Des nouvelles d'une 'cousine' | Louise de Fernel

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Début de 6e ennéade de Karfias
Automne, an 19

C'est fatigué que l'oiseau arriva au pigeonnier de Diantra. Quand la destinataire et les circonstances du pli fut connu, un petit coursier fut envoyé pour trouver prestement la dame, et lui délivrer le précieux message. La première feuille était de qualité, avec une écriture nette et soignée, écrite par la main d'un Isgaardien bienveillant...

Panahos de la 5e ennéade de Karfias
De l'an 19 du XIe cycle
Isgaard

Damoiselle de Fernel,

C'est avec une grande peine qu'il me faut vous annoncer cela : votre cousine, Elisabeth de Fernel, est malheureusement tombée entre les mains de malandrins. Cela est arrivé il y a quelques jours, après qu'elle ait quitté Isgaard. Je vous joins la lettre que nous a transmis l'un des ravisseurs, mais soyez prévenu : elle est un ramassis de vilenies.

La lettre jointe était faite d'un vélin de piètre qualité mais, étonnamment, sa calligraphie aurait fait pâlir certains péninsulaires... Ainsi que ses propos, mais pour d'autres raisons.

A qui de droit, faites parvenir ceci à Louise de Fernel. La vie de sa cousine Elisabeth de Fernel en dépend.

Voyez-vous, notre route a croisé celle de la demoiselle il y a peu. Sa charmante personne nous a semblé l'occasion d'un digne échange de service : sa vie contre quelques menus souverains. Nous ferons connaître notre présence à Isgaard au cours de la 7e ennéade de Karfias, afin d'arranger l'échange. S'il arrive quoique ce soit au digne messager qui se présentera, la demoiselle sera ramenée en terre péninsulaire morceau par morceau.

Un ami en Aduram

La somme énoncée permettait de s'offrir quelques beaux destriers... Rien de très affriolants pour une quelconque demoiselle au sang bleu.

Assise dans un fauteuil, les deux missives déroulées sur la console à laquelle elle est attablée, Louise regarde l’extérieur, la tête posée dans le creux de sa main, accoudée sur le rebord drapé d’un délicat velours bleu. Mille pensées traversent son esprit à l’instant, toutes tournées vers Fernel, Harven de Terresang, Dante, Elazar, ses chevaux et, dans une moindre mesure, ce procès qui sera tenu dans quelques jours. Une certaine lassitude s’affiche sur ce beau visage d’une vingtaine d’années, tout auréolé de lourdes boucles marron, serti de deux yeux au couleur de noisette, un brun luisant et doux.  

Le retour du Zagazorn ne lui a pas tellement laissé de répit, la voilà désormais Emissaire de la Couronne, un titre ronflant et une charge énorme à laquelle elle a consenti de se consacrer à la faveur d’un périple épuisant et d’un conseil étrange durant lequel toutes les inimitiés opposant le Nord et le Sud ont été parfaitement perceptibles. Quoiqu’il en soit, la voilà désormais au Palais Royal, dans la solitude, à attendre le début d’un procès dont l’issue sera capitale à plus d’un titre. Elle a rempli son devoir à de nombreuses reprises, elle doit assister à ces débats, elle reste donc là, dans ce fauteuil, à attendre et à rêver, puisque de toute façon elle ne peut rien faire d’autre.

Cependant, un corps et un esprit libre, un cœur ardent et une envie de parcourir le monde ne peuvent décemment se contenter d’un intérieur de velours et de ronds-de-jambe à tous les coins de couloirs. Elle a eu le temps de se reposer, et maintenant Louise s’ennuie. Fermement. Et ces deux courriers sont pour elle une sérieuse occasion de se rappeler toutes ses aventures passées, les combats à l’épée sur ce bateau vers Thaar en compagnie de Dante et d’Enguerrand, les promenades dans la cité des épices, profitant d’un relatif anonymat pour porter ces merveilleuses tenues légères dont elle raffole, la rencontre avec la Haute-Prêtresse de Kiel, sa violente bagarre à mains nues contre son frère de coeur, au cours de laquelle elle a fini en sang, la lèvre et le front fendus mais après laquelle elle a tissé des liens plus forts que jamais avec l’Ombre. Tout ce qu’elle a vécu, cette tension, cette excitation, ce contact canaille, tout cela la Louve y pense souvent. Avec un réel sourire. Thaar lui manque. Dante lui manque. Sa lame lui manque. L’occasion de tailler des oreilles en pointe lui manque. Le sang qui coule en ses veines est un sang vif, difficilement contrôlable et soumis à bien des passions que seuls les dogmes péninsulaires parviennent encore à maîtriser.  

Alors quand elle a ouvert ce courrier, elle a souri. Pour la première fois depuis bien longtemps, la châtelaine du Nord a sincèrement souri, reniflant en ce parchemin, entre ces mots élégamment posés, toute l’aventure dont elle est si friande. Pour peu, elle envierait presque cette Elisabeth de Fernel, ne serait-ce que pour ce contact avec la racaille, infiniment plus stimulant que ne l’est celui de tous les nobles sangs qui hantent le palais des Dômes.  

Qui est cette Elisabeth de Fernel ? La seule Elisabeth de Fernel que Louise connaisse était la femme la plus douce, la plus jolie, la plus noble qu’elle connaissait et qu’elle aimait de tout son cœur : sa défunte mère. Qui donc, dans ces conditions, a bien pu usurper une telle identité pour tenter de lui soutirer quelques souverains ? Qui ? Louise connait beaucoup de monde, du très beau monde mais aussi les plus impitoyables et vindicatifs assassins qui soient, des rois et des bandits, des nobles cœurs et de noirs démons.  

Sortant de ses pensées, elle s’empare à nouveau de ces courriers, parcourant les mots du bout des doigts avec un brin de nostalgie.  

En d’autres temps, elle se serait rendue en personne à Isgaard, dissimulée par cette grande cape de laine bleue qu’elle aime, le visage voilé ne laissant apparaître que ses yeux luisant, sa lame au côté. Désormais, elle est un porte-monnaie, une jolie bourse de velours pour une demoiselle qui s’est fourré dans le pétrin jusqu’aux yeux et qui a sans doute donné un nom d’emprunt pour se sortir de la mouise, d’une façon ou d’une autre.  

Avec un soupir, elle prend alors la plume et pose, élégante, les quelques mots qui suivent, à l’encre violette.

Diantra
9ème ennéade de Karfias de l’an 19 du XIe cycle

A qui de droit,


Je reçois votre lettre à mon retour de voyage et suis plongée dans la vive inquiétude au sujet de mon infortunée cousine.  

Un sourire, alors qu’elle plonge la plume dans l’encrier.

Je cède à la violence et consens à payer ce que vous exigez afin qu’Elisabeth revienne parmi nous en vie, saine et sauve.  

Je ne suis qu’une humble châtelaine, je ne dispose guère de moyens humains que je puis détacher impromptu en une région lointaine sans qu’aucune garantie ne me soit fournie. Vous désirez un échange, nous procéderons donc à celui-ci mais en dehors de la capitale, à l’abri des regards, là où je pourrai envoyer une personne de confiance munie de tout l’argent demandé.  

Sans vouloir vous offenser, les routes sont peu sûres, je suis certaine que vous comprenez dès lors pourquoi je ne peux faire voyager une telle somme sur les chemins de Péninsule.  

Un autre sourire, elle taille la plume dont l’embout vient de se briser, puis la plonge à nouveau dans l’encrier pour terminer son courrier.  

Il existe une petite ferme, isolée et éloignée des regards indiscrets, non loin de la capitale, ferme dont vous trouverez les coordonnées ci-après. Ma personne de confiance y attendra ma cousine la deuxième ennéade de Favrius, vous recevrez vos souverains à ce moment-là.  

Dans l’espoir que ce message trouve Elisabeth en santé et intacte,

Louise de Fernel

Le nécessaire sera ensuite fait pour ce courrier parvienne à temps aux ravisseurs.

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