Par la Braise et la Flamme (Sognir)

Kÿrianos de la quatrième ennéade de Bàrkios,
An 21 du Cycle XI,
La Montagne de Feu.

Étouffante et oppressante est la chaleur du vallon. Ce vallon parcouru par des créatures capables survivre dans le feu et se baigner dans la lave. Et pourtant, au milieu tronc d’arbres calcinés, comme figé dans le temps, marchent une poignée de nains à la peau de cendres et aux yeux de braises, escortant la barbe venue d’Almis. Ils avancent en direction du volcan, duquel suinte perpétuellement ci et là et filets de laves alimentant les rivières magmatiques de la vallée.

Leur refuge est extraordinaire, là dans cette montagne en feu, les nains à la peau cendrée ont aménagé un lieu de vie où la chaleur insoutenable manquerait de faire tourner de l’œil n’importe qui d’autres qu’eux. Ceux qui creusent la roche et empilent des briques de pierres sombres s’arrêtent dans leurs tâches pour observer l’étranger dont les poumons doivent le brûler. L’étonnement s’empare des visages des vieilles barbes comme des plus jeunes. Toutefois, personne n’ose questionner Nulrir, lui qui marche d’un pas décidé et s’engage dans un tunnel dont la pente raide s’enfonce plus profondément encore dans la montagne.
La troupe ralentit l’allure, lorsque le Narundi en a besoin, certains vont même jusqu’à le soutenir à mesure qu’ils approchent de leur destination finale : le cœur magmatique.

C’est bel et bien là que la chaleur est la plus insupportable, les poils du nain roussissent et sa peau souffre, le temps est devenu précieux. Car il ne fait plus doute désormais : un retour vers la surface lui paraît presque impossible.

- Contemple le Feu Éternel, Sognir de la Vieille-Veine. Selon que ta Braise est pure, il sera ta fin ou ton renouveau. Le temps est venu d’embrasser ton destin.

Les nains de feu délaissent l’almien face au gouffre de lave et de magma, face à une imposante roche rouge pulsant d’une lueur orangée. Un joyau parmi pas les joyaux, le Cœur véritable de la montagne de feu. C’est à son appel qu’il lui faudra répondre, ou disparaître dans les flammes et être dispersé parmi les scories brûlantes.

Le Racleur ne mouftait plus.
Plus une once de sueur dans son glissoir, sa bouche était aussi sèche qu’un tonneau le lendemain de la fête des brasseurs. Toute la sueur de son corps semblait l’avoir quitté, la sensation était impossible à décrire réellement, mais s’il le fallait, Sognir aurait crut être changé en fagot de bois prêt à prendre feu. Réfléchir était devenu tout aussi compliqué que de se mouvoir ; sa vieille carcasse endolorie ne lui répondait plus totalement et il se questionnait même sur le comment ? Comment était-il encore capable de faire tout ça ? A ses côtés, Nulrir lui ne semblait souffrir d’aucunes sortent, tout comme la foule de nain à peau cendrée qui lorgnaient le convoi. Le Racleur aurait apprécié prendre plus de temps pour observer ces drôles, mais il lui était devenu impossible d’ouvrir complètement les yeux. Les lueurs et la chaleur le torturait littéralement de toute part. En lui naquit la peur, point celle sur sa fin prédis en cas de mensonge, car Sognir était sûr de son fait ; il avait peur de souffrir et seul un imbécile serait allé en avant sans concevoir l’image de sa chair entrain d’être calciné.

Afin de refouler se sentiment qui s’était tapis au fond de lui, le Racleur se rattacha à se qu’il savait faire de mieux : râler. Ô bien sûr, plus aucuns mots concrets ne sortaient de ses lippes sèches, mais une série de borborygmes sans fondement qu’il était le seul à comprendre mentalement. Cette manière de faire lui donna un peu de baume au palpitant le temps de la marche jusqu’au Cœur de la Montagne. Mais comme tout, cela ne dura pas.

Sans voix, sans mots, sans rien d’autre qu’une contemplation brut, Sognir sembla oublier son état même une fois qu’il fut devant l’énorme joyau pulsant. De sa vie entière à racler la terre, la roche et la pierre, jamais il n’en aperçut d’identique. Malgré la lave et la braise, tout lui semblait bien plus limpide. La peur s’en était allé, le Zagazkronni des Vieille-Veine possédait maintenant la certitude d’être à l’endroit même ou il lui fallait être. Comme si tout les évènements de sa longue vie de charogne n’avait été qu’une succession pour ce moment précis.

S’avançant lentement et difficilement, il leva néanmoins une main ferme, trop attiré par Lui, comme une phalène face à la flammèche, dans l’impossibilité de résister. Quelque chose de bien plus grand que sa petite personne se tenait à l’avant, portant sur lui un regard interrogateur. Jamais il n’avait ressenti tel présence, même au moment les plus fougueux de son existence ou il recommandait chacun de ses actes au Père et aux Jumeaux. Devant le Feu Éternel, il ne pouvait y avoir d’ombre.
Quand sa pogne toucha le Joyaux, il lui sembla voir percevoir quelque chose d’inexplicable, quelque chose qui le regardait lui. Aucunes douleurs ne vint l’envahir comme il l’avait craint, mais sa Braise entière était entrain d’être disséqué. Il pouvait sentir les moindres recoins de son être mis à nue par un force suprême, une force qui semblait chercher une faille. Hors, le Racleur n’en disposait point. Il avait commit maintes erreurs au cours de sa vie, aucunes qu’il n’assumait point. Aujourd’hui, il était réellement guidé par le sentiment d’unité et de fédération d’on le peuple nain avait besoin. Une force qu’il ne trouvait pas en Zagazorn et qui lui fallait alors importer.  Impossible pour lui de le cacher, impossible de se dérober, le Zhaaruzbad savait tout.

Quand le contact fut rompu, le Racleur fut perturbé. Un puissant vide s’était emparé de lui et pourtant, quelque chose veillait toujours à la limite de sa conscience. Il remarqua en suite dans un second temps : la chaleur ne le faisait plus souffrir. Toisant ses pognes, il ne les reconnut pas d’instinct, mais elles étaient bien sienne ; toutes de cendres et de braises.

Dans ses mains, l'Ancien sentit une nouvelle vigueur, signe annonciateur de la vie qui s'offrait maintenant à lui. Aurait-il la force de mettre en application ses nouvelles convictions ?

- Sognir de la Vieille-Veine, clame Nulrir depuis l’entrée du tunnel qu’ils avaient emprunté plus tôt, respire notre air, délecte-toi de la caresse infernale de notre refuge, ressens le poids de Son regard sur ta Braise. Il désigne les parois du volcan et le lac magmatique au-delà du Joyau qu’il nomme Feu Éternel. Admire le cœur battant de l’Orsirzdin. Tu nous rejoindras là-haut lorsque tu seras fin prêt.

Ainsi Nulrir tourne les talons et disparait dans les ombres du tunnel sinueux. Il remonte dans les cavernes, là où les nains à la peau sombre creusent et bâtissent leurs habitations. Là où ces êtres hors du commun dînent, dorment, souffrent, se reposent, discutent, rient, s’aiment. Là où la vie, contre toute attente, résiste, mieux encore, prospère.
À l’arrivée de Sognri, Nulrir est assis sur un bloc de pierre, taillé dans la même roche que la table à laquelle lui et ses camarades sont accoudés, occupés à imaginer, à douter, à discutailler de la surprenante tournure des évènements.

- Sognir ! Viens, prends place. Lance Nulrir avant, d’un simple signe de tête, faire comprendre à ses comparses de les laisser seuls. Installe-toi. Et regarde autour de toi. Observe-les. Et dis-moi ce que tu vois.

« La vie. » Il laisse un instant les mots rouler dans sa gorge de braise, comme s'ils étaient les premiers mots qu'il n'avait jamais prononcé. La sensation était étrange mais en aucuns cas désagréable.  Il toise son hôte comme s'il avait toujours était un proche, comme s'ils partageaient un secret connu de eux seuls et c'était d'ailleurs le cas.
« C'est la vie que je vois ici, Nulrir. Rien d'autres que la vie. Voici des années que les blessures de mon vieux corps me taraudent et me cisailles le cuir depuis des lustres. Elles ont aujourd'hui disparues et je ne ressens rien d'autres qu'une vigueur que je pensais à jamais éteinte. Nous appartenons au même Maître maintenant Nulrir et je ressens en moi les avertissements que tu m'avais lancé auparavant, mais l'avenir semble...bien plus rougeoyant. »

Le nain qui lui fait face opine du chef, il a les traits rieurs mais son regard se fait plus dur, plus cendré, plus brut et rapidement.

Alors, tu comprends ma position. Notre peuple, et je parle de tous les dawis, a bien assez souffert de la Malenuit. Nous autres, qui vivons sous l’égide du Zhaaruzbad, ne sommes pas bien différents des engeances qui peuplent les terres de l’Est pour ceux du Grand-Royaume. Ils ont peur. Autant que nous puissions craindre leur réaction. Mais nous, nous ne souhaitons pas de conflit, nous ne voulons pas que d’autres nains, d’où qu’ils viennent, souffrent encore. Nous voulons croire en l’union de nos forces. Posant ses deux mains sur la table de pierre qui jaillissait du sol, il reprit.  Je ne me voile pas la face, une vision unique que tous puissent partager n’existe pas, mais je crois fermement que nous pouvons tous profiter des uns et autres, malgré nos désaccords. J’aspire à ce que nous puissions tirer le meilleur d’où qu’il vienne, malgré les réticences que d’aucun pourrait avoir, tout en restant unis derrière l’idée que nous formons un peuple solide lié par l’honneur. Qu’en dis-tu ? Ne suis-je qu'un idéaliste rêveur ? Où cette ambition peut-être folle te semble-t-elle malgré tout valoir la peine de tenter l'impossible ?

Le Narundi marque alors un temps de pose, réfléchissant et intériorisant les dires de son hôte. Il n’avait pas tord, mais pas totalement raison non plus. L’Ancien était assaillit par une foule d’émotion intiment lié à son changement de condition : il lui semblait qu’aujourd’hui, plus rien n’était impossible

« Je ne saurais me prononcer sur les Maudits de Brissea, j'ai vu de mes yeux vus, leurs façon de faire et d'agir : ces nains ont sans doute troqué la survie contre la folie avec la Déesse,  peut être sont-ils aujourd'hui heureux  de leurs sorts, mais ils n'ont plus grand chose en commun avec ceux qu'ils étaient avant. Pas comme vous...Pas comme nous. » Se détendant un instant, il reprit lui aussi. «  Tu es sûrement rêveur Nulrir des Main-Brisée, mais ton souhait me semble loin d'être utopique,  ma présence ici, le sort qui est mien aujourd'hui doit sans douter dire quelque chose : la cohabitation doit être possible. Quand le moment sera venu, je retournerais dans le Sud, j'irais me présenter comme tu me vois à nos frères avec l'ambition que tu portes. Les défis qui attendent encore le Zagazorn sont bien trop nombreux  pour qu'on m'éconduise sans m'écouter.  Je  ne pourrais convaincre tout le monde  mais je serais la première pierre sur laquelle nous construirions notre future relation. »

Ce que je dis, c’est que pour ceux du Grand Royaume, nous ne sommes l’inconnu, comme les engeances. Et l’inconnu fait peur et est souvent considéré comme un danger. Le Zhaaruzbad n’est pour eux que source d’inquiétude et de frayeur. Alors, oui, Sognir, c'est bien d'une première pierre que nous avons besoin. Sois pierre, porteuse d’une vision, celle d’un pont entre nos mondes. Sans crier gare, son expression change et Sognir semble distinguer une modification dans les veines de magma qui parcourent son corps, comme une sombre nouvelle. Quant au Zhaaruzbad, tu l’entendras bien assez tôt. Alors tu comprendras le danger qui nous guette. Qui nous guette tous, sans exception.  Son air s’aggrava encore. Il faudra les en avertir.

Opinant du chef aux premières paroles, le Racleur se retrouva lui-même plongé dans une contemplation profonde de ses pognes, semblant obnubilé par leurs couleurs. Mais aux derniers mots, il releva la tête, interrogateur.

« De quels maléfices parles-tu ici Nulrir ? Dans les méandres de Sa présence, il me semble avoir distingué la fougue et un irrépressible besoin...d'être à travers Son peuple. Est-ce donc cela, le pourquoi de notre existence ? J'attendrai qu'Il m'en dise plus, mais si tu connais l'existence d'un mal qui nous menace, parle Nulrir. »

L’hiver vient et il charrie plus qu’un simple blizzard. Tu le rêveras toi aussi, lors de nuits sans sommeil. Un givre ancien, il emprunte les cols et les vallons au-delà des pics du Grand Nord, il approche. Chaque jour un peu plus.

Alors c’était donc ça. Plus de temps à perdre maintenant.