Un pas de deux et l'éternité [MDO 2022]

Le soir tombait doucement sur la petite maisonnée près de l’eau. Cette fois-là, le mainyth était déjà rentré chez lui, comme souvent depuis son retour. Son fils tranquillement endormit dans le berceau de bois qu’il faisait osciller, il était, lui, assit sur le rebord de la fenêtre ouverte à regarder les branches des arbres se balancer doucement. Bien entendu, son regard se reposait souvent sur le petit être emmitouflé, remontant parfois sa couverture, réajustant une peluche prête à tomber, en bref s’enquérant soigneusement de son confort le plus total. Il était facile de comprendre que le soldat faisait de son mieux pour compenser la longue, bien trop longue absence de ces dernières ennéades. Elben grandissait déjà si vite. Dire que n'être qu'un inconnu pour son fils fendait le cœur du jeune père était un bien doux euphémisme.

Si sa main restait tout à fait calme, veillant à ne pas réveiller l’enfant chérit, il y avait tout de même une certaine tension dans le reste de son corps. Il semblait attendre quelque chose, ou quelqu’un…à moins qu’il n’attendit qu’un signe ?

Quel que soit ce qui le troublait cependant, il n’en pipait mot, se contentant de son discret manège depuis bien une heure ou deux à présent. Chaque petit bruit à l’extérieur lui faisait relever les oreilles, avant qu’elles ne s’affaissent à nouveau en constatant que ce n’était rien…

-Et si on sortait un peu ? Demanda-t-il finalement à la mère du petit elfe, non loin. Un sourire vint faire de son mieux pour cacher son étrange agitation. Celevoniel m’a dit qu’elle passerait dans la soirée pour voir si tout allait bien. Elle s’occupera d’Elben à merveille.

S’approchant de la jeune femme, Aegden vint tendrement lui saisir le bout de doigts tandis que son regard témoignait de tout l’espoir qu’il portait à la réponse.

-Je ne veux pas le laisser encore mais…j’ai quelque chose à te montrer. Souffla-t-il.

Sinieth est assise, lisant un ouvrage emprunté dans l'une des bibliothèques de la cité. Aegden est revenu depuis peu et elle s'est presque inquiétée de son absence jusqu'à ce qu'elle reçoive une missive lui disant qu'il allait bien. Elle ne lui a pas demandé ce qu'il lui est arrivé car elle sait qu'il n'a pas le droit de tout lui dire. Il lui dira ce qu'il est en mesure de lui confier sans trahir son engagement envers l'armée. Mais maintenant qu'il est là, elle le trouve changé. Il s'est passé quelque chose, elle le sait. Elle le sent. Elle ignore quoi. Elle pourrait tenter de le deviner si elle était anehdelle de naissance mais ce n'est pas le cas. Un grand nombre de choses font encore partie d'une immense nébuleuse pour elle. Des choses qu'elle est loin de comprendre.
Ce qui l'a le plus inquiétée au retour de son compagnon, c'est la réaction de leur fils et l'impact que cela a pu avoir sur son père. Il est encore si petit... Sa mémoire est courte et l'absence de l'officier a été longue. Trop pour l'enfant qui s'est caché dans la chevelure de sa mère, fuyant cet homme inconnu à ses yeux. Sinieth en a eu mal au cœur pour Aegden. Mais Elben a bien vu que cet étranger restait chez lui, vivait dans cette maison et partageait la même chambre que sa mère. On lui transmet même un nom tout particulier pour lui. C'est Ada. Il ne parle pas encore mais il comprend ce qu'on lui dit, d'une certaine manière. Alors le petit garçon adopte cet homme pour qui sa mère a de tendres regards.

A la suggestion de son compagnon, la jeune femme relève les yeux de son ouvrage, entre interloquée et suspicieuse. Il n'a pas besoin d'en dire davantage pour qu'elle pense qu'il a quelque chose derrière la tête. Elle l'étudie un petit moment sans rien dire, le laissant achever son propos, s'approcher, lui prendre la main... et le temps se suspendre.

-Excellente idée. Finit-elle par répondre avec un sourire sincère et mystérieux à la fois.

Il mijote quelque chose et elle est curieuse de savoir quoi. Elle referme son livre et se lève, laissant l'ouvrage pendre sa place sur le fauteuil.

-Je vais me changer.

Elle n'est pas sortie de la journée. Sa robe est confortable plus qu'elle n'est jolie et elle s'est coiffée à la va-vite. Depuis la naissance d'Elben, elle a un peu moins le temps d'être coquette. Mais, s'ils sortent, elle veut lui faire honneur et aussi se faire plaisir. Elle aime prendre soin de son apparence mais sans extravagance. Sinieth est une femme élégante et raffinée, loin de l'excès que l'on trouve en Ithri'Vaan, même si sa richesse se devinait dans la qualité de ses vêtements et bijoux. Mais, de jolies choses, elle n'en a plus tellement aujourd'hui. Partir sans payer la gêne énormément et elle n'ose prendre davantage que le strict nécessaire.

Le belle se retire donc, le temps de passer une robe somme toute assez simple mais bien mieux ajustée à sa fine silhouette et au coloris bleu se mariant davantage avec ses yeux et ceux de son compagnon. Quant à sa coiffure, elle opte pour des cheveux détachés avec seulement quelques mèches tressées pour aller d'une oreille à l'autre, dégageant ainsi son visage rayonnant.

A l’approbation de la jeune femme, Aegden avait répondu par un sourire presque soulagé et il la laissa s’échapper l’espace de quelques instants. Lorsqu’elle revint, c’est à nouveau penché sur le berceau de son fils qu’elle put le trouver, déposant un dernier baiser sur son front endormit et murmurant une parole qu’eux seuls purent entendre. Et puis son regard retrouva l’élue de son cœur et ses prunelles se parèrent d’un nouvel éclat admiratif.

Veillant à ne pas troubler le repos du nourrisson, il se releva doucement et rejoignit sa partenaire à pas de loup. Il y avait toujours une forme d’anxiété sur son visage, au fond de ses prunelles, mais aussi un peu d’excitation, comme s’il appréhendait ce qu’il tenait tant à montrer à sa compagne.

-Tu es splendide. Ne put-il s’empêcher de commenter.

Aegden l’avait déjà dit et il avait été aussi sincère qu’à présent : Sinieth aurait pu n’être vêtue que de guenilles, il la trouvait quand même magnifique. Ce n’était ni parures ni étoffes qui le faisait l’aimer comme il l’aimait.

Venant à nouveau délicatement prendre la main de sa bienaimée, il lui vola avec malice un baiser avant de reculer.

-Viens. Souffla-t-il.

Sans plus attendre, il la mena en dehors de la petite maison. Ne laissant pas de lettre à l’intention de l’adepte de kÿria, il était de plus en plus évident que quoi qu’il mijotait, il l’avait soigneusement préparé et que la prêtresse était de mèche avec le soldat. Les deux jeunes parents n’avaient aucun souci à se faire quant au sort de leur enfant chéri. La soirée était toute à eux.

Une fois dehors, Aegden attendis qu’ils s’éloignent un peu de la petite maison bordant l’eau pour siffler. Sous les étoiles, une ombre finit alors par se distinguer. D’avoir très incertaine, elle se rapprocha de plus en plus, jusqu’à ce que les deux elfes perçoivent nettement la robe pommelée d’un jeune mathandil. Les oreilles en avant et l’œil brillant, il sembla malicieusement curieux devant le couple.

-Vailimo,plie.

Pour l’aider à comprendre, une pomme vint rouler entre les sabots de l’animal, alors celui-ci plia ses jambes avant, laissant tout loisir à la belle dame d’accéder à son dos...Tout en saisissant le fruit entre ses dents.

-Si tu veux bien t’en donner la peine, Meleth…

Sinieth a un regard un brin accusateur envers son compagnon lorsqu'il lui dit la trouver splendide. Elle n'a rien fait d'exceptionnel pour se faire belle, elle n'en a plus les moyens. Elle reste élégante et gracieuse mais elle en impose nettement moins que lorsqu'elle vivait en Ithri'Vaan. Elle ne regrette pas mais pouvoir jouer de coquetterie lui manque un peu, même si elle ne s'en plaint que très peu. Ce petit regard est l'une des rares manifestations de cette frustration ténue.

Elle se laisse cependant entraîner à l'extérieur sans broncher, se demandant néanmoins de plus en plus ce qu'il mijote. Dehors, ils n'ont fait que quelques pas lorsqu'Aegden appelle sa toute nouvelle monture, un mathandil dont la jeune femme ne peut que reconnaître la grâce et l'intelligence. Mais s'il prévoit de la conduire à cheval, cela signifie qu'ils vont sérieusement s'éloigner de leur domicile.
C'est la première fois que Sinieth laisse son enfant et, avant de monter, elle jette un dernier regard sur leur demeure et son fils qui y dort. Elle craint qu'il ne se réveille et que personne ne soit là pour s'occuper de lui. Cependant, elle distingue un mouvement devant la porte et aperçoit la prêtresse qui entre... Une légère crainte s'éteint dans son cœur, même si un sentiment étrange persiste. Comme un vide alors qu'Elben n'est plus sous ses yeux ou à portée de voix.

Finalement, la belle fait de nouveau face à la monture et entreprend de s'asseoir sur son dos. Elle n'est pas très à l'aise avec les animaux et, si elle a déjà pu montrer, c'était avec une selle. Cependant, le fait qu'Aegden grimpe avec elle la rassure un peu. Elle pose une main sur le bras qui enserre sa taille dans un geste tendre puis elle se laisse mener jusqu'à leur destination finale.

-Merci mon grand. Je te le revaudrais.

L’elfe flatta chaleureusement le chanfrein tendre de son ami, se promettant mentalement de lui offrir bien plus qu’une seule pomme à l’occasion, et puis à son tour il grimpa sur son dos. Il passa tendrement un bras autour de la taille de la jeune femme, soufflant quelques mots à son oreille.

-Détend toi. Vailimo ne te laissera pas tomber…Et moi non plus.

Comme pour appuyer les paroles de son compagnon de voyage, le mathandil se mit en route, d’un pas sûr et stable. Tout doucement Aegden guida une menotte féminine contre l’encolure de leur monture, voulant les familiariser l’un l’autre. Une oreille en avant et une en arrière, jetant parfois de rapides coups d’œil, la bête semblait emplie de curiosité envers cette dame recevant de tendres attentions de la part de son cavalier. Son esprit équin comprenait certainement à sa façon qu’elle était chère au cœur de son ami et il avait l’air de l’accepter, tant sur son dos que d’une manière plus générale.
Le voyage continuant d’un rythme tout à fait paisible, le soldat finit tout de même par lui-même en briser le silence jusque-là interrompus par les seuls pas du mathandil.

Tout ça c’est un peu brusque, j’en convient. Aegden sembla enfin faire mine d’un peu d’explications. J’ai manqué à mes engagements envers notre fils ces dernier temps.

Aegden ne chercha pas à dissimuler la peine de prononcer des mots aussi terriblement vrais. Le soir de son retour, lorsque la petite famille était endormie depuis bien des heures, lui n’avait pas vraiment fermé l’œil. A la place, il s’était éclipsé, et, assis face à l’Elorëa, il avait réfléchit, il avait ruminé et médité, et il s’était plongé dans ses propres souvenirs.

Oh il n’avait jamais cessé de croire que son père l’aimait aussi profondément qu’il aimait désormais Elben. A y repenser, quelques centaines d’années plus tard, il gardait une image, certes floue, mais bienheureuse d’un elfe au visage rieur et à la main propice à venir ébouriffer l’atypique crinière du gamin qu’il avait été. S’il y avait eu de la peine derrière ce sourire, il avait été assez habilement camouflé pour que jamais il ne s’en aperçoive assez pour s’en souvenir.

Non, en amour il ne s’était jamais sentit esseulé. Mais malgré tout, malgré tous les efforts déployés, le soldat Faelyn n’avait pas toujours pu sécher les larmes de son unique fils, qu’elles fussent de joie, de tristesse ou de colère. Il n’avait pas toujours pu l’aider à s’endormir, pas toujours pu calmer ses cauchemars, ni l’aider à grandir, tout simplement. Et malgré tout l’amour que le père et le fils avaient partagés, malgré l’absence totale de rancune du dernier envers l’autre, malgré tout, il y avait eu une blessure inévitable. Un vide, que rien ne pourrait jamais combler.

Une blessure qu’Aegden était terrifié de voir déjà apparaitre dans les yeux du nourrisson. Une blessure qui en plus lui hurlait  ''Tu vois ? l’histoire se répète et tu n’y pourras rien.’’.

Mais dans cette douce amertume, il y avait eu une autre victime. Aegden avait souffert d’une certaine façon, mais il n’avait jamais été totalement seul car il y avait eu Ereila, la musicienne. Sans jamais broncher, elle avait tout enduré. Elle avait élevé son enfant comme elle pouvait, à la force de ses douces mains de harpistes. Elle avait caché derrière ses mélodies, tout ce qu’un enfant ne pouvait par comprendre, et apaisé tous ses maux. Et lorsque l’épouse devint veuve, il y eut un temps de larmes, mais il y eut plus long encore, un temps pour l’enfant qui serait désormais assez grand pour voir à travers le sourire.

Bien sûr, heureusement et Kyria fasse que ce ne soit jamais le cas, ils n’en étaient pas à cette terrible épreuve, tous les trois. Mais Aegden sentait tout de même quelques frustrations chez la jeune femme. Elle endurait beaucoup. Elle avait enduré beaucoup. En bon compagnon, Aegden devait à présent veiller à son bien être à elle aussi.

-Envers toi aussi j’ai manqué à mes promesses, mon amour. Fit-il avant d’ajouter d’une voix plus douce. J’aimerais me faire pardonner comme il se doit, et passer cette soirée avec toi.

Eux seuls. Sans les responsabilités dans le coin de l’esprit du mainyth. Sans le passé de l’ancienne vaanie pour venir l’inquiéter. A calimenthar, cette soirée ce serait juste eux.

Doucement, ils avaient fini par atteindre les abords de l’Amphithéâtre, peu éloigné de leur demeure à la grande joie d’Aegden… Il y avait quelques notes de musique dans l’air. Alors, il mit finalement pied à terre, aidant Sinieth à faire de même en la prenant dans ses bras avant de lui faire toucher sol. Son sourire malicieux avait fini par revenir alors qu’il tendit sa main, ouverte vers elle.

-M’accorderez-vous cette dance, Heri ?

Tandis qu'ils progressent dans la cité, Aegden parle et s'épanche comme il ne le fait que rarement. Sinieth l'écoute avec intérêt. Elle a toujours été une bonne oreille, c'était son métier après tout. Mais elle fait preuve de bien plus d'attention lorsqu'il s'agit de son compagnon. Ses paroles la touchent plus personnellement car elle se sent concernée. Et puis, il n'ouvre que rarement son cœur, autrement que pour lui dire et lui montrer qu'il l'aime. Dans ces moments-là, où il ressent le besoin de dire ce qui lui pèse tant, chaque mot qu'il prononce est lourd de sens.
Bien sûr, son premier propos est pour son fils. Elle a vu le regard du militaire lorsqu'Elben s'est détourné de lui à son retour, se blottissant contre sa mère pour y chercher un sentiment de sécurité. Il n'avait même pas besoin d'exprimer ses regrets pour qu'elle sache ce qu'il ressent.

-Plus il grandira et plus sa mémoire s'élargira. Alors, tu verras la joie dans ses yeux lorsque tu rentreras à la maison. Dit-elle pour le rassurer et le réconforter, sa main réalisant de douces caresses sur le bras qu'elle tient.

Et puis, Aegden s'excuse auprès d'elle pour l'avoir délaissée, elle aussi. Elle ne s'attendait pas à cela. Alors, elle pivote légèrement, bien qu'avec prudence puisqu'elle n'est pas à son aise dans cette situation. Elle toise son compagnon, interloquée, pendant quelques secondes puis lui répond enfin.

-J'avais pleinement conscience ce que signifie être amoureuse d'un militaire et j'ai décidé en pleine connaissance de cause que cela ne serait pas un obstacle à notre relation. Parce que j'estime qu'elle en vaut la peine.

Sinieth est un femme douce et mystérieuse mais aussi forte et courageuse. Elle sait ce qu'elle veut et, en ce qui les concerne, elle a pris sa décision il y a longtemps maintenant. Elle lui a pardonné ses mensonges. Elle a accepté sa véritable identité et, avec elle, son métier. Parce que s'il portait un autre nom que celui qu'elle a rencontré, l'homme derrière tout cela est le même. Leur amour n'était pas prémédité, cela leur est venu le plus naturellement du monde et dans un contexte des plus surprenant... Ils se sont rencontrés car l'une à voulu protéger l'autre et que l'autre est venu la trouver pour la mettre à l'abri. Aitrhuïn ou Aegden... Peu importe comment il s'appelle. Ce geste à lui seul représente tout ce qu'il est. Un homme bon qui protège... et il a choisi de le faire en portant les armes. Elle-même chassait bien les mages dissidents... A chacun sa méthode.

Le mathandil s'arrête et le militaire met pieds à terre. Sinieth ne s'attendait pas à ce qu'ils arrivent si vite. Curieuse, elle pose son regard sur son compagnon avant d'accepter son aide pour descendre de monture. De la musique, on en entend régulièrement ici alors elle n'y prête pas vraiment attention... Jusqu'à ce qu'Aegden tende la main vers elle et l'invite à danser. Après un instant de surprise, elle étire un sourire amusé et mystérieux. Ici ? En pleine rue ? Les elfes ne connaissent pas la pudeur des sentiments. Et puis, cela ne la dérange pas de faire démonstration des siens. Alors elle pose sa main dans celle de son amant, acceptant l'invitation en redressant légèrement le menton. Leur dernière danse date de leurs adieux à Thaar. C'était une autre époque qui semble déjà presque lointaine...

Elle répondit, et à nouveau le visage de l’elfe s’illumina d’un sourire d’une rare intensité. Sinieth n’avait pas dû le voir sourire ainsi depuis bien des jours. Il avait l’air heureux, et plein d’espoir.

La main de la jeune femme dans la sienne, il se mit alors à rapidement l’entrainer quelques mètres plus loin, sur une petite place parcourue de quelques rares elfes malgré l’heure si tardive. Perché sur une épaisse racine crevant les dalles immaculées, il y avait le fameux musicien, grattant tranquillement les cordes d’une mandoline. A côté de lui, il y avait un coffret de bois sombre, fermé dont le contenu restait inconnu de tous.

Lorsque le barde vit les deux amoureux débarquer comme s’ils n’avaient que cent-vingt ans, son regard s’illumina un peu, et ravis, il reprit avec joie l’air qu’il avait déjà entonné. C’était un air doux, léger, d’une joie toute simple.

Plongeant ses prunelles anthracites dans celles de la jeune femme, Aegden vint déposer sa main libre dans le creux de son dos, l’autre enserrant délicatement ses doigts.

Une note plus tard, ils sont lancés.

Parmi les quelques passants, certain s’étaient arrêtées, curieux de ce spectacle improvisés, certains lançaient simplement un regard amusé, attendris pour d’autres. Aegden n’y prêtait pas grande attention, se fichant pas mal de l’image qu’il pouvait renvoyer. Ce soir-là, ce n’était pas à ses frères qu’allaient ses priorités. Quoi qu'une part de lui était peu être en peu enorgueillis de leur présence. En tout cas, il était fier d'exposer ses sentiments. Depuis longtemps il avait décidé de ne pas se cacher de l'amour qu'il portait à celle qui autre fois était étrangère. Aujourd'hui, non content de ne pas s'en cacher il les dévoilait a tous, dans toute leur beauté.

Ils tournoient tournoient encore et encore sous les rayons de lunes, l’espace s’étant petit à petit fait à eux seuls. Ils valsent sous les étoiles, ne formant qu’une silhouette mobile, floue, qui parfois s’arrête pour redevenir deux elfes distincts. L’amour transparait dans leurs gestes, la tendresse qui leur est propre.

Le musicien qui les guide s’amuse cependant à varier l’intensité de la chorégraphie qu’ils dessinent tous les deux par les notes que ses doigts habiles créent.

Parfois elle sont lentes, tendres, presque timides comme deux amants se découvrant à peine, alors ils valsent, leurs pieds survolant presque les pavés blancs. Les pans de robe de la belle dame semblent animés d’une brise imperceptible.

Puis tout change, les notes s'intensifient, les corps se rapprochent, une chaleur nouvelle règne sur le couple qui s’est déjà apprivoisé. Leurs jambes s’entremêlent presque, tandis qu’ils semblent s’attirer et se fuir dans un duo un peu plus langoureux.

Et puis les chosent changent encore et la passion se mêle à la tendresse. Comme deux mélodies en une. Les corps cessent de se fuir et s’adonnent à une plus douce étreinte, mais cette fois, il se connaissent parfaitement.

-Tu m’avais manquée Sinieth. Souffle-t-il finalement alors que leurs corps se séparent un bref instant et se retrouvent plus proche encore.

Elle le sait, il le lui prouve constamment et ses paroles sont superflues. Elle sait déjà qu’elle est la femme de sa vie, bien avant qu’Elben ne soit dans leurs bras. Il a besoin pourtant d’exprimer cela. Il ne s’agit pas seulement de lui dire qu’il l’aime, il y a autre chose.

-J’ai eu pas mal de temps pour réfléchir l’ennéade dernière et...ces quelques jours. Et même si je sais que ton choix est fait quoi qu’il arrive, que tu es forte, tellement forte, Il ferme les yeux un instant, le temps de prendre une légère inspiration. Je t'ai déjà promis de te protéger quoi qu'il m'en coûte. Aujourd’hui je veux te promettre de toujours te revenir, d’une façon ou d’une autre. Qu'où que je soit, je te reviendrais.

Une nouvelle valse, puis la jeune femme tourne sur elle-même avant qu’il ne la récupère dans ses bras. La musique continue de se calmer, petit à petit, lui n’a toujours d’yeux que pour elle.

-Je veux te le promettre devant la Mère et l’Amant.

Une main se glisse sur sa joue, tendrement en trace les contours. La voix d'Aegden n'avait semblé être plus qu'un souffle tant il vit ce moment avec intensité. Ces instants là seront à jamais gravés dans son souffle il le sait, alors il fait de son mieux tandis qu'il sent son coeur s'emballer. Le soldat a le trac il doit bien se l'avouer...

-Qu'Arcamenel y soit pour quelque chose ou pas, peu importe, je suis fou de toi depuis nos premiers pas ensemble sur cette étrange scène de l'autre bout du monde. Avec toi, j'ai découvert ce que c'était d'aimer aussi fort, et de vivre pour quelqu'un. Pour toi. Je suis un elfe comblé comme je n'aurait jamais osé l'espérer, moi un soldat sans attaches. Et je veux te rendre cette joie chaque jours de l'éternité que nous passerons ensemble si tu veux de moi comme mari... Alors, Il plia un genou à terre, venant à nouveau chercher les doigts de son aimée au lieu de ses pommettes. Sinieth, veut-tu devenir ma femme, dans cette vie et part delà ?

La danse commence et une foule de souvenirs reviennent à Sinieth. A commencer par leur rencontre, aussi inattendue que magnifique. Dire qu'elle voulait le laisser partir et se contenter d'un souvenir... C'est qu'elle ne pensait pas leurs éveils réciproques. Ni qu'une relation entre eux, qui appartenaient à deux mondes différents, serait possible. Il est rare qu'elle se trompe et, pourtant, elle ne s'est jamais autant trompée dans ce cas-là. Le cœur d'Aegden, aussi clos que le sien, s'était ouvert pendant leur valse. Et, même si elle a été élevée dans une toute autre culture, elle n'est pas si différente des anedhels qu'elle ne le pensait.

Le musicien semble bien heureux d'avoir un publique et il se met à jouer de bon cœur, entraînant le couple dans des rythmes de plus en plus passionnés et langoureux, mais toujours tendres. A-t-il adapté sa mélodie pour eux ? Sinieth se prête au jeu, de la même manière qu'à Thaar. Elle se laisse guider par son partenaire puis, lorsqu'elle se détache de lui, joue un peu avec sa liberté pour improviser à son tour. Son regard brille de milles étincelles et ses lèvres dessinent un discret sourire qui illumine son visage tout entier. Elle évolue avec grâce et finesse, toujours égale à elle-même, même dans un autre pays et dans d'autres vêtements. Elle ne se préoccupe ni du musicien, ni des personnes qui se sont arrêtées pour les observer. En cet instant, il n'y a qu'Aegden et elle.
Tandis qu'elle retrouve les bras de son amant, il lui avoue à quel point elle lui a manqué. Des mots presque anodins en dehors de tout l'amour qu'il renferme. A ce moment-là, elle ne pressent pas encore ce qui va arriver et lui répond alors qu'elle se rapproche une nouvelle fois de lui.

-Toi aussi, Nin Meleth.

Mais sa déclaration ne s'arrête pas là et Sinieth est de plus en plus suspicieuse. Cette sortie, cette danse, ces mots... Elle est presque inquiète alors qu'il lui confie vouloir lui donner une preuve qu'il rentrera toujours auprès d'elle. Que doit-elle redouter ? Que se prépare-t-il ?
Et puis leur danse s'arrête, au contraire de la musique qui se poursuit. Le militaire cueille le visage de sa belle dans ses mains et lui fait une déclaration qu'elle aurait aussitôt comprise si elle avait intégré toutes les notions de la culture de son nouveau peuple. Mais l'incompréhension la gagne de plus en plus et elle n'y tient plus.

-Aegden, qu'essaies-tu de me dire ?

Il reprend la parole et plus il parle plus son message s'éclaire dans l'esprit de la jeune femme. Il exprime son amour autant que son bonheur de l'avoir à ses côtés. Soudain, tout devient limpide. Tout cela est une mise en scène pour quelque chose de bien plus grand qu'une simple sortie à deux. Tout était planifié pour en arriver à ce moment... Ce moment où il se désigne comme son mari, où il plie le genou et où il lui pose la question. Le temps s'est suspendu et le demeure tandis qu'un silence semble s'abattre sur eux. Il y a peut-être encore de la musique, elle ne saurait le dire et elle n'y réfléchit pas une seconde. Toute son attention est concentrée sur Aegden et les mots qu'il vient de prononcer. Et elle repense alors à d'autres mots qu'il a dit il y a quelques mois de cela et auxquels il songeait déjà, elle en est certaine désormais.

-Rhoenîn no lîn, gurenîn no lîn. Athra'cuilemen ada thar'i fern. Si adh an-uir. Récite-t-elle de mémoire, avant de faire référence aux propres paroles qu'il a utilisé pour lui expliquer ce que cela signifiait. Des mots que l'on ne prononce pas à la légère... Mais je veux les prononcer pour toi. Et puis, comme si elle réalisait elle-même ce qu'elle est en train de dire, ses lèvres s'étire dans un sourire de bonheur non dissimulé. Oui... Je le veux. Des larmes de joie lui échappent et coulent au coin de ses yeux pour rouler sur ses joues. Je veux être ta femme.

Elle avait dit oui.

Elle avait dit oui pour devenir sa femme.

Venant à nouveau encadrer le visage de celle qui était désormais sa fiancée, il posa son front contre le siens, renonçant à retenir ses propres larmes de joie et le sourire un peu béat qui étirait ses lèvres. Une joie indicible berçait son cœur.

-Rhoenîn no lîn, gurenîn no lîn. Athra'cuilemen ada thar'i fern. i adh an-uir.

A peine un souffle cette fois encore. Parce que ces paroles n’étaient destinées qu’à elle et elle seule.

-Ninindiyéva.

Cette pensée encore un peu irréelle lui arracha un discret rire de joie. Comme lorsque l’existence d’Elben leur était soudain apparue, le militaire avait du mal à y croire. Pourtant, cette fois-ci il n’avait pas besoin de quatre mois pour avoir une preuve tangible qu’il ne rêvait pas. Tout contre lui il tenait sa bienaimée qui pleurait de joie. Les seules larmes qu’il supportait de voir sur son visage.

Alors qu’il l’enlaçait encore, front contre front. Il percevait quelques applaudissements et quelques exclamations çà et là. L’air de musique était toujours là, bien que beaucoup plus discret et soudain, Aegden réalisa qu’il avait oublié un détail dans son plan presque parfaitement huilé. Alors il ouvrit les yeux, se soustrayant malgré lui à la douce étreinte de sa compagne.

Rapidement, il s’approcha du saltimbanque qui lui offrit un sourire complice et quelques paroles de félicitation. Ouvrant le petit coffre de bois dont le barde s’était fait gardien, Aegden revint vers sa bienaimée, son cadeau entre les mains. Il le tenait avec grand soin, comme s'il avait peur qu'il se brise entre ses doigts.

C’était un diadème d’orfèvrerie fine, d’un style typiquement anedhel, chaque branches semblait ciselée avec une précision inhumaine et son centre était serti d’un petit joyau rappelant les yeux clairs de la mage. Une pièce aussi élégante et rafinée que celle à qui il était destiné.

Il avait lu quelque part qu’il s’agissait d’une coutume courante là d’où elle venait que d’offrir un bijou en guise de fiançailles et de mariage, (passant à côté du fait qu’il s’agissait en général de simples anneaux…). Même si elle s’efforçait de se comporter comme une anedhelle, il espérait que cela plairait à Sinieth, elle qui était de toute manière si coquette.

Tendrement, il leva finalement les mains afin qu'elle se penche et qu'il le dépose sur son front.

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