Affronter le dragon [Griff']

Le lendemain de l'élévation...

Dire qu’elle était nerveuse était complètement insensé. Elle avait l’impression d’être en territoire ennemi que le danger la guettait à tout moment. Son regard se déplaçait d’un côté de la pièce à l’autre, observant les innombrables tableaux qui ornaient la pièce alors que le soleil matinal habillait la pièce d’un doux éclat. Adélina ne put s’empêcher de penser que d’une certaine façon les gens qui avaient réussi à se faire loger au palais avaient de la chance. Tout semblait si riche, si décadent, bien différent de tout ce qu’elle avait vu jusqu’à présent dans le Nord. Elle avala difficilement sa salive alors qu’elle eut une pensée pour Théodoric, se demandant si ce dernier se plairait dans le nord, loin de toute cette luxure. Peut-être devrait-elle acheter quelques décorations et les envoyer à Lodiaker? Peut-être que cela l’aiderait à faire face au drastique changement qui l’attendait. Pauvre de lui. D’ailleurs,  Théodoric n’avait aucune idée qu’elle était au palais, et probablement qu’il ne l’aurait jamais laissé venir seule. Après tout, les chances de tomber sur Prudence étaient grandes, et bien qu’elle était accompagnée de trois chevaliers, elle se dit que ses hommes ne seraient définitivement pas prêts à faire face à la colère du Marquis de Langehack si ce dernier décidait de lui crier à nouveau dessus.  


Adélina s’approcha doucement de l’un des miroirs, replaçant doucement sa robe lilas. Elle avait repris des couleurs ces derniers jours. On aurait presque plus dire que cette dernière  n’avait  jamais été attaquer, mais cela n’empêchait pas les cauchemars de venir hanter ses courtes nuits. Les deux dernières avaient été un véritable calvaire, elle avait eu beau tout essayer,  le sommeil ne finissait jamais pas l’emporter, comme si trop de pensées, trop de scénarios se bousculaient dans sa tête. Une porte s’ouvrit avant de se refermer, un homme venait d’entrer dans la pièce. Sans attendre, la jeune femme retourna vers ses chevaliers, attendant patiemment que ce dernier ne vienne la rejoindre. Puis, la nordienne fit une révérence parfaite qui aurait comblé le plus difficile des professeurs d’étiquettes, devant l’homme qui venait d’entrer dans la pièce avant de prendre la parole; « Je suis Adélina de Lourbier, Dame de Lodiaker et de Bransat, et je demande audience auprès du Marquis. » Elle eut un air gêné pendant un moment avant de reprendre la parole; «  Je suis bien consciente qu’il sera considérablement réticent à me rencontrer, mais s’il pouvait m’accorder que cinq minutes, cela serait apprécié. » Voilà, le mal était fait, ne restait qu’à voir si ce dernier accepterait de la voir.

« Est-ce que ma présence vous dérange, sir de Brillagne ? »
« Non, biensûr que non. » Répondit le chancelier langecin sur un ton obséquieux. « Vous êtes évidemment le bienvenu. »
« Alors arrêtez de vous plaindre. » L’interrompit Gabriel avant que l’autre sir ne poursuive et ne se perde dans un dédale de minauderies aussi agaçantes qu’inutiles. Le commandant du tercio langecin accéléra le pas et poussa presque un soupir agacé lorsqu’il entendit de nouveau la voix de Thibault.
« Sir de Bone, peut-être devriez-vous rester avec son excellence, lui qui apprécies tant vos conseils, je peux m’occuper de transmettre le message de notre suzerain tout seul. »
« Je n’en doutes pas. »
« Alors pourquoi m’accompagnez-vous? » Demanda-t-il, visiblement réellement surpris ou bien il le feignait plutôt bien, ce que Gabriel avait du mal à dire même s’il fréquentait le chancelier depuis un certain temps maintenant.
« Parce que je ne comptes pas lui transmettre le message de son excellence, je fais amplement confiance en vos qualités pour ça. »
« Puis-je savoir l’objet de votre venu en ce cas ? »
« Non. » Asséna le châtelain de Bone dans l’espoir que ça mettrait fin à la conversation mais c’était sans compter sur la ténacité de son compatriote, heureusement ils approchaient de la porte derrière laquelle attendait Adélina. « Attendez ici, vous pourrez lui dire tout ce que vous voudrez une fois que j’aurais terminé. »

Gabriel savait très bien que le chancelier avait quelque chose à rétorquer mais il ne lui en laissa pas le temps, il l’arrêta là où il voulait qu’il reste d’une main sur l’épaule avant de poursuivre seul en arrangeant son manteau et la broche qui le faisait tenir sur ses épaules, par-dessus le haut de sa cuirasse. Ce fut donc capeline en main, le chapeau calé sous son bras, qu’il frappa trois coups avant d’entrer. En d’autres circonstances le seigneur aurait ri devant la révérence qui lui était faite mais malheureusement les temps ne se prêtaient pas vraiment à la plaisanterie.

« Quelque chose me dit que vous attendiez quelqu’un d’autre. » Remarqua-t-il sans pouvoir réprimer un sourire amusé alors qu’il caressait son bouc châtain et soyeux. « Je crains que vous ne devez vous contenter de ma présence. »

Il fit un pas dans la pièce pour se décaler de l’encadrement de la porte et s’approcha de la table qui trônait au centre de ladite pièce et s’empara d’une des coupes qui attendaient patiemment qu’on en déguste le contenu.

« Et visiblement vous n’étiez pas la seule. » Rien qu’à l’odeur il pouvait dire que le vin à l’intérieur était particulièrement bon et ça l’aurait grandement étonné qu’on sorte un tel breuvage pour lui. Il se retourna alors vers la nordienne. « Alors, comment va mon neveu ? »

Demanda-t-il avec une curiosité loin d’être feinte.

La jeune femme ne put s’empêcher de hausser un sourcil alors que l’homme s’avançait vers eux. Elle se serait juré qu’elle l’avait vu quelque part, mais ne pouvait le replacer. « Vous dire le contraire aurait été un odieux mensonge messire. » dit-elle en regardant l’homme qui s’avançait vers elle. Malheureusement le reste de sa réplique sembla l’atteindre beaucoup plus. Ainsi donc, il avait décidé de ne pas la voir… Ce qui n’était pas une réelle surprise, étant dans sa position, elle aurait fait de même. Mais la nordienne aurait quand même espéré que cela se passe d’une autre façon. Elle fit un discret signe à ses hommes de rester en arrière, question de ne pas provoquer une autre dispute ou de donner une quelconque raison au Marquis de lui en vouloir encore plus. Adélina l’observa silencieusement alors qu’il se dirigeait vers les coupes de vin qui attendaient patiemment qu’on les serve avant que le langecin ne se tourne finalement vers l’alonnaise, lui révélant, par la même occasion, son identité.


« Vous êtes le Seigneur de Bone? » demanda-t-elle l’air surprise avant qu’un sourire sincère ne vienne s’emparer de son visage. « C’est un réel plaisir de finalement vous rencontrer! Théodoric vous porte en bien haute estime, et il m’a énormément parler de vous! » Elle fit un pas vers ce dernier, avant de sembler se ressaisir pour répondre à sa question. « Il va bien. Du moins aussi bien que l’on peut se sentir après les événements qui sont arrivé hier. Je crois que ce dernier est bien déterminé à faire partie de l’expédition pour retrouver notre Roy. » Tout comme elle, mais elle évita bien entendu de dire cette partie à voix haute. « Et à mon grand soulagement, Il a aussi accepté de se faire soigner par Eugène le mage, donc ses blessures physiques ne sont plus. » Ce qui était un plus en soi, la jeune femme se sentait déjà mal de l’avoir mis dans une telle position que de le voir souffrir à chaque fois qu’il marchait n’aidait guère à lui faire oublier l’incident.  « Et si je peux me permettre. Comment va son Excellence? » Aucunement une question mesquine, elle espérait réellement que ce dernier se porte bien, même si elle lui avait servi de défouloir à d’innombrables moments.

Il hocha la tête à la question d’Adélina.

« En chair et en os. » Il fit alors une révérence, le chapeau à plumes qu’il avait toujours dans la main ajoutant à l’amplitude de son mouvement rendait le geste plus majestueux. Il hocha alors de nouveau la tête, il comprenait aisément que son neveu fut bouleversé par ce qui s’était passé durant la cérémonie de la veille. Après tout qui ne l’était pas ? Être en présence du divin n’étant pas une expérience qu’on digère facilement et encore moins qu’on oublie facilement. Surtout que la divinité en question avait un tel message à délivrer à ses fidèles. Le sir de Bone ria lorsqu’il apprit l’ambition de Théodoric mais il était loin d’être moqueur. « L’inverse m’aurait étonné. »

Le jeune homme ayant grandis avec des histoires, des romans de chevalerie et autres contes, de protagonistes partant dans de telles quêtes, qu’il ne saisisse pas l’opportunité aurait grandement inquiété son neveu. Surtout que, même si c’était malheureux, Théodoric était plus libre que jamais maintenant.

« Vous m’en voyez ravis. » Lorsque la discussion fut ramenée sur le sujet de Griffon, Gabriel attrapa l’une des coupes pour y tremper ses lèvres. Après tout la personne pour qui elle fut remplie ne viendrait de toute façon pas et comme lui avait toujours dit son père : quand le vin est tiré il faut le boire. « C’est difficile à dire. Ce que nous avons eu la chance d’être témoin hier l’a troublé. Comme nous tous. Et tant que nous parlons de son excellence : puis-je savoir pourquoi vous vouliez lui parler ? »

Adélina suivit du regard Gabriel, alors que ce dernier s’approchait des deux coupes de vins, et alors qu’il se servait, la nordienne, elle, ne bougea pas, préférant éviter de boire quelques choses qui pourraient lui faire perdre ses moyens. La jeune femme eut un air gêné alors que Gabriel lui demandait la raison de sa visite. Sans le vouloir, elle replace une mèche de cheveux dans son oreille, avant de trouver finalement le courage de parler à son nouvel oncle. « Étant donné la situation et les derniers événements, mon oncle a accepté de nous laisser vivre sous le même toit, mais nous avons dû lui promettre de nous marier le plus rapidement possible. Après avoir parlé avec les prêtres, ces derniers ont accepté de nous unir cet après-midi. » Elle se mordilla la lèvre pendant quelques secondes avant de reprendre finalement la parole; « Je suis venue porter la nouvelle à son Excellence, puisque je sais que Théodoric voudrait que ce dernier assiste à la cérémonie. Pour être honnête, je connais que trop bien le sentiment de ne pas avoir son père présent, et je ne souhaite pas qu’il vive la même chose. » Après tout, cela faisait à peine quelques mois que son père était décédé soudainement, et elle aurait bien voulu que ce dernier participe aux célébrations. Adélina eut un soupir triste, avant de retourner son regard vers le sol. « Le marquis m’a mentionné que je lui volais son fils, et ce n’a jamais été mon intention. Je ne vous le mentirais guère, ma famille a toujours été proche, et malgré les disputes, nous n’avons jamais éloigné un de nos membres. J’ai un peu de mal à comprendre la façon de faire de ce dernier, mais j’ai bien peur que je ne le comprendrais jamais… »


Adélina releva finalement son regard vers Gabriel, l’observant silencieusement pendant quelques minutes; « Je m’éloigne… Pardonnez-moi. » Elle expira finalement avant de conclure; « Ce que j’essaie de dire, c’est que je suis venue porter la nouvelle afin que toute sa famille puisse y assister et aussi parler au Marquis afin de repartir sur une base saine. Si je dois marcher sur mon orgueil pour le faire, je le ferais, tant que Théodoric ne paye pas le prix. » Et voilà, c’était dit. Si elle devait s’excuser auprès du Marquis pour son entêtement, elle le ferait sans hésiter, même si, soyons honnête, ce dernier n’avait guère accueilli la nordienne à bras ouverts. Mais elle était prête à laisser cela de côté, après tout, l’alonnaise avait déjà prouvé qu’elle supporterait son mari peu importe les circonstances, même au prix de sa propre vie.

Il voulu remarquer que, de ce qu’il avait compris du moins, ils étaient déjà mariés mais s’en abstint, jouer sur les mots ne servirait pas à grand-chose ici surtout en l’absence de ce fameux oncle.

« Mes félicitations. » Répondit-il en souriant, c’était une bonne nouvelle et ces temps-ci elles n’étaient pas nombreuses ce qui rendait celle-ci d’autant plus précieuses. Et puis il poussa un soupir en écoutant la raison de la venue d’Adélina. C’était louable, et il comprenait bien ce qu’elle entendait par là mais il n’était pas certain de pouvoir y faire quoi que ce soit. « Je comprends. »

S’il avait eu la chance d’avoir ses deux parents pour le sien de mariage, il imaginait très bien ce qu’on pouvait ressentir lors de l’absence de l’un d’eux, ou des deux en l’occurrence, lors d’une occasion aussi importante.

« Sa façon de faire est... disons un peu particulière, j’en conviens, et bien que je sois contre je ne peux pas vraiment faire quoi que ce soit à ce sujet pour le moment. Comme je l’ai dit à votre oncle il faudra un peu de temps mais ça je peux toujours essayer. »

Il se demandait encore comment il allait pouvoir faire, quel angle prendre, pour faire changer d’idée à un marquis bien trop buté pour son propre bien et celui de ses enfants. Avec une moue pensive, ses yeux descendirent tous seuls vers le contenu de sa coupe, c’était admirable de la part de la jeune femme mais il craignait que ça ne change pas grand-chose à la situation. Il secoua lentement la tête avant de relever les yeux pour qu’ils rencontrent à nouveaux ceux de son interlocutrice.

« Il refusera de vous voir, comme il l’a déjà fait quelques minutes plus tôt, mais si je lui parle peut-être que... » il se laissa tenter par l’idée que ça pourrait marcher bien qu’il savait que les chances étaient somme toutes faibles. Ne terminant pas sa phrase, avec sa main libre il alla chercher le médaillon qu’il avait autour du cou et l’ouvrit avant de le tendre à Adélina. A l’intérieur se trouvait un petit portrait d’une femme aux traits fins et harmonieux, innocents, aux yeux verts, aux cheveux noirs. On aurait pu croire qu’il s’agissait d’une représentation de Prudence avant que Gabriel ne révèle que ce n’était pas le cas. « Si jamais Griffon refuse d’assister à la cérémonie veuillez le donner à Théo, ça ne remplacera pas la présence de ma sœur mais je suppose que c’est toujours mieux que rien. »

Le visage de l’allonnaise sembla s’éclairer alors que Gabriel lui annonçait qu’il pouvait essayer de lui parler. Sans attendre, elle fit un pas vers ce dernier, plongeant son regard bleuté dans le sien alors qu’elle reprenait finalement la parole; « Vous feriez cela? Réellement? » Son regard brillait à nouveau, plein d’espoir. Si le Marquis refusait de la voir cela ne serait définitivement pas parce qu’elle n’aurait pas essayé. Néanmoins elle prit doucement le pendentif, l’observant avec attention avant que Gabriel ne lui révèle que c’était un portrait de la mère de Théodoric. Il fallait dire que la ressemblance avec Prudence était frappante. Elle passa doucement son pouce autour du portrait, admirant une nouvelle fois le portrait de sa belle-mère avant de faire un léger sourire, hochant silencieusement la tête. « Je vous remercie, Messire. Ce geste est très… » Les mots lui manquèrent alors qu’elle retournait à nouveau le regard vers le portrait, incapable d’en dire plus. Elle observa le portrait pendant quelques secondes, semblant totalement perdue dans ses propres souvenirs, avant de reprendre une certaine contenance. « Extrêmement apprécié. J’ose espérer que vous serez présent cet après-midi. Je crois que je peux parler pour Théodoric en disant que partager cet événement avec vous serait un honneur. » Elle eut un sourire, franc, honnête. Pas de sous-entendu, pas de mensonge, elle admirait particulièrement l’homme devant elle, et reconnaissait, d’une certaine façon, certains comportements que Théodoric avait. Adélina referma doucement le pendentif, avant de refermer sa main autour de ce dernier, le gardant en sécurité d’une certaine façon, avant de reprendre un air un peu plus sérieux. « Comment voulez-vous procéder avec le Marquis? »

« Je vais essayer. » Répondit-il en buvant une nouvelle gorgée de vin avant de reposer définitivement la coupe là où elle avait jusqu’à peu attendu l’arrivée de son seigneur. Essayer était bien le moins qu’il pouvait faire pour une occasion aussi importante, il regrettait juste de ne pas pouvoir assurer à la nordienne qu’il allait réussir mais il préférait ne rien dire plutôt que de donner sa parole et échouer ensuite. Après tout il pouvait bien au moins essayer, ne serait-ce que pour le bonheur de son neveu. « Dites à Théo qu’il peut garder le médaillon, si son père ne change pas d’avis je supposes que c’est la moindre des choses. »

Il imaginait également que c’était quelque chose que le jeune homme pourrait chérir dans le nord, un objet qui lui rappellerait Langehack sans pour autant y associer les mauvais souvenirs qui allaient avec la région qui l’avait vu naître et grandir.

« Si ça ne derange personne ce serait avec joie que j’y assisterais. » Le sourire d’Adélina fut communicatif et il en fleurit un sur ses lèvres mais il se désagrégea en voyant cette dernière fermer le médaillon, il avait jeté un dernier coup d’œil au portrait de sa sœur en se disant qu’elle aurait été bien plus heureuse que lui de voir son fils se marier. D’un autre côté il se demandait si ce n’était pas plus mal qu’elle ne soit pas vivante pour voir ses deux enfants se déchirer car il était certain que ça lui fendrait le cœur. Et puis vint la question qu’il redoutait un peu car il n’était pas certain de pouvoir y répondre. Du moins pas sans affronter ce à quoi il pensait. « Je ne sais pas trop. »

Fut la réponse à laquelle eu droit Adélina alors qu’il retournait caresser son bouc, pris en pleine réflexion. Plus il y réfléchissait et plus il ne voyait qu’une seule solution qui pourrait marcher mais il ne voulait pas arriver jusque-là.

« Griffon me doit une faveur depuis des années et peut-être que c’est le moment. » Il secoua doucement la tête avant de reprendre. « Mais ça ne sert à rien d’en parler maintenant, où comptez-vous vous marier ? Que je saches où me rendre cette après-midi. »

La jeune femme hocha la tête, portant son regard sur le médaillon avant de faire un léger sourire; « Je vous remercie, mon seigneur. Je suis certaine que l’intention sera énormément appréciée. » Sans s’en rendre compte elle passe un doigt sur le médaillon, caressant les motifs gravés dans le métal avant de sourire à nouveau alors que Gabriel lui annonçait sa présence au mariage. « Cela serait un honneur de vous avoir avec nous. » Une réplique honnête, alors que la jeune femme suivit l’oncle de son mari du regard alors qu’il se mettait à caresser son bouc, comme perdue dans ses pensées. Elle admirait cet homme qui devait faire face au Marquis à chaque jour. L’alonnaise avait toujours l’impression de marcher sur des œufs à chaque fois qu’elle se trouvait devant Griffon. Il ne lui avait jamais laissé la chance de se présenter. Ne lui avait jamais laissé la chance de prouver qu’elle était totalement dévouée à son fils… et pour être honnête, la jeune femme se doutait bien que ce dernier ne lui donnerait jamais le bénéfice du doute. Il la voyait que comme une nordienne, une ennemie venue lui voler son fils. Adélina soupira, avant de relever la tête, fixant le Seigneur de Bone. « Alors si vous utilisez cette faveur, cela est de rigueur que je vous rende la pareille. » Elle resta silencieuse un moment, observant le langecin avant de reprendre; « Le bonheur de Théodoric m’est capital. Si cela veut dire que je devrais vous rendre un service un jour, je le ferais sans hésitation. »


Elle eut un léger sourire avant de reprendre; « Dans la chapelle intérieure Sainte Aléra, dans Sainte-Deina. » C’était une des plus grandes chapelles de la cathédrale qui pouvait accueillir au moins une cinquantaine de convives. Une chance pour elle, petite châtelaine d’Alonna et elle devait avouer que son oncle avait très bien vendu la chose aux prêtres de la capitale. Bien entendu à la demande de la nordienne, mais cela elle ne le dirait guère à voix haute. Théodoric, bien qu’il n’ait pas le grandiose mariage qu’il espérait, serait au moins marié dans le plus imposant symbole de la Damedieu. C’était une façon de le rendre heureux d’une certaine façon. Du moins, elle espérait que ce dernier apprécierait tout l’effort qu’elle avait mis pour lui faire plaisir en ce jour qui aurait dû être réjouissant. Elle haussa doucement les épaules, un léger sourire aux lèvres, avant de rajouter; « Ce n’est peut-être pas le grandiose mariage auquel il s’attendait, mais si je peux faire en sorte que ce jour soit quand même mémorable et le faire sourire… J’aurais au moins réussi. » Il était inutile de le lier, la nordienne était clairement amoureuse du suderon. Deux extrêmes qui pourtant semblaient avoir trouvé un équilibre. Adélina souhaitait réellement le rendre heureux, et savait la chance qu’elle avait de se trouver dans un tel mariage. Peu de gens pourraient avoir le même bonheur, celui de se réveiller chaque matin près de son aimée, celui de diriger avec quelqu’un qui tient à vous autant que vous tenez à lui.

« C’est gentil mais ce n’est pas nécessaire, vous ne me devez rien, madame. » Répondit-il en secounat la tête. Il n’avait pas vraiment le cœur de lui dire que ce n’était pas pour elle qu’il ferait ça. Il en aurait presque soupiré d’ailleurs, la conversation qu’il s’apprêtait à avoir avec son ancien beau-frère ne promettait pas d’être des plus amusantes et encore moins des plus agréables mais elle devait avoir lieux. Il nota ensuite l’endroit où les deux jeunes gens se marieraient en souriant. C’était bien le genre d’endroit que son neveu appréciait et ça ne l’étonna guère. Il balaya alors la remarque de la nordienne d’un revers de la main. « Je suis certain qu’il en sera débordant de joie. »

Reprenant son chapeau en main, le langecin fit de nouveau une révérence en accentuant le mouvement avec sa capeline et les plumes qui y trônaient. Une fois redressé, se tenant droit, il reprit la parole.

« Sur ce, je crois avoir des choses à dire à son excellence et je ne voudrais pas vous retenir plus que nécessaire, surtout que sir de Brillagne voudrait vous transmettre la réponse de Griffon lui-même. Ah et, si jamais il vous demande, je comptes sur vous pour que tout ce qui s’est dit dans cette pièce reste entre nous. »

Il se dirigea ensuite vers la porte et, une fois la main posée sur la poigné, il se figea. Il se retourna vers la nordienne en prenant un air plus sérieux, plus solennelle, presque triste. Gabriel parla à nouveau, ou du moins se mit à murmurer.

« Je vais m’assurer que la fille de son excellence n’assiste pas au mariage de Théo et en ce qui concerne vos déboires avec elle il vous faudra vraiment des preuves ; elle a plusieurs personnes prêtes à témoigner de sa présence au palais royal toute la journée d’avant-hier. Dont l’aimable chancelier de Langehack qui veut vous parler et qui attends patiemment de l’autre côté de cette porte. »

Il enclencha alors la poignée et poussa la porte avant de mettre un pied dans le couloir et de se retourner à nouveau vers Adélina.

« Madame, ce fut un plaisir de vous rencontrer, j’espère vous revoir sous peu et je glisserais un mot à la DameDieu à votre sujet dans mes prières vespérales dans l’espoir qu’elle vous accorde sa bénédiction. » Il avait repris un ton normal, donnant à sa voix un volume peut-être un peu plus important qu’à l’accoutumé et, se mettant de profil, il regarda quelqu’un qui n’était pas dans le cadre de la porte avant de lui faire un signe de tête. « Sir, désolé de vous avoir fait attendre, je vous laisses remplir votre mission et vous souhaites une bonne journée. »

Sur ces quelques mots Thibault entra à son tour et après les salutations de rigueur il informa la nordienne que son excellence ne comptait pas la recevoir et qu’elle était invitée à ne plus venir le solliciter ; une fois le message transmis il s’en alla après avoir souhaité bon vent à Adélina.