Raviver le passé - Les sous entendus

-Tu es encore sur ce vieux carnet malg’ ?

Adossé à un arbre, le mage leva à peine le nez des quelques pages qu’il fixait déjà depuis une bonne heure. Il ne prêtait que peu d’attention à son ami qui travaillait et retravaillait sans cesse quelques passes d’armes  dans l'herbe à quelques mètres de lui. Depuis quelques jours déjà, probablement intrigué, le mage était venu demander  au commandant de lui prêter l'étrange journal, et n'ayant de toute façon pas le temps de s'y pencher, Aegden n'y avait pas vu d'inconvénient. A vrai dire cela l'avait surpris de voir l’intérêt du mage ne jamais s'user devant ce qui lui semblait n'être qu'un enchevêtrement d'écrits sans logique...

-Hm… J’ai l’impression que tu rate quelque chose. Marmonna-t-il sans même prendre la peine de fixer son interlocuteur.

-Ah oui ?...Tu as réussi à retrouver son propriétaire?

Absolument pas convaincu, le soldat continuait tranquillement sa routine, faisant tournoyer sa lance dans sa main et enchainant lui-même quelques acrobaties graciles. Voilà un exercice qui lui convenait bien mieux que la lecture placide de vieux écrit indéchiffrables…

-Tu sais…Je crois que ton premier sentiment était juste. Ajouta finalement le mage. Je ne crois pas qu’il s’agisse de simples contes....

-Tu crois ? Le souffle court, il ne s’embarrassa d’encore moins de mots qu’à l’accoutumé. Un instant d’hésitation interrompit finalement son enchainement, avant qu’il ne se décide finalement à s’approcher de l’élémentaliste et d’observer par-dessus son épaule. Et c’est quoi exactement ?

-Des recherches.

Le regard de Malgelir, accompagné d’un sourire vainqueur, s’arracha enfin à l’ouvrage pour retrouver celui du soldat intrigué. Ce dernier se contenta d’un haussement de sourcil, attendant la suite.

-Regarde.

Il étala alors quelques documents çà et là, veillant à ce que les plus abîmés restent à l’abris. Du doigt, il montra tour à tour des écrits d’une page et d’une autres. Alors, Aegden posa soigneusement son arme sur le côté avant de s’agenouiller au niveau de son interlocuteur.

-Ce sont des comparaisons. L’eflique est différent sur la première version, plus recherché, mais sur le deuxième, il s’agit du même thème, du même récit dans la même forme.

-Qu’est-ce qui te fait penser que ce n’est pas juste un passionné de mythes ? Ou bien un artiste désireux d’imiter ceux d’avant ?

-Il ne s’agit pas que de poèmes, mon ami. Il y a des commentaires à pas mal d’endroits. J’ignore combien de temps à duré ce journal, mais notre homme a dû passer des mois à faire ce travail. Peut-être des années. Tu vois toutes ces cartes ? Celui qui tenait ce carnet cherchait quelque chose, ou quelqu’un.

-Le fameux ‘’Erca’’…

-C’est probable.

-Tu pourrais faire quelque chose pour moi ?
-Hm…Dis toujours ?

Le soldat avait fini par céder, et se relever. C’était plus fort que lui et il se retrouvait désormais à faire les cent pas.

-Ce passage-là, s’attarde incroyablement sur l’armée. Malgelir pointa une nouvelle partie du journal. Mais la personne qui a écrit ces lignes ne semblait pas pouvoir y accéder. Il y a même quelques nom d’oiseau envers un pauvre archiviste. Rit-il.

-Tu n’as pas besoin de moi pour ça. Aegden fixa son camarade, l’air particulièrement surpris. Si tu cherches un dossier, il te suffit de demander.

-Mais il doit bien y avoir des documents secrets non ? Tout le monde en a.  

-Eh bien… Il réfléchit un instant. Oui, il doit en avoir un certain nombre. Où est-ce que tu veux en venir ?

-Tu pourrais vérifier qu’il n’y a rien sur notre homme ?

Cessant à nouveau de s'agiter, Aegden croisa les bras contre son torse et soupira. Son ami s’entêtait pour des idées vaines. Et en plus de ça, il parvenait à l’entrainer là dedans malgré tout.

-J’ai déjà vérifié Malg’. Il n’y a rien.

-Mais tu ne savais pas où aller. Maintenant, j'ai de meilleures pistes. J’ai l’impression qu’une bonne partie des contes remontent aux même origines : bien des cycles en arrière et Quatrième Saison. Ce sont les termes qui reviennent en permanence.

-Alors c’est peut-être de leur côté que tu devrais chercher.

-Non mon ami. Malgelir étira un sourire presque joueur, comme si quelque part, cela l'amusait beaucoup d'impliquer le commandant là dedans. Un tel elfe, s’il y a le moindre fond de vérité dans ces contes, c’est de cette armée qu’il aura fait partie.

-Qu’est-ce que je ferais pas hein…

Aegden soupira, alors qu’il se retrouvait pour la seconde fois en trop peu de temps devant les trop nombreux rayons d’archives elfique. Il n’enviait pas les elfes chargé de garder un semblant d’ordre là-dedans…

Et à nouveau ce fut l’heure d’interminables recherches… Quoi que cette fois-ci, Aegden fut bien plus surpris qu’il ne l’aurait parié… Si sa première tentative n’avait été qu’un échec accompagné d’une très mince piste, cette fois-ci il s’avait un peu plus par où commencer et surtout, il sembla avoir une aide non négligeable ce jour-là.

-On vous vois souvent ici en ce moment, commandant…

C’était une élégante elfe aux longues tresses aussi claires que sa peau qui venait de lui adresser ces quelques mots. Aegden ignorait son âge et du fait de sa position récente, ne savait dire si l’elfe était là depuis de nombreuses années ou non. Mais à en juger par sa façon d’agir ici, elle devait tout de même particulièrement bien connaitre ses rayons.

-Ah Heri Miendis. Le soldat hocha la tête. Il semblerait oui… Pourtant je ne suis pas sûr de savoir exactement ce que je cherche. Où et comment je dois le faire en tout cas…

A sa moue désabusée, l’archiviste répondit par deux sourcils haussés.

-Peut être que je peux tout de même vous aider… ?

Alors Aegden soupira, avant de lui tendre l’objet qui l’occupait tant depuis quelques jours et lui résuma de son mieux cette vaine quête. Sa découverte hasardeuse, les recherches d’un élémentaliste un peu trop enthousiaste, et les pistes étranges qu’il pensait avoir trouvé. Et pour finir l’hypothèse de trouver ici quelques réponses. Bien sûr, il ne pensait rien déclencher chez son interlocutrice si ce n’était une incompréhension aussi brute que chez lui, et pourtant, l’air interrogateur de la femme sembla s’appesantir au fur et à mesure qu’elle l’écoutait en feuilletant précautionneusement l’ouvrage. Et quand il eut fini, elle étira un sourire hésitant.

-Je ne pensait jamais retomber sur ces histoires. Souffla-t-elle. Venez.

D’un signe elle l’invita à suivre ses pas, et dans le même temps expliqua son étrange réaction.

-J’étais une toute jeune elfe à l’époque. Je venais à peine de prendre mes fonctions ici, c’est dire. Ajouta-elle dans un bref rire.  Mon mentor de l’époque, son souffle puisse trouver la paix au Senarda, m’aidait encore à trier quelques dossiers anciens quand ‘’il’’ a débarqué. Marchand à ses côtés, Aegden put remarquer son visage se fermer un peu. Je ne me souviens pas de l’intégralité des paroles qu’ils échangèrent, mais l’étranger semblait…Désespéré. Le genre désespéré que vous devriez mener vers un prêtre de Kÿria plutôt que devant des archives. Je crois qu’il voulait accéder à une partie interdite. Elle désigna l’endroit où eux se trouvaient à présent. Il disait être à deux doigt d’un bouleversement majeur, quelque chose comme ça… Mais sans aucune preuve de qui il était, nous ne pouvions l’y autoriser. Vous savez autant que moi à quel point les secrets sont dangereux entre les mauvaises mains.

-Qu’est-ce qu’il cherchait ici ?

-La même chose que vous Heru. La marche s’arrêta et une main gracile vint se poser sur le journal. Des réponses.

Et puis elle fit mine de continuer son chemin, jusqu’à sembler avoir trouvé ce qu’elle cherchait. Elle plia les genoux et Aegden l’aida alors à soulever la lourde boite jusqu’à une table proche.

-Je n'ai jamais revus cet elfe. Mais quelques années après cet incident, je me suis décidée à tout de même chercher un peu. C'est pour cela que je m'en souvient quelques centaines d'année plus tard. J’ignore s’il s’agit bien du même elfe que ne le disent vos contes. Peut-être ce soldat n’a-t-il fait que récupérer un nom plus ancien, mais c’est le seul que nous ayons ici avec ce surnom, "Erca’’. Elle fronça les sourcils et lui tendis une paire de gants sortie de sa poche. Faites attentions. Ces archives sont extrêmement anciennes, nous n’en avons pas énormément.

-Je ne l'oublierais pas. Merci heri. Le soldat hocha la tête avec déférence car elle venait de lui apporter une aide inestimable.

L’épaisse boite ne contenait pas énormément d’objets. Pourtant, il s’agissait là d’une mine d’information extraordinaire, Aegden le constata bien vite. Malgelir n’était pas là, aussi fit-il de son mieux pour noter et retenir l’essentiel des premières informations sur parchemins et tablettes vierges, le temps que le mage ne se libère. Jamais son ami ne le pardonnerait s’il ne partageait pas ses potentielles découvertes.

La première chose que le mainyth trouva, c’était une simple lettre. Il hésitât, au départ à la lire, par simple pudeur envers un elfe dont il ne connaissait même pas le vrai nom… Mais au vu de l’état des objets et des dires de la vieille archiviste, il savait qu’il n’y avait aucune chance que ce soldat fut encore en vie à l’heure actuelle. Et cette lettre avait probablement déjà été lue par les destinataires potentiels.

Et a vrai dire, il pensa là aussi ne rien en tirer, au première vue. Ce n’était qu’une lettre comme Aegden en avait déjà lu des dizaines, et écrite, lui-même autrefois tout autant. C’était les paroles d’un soldat à ses proches, qu’il fut sa famille, un ami, ou bien une amante. Le texte ne le précisait pas.

Ce qu’il précisa en revanche, ne put laisser le soldat indifférent et il failli le lâcher en réalisant ce qu'il tenait entre ses mains. Le parchemin était daté de cycles et de cycle en arrière. Quelques centaines d’années avant la plus terrible catastrophe qu’ai connu Anaëh et celle qui la laissa endeuillé d’une profonde partie de son peuple. Et cela signifiait tout un tas de chose qu'Aegden osait à peine croire.

Cet elfe avait connu la chute du Linoïn.
Cet elfe, d’après la même lettre semblait bel et bien en lien avec Quatrième Saison.
Il était signé de ce surnom qui revenait sans cesse.
Malgelir avait eu raison :

Erca existait.