité qui s’étendait à ses pieds avant de faire demi-tour d’un pas rapide et nerveux. L’impatience de Veltre commençait à sérieusement l’agacer et l’idée d’agir selon son bon vouloir hérissait le poil de la langecine. Il fallait alors qu’elle agisse vite pour présenter l’entreprise comme son idée, ou du moins reprendre l’intiative, et pour ce faire, pour que la manœuvre puisse jouir d’un peu de crédibilité, il fallait qu’elle ait un plan à opposer à celui de Veltre.

Ce fut donc un pas rapide qui l’amena d’abord jusqu’à une armoire dans laquelle elle récupéra un manteau ample et noir ainsi qu’un masque avant de s’en aller jusqu’à un manoir urbain relativement discret pour un tel bâtiment. Si on trouvait sur sa façade les couleurs vives qui animaient les murs de la cité, on y trouvait des dorures qu’avec parcimonie, ce qui jurait avec le reste des demeures des libertins qui faisaient étalage de leur richesse, allant souvent jusqu’au mauvais goût. Les hommes d’armes qui se trouvaient devant lui lancèrent un bref regard alors qu’elle passait le portail extérieur mais ne bougèrent pas. On ouvrit les portes pour lui permettre d’entrer et un serviteur l’accompagna jusqu’à un bureau dans lequel se trouvait un homme élancé, noueux, richement vêtu et avec un chapeau sur lequel était planté une grande plume orangée. Il leva le nez de son registre et déposa sa plume avant de remettre correctement sa paire de lunette sur son nez aquilin.

« J’ai loupé une réunion, Elise ? » Demanda-t-il d’une voix suave, mielleuse, avec un rictus amusé et teinté de satisfaction accroché aux lèvres.
« Non. » Prudence retira sa capuche et son masque, faisant disparaître ce dernier sous son manteau de jais. « Je me suis dit que préparer la prochaine ne serait pas une mauvaise chose. »
« Ah ? Et pourquoi donc ? »
« Parce que Veltre recommence à perdre patience et qu’on ne peut pas le laisser recommencer ses folies. »
« Pourquoi pas ? Cette fois il les fera bien loin de Langehack. »
« Vous êtes au courant? » Elle avait murmuré et elle-même ne savait pas trop si c’était davantage une remarque ou une question.
« Il est venu me parler hier. » L’homme haussa les épaules et se mit de profil dans son fauteuil puis il se mit à jouer avec un souverain sans que la jeune femme ne saches d’où il avait bien pu provenir, il avait d’abord les mains vides et l’instant d’après une pièce dansait entre ses doigts.
« On ne peut pas le laisser s’occuper de quoi que ce soit, c’est un dégénéré… »
« Un dégénéré utile. » Objecta l’homme en levant un indexe, coupant la parole à son interlocutrice. « On ne peut pas lui faire confiance et vous le savez parfaitement. » Elle croisa les bras et on pouvait entendre qu’elle commençait à perdre patience, ce qui semblait grandement amuser la personne confortablement assise en face. « Il faut une intervention divine pour qu’il arrive à se contrôler. »
« C’est pour ça que nous sommes là : pour le remettre sur le droit chemin lorsqu’il en dévie. »
« Dans ce cas je vous laisserais vous en charger. » Ce fut au tour de Prudence de faire naître un sourire satisfait sur ses lèvres bien que cette fois ce fut devant le malaise de l’homme assit qui fit une moue de dégout alors que la pièce retrouva son immobilité première. Elle pouvait le forcer à surveiller Veltre et elle pouvait également sentir la peur que ce grand malade inspirait à son interlocuteur.
« Ce privilège fut votre et il me peinerait de vous l’ôter. » Lâcha-t-il de mauvaise grâce.
« Votre bonté vous perdra, merci de m’avoir reçu. » Bonne gagnante, l’aînée de Langehack fit disparaître son sourire avant de s’incliner et de s’en aller sans attendre de réponse, réponse qui, de toute façon, ne vint jamais.

Tariho de la troisième ennéade de verimions 18 : XI,
A Langehack, par une belle soirée d’été.

Miroir attendait dans la rue, jetant des coups d’œil à l’auberge, et plus particulièrement aux personnes qui entraient ou sortaient et elle finit par pousser un soupir. Ce n’était d’ordinaire pas son rôle de surveiller et l’attente commençait à réellement l’ennuyer ; elle en venait à se demander comment pouvaient bien faire les gardes pour ne pas mourir d’ennui, eux qui faisaient quelque chose de similaire tout au long de leur vie. Et dire que ça faisait à peine une dizaine de minutes alors que ça semblait être une éternité. La damoiselle aux cheveux blonds se décida alors à se diriger vers l’auberge qu’elle scrutait, elle se faufila à l’intérieur, profitant de l’entrée de quelqu’un d’autre pour être plus discrète, elle marcha d’un pas lent directement jusqu’au comptoir pour y commander à boire. Ce fut donc avec une coupe d’un vin bien trop cher pour ce que c’était, qu’elle commença à boire avant d’entamer une discussion avec un voyageur dont l’accent nordien était à couper au couteau, ne laissant que peu de doute sur ses origines.

Quitte à devoir attendre, elle préférait que ce fut ainsi et non pas comme une vulgaire voleuse, dans une ruelle, à l’ombre d’une maison ou d’un entrepôt, à épier une potentielle victime. Qui plus était, son interlocuteur semblait être un homme fort intéressant, bien qu’un peu bourru, un oesgardien qui ne semblait pouvoir parler que de ses prouesses physiques. Toutefois Miroir dut admettre qu’il avait un petit talent de conteur et que les histoires de ses chasses avec un seigneur du nord, un certain Brohan, étaient palpitantes ; bien qu’en réalité il s’agissait plus de longs monologues entrecoupés d’une question ou d’une remarque de sa part, qu’autre chose. Mais toutes les bonnes choses ont une fin et elle dût mettre un terme à ce début de soirée qui fut, somme toute, plus agréable qu’elle ne l’aurait pensé.

Elle s’excusa auprès du nobliau une petite heure après être rentrée dans l’établissement et laissa sa coupe pour monter à l’étage où se trouvaient les chambres. Elle n’eut pas de mal à trouver la porte qu’elle cherchait, il faut dire que si au premier abord le propriétaire des lieux s’était montré protecteur, refusant de dévoiler la chambre qu’elle cherchait, une somme importante suffit à lui délier la langue. Miroir prit une grande inspiration et leva la main pour toquer à la porte en face d’elle et elle frappa trois fois.

« Dame Tibéria? »

[Quelques heures plus tôt]

Faenestre regarda Tibéria se laisser tomber sur le banc en face de lui. Il poussa vers elle un pichet rempli de bière.

« Alors, on a bien dépensé? »

« Probablement plus que je ne l’aurais dû. Langehack a des artisans tellement talentueux... » Elle but une gorgée et grimaça. « Je déteste la bière. Où est le vin? J’en veux un bon, pas du jus de raisin comme la veille. »

L’ami et confident de Lohie s’esclaffa.

« Il s’en vient, un peu de patience. Ainsi qu’un bon repas. »

« Tant mieux, je meurs de faim. » Elle but une autre gorgée de bière et grimaça encore. « Il n’y a rien à faire, la bière c’est dégueulasse. Comment fais-tu pour en boire, ça me dépasse complètement! » Du coin de l’œil, Tibéria vit leurs voisins de tables sursauter et tourner la tête vers eux. Elle les ignora.

« Alors, pourquoi continuer d’en boire? »

« J’ai soif et il n’y a que ça sur la table. Où sont les autres? »

Tibéria regarda rapidement autour. La salle à manger de l’auberge était pleine de monde, mais elle n’y voyait presque personne de son groupe. Seul Faenestre était là ainsi que le palefrenier qui jouait aux dés au fond de la pièce avec des gens du coin.

« Voilà des jours que nous sommes sur la route. Je pense que les gars veulent profiter de toutes les distractions que Langehack a à offrir. »

« Je vois… Et tu n’as pas eu envie de les rejoindre? »

Faenestre se redressa sur son banc, affichant son plus charmant sourire.

« Je suis de garde ce soir. »

« Je n’ai pas besoin qu’on me surveille. Et tu devrais en profiter avant que ma sœur ne te passe définitivement la corde au cou. Après, il sera de mon devoir de défendre l’honneur de ma petite sœur bien que je puisse t’assurer que sous ses apparences douces et gentilles, elle est parfaitement capable de clouer tes testicules au mur sans mon aide. »

Cette fois, Faenestre rugit de rire. Leurs voisins de table les regardaient, mortifiés. À leurs vêtements, c’était soit des bourgeois fortunés ou des nobliaux et aucun d’eux ne s’attendait à ce qu’elle tienne aussi ouvertement un tel langage.

« Ce langage! »

« Pardonne-moi, j’ai passé trop de temps entouré d’anciens soldats. Ils ont eu une très mauvaise influence sur moi. Alors, ce repas, il vient? »

~~~~~~~

Tibéria ouvrit le couvercle de la lourde malle et commença à fouiller à l’intérieur. En l’absence de sa servante, elle devait se débrouiller toute seule. Ça ne la dérangeait pas. En fait, elle appréciait ce moment de solitude après avoir passé une journée hors de l’ordinaire. Elle s’était beaucoup amusée dans la boutique du couturier même si son comportement fut plutôt rude envers elle. Tibéria n’était pas sans reproche, mais s’il avait conseillé correctement cette jeune femme, elle ne serait pas intervenue. Comme elle serait jolie dans ses nouvelles robes! Le regard de l’ancienne duchesse glissa vers les rouleaux de tissu appuyés contre le mur de la chambre. Elle avait choisi de jolies étoffes pour elle-même, mais elle devra attendre avant de les voir transformés en nouvelles tenues. Elle devait aussi trouver un moyen de les faire envoyer à Papincourt. Le risque était trop élevé de voir les étoffes ruinées durant le reste du voyage.

Elle trouva une chemise propre et la jeta sur le lit. Ensuite, Tibéria s’installa devant la coiffeuse et commença à brosser ses cheveux. Plus tôt ce matin, elle avait fait envoyer une lettre à Papincourt. Elle écrivait à Lohie dès que c’était possible. Elle lui détaillait ses rencontres et l’état des négociations et terminait sa correspondance avec quelques propos plus… personnels. Rien de bien choquant, mais elle était prête à parier que Lohie ne ferait lire ces lettres à personne. Cette pensée lui arracha un sourire. Elle avait aussi dit à son époux que la prochaine étape de son voyage serait Diantra et qu’elle prévoyait quitter Langehack au début de la cinquième ennéade. Secrètement, elle espérait qu’il puisse faire le voyage et la rejoindre là-bas. Tibéria était perdue dans ses pensées lorsqu’un éclat argenté dans sa chevelure attira son attention. Elle cessa aussitôt de se brosser. Ses yeux s’écarquillèrent légèrement tandis qu’elle se penchait vers le miroir afin de mieux voir. Oui, c’était bien ce qu’elle redoutait. À la lumière vacillante des chandelles, un cheveu blanc se détachait, presque moqueur, à travers sa crinière de boucles noires.

« Si tu penses que... »

Sans hésiter, elle l’arracha.

« Aïe! »

Bien entendu, c’est à ce moment qu’on cogna à la porte. Ça aurait pu être sa servante, mais elle ne reconnut pas la voix qui venait du couloir. Peut-être une fille de la maison? Tibéria laissa la coiffeuse et alla ouvrir. De l’autre côté, elle trouva une jeune femme blonde au joli minois. Un seul coup d’œil suffisait pour comprendre que ce n’était pas une servante de l’établissement.

« Oui, c’est bien moi. À qui ai-je l’honneur? »

Il se faisait un peu tard pour les visites de courtoisie.

La demoiselle sursauta en entendant le petit cri mais se ressaisit rapidement et lorsque la porte s’ouvrit il ne lui fallut pas longtemps pour voir qu’elle ne s’était pas trompé, ou du moins que le tenancier de l’auberge ne lui avait pas mentis. Au final sa mission se passait bien mieux que ce qu’elle avait imaginé, pour le moment du moins.

« Bonsoir. » Elle se fendit d’une révérence qui laissait un peu à désirer, il fallait dire que contrairement à d’autres, Miroir n’avait pas eu la chance de recevoir des leçons sur le sujet. « Je m’appelle Miroir et si cela ne vous dérange pas, j’aimerais vous parler quelques instants en privé, loin des oreilles indiscrètes qui infestent cette délicieuse auberge ; j’ai une proposition qui, je l’espère, pourrait vous intéresser. »

Du moins c’était ce que sa maîtresse semblait penser et la blonde ne se risquait pas à avoir un avis sur le sujet, vu qu’elle manquait cruellement d’information. De toute façon ça ne l’intéressait que gère. Elle avait deux mentaux qui pendaient à son bras et elle en tendit un à Tibéria.

« Si cela peut vous rassurer, nous n’irons pas bien loin et pas longtemps. »

Elle avait bien conscience que ça pouvait avoir l’air d’un piège quelconque, elle avait même prévenu ça maîtresse que ça risquait de coincer mais cette dernière s’en était moquée, se contentant d’un haussement d’épaule en lui disant qu’elle avait toute confiance en ses capacités ; incertaine de ce que ça pouvait bien vouloir dire, Miroir était partie en retenant de pousser un soupir.

Tibéria regarda la jeune femme. Cette situation était pour le moins étrange. Qu’est-ce qu’il y avait de si important pour qu’elle veuille lui parler à cette heure et surtout, en privé?

« Pour être franche, ça n’a rien de très rassurant. » Lui répondit Tibéria d’un ton méfiant. Elle prit tout de même le manteau que lui tendait Miroir. « Si tu permets, je vais prendre quelques précautions. »

Elle s’écarta de la porte, mais ne lui tourna pas le dos. Elle prenait un risque en acceptant de la suite, mais elle n’était pas non plus complètement idiote. Son épée était appuyée contre le mur, tout près. C’était une lame courte et légère adaptée à sa constitution. Elle ne serait que d’une efficacité limitée face à un chevalier en armure, mais pourrait éviscérer un homme — ou une femme — si la situation se présentait. Tibéria l’accrocha à sa ceinture.

« Je sais m’en servir. J’ai eu sept ans pour m’y entraîner. »

Elle aperçut ensuite son reflet dans le miroir. Ses cheveux tombaient librement sur ses épaules. Pour l’instant, ce n’était pas si mal, mais un coup de vent ou un peu d’humidité suffirait à perdre tout contrôle. « Si tu étais arrivé 10 minutes plus tôt, mes cheveux ne seraient pas défaits. Faudra s’en contenter, je suppose. » Tibéria passa le manteau sur elle et ramena le capuchon sur sa tête. « Il est tout à fait possible qu’il y ait au moins un de mes compagnons de voyage encore dans la salle à manger, peut-être plus. Si l’un d’eux me voit, ils chercheront forcément à suivre. Ils peuvent être aussi insupportables qu’une mère oie lorsqu’ils s’y mettent. Espérons que l’alcool a coulé à flots ce soir. »

Elle n’était pas spécialement surprise par la réaction de Tibéria car en réalité elle aurait sans doute eu la même. Quelqu’un qu’on ne connait pas, qui vient drapé de mystère pour vous demander de la suivre autre part, hors de portée de ses camarades de voyage et ce dans une ville inconnue… Miroir ne prit donc pas ombrage de sa réponse.

« Je… je vous en pries, prenez les précautions que vous voulez. » Elle leva les mains, ce qui fit tomber les manteaux qu’elle tenait sur son épaule, cachant une partie de son visage de façon un peu ridicule. Elle eut envie de lever un peu plus les mains en voyant que la soltarii s’emparait d’une épée mais avec les manteaux déjà appuyés contre sa tête, elle n’était pas certaine de pouvoir. « Je vous crois sur parole, inutile de me faire une démonstration, je ne suis pas armée. »

Pendant un instant elle ne fut pas certaine de comprendre la suite avant de se rappeler qu’elle avait en face d’elle une femme de haute naissance, de haute noblesse qui plus était, et ne fit pas grand cas de sa remarque. Elles appartenaient à deux mondes bien différent et Miroir n’était pas certaine de vouloir que ça change.

« Vous aurez tout loisir de vous occuper de votre coiffure pendant que nous parlerons si vous le désirez. Pour ce qui est de vos camarades, avec un peu de chance ils ne verront pas votre visage. »

Elles descendirent ensuite, Miroir prenant la tête, faisant attention à faire le moins de bruit possible dans lesdits escaliers dans l’espoir de ne pas attirer l’attention des personnes étant restées en bas. Personnes qui s’avéraient en réalité nombreuses et elle ne pouvait pas les blâmer : ce soir d’été était une bonne occasion de boire et pour une région en fête quasiment perpétuelles comme Langehack, il n’en fallait guère plus. Ainsi elles purent profiter de la petite foule pour sortir et passer par la ruelle de laquelle Miroir avait observé l’auberge il y avait une heure et quelque de ça. Après avoir remonté ladite ruelle sur une vingtaine de mètres Miroir s’arrêta devant une porte qu’elle poussa pour entrer dans une maison qui semblait abandonnée. Toutefois elle ne s’arrêta pas ici, l’endroit était encore trop propice aux espions à son goût pour ce qu’elle avait à dire alors elle s’enfonça dans les ténèbres pour se diriger vers une autre pièce et elle tourna à gauche et traversa la pièce en question pour aller pousser une armoire ; avec plus de difficultés qu’elle ne l’aurait voulu. L’armoire révéla des escaliers s’enfonçaient dans les ténèbres.

« On y est bientôt. » Elle s’était retournée vers Tibéria avec un sourire qui se voulait rassurant avant de prendre un briquet et d’allumer une torche qui attendait patiemment sur l’un des supports du tunnel. Enfin elle pénétra à l’intérieur du passage, la lumière chassant les ténèbres et elle replaça l’armoire derrière elles. En bas des escaliers se trouvaient une table avec un pichet de vin et deux gobelets placés dans une petite pièce qui ne faisait pas plus de cinq mètres carrés et dont on pouvait sortir soit par les escaliers soit par une porte en bois aveugle de l’autre côté des escaliers en question. « Je vous en pries asseyez-vous. »

Miroir reposa la torche sur un support avant de montrer l’exemple.

« Un peu de vin? » Dans le doute elle remplit les deux gobelets avant d’en boire une gorgée pour se désaltérer, l’effort qu’elle avait fourni pour révéler le passage et la poussière l’avait laissé avec une gorge tristement sèche. « Bien, maintenant que nous sommes hors de portée d’oreilles indiscrètes, nous allons enfin pouvoir discuter, si vous voulez vous occuper de votre coiffure, je vous en pries, faites donc. »

Après avoir reposé le gobelet sur la table, la blonde remit un peu d’ordre dans la sienne avant de s’installer plus confortablement dans la chaise, du moins autant que le permettait ladite chaise qui était faite dans un bois qui n’était pas d’une grande qualité.

« Je vous ait approché pour vous présenter une opportunité. » Miroir attrapa à nouveau son gobelet pour avaler une nouvelle gorgée d’un vin qui n’en méritait qu’à peine le nom. « Vous qui étiez duchesse vous devez sans doute connaître Soltariel et Sybrondil, il semblerait que la noblesse sybronde n’est pas spécialement contente, elle gronde, et ce mécontentement peut nous être profitable, à tous, vous y compris. La personne que je représente et ses associés vous propose donc son soutien pour régler le problème, que vous ayez besoin d’or, d’hommes ou de matériel. »

Ce petit manège avait toutes les apparences d’un piège, mais la curiosité l’emporta sur le gros bon sens. Tibéria voulait savoir ce qui demandait une telle prudence et elle avait suffisamment confiance en ses capacités pour se sortir du pétrin si nécessaire. Cette petite escapade les amena jusqu’à une pièce cachée où attendait un mobilier bancal, un pichet de vin ainsi que deux gobelets. Si elle voulait sa mort, c’était se donner beaucoup de mal pour aucune raison. Miroir l’invita à s’asseoir alors qu’elle versait le vin dans les verres. Tibéria huma le liquide non pas à la recherche d’un poison, mais plutôt pour en sentir le bouquet. Ce qu’elle renifla la convainquit de ne pas en boire. Décidément, il était difficile de trouver un bon vin ici. Elle reposa son gobelet et n’y toucha plus.

« Merci, mais ça ne sera pas nécessaire. Maintenant, pardonnez ma brusquerie, mais j’aimerais vraiment savoir ce que vous avez de si important à me dire qui nécessite autant de précautions. Avez-vous l’intention de renverser quelqu’un? »

Elle avait dit cela sur le ton de la plaisanterie. Miroir ne perdit pas de temps et brossa un rapide portrait de la situation actuelle à Sybrondil de même qu’à Soltariel. Le regard de Tibéria flamboya à la mention de ces mots, mais si elle donna l’impression d’être en colère, c’est plutôt de rire qu’elle éclata. Elle riait tellement, qu’elle se tordait sur sa chaise. Les larmes roulaient sur ses joues et elle peinait à respirer. Quelques minutes furent nécessaires avant qu’elle ne retrouve un semblant de maîtrise sur sa personne.

« Vous ne pouvez pas être sérieuse! » Elle s’esclaffa, mais fut vite forcée d’admettre que Miroire était très sérieuse. « Oh bon sang, mais vous êtes sérieuse... » L’ancienne duchesse essuya les larmes qui coulaient encore sur ses joues. « Dire que la noblesse sybronde est mécontente, c’est comme dire que les drows sont les créatures les plus infectes à fouler cette terre. C’est un fait, un état perpétuel qui ne changera jamais à moins de les soustraire à Soltariel ou de raser complètement cette terre. Victoria di Maldi a déjà tenté la première option. Elle est allée voir Cléophas d’Angleroy prête à donner au roi sa terre, ses hommes et ses richesses. Les nobles ne supportaient plus le joug de Soltariel et de ma famille. Ce n’est pas sans raison que Sybrondil est passé de baronnie à comté. C’était une façon d’acheter la paix. Finalement, ça n’aura pas été suffisant pour cette truie. »

Tibéria croisa les bras sur sa poitrine. Elle n’était pas particulièrement ravie de tenir cette discussion. Malgré les années, l’insulte était encore trop grande. Ses efforts pour laisser le passé derrière et aller de l’avant n’étaient jamais suffisants. Elle restait une soltarii et leur réputation de revanchard n’était plus à faire. Même si elle souhaitait se détacher de cette étiquette et montrer qu’elle était bien mieux qu’eux, c’était son sang et il rugissait.

« Comment pouvez-vous être certaine que je peux vous aider? Je n’ai pas posé les pieds là-bas depuis sept ans. Je ne peux que deviner ce qui s’y passe. Sybrondil n’est plus capable de supporter Soltariel et vice versa. C’est toujours la même histoire. Les sybronds sont bien embêtés maintenant, car leur comtesse a épousé l’héritier du trône ducal et s’est assuré de lui pondre une petite armée d’hériter. L’insulte est plus grande encore, car celui qui sera comte aura du sang sybrond et du sang soltarii dans les veines. Mais ça ne fait pas de sens qu’ils aient attendu aussi longtemps pour montrer les dents. Leur réaction a été très prompte après la débâcle de mon premier mariage et celui de la comtesse ne date pas d’hier. Il y a forcément autre chose. Dites-moi tout ce que vous savez. Après, je déciderai si oui ou non j’accepte de vous aider. Gardez en tête qu’il s’agit d’une période particulièrement difficile de ma vie et que d’y replonger, même après toutes ces années, ne sera pas facile. J’ai perdu beaucoup de choses, pas seulement un titre. » Elle posa ses mains sur la table, ses paumes tournées vers le haut, exposant ainsi les callosités qui les rendaient rugueuses. Ce n’étaient plus les mains d’une femme de très haute naissance. « Je ne crains pas de mettre la main à la pâte et de fournir tous les efforts nécessaires, mais il faut que ça en vaille la peine autant pour moi que pour ma famille toujours en vie. »

HRP:

Devant le rire de Tibéria, Miroir se contenta d’avaler une gorgée de vin, autant parce qu’elle avait encore soif que parce qu’elle voulait éviter de lui lancer un regard un peu mauvais. Elle hocha alors la tête lorsque l’ancienne duchesse se rendit compte du caractère sérieux du présent entretien. Elle écouta alors l’exposé qui lui fut fait sur Sybrondil et nota une ou deux choses dans un coin de sa tête. Enfin lorsqu’elle lui montra ses mains, ce fut au tour de Miroir de rire bien qu’elle ne répondit rien bien qu’elle ait envie de plaindre la femme en face d’elle. La pauvre, elle avait dû abandonner pendant un temps les conforts d’un palais emplis de serviteurs prêts à satisfaire le moindre de ses désirs, elle avait peut-être même dû travailler ! Quelle disgrâce, vraiment. Mais à quoi bon en faire la remarque ou même le mentionner, ce ne serait sans doute pas la dernière fois que Miroir verrait une noble se plaindre d’avoir à faire quelque chose de sa vie pour survivre.

« Nous ne savons pas si vous êtes en mesure de nous aider, nous faisons que le supposer. » Enfin ce n’était pas elle qui le supposait vu qu’elle n’avait pas son mot à dire sur le sujet mais là n’était pas vraiment la question. « Si la noblesse sybronde a attendu si longtemps pour montrer les dents, comme vous dites, c’est sûrement parce qu’elle a reçu l’assurance d’une aide extérieure, d’alliés qui ne font pas partie du duché et qui pourrait les aider en cas de représailles soltarii. Des représailles qu’il est aisé d’imaginer si jamais l’épouse de l’héritier du trône ducal venait… à avoir quelques soucis de santé. »

Après avoir parlé elle avala à nouveau du vin et tandis qu’elle reprenait elle remplit son gobelet qui s’était vidé bien plus vite qu’elle ne l’avait pensé. Il fallait dire que parler donne soif, surtout lorsque l’on aborde des sujets comme ceux-ci. La destiné des peuples ayant tendance à être suffisamment graves pour mériter qu’on s’assèche la gorge.

« Vous avez mentionné deux moyens d’appaiser la noblesse sybronde... » une fois que le vin arrivait proche du bord du gobelet, Miroir releva ses yeux presque incolores sur Tibéria. « Si séparer Sybrondil du duché n’a pas marché c’est peut-être parce que vous traitez les conséquences du mal et non sa cause. Parfois il suffit de s’attaquer aux racines du problème, si j’ai pu observer une chose, depuis mon humble position de femme du peuple, des purges qui ont secoué Langehack c’est que la bourgeoisie comme la noblesse qui y avaient survécut, et qui parfois avaient activement aidé le pouvoir ducal, était particulièrement amiable envers la duchesse. Et ce même si autrefois ils étaient très vocaux dans leur opposition. Quant à vus et votre famille, je suis certaine que vous aurez l’imagination nécessaire pour voir ce que cela peut vous apporter. »

« J’ai été trop gentille, trop patiente. Je manquais d’expérience et je voulais me détacher coûte que coûte de cette réputation qui colle à la peau des Soltarii. Je faisais erreur, mais je l’ai réalisé que bien trop tard. Parfois que je dis que les choses aurait été très différent si j’avais eu à l’époque l’expérience que j’ai aujourd’hui. Malheureusement, je ne peux pas être la femme que je suis aujourd’hui sans avoir vécu toutes ces horreurs. L’un ne va pas sans l’autre. »

Traiter la source du problème. Victoria était la cible toute désignée. Elle était la source de tous ses malheurs. Tibéria avait renoncé à toute vengeance autant pour protéger sa famille que parce qu’elle n’avait vu aucun moyen de le faire. Ce soir, on venait à elle en lui présentant l’occasion qui lui manquait. On lui promettait même les ressources nécessaires afin d’y parvenir. Il y avait forcément un piège. En silence, elle réfléchit. Rien ne l’obligeait à accepter. Elle pouvait se lever de cette table et retourner à l’auberge. Si quelqu’un de sa suite remarquait son retour, elle n’aura qu’à dire qu’elle était sortie prendre l’air, l’air de sa chambre étant trop étouffant. Mais si elle refusait, Tibéria risquait de passer à côté de l’opportunité d’une vie. Ironiquement, cette réflexion n’était pas tant différente du jour où on lui avait annoncé ses fiançailles avec Arichis d’Anoszia. À l’époque comme aujourd’hui, on lui faisait une offre qui pouvait changer sa vie pour le meilleur et pour le pire.

« Ça ne m’apportera pas ce que je veux vraiment, mais ce sera toujours mieux que rien. » Dit-elle doucement. Le regard perdu dans le vague, Tibéria ne semblait pas s’adresser à Miroir. Elle fini par acquiescer d’un lent geste de la tête. « Je vais aider. Je ne crois pas avoir aucun allié à Sybrondil, mais j’ai un ami à Soltariel qui pourra peut-être nous aider. C’est le dernier né d’une famille influente. Il n’a lui-même aucun poids politique, mais il est invité à toutes les fêtes et il adore les potins. Je suis certaine qu’il connaît des choses qui pourront être utiles. »

C’était une question que Miroir s’était souvent posé : regrettait-elle des décisions passées ? Elle aurait pu penser que oui car un bon nombre de ses erreurs lui avaient causées des moments pas spécialement agréables mais au final il s’agissait-là de parties intégrantes d’elle-même et la damoiselle devait admettre qu’elle ne détestait pas vraiment la personne qu’elle était devenue or regretter ses choix reviendrait à admettre qu’elle ne s’appréciait pas comme elle était ; ce qui était faux alors elle en était venu à la conclusion que se demander si on referait la même chose si on avait la possibilité de changer le passé, dans son cas, lui proposer même de modifier ce qu’elle avait fait aurait été une perte de temps. Un fin sourire passa un moment sur ses lèvres alors que Miroir se disait que finalement elle avait sa place dans l’une des salles de classe du Collège Langecin, au moins dans celles ou ils brassaient beaucoup d’air pour pas grand-chose.

« Cest comme ça qu’on avance : en acceptant ce qui s’est passé. » Elle ne savait pas si ça allait aider la personne de l’autre côté de la table, qui semblait perdue dans ses pensées, mais au moins elle avait essayé. Miroir hocha la tête, contente que Tibéria accepte d’apporter son aide, et se leva, termina sa coupe d’une traite, avant de chercher quelque chose dans son escarcelle. Un quelque chose qu’elle déposa sur la table avant de le pousser en direction de l’ancienne duchesse. Il s’agissait d’une pièce, de la taille d’un écu, noire, le côté face était frappé d’un dragon tandis que sur le côté pile se trouvait un e majuscule. « Vous avez fait le bon choix, lorsque vous aurez des nouvelles de votre ami donnez cette pièce à n’importe quel aubergiste ou tavernier et je vous retrouverais. En attendant je vous souhaites une bonne soirée, si vous pouviez refermer le passage derrière vous ça serait gentil. »

Miroir sortit un trousseau de clé de son escarcelle avant de se diriger vers la porte en bois qui faisait face aux escaliers.

Un homme entra dans la taverne, heureux d’être enfin arrivé à destination. Il avait chevauché seul depuis Diantra dans l’unique but de remettre une lettre à quelqu’un qu’il n’avait jamais rencontré. Tout ce qu’il avait eu comme instruction était de remettre la pièce qu’il gardait précieusement dans sa poche à n’importe lequel aubergiste ou tavernier et d’attendre. Une femme devrait ensuite le retrouver et c’est à elle qu’il devait remettre la lettre qu’il conservait également dans sa poche. Pourquoi autant de mystère? Il ne le savait pas, mais avec ces nobles, il fallait s’attendre à tout.

Il se dirige directement vers le tavernier et il fit glisser sur le comptoir la mystérieuse pièce. Le tavernier regarda la pièce, puis le voyageur avant de la prendre et la mettre dans la poche de son tablier avec un petit geste de tête.

« Je vais te prendre une bière et peu importe ce que tu as sur le menu de ce soir. »

Il s’installa ensuite à une table pour attendre.

Salutation,

J’ai parlé avec mon contact. Il avait effectivement quelques informations intéressantes à partager. Vous connaissez l’Égide? Ce sont des nobles qui ont décidé de s’associer en mettant en commun argent et ressources afin de lutter contre les menaces extérieures du royaume. Il semblerait que Victoria di Maldi ait demandé à ses vassaux d’y investir pas mal d’argent et selon la rumeur, Soltariel tenterait maintenant de s’approprier les découvertes de l’Égide. Rien pour plaire à la noblesse sybronde. Je n’ai malheureusement pas plus de détails à vous confier pour l’instant, mais mon compagnon a promis de tendre l’oreille dès son retour à Soltariel.

Si vous avez besoin de moi, je suis à Diantra jusqu’à la fin des festivités. L’homme qui vous a donné cette lettre a pour instruction de ramener toute lettre que vous souhaiteriez transmettre.

Que les Cinq vous gardent.

T.

HRP: