[Entre les lignes] Pardon mon frère | Marc & Ego

Premier jour de la première ennéade
Hiver, Verimios 19:XI

Le petit groupe approche sans discrétion, la charrette roulant sur le pavé en provoquant un bruit assourdissant entre les murs qui les maisons qui forment la rue. Il s'arrête devant une demeure, faisant rentrer le véhicule dans une cour à demi fermée. Tous mettent pieds à terre tandis que la porte de la maison s'ouvre et se referme derrière une silhouette longue et fine.
Klaus descend les quelques marches qui l'amènent au même niveau que les sternois qui viennent de le rejoindre comme prévu. Il remarque à peine qu'ils sont plus fatigués qu'à l'accoutumée, ignorant qu'ils ont dû forcer l'allure pour arriver à la date convenue malgré les deux jours de retard qu'ils ont accumulé. Lui est aussi frais et dispos que d'habitude. Mais peut-être un brin de meilleure humeur que d'ordinaire.

-Mon frère ! Dit-il en rejoignant Ego à grands pas.

Il en coûte au chevalier de ne pas faire triste mine à le retrouvant, esquissant un sourire éreinté mais qui se veut néanmoins sincère. Après tout ce qu'il s'est passé, il ne peut pas risquer de tout faire échouer maintenant. Pour sa famille... Pour Alicia... Pour tout ces malheureux...
Les deux frères font le point sur le trajet -que le cadet décrira "sans encombre"- ainsi que sur la cargaison. Pendant ce temps, les soldats se mettent lentement en place. Délaissant leurs montures, ils entourent le duo avec discrétion. Klaus ne se rend compte de rien et Ego fait mine de les ignorer jusqu'à ce qu'il profite d'un moment d'inattention de son aîné pour s'assurer qu'ils ont tous pris position. A présent, il ne peut plus s'échapper. Il est donc temps...

-Je suis désolé, mon frère.

L'héritier des Losir lève les yeux vers le puîné, fronçant des sourcils d'incompréhension, un sourire incrédule aux lèvres devant l'air soudain si grave d'Ego.

-J'ai passé ma vie à essayer de te préserver de toi-même. Je croyais que j'y parvenais... Alors que... tout ce temps... je me trompais.
-Qu'est-ce qu'il te prend ?
-N'as-tu pas pensé une seule seconde que nos chemins se croiseraient ? Ou étais-tu trop confiant sur la réussite de ton plan que tu n'y as pas accordé la moindre importance ?
-De quoi est-ce que tu...
-Je sais tout, mon frère. Le coupe-t-il. Et je ne peux plus t'aider... Même si je sais, aujourd'hui, qu'en réalité je n'y suis jamais parvenu.

Ego tourne alors son regard vers une silhouette qui se trouve précisément à l'endroit convenu et qui a patiemment attendu pour se montrer. Une silhouette que Klaus reconnaîtra sans mal mais qu'il abordera avec un regard toujours aussi incrédule. Car il n'est pas censé comprendre ce qu'il se passe, ce dont on l'accuse et les preuves qui ont été dressées contre lui.

Le trajet depuis la campagne jusqu’à Arétria-la-Ville parût extrêmement long pour le Premier Conseiller, et ce, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, il était épuisé. Traquer Alicia avait été une épreuve physiquement et psychologique continue et intense pendant presque deux jours et une nuit. Trente-six heures sans dormir, à chevaucher, marcher, pister, traquer, pour retrouver la Dame de Terrefière et la sauver in-extremis des flammes. Après cela, il avait fallut retourner jusqu’à la capitale Comtale, dans le but de confondre Klaus, en compagnie du puîné des Losir, et de plusieurs de leurs soldats : un environnement peu sûr et peu propice au repos donc.

Ensuite, il était anxieux. Car Alicia avait refusé tout net de retourner à Terrefière pour se reposer, et être en sécurité. A la place de cela, elle avait milité pour suivre Marc-Aurèle jusqu’à Arétria afin de voir de ses propres yeux son bourreau être mit aux fers. A contre-cœur, Marc-Aurèle accepta, mais il ne pu se résoudre à abandonner du regard cette femme qui était sienne.

Enfin, il était empli d’une profonde colère. Klaus avait attenté à la vie d’Alicia, et par deux fois. Il devait payer, répondre de ses crimes, expliquer pourquoi il avait semé la mort et la désolation. Néera elle-même attendait de Marc-Aurèle que l’odieux personnage soit soumis à la justice des Hommes ! Et Othar, le Guerrier, désirait que l’honneur soit restauré et la faute expiée par le sang !

Alors, ils dressèrent une embuscade. De loin, Marc-Aurèle vit sortir le fourbe, encerclé bientôt par son frère, et les hommes des Losir. Lorsque la situation fut acquise, et le félon correctement entouré, Marc-Aurèle sortit de sa cachette et vint se poster non loin de Klaus, dans son dos, sa grande claymore toujours dans le dos. Lorsque ce dernier fit volte-face, les yeux hagards, le regard perdu, la mine pâle et l’air d’incompréhension déformant ses traits, Marc-Aurèle déclama sa diatribe :

« Klaus Losir, vous êtes accusé de plusieurs meurtres, de pillages, de crimes honteux contre les divinités et le peuple d’Arétria ; d’avoir comploté pour assassiner Alicia de Terrefière, mon épouse et sœur de son Excellence Magnus de Terresang. Par la présence, moi, Marc-Aurèle de Terrefière, Premier-Conseiller d’Arétria, je vous arrête et vous met les fers. Vos crimes seront châtiés, et la justice sera rendue par le Comte Magnus de Terresang, sous l’égide de la Mère. Rendez-vous, et il ne vous sera fait aucun mal ; résistez, et vous serez exécuté séant. » Dit-il, assommant l’homme, l’assemblée et les curieux d’un discours tout à fait officiel, un discours d’autorité qui ne souffrirait d’aucun imprévu, ni d’aucune résistance. « Soldats, désarmez ce félon, et arrêtez-le. Qu’on l’emmène jusqu’à la forteresse sur le champ. »

Klaus conserve son étonnement, retenant l'expression d'une vague de peur qui l'envahit soudain avant de repartir, lui permettant d'ordonner ses idées. Il ne fait pas mine de vouloir se débattre mais plutôt de ne pas comprendre la teneur de ces accusations. Tout ce temps, il a pris grand soin de ne laisser aucune trace. Tout ce qu'il y a contre lui, c'est une pile de rapports qu'il n'a pas pu récupérer mais dans lesquels rien n'indique qu'il en est le fautif. Mais en connaissent-ils seulement l'existence ?

-Qu'est-ce qui vous fait penser que c'est moi qui ait fait tout cela ?
-Alicia est saine et sauve. Résonne la voix d'Ego dans son dos.

Là, le visage de l'héritier des Losir se ternit enfin. Alicia ? En vie ? Impossible... Il se tourne vers son frère qui continue.

-Nous l'avons sauvée, de justesse. Elle a réussi à sortir de la grange juste avant qu'elle ne s'effondre sous l'effet des flammes.
-Elle ne peut pas se déplacer toute seule... Rétorque-t-il, essayant de démonter l'argumentaire de son cadet comme s'il prêchait le faux pour savoir le vrai.
-Elle le peut. Depuis les soins qu'elle a reçu récemment. Notamment après une mauvaise chute... dans un escalier.

Pendant le voyage, Ego a appris deux ou trois petites choses sur sa cousine. Il est vrai que si tout ceci s'était passé un an plus tôt, Alicia n'aurait jamais pu se traîner sur le sol comme elle l'a fait, ni se hisser sur les bottes de paille pour atteindre la lucarne par laquelle elle a pu s'échapper. Mais il a pu constater par lui-même qu'elle pouvait faire quelques pas sans aide, malgré la douleur que cela pouvait lui provoquer, chose qu'elle aurait été incapable de faire auparavant. Le soin des fractures provoquées par sa dégringolade sur les marches de pierre avait passablement amélioré sa situation sur le sujet.
De son côté, Klaus ne sait plus quoi répondre... Il n'avait pas prévu que les choses se déroulent de cette façon. Il regrette même d'avoir fait le vœu qu'elle se réveille pour assister à sa propre fin et qu'il ait été exhaussé. Alors, deux soldats s'approchent de lui et lui prennent le bras. Il est étrange, tant pour eux que pour Ego, qu'il se fasse capturer par ses propres hommes. Ceux-là même qu'il commandait jusque là. Le chevalier soutient le regard de son frère qui se perd en déconfiture un instant avant de s'illuminer d'un regard malsain.

-Au moins, je n'ai plus besoin de me cacher maintenant.

Sur ces mots, les soldats l'entraînent hors de la cour. Direction la forteresse, encadré par la moitié de ses hommes, les autres devant encore acheminer leur cargaison au trésorier, comme prévu. Ego échange un regard avec Marc-Aurèle. Il ne doute pas de sa décision mais la situation reste inconfortable alors qu'il vient de faire un choix définitif entre son devoir et ses sentiments... Il a fait en sorte que son propre frère subisse la justice comtale, qui est loin d'être tendre. Il sait ce qu'il encourt mais son frère a trahi... Les Dieux, le Comte, Stern, leur père et même lui... Depuis quelques secondes et part son geste, il est le légitime héritier de la famille Losir. Il sait que ce qu'il a fait est juste mais il n'en retire aucune fierté. Comment le pourrait-il ?