Raviver le passé - Soufflent les vents

-Vous êtes sûrs que vous ne voulez pas d’aide commandant… ? Je ne suis pas certain de comprendre.

-Vous avez besoin de tous vos hommes ici. Aegden adressa un sourire bienveillant à l'elfe qui gardait la grande porte de la cité de Quatrième Saison. Je ne tiens pas à entrainer des malheureux dans mes propres quêtes. On s'en sortira ne t'inquiète pas.

-Bon… Le soldat se résigna, tout de même un peu mal à l’aise à l’idée de laisser deux elfes errer jusqu’à il ne savait où. Qui plus est des membre de l'armée royale. Et bien…Bonne chance j’imagine ?

Un dernier signe de la main plus tard, Aegden et Malgelir, jusqu’ici étonnement silencieux, étaient partis. Les deux elfes avaient décidé d'a nouveau écouter leurs cœurs et après quelques dernières recherches, pensaient enfin avoir trouvé le lieu supposé d'où un mystérieux conteur avait autrefois caché l'arme de son ami disparu. Cette arme, devenu légende de la même manière que son porteur, pouvait sans doute encore révéler quelques secrets aux deux elfes qui la cherchaient. Ils leur fallait avoir le cœur net, alors résolus, ils avaient pris leur temps et une fois prêt, c'étaient lancés dans cette dernière quêtes un peu insensée.

Pourtant, il n’eurent pas à attendre la fin de leur voyage pour que l’imprévu repointe son bout du nez. A peine une heure après leur départ, Aegden avait eu une drôle de sensation, lui faisant hausser les oreilles et se redresser un peu sur le dos de sa monture. La forêt bien moins épaisse qu’en Alëandir permettait moins de couverts, et pourtant…

-Tu sens ça Malg’ ?

-Sent quoi… ? Le mage voulu suivre le regard de son ami, mais lui ne ressentait rien alors il se contentait de regarder autour, un peu nerveux.

-On devrait peut-être avancer un peu... J’ai l’impression d’être observé et je n'aime pas ça.

Aegden était bien incapable de l’expliquer, mais il ne se sentait plus seul depuis quelques minutes… Pourtant, les miliciens locaux leur avaient fourni les quelques emplacements les plus connus des ornedhels alentours, et aucun ne se trouvait si proche de la cité de pierre…

La Symphonie l'a conduite ici. Elle ignore pourquoi, comme toujours... Mais elle se contente d'aller là où elle lui dit d'aller. Et curieusement, elle ne lui dit rien pour l'instant. Assise sur une haute branche, un pied suspendu dans le vide, elle attend. Le nez légèrement relevé vers le ciel qu'elle perçoit sans mal entre les feuillages d'automne, elle écoute. Les animaux, le vent, les Voix... Elle est calme et sereine. Tout simplement.
Pour une fois, elle est seule. Sërythill ne peut pas toujours la suivre. Et la solitude lui fait du bien parfois. Surtout maintenant qu'elle maîtrise davantage son environnement. Les Vetheril lui ont beaucoup appris. Son frère également. Elle est désormais capable de voyager, de se nourrir, de s'abriter sans recevoir d'aide de quiconque. Dans ses errances, elle croise tout de même du monde. Et pas seulement des elfes mais aussi toute sorte de créature de Kÿria. Elle a d'ailleurs revu ce faon qu'elle avait croisé une fois avec son père et sa mère. Des cerfs d'Anaëh dont elle a oublié le véritable nom. Il a bien grandi. Il a changé, tout autant qu'elle...

Mais alors que la petite elfe est là, quelque chose attire son attention. Il y a du mouvement en bas. Une forme se déplace lentement en-dessous d'elle. Non... Deux formes. Elle les regarde et s'interroge. Puis, elle sent sa curiosité s'éveiller... La Symphonie la titille pour qu'elle se mette de nouveau en mouvement. Mais elle ne perçoit aucun danger. Elle esquisse un sourire amusé. Anaëh est espiègle.

Sans plus réfléchir, elle abaisse son masque et se laisse silencieusement tomber sur la branche d'en-dessous. Elle suit le mouvement avec discrétion, ayant appris à se déplacer sans l'aide de cette magie qui peut la rendre bien moins discrète qu'elle ne le pensais lorsque l'être dont elle cherche à s'approcher la pratique aussi. Elle n'a d'ailleurs aucun mal à rejoindre le duo, ayant finalement compris au bruit qu'il y avait deux individus.
Elle descend encore, cherchant à se rapprocher sans se faire voir. Elle se trouve dans leur dos, n'hésitant pas à se cacher régulièrement pour ne pas être repérée. Lorsqu'elle est assez près, elle distingue les silhouettes sur les équidés. Il ne lui en faut pas davantage pour comprendre à leurs vêtements que ce sont des citadins. Rien d'exceptionnel jusque là, alors pourquoi Anaëh a voulu la faire descendre de son perchoir ?

Et puis... Une voix. Les lèvres de Cilastiel s'étirent de nouveau, formant cette fois un large sourire. Elle sait qui c'est. Alors, sans hésité, elle plonge dans les ombres, ne craignant plus d'être découverte à présent. Devant les deux elfes, une voix leur parvient. D'abord lointaine, elle se rapproche entre chaque coupure, la Trame frissonnant à chacune d'elle.

-Pourquoi les citadins... craignent-ils tant... qu'on les observe ?

Sur une branche basse, la petite silhouette de l'ornedhelle apparaît. Elle semble sortir de nulle part et fait deux pas sur l'écorce avant de se tourner vers les voyageurs, croisant les bras dans une position nonchalante tandis qu'un sourire malicieux s'étire sous son long bec.

-Si votre berceau vous rend si nerveux, il est urgent que vous y retourniez plus souvent.

Il n'y a pas de critique dans ses paroles mais plutôt un conseil transmis sous la forme d'une plaisanterie. Après tout, elle serait mal placée pour juger, elle qui n'avait aucun attachement pour son propre peuple quelques années plus tôt et qui n'était pas capable de se déplacer dans la Prime Oeuvre sans chuter toutes les deux minutes. Elle a prononcé ses mots avec humour tandis que son regard se pose sur son ami. Si sa voix a encore évoluée, se faisant plus vivante encore que lors de leur dernier entretien, il n'aura certainement pas oublié sa nouvelle apparence. Même si cette dernière a pris quelques couleurs depuis, son masque, lui, n'a pas changé.
Peu à peu, son sourire amusé se change en une forme de bonne humeur. Si Anaëh est espiègle, elle devient peu à peu comme elle.

-Ravie de te revoir, Aegden. Dit-elle avec sincérité.

Si la surprise d’Aegden était teintée de joie, l’élémentaliste à ses coté lui était tout le contraire. A peine avait-il sentit la trame vibrer qu’il avait levé les mains devant lui, guettant la potentielle menace et ne les abaissant pas lorsque la jeune fille s’était montré. Le lancier connaissait suffisamment son camarade pour le savoir sans même un coup d’œil et connaitre ses réactions à venir alors avec douceur lui fit signe de se détendre et ce fut seulement lorsqu’il fut certain que Malgelir se contenterait d’un regard inquiet et du silence qu’Aegden mit simplement pied à terre, comme pour accueillir un peu plus décemment une vieille amie.

-La prime œuvre semble t’aller à merveille Cilastiel.

Il se souvenait du nom qu’elle lui avait donné ce jour-là, sous l’Estel. Elle avait déjà tant changée qu’il avait peiné à reconnaitre la petite elfe autrefois perdue dans les rues de Thaar, et aujourd’hui encore, elle semblait changée. Sa peau avait légèrement bruni, son regard respirait une espièglerie nouvelle, et elle semblait sourire sans mal. Quant à son apparence, elle semblait s’être chargée de quelques breloques et de couleurs supplémentaires. En bref elle semblait parfaitement heureuse et sûre d’elle. C'était particulièrement réconfortant à voir.

-Je ne m’attendais pas à te voir ici. Ajouta-t-il conscient qu’elle pouvait légitimement en penser pareil, et peut être encore plus justement. Mais le plaisir est partagé.

Par réflexe il jeta un coup d’œil autour d’eux, cherchant à interpréter les messages de la symphonie malheureusement trop faible à ses oreilles encore hésitantes et à détecter d’autres silhouettes dans les branches. Il n’avait pas spécialement peur d’être entouré par d’autres ornedhels mais il devait bien avouer qu’il n’appréciait pas se sentir épié et préférais largement qu’ils se montrent s’ils y en avaient d’autre.

-Est-ce que tu es…seule ?

Cilastiel étire un sourire à la réponse d'Aegden, y reconnaissant un compliment. Oui, elle se sent bien telle qu'elle est devenue. Décroisant les bras, elle baisse les yeux pour remarquer que le sol est un peu trop bas pour elle. Elle saute néanmoins, disparaissant dans une ombre pour reparaître dans une autre entre les racines de l'arbre sur lequel elle se tenait. Elle s'approche d'un pas léger et sûr, ses pieds nus se posant sur un lit de feuilles mortes, de brindilles et de mousse. Si elle a changé en bien des points, elle est toujours aussi petite. Aussi, s'arrêtant à quelques pas de son ami, elle doit bien évidemment lever les yeux pour pouvoir les plonger dans les siens.

-Tu peux me trouver un peu n'importe où en Anaëh. Il suffit qu'Elle m'y conduise. On dirait qu'elle a voulu que je te retrouve, aujourd'hui. Cela fait deux jours que je n'ai pas bougé : Tu es en retard. Le gronde-t-elle faussement.

Amusée par ses propres paroles, elle sourit au point que l'on devine même ses dents. Son regard se tourne un peu vers le second elfe, resté sur son cheval. Elle ne l'avait pas vraiment regardé jusque là mais, la première chose qu'elle remarque, c'est qu'il semble un peu tendu. La question d'Aegden la ramène cependant à lui pour quelques instants.

-D'habitude, je voyage avec mon frère mais il avait besoin de retourner dans son clan après notre escale à la frontière. Donc oui, je suis seule. Et c'est peut-être mieux ainsi. Sans être vindicatif, il n'est pas à son aise avec des Taledhels.

Ce qui visiblement n'est pas le cas de Cilastiel qui semble très naturelle et détendue face à deux membres de l'armée. Le fait d'être amie avec l'un d'eux pourrait expliquer la chose mais la façon dont elle regarde le second dénote surtout de curiosité et pas la moindre méfiance. Elle ne l'a encore jamais vu. Cependant, gardant son visage tourné vers le mage, elle étire sa tête vers Aegden pour lui parler à mi-voix.

-Je lui ai fais peur ? Tu devrais peut-être nous présenter.

Elle a parfaitement conscience qu'il les entend très bien mais c'est une façon de lui faire savoir qu'il n'a pas à la craindre. Elle est peut-être étrange et d'humeur excentrique, elle ne leur fera pas le moindre mal.

Malgelir avait compris même  sans entendre que l’attention s’était tournée vers lui et mit à son tour pied à terre, l’ego quelque peu blessé pour s'approcher du duo. Les deux hommes s’échangèrent un regard qui eut l’effet d’une conversation muette entre eux. Et le mage, eut  alors l’air de faire un effort, offrant une façade tendue, mais pas agressive à la jeune elfe.

-Je m’appelle Malgelir. Fit-il calmement. Cilastiel c’est ça ? Enchanté… je...suppose.

Ce n'était pas incroyable mais Aegden eut  tout de même l’air satisfait alors il se tourna à nouveau vers Cilastiel. Son discours  précédent lui paraissait un peu étrange à y repenser mais il n’était pas certain de comment aborder des questions peut être un peu trop personnelles. Pas pour le moment en tout cas.

-Nous aussi on voyage. Expliqua-t-il alors. Malgelir et moi on pense avoir trouvé la trace de quelque chose de très ancien dans les environs. Le soldat sourit en regardant son ami toujours quelque peu renfrogné. En fait c’est surtout Malg’ qui l’a fait et qui m’a convaincu de la rechercher… Et ils sont rares les elfes à pouvoir me convaincre de me lancer dans des folies pareilles…

Il avait confiance en l’élémentaliste, jusqu'à lui confier sa vie s'il le fallait, et sachant cette confiance réciproque, Aegden espérait qu’il s’appuie sur cette confiance pour, par extension, faire confiance à cette ornedhelle inconnue pour lui.

-Je ne sais pas où veut t’emmener l’œuvre, mais si tu veux faire un bout de chemin avec nous le temps que nos voies se séparent, tu es la bienvenue.

Désormais face aux deux Taledhels qui la surplombent de près de deux têtes, la petite elfe ne bronche pas davantage. Elle observe son nouvel interlocuteur d'un œil curieux. L'absence d'arme contrebalancée par la présence d'un uniforme lui laisse entendre qu'il est mage. Elle a donc bien fait de ne pas utiliser sa magie trop tôt et elle remercie intérieurement les Veltheril pour leurs précieux enseignements. Une fois qu'il s'est présenté, elle relève enfin son masque, dévoilant son visage afin de les mettre tous les deux sur un pied d'égalité. Si son expression reste agréable, elle est soudain plus sérieuse et plus douce. Ses traits, autrefois empruntés à ceux qu'une poupée de cire semblable à une enfant un peu effrayante, sont désormais ceux d'une ravissante et intrigante femme. Certes, elle semble encore très jeune mais également dotée d'une forme de sagesse dont la nature est difficile à déterminer.

-Enchanté… je...suppose.

Cilastiel étire un sourire amusé et amical mais qui n'est en rien moqueur. Sa première approche lui a déplu mais elle n'en éprouvera aucun remord. S'il est ami avec Aegden, nul doute qu'ils parviendront à s'entendre malgré tout. Le commandant reprend la parole, expliquant à la jeune femme ce qu'ils font ici et l'invitant même à les accompagner pour un bout de chemin. Elle semble alors réfléchir, son regard s'égarant sur la gauche durant quelques instants. En réalité, elle est à l'écoute... A l'écoute de la forêt. A l'écoute de son cœur. A l'écoute d'Anaëh et de la relation fusionnelle qu'elle entretient avec elle. Au bout de quelques secondes, ses yeux d'un gris étrangement profond et en même temps vivant retrouvent le duo.

-Je vais vous aider. Déclare-t-elle finalement. Si vous vous enfoncez dans certaines profondeurs de la Prime oeuvre, vous aurez besoin d'une oreille qui sache l'écouter et la comprendre aussi bien que s'il s'agissait de ses propres pensées.

Cilastiel ne connaît pas ce recoin de la forêt mais elle n'en a pas besoin. Tout Anaëh est sa demeure et elle ne s'y sent jamais en insécurité car la Symphonie est son guide. Elle peut y dormir à poings fermés, elle sait qu'elle sera alertée en cas de danger. Elle ignore si Malgelir l'entend aussi mais rares sont ceux qui ont fusionné son Souffle avec elle comme elle l'a fait. Son aide leur sera précieuse, elle en est convaincue.

-Nous allons au nord.

Cette fois, le mage semblait moins renfrogné que surprit. Il s’éloigna l’espace d’une seconde et tira une carte des fontes de sa monture qu’il tendit à la petite noss, faisant l’effort de se baisser un peu pour son confort. La carte, vraisemblablement du protectorat, contenait quelques indications sur certains obstacles que les deux hommes feraient mieux d’éviter. Au nord, la terre s’avançait un peu sur la mer. Cet à-pic avait été entouré avec soin, indiquant sans aucun doute l’objectif de l’expédition.

-ça va être un long voyage… Tu es sûre de vouloir nous suivre ?

Loin de chercher à la décourager par une quelconque méchanceté, il semblait réellement s'enquérir d'elle finalement. Malgelir était plus que méfiant envers les ornedhels, mais il gardait un bon fond.

-Elle pourra toujours changer d’avis si elle le souhaite. Aegden haussa les épaules. Et c’est vrai qu’entre toi qui n’entend pas et moi qui peine encore à m’y faire. On ne devrait pas trop cracher sur un peu de compagnie capable de comprendre les voix.

Sans plus attendre, Aegden grimpa de nouveau sur son mathandil qui jusqu’ici regardait l’inconnue avec curiosité. Le museau bas et les oreilles en avants, il semblait comprendre qu’elle était une amie de son compagnon et avait l'air de chercher à déterminer la nature de cette étrange humanoïde à tête d’oiseau.

-Tu veux monter Cilastiel ? Aegden lui tendit sa main. Vailimo n’y verra pas de problème tant que je suis là.

carte:

Cilastiel se penche sur le parchemin puis elle relève les yeux vers Aegden.

-Qu'est-ce qui vous fait penser qu'un Noss sait lire une carte ?

Elle n'est pas en train de les réprimander, ni de les railler. C'est une simple remarque. La culture ornedhelle se transmet à l'oral, autour d'un feu, ou directement sur le terrain. Il ne savent ni lire n'y écrire. Ils peuvent faire quelques croquis ou des peintures rupestres mais ce n'est pas une forme de communication commune à tous les clans. Alors non, elle est incapable de décrypter ce qu'elle a sous les yeux et se redresse.

-Surtout une Noss comme moi.

Elle vit telle un aigrette au vent ou une feuille à la surface d'un ruisseau. Elle se laisse porter par son environnement. Elle n'a pas la moindre idée d'où elle se trouve en ce moment ou quelle direction prendre pour aller vers ce rond rouge sur la carte. Elle ne sait même pas ce que sont le Nord et le Sud... C'est l'une des rares choses qu'elle n'a pas acquises pour survivre en forêt parce que... elle n'en a pas besoin. Ce serait peut-être utile d'apprendre à se repérer un jour mais ce n'est pas sa priorité.

Malgelir lui indique néanmoins que ce sera un long voyage et c'est une information qui lui ai bien plus précieuse.

-Oui. Lui répond-elle avec assurance.

Quand Aegden déclare qu'elle pourra toujours changer d'avis, elle croise les bras, presque vexée. Elle a pris une décision, en accord avec ce qu'Anaëh souhaite pour elle. Elle ne reviendra pas dessus. C'est un peu blessant de le voir en douter, même si c'est dit dans une attitude plutôt paternelle. Cependant, le commandant lui propose de monter en selle avec lui et elle rend à l'animal son regard curieux, la tête penchée sur le côté. Elle s'approche d'un pas qui pourrait paraître étrange mais qui s'avère souvent utile lorsqu'il s'agit d'aborder un être sauvage ou méfiant. Mais le mathandil ne la craint pas. Alors elle lui tend la main, lui proposant de la sentir afin de faire connaissance. Elle achève de le rejoindre et se redresse sur ses deux pieds. Elle le caresse, pour le saluer, sans un mot.
Après quelques instants, elle relève son regard vers son ami.

-C'est vous qui aurez du mal à me suivre. Rétorque-t-elle avant de disparaître dans les ombres, laissant un rire résonner derrière elle.

~~~~~~~~~~

Cilastiel accompagne le duo mais elle disparaît souvent de leur champ de vision. Elle va et vient, s'assurant que la voie est sûre. Puis elle s'arrête pour prêter l'oreille ou attendre les deux militaires qu'elle regarde arriver depuis une haute branche. Elle ne semble pas fatiguée, habituée qu'elle est à voyager presque en permanence. Après deux heures de marche, cependant, elle se rapproche d'eux pour évoluer à une distance un peu plus abordable tout en demeurant dans les arbres. Tout est assez tranquille pour qu'elle puisse se le permettre.

-Ainsi dont... Commence-t-elle en direction d'Aegden. Tu entends la Symphonie à présent. Elle tourne vers lui un regard amusé et plisse les paupières. Perturbant, hein ?

Elle est bien placée pour savoir ce que cela fait, elle qui était totalement sourde à l'origine. Elle peut comprendre ce qu'il ressent et, surtout, l'aider à s'adapter à cette nouvelle perception du monde. Si c'est ce qu'il souhaite.

Les deux citadins durent bien avouer l’un comme l’autre être un peu déstabilisés par les vives réactions de la jeune femme. Mais comme elle était amie de l’un, et agressive envers aucun, ils choisirent de s’en accommoder. Aegden préférait largement voir cette attitude là sur Cilastiel que celle qu’il avait connu au tout début…

Alors durant deux bonnes heures, le voyage continua, ou plutôt démarra d’une bonne énergie. La petite noss apparaissait et disparaissait de leurs champs de visions et après un petit temps d’adaptation, ils ne sursautaient plus à chaque fois qu’elle réapparaissait près d’eux.

Malgelir lui-même sembla finir par se détendre, cessant de jouer avec le ruban à son poignet, s’autorisant quelques bavardages légers et autre témoignage que tout allait bien. Aegden, lui, restait naturellement plus silencieux, mais non moins détendu que ses compagnons.

Finalement, Cilastiel revint encore, et cette fois ci elle sembla vouloir engager la conversation. Aegden hocha la tête.

-Perturbant…J’ai envie de dire que c’est le mot oui.

Machinalement, sa main gauche vint se poser sur le discret bracelet d’os à son poignet opposé. Depuis qu’on le lui avait offert, il ne s’en était jamais séparé, comme s’il avait peur d’oublier toute l’histoire qu’il renfermait désormais.

-D’un autre côté, c’est un sentiment si pur… Il sourit, un peu pensif. Je ne l’entends pas parfaitement, pas comme toi en tout cas. Pour être plus précis, je ne l’entend pas. Je sais que c’est là. Il posa sa main contre son cœur. Parfois je crois capter quelque chose. Si c’est vraiment fort, je le sens un peu plus. Mais le sentiment s’est atténué depuis le premier jour.

Jamais pourtant il n’oublierait les instants du rituel, genoux dans l’eau et face à un druide qui quelques jours plus tôt lui avait sauvé la vie sans hésiter. Ce jour-là, il avait eu un infime aperçu, pourtant immense pour son souffle, de ce qu’Elle était vraiment. L’œuvre. L’harmonie. La Vie telle que Kÿria l’avait conçue. Le sentiment qui s’était alors gravé dans sa mémoire et dans son souffle ne pouvait pas vraiment être décrit avec de simples mots tant il avait été puissant et intense. Aegden pensait d’ailleurs que jamais plus il ne se sentirait autant en paix qu’alors, mais il n’en souffrait pas. C’était le genre d’instants qu’on ne vivait qu’une fois dans une vie, même multi-centenaire.

-Je me demande d’ailleurs si…Il haussa les oreilles, ayant visiblement quelque chose en tête avant de se raviser. Peu importe. Il sembla continuer et volontairement mettre de côté ce qui venait de lui trotter dans la tête. En tout cas, j’ai sacrément du mal à ne pas me perdre dans mes propres ressentis depuis, lorsqu'elle est un peu trop forte. Je dois bien avouer que ça complique les choses quand il faut garder la tête froide.

Il ne disait évidemment pas ça pour se plaindre. C’était un simple constat fait sur le ton de la conversation, comme lorsqu’on parlait de la pluie et du beau temps.

Au début, Cilastiel l'écoute d'une oreille amusée. Avec le recul, elle peut rire de ses débuts d'auditrice. De cette petite elfe maladroite qui marchait sans savoir pourquoi elle empruntait telle ou telle direction. Qui s’empêtrait sans cesse. Qui ne savait pas comment trouver à manger ou même à boire. Rester dans la forêt l'a contrainte à s'y habituer mais rien ne la retenait dans les cités. Aegden, lui, a un métier, une fonction. Une famille peut-être. Alors il est normal qu'il n'en ait pas fait autant. Surtout s'il ne perçoit pas la Symphonie avec ses oreilles.
En revanche, lorsqu'il évoque ses difficultés à différencier ses émotions de celles d'Anaëh, son air rieur disparaît soudain. Elle s'arrête de marcher et reste plantée là, debout sur sa branche basse, comme transie devant une abrupte évidence. Après quelques instants, elle déclare soudain :

-C'est d'autant plus difficile quand tu n'avais pas d'émotions à toi avant de ressentir les siennes.

C'est sans doute pour cette raison qu'elle a pu fusionner de cette façon avec Anaëh... Elle a découvert les sentiments qui composent le monde à travers les siens. Elle les ressent sans le moindre filtre. Bien sûr, elle a ses propres peurs, ses propres joies, ses propres tristesses... Mais, parfois, elle ne sait pas si ce sont les siennes... Ou bien si c'est la forêt qui s'exprime à travers elle. Peut-être est-ce là son rôle d'ailleurs ? Faire savoir ce que le forêt ressent ?
Cilastiel tourne son regard étrange vers Aegden pendant quelques instants. Malgelir ne sait pas mais lui il sait. Il l'a rencontrée avant... Avant que son maître ne la rappelle. Avant qu'elle ne finisse en Ithri'Vaan. Avant qu'elle ne cherche un remède à son état. Son visage était si lisse qu'il était évident qu'il n'avait jamais exprimé la moindre expression, ou si peu... La colère, la peur, c'était tout ce qu'elle connaissait. Cependant, elle ne dit pas cela pour se plaindre. Elle vient juste d'en faire l'amer constat... Et, de ce fait, c'est le seul point sur lequel elle aurait bien du mal à l'aider. La tristesse et la détresse qu'elle ressent sont bien à elle... Et cette plénitude, c'est Anaëh. Et l'heure passée ? Etait-elle vraiment sereine ? Elle n'en a pas la moindre idée.

Dans une forte inspiration, la jeune femme reprend son chemin, ne souhaitant pas s'attarder sur cette question.

-Quel est l'objet que vous allez chercher ? Reprend-elle sur un ton bien plus sérieux que le précédent.

Aegden avait connu une partie de l’histoire de la jeune femme, mais pas dans son entièreté. Par pudeur, il y avait des informations à propos de Macabre qu’il n’avait jamais demandé. Ça ne le regardait pas et d’autres s’occupaient déjà de la jeune fille inexpressive. Il n’avait donc jamais réellement cru qu’elle se trouvait réellement dénuée d’émotions, juste...sans l'éducation nécessaire pour les maitriser. Comme un très jeune enfant. Par conséquent, cela l’attrista de l’entendre dire de telles choses. Mais comme elle n’ajouta rien, il n’osa pas non plus et l’occasion mourût alors qu’elle se détourna et repris sa route.

-J’ai de bonne raison de penser qu’il s’agit du dernier emplacement d’une arme très ancienne. Intervint alors Malgelir, non sans un air un peu fier à la question qui suivit. Nous avons découvert certaines parties de l’histoire de son propriétaire, mais il y en encore pas mal de mystère qui nous échappent. Retrouver cette arme pourrait nous donner une autre perspective sur son et notre histoire. Une petite partie en tout cas.

-Et puis…Aegden tapota la lame de sa propre lance dans son dos. S’il reste quelque chose, c’est sans doute une lance. Je ne peux pas m’empêcher d’être vraiment curieux vu ce que les légendes racontent dessus…

Un nouveau silence s’installa avant que le mainyth ne lance un nouveau regard en biais vers la petite elfe.

-J’imagine que l’œuvre ne rien laissé entendre qui t’y fasse penser dans le coin… ? Tenta-t-il en sachant très bien que c’était vain, voir un peu idiot. On ne savait jamais…

Cilastiel ne comprend pas vraiment l'intérêt d'aller chercher une vieille arme probablement rouillée. Ils peuvent en faire de nouvelles dans les cités, non ? Cependant, quand Malgelir continue à expliquer leurs motivations, ça prend un certain sens dans son esprit. Elle admet que ça a l'air logique mais elle a toute fois une question.

-Mais... Si cette arme a été cachée dans un endroit aussi reculé... Il y a peut-être une raison, non ?

De ce qu'elle sait, les militaires tiennent à leurs équipements et se font souvent enterrer avec. Si cela n'a pas été le cas pour celle-ci, c'est que les elfes de l'époque avaient d'autres motivations. Elle ne pense pas nécessairement à quelque chose de grave mais plutôt à une volonté de l'ancien propriétaire afin que sa lance repose à un endroit différent de lui... L'emplacement d'un ancien combat ou un lieu qui a de l'importance à ses yeux. La reprendre, ce serait aller à l'encontre de ses dernières volontés.

A la requête d'Aegden, la petite elfe s'arrête et tend de nouveau l'oreille. Elle écoute les Voix mais aussi son cœur. Elle cherche un détail, une petite chose un peu dérangeante, comme quelque chose qui n'aurait pas sa place dans le décor ambiant. Puis elle finit par faire une moue dubitative.

-Nous sommes peut-être trop loin. Ou bien cet objet est là depuis si longtemps que les arbres eux-mêmes en ont oublié sa présence. Dans tous les cas, je ne perçois rien de ce genre pour l'instant.

-Je pense que l’endroit avait une signification pour celui qui l’a cachée et pour son propriétaire, expliqua tranquillement le mainyth quoi qu’un peu pensif. L’elfe qui possédait cette arme à visiblement disparu à un moment donné. Peut-être qu’il est mort, ou qu’il a fui la guerre… C’est ce qu’on suppose être un ami proche qui l’aurait emmené jusqu’ici. Et comme il en a laissé la trace…Je suppose qu’une partie de lui ne s’opposait pas à ce qu’un jour on la retrouve…

-Peut-être qu’il espérait que Celëbren lui-même réapparaisse. Suggéra Malgelir.
-Peut être… Difficile d'en avoir le coeur net pour l'instant.

Et le voyage s’ensuivit avec la même tranquillité monotone. C’était presque étonnant pour une fois...

◈◈◈◈

Lorsqu’il fut temps, le camp de la nuit avait été facile à monter, vu leur très petit nombre et leurs habitudes à tous en terme de voyage dans la prime œuvre. Fait rare, Aegden avait accepté de laisser Malgelir prendre le premier tour de garde du camp. Le mage avait été surpris de ne pas devoir batailler avec son ami, mais bien content, n’avait clairement plus insisté après avoir vite gagné gain de cause. Sans doute avait-il eut quelque chose en tête, mais cela resta un mystère pour le mage.

Quelques heures plus tard, le soldat dormait donc profondément, appuyé sans même le savoir contre son mathandil lui aussi endormit. Cilastiel elle, était étendue sur une épaisse branche et Malgelir se trouvait être le seul souffle éveillé des environs.

Il observait  d'ailleurs la petite noss, un peu pensif, se faisant sans doute quelque réflexion à propos de la manière dont il devrait tisser des liens avec elle les prochains jours. Mais soudain quelque chose attira  son attention dans un angle de sa vision. Avait-il aperçut une ombre filer dans un arbre ? Non…Sans doute un animal…

Se levant et se décidant à tout de même quelques pas dans le minuscule camp éphémère, il y eut un nouveau mouvement dans son dos, une minute ou deux plus tard. Le soldat émergeant comme il pouvait du sommeil, semblait alors surprit quand il se retourna vers lui.

-Malg’… Qu’est-ce qu’il y a ?
-Rien. J’ai simplement vu un oiseau je crois.
-Pourquoi tu m’as réveillé je ne comprends pas ?
-Je n’ai rien fait Aegden. Je n’ai pas bougé et Cilastiel a l’air de dormir encore. Tu as dû rêver.
-...Oui...probablement.

Il n’avait pas l’air très convaincu pourtant, certain d’avoir aperçu quelque chose près de lui. Achevant de se redresser tout à fait, ayant de toute façon perdu le sommeil pour de bon, il scruta les alentours.
L’espace d’une seconde, il s’était encore sentit observé. Mais pourtant, il n’y avait rien dans les ténèbres il en était certain. La symphonie quant à elle, elle était aussi douce et ténue qu’à l’accoutumée. Pas de danger donc, selon elle.

-On devrait lever le camps rapidement demain...Suggéra le mage, pas si serein que ça non plus finalement.

◈◈◈◈

Heureusement, le reste de la nuit n'avait plus vu d'incident survenir. Sachant qu'il ne parviendrait plus à retrouver le sommeil, Aegden avait proposé à son camarade de laisser son tour de garde, le temps que Cilastiel émerge. Plus d'ombre à relever, et le sentiment d'être observé qui s'atténua rapidement, l'incident passa alors au rang de mauvaise coïncidence dans l'esprit des deux citadins.

Pourtant leurs gestes étaient tout de même emprunts d'une légère hâtes lorsqu'ils durent repartir. Et alors qu'il avaient finit par quitter une sente, s’apprêtant à en rejoindre une nouvelle un peu plus loin, Malgelir s'agita.

-La carte...Souffla-t-il soudain horrifié en tenant un étui à parchemin vide. Elle n'est plus là !

Cilastiel a été surprise de voir ses deux compagnons de route déjà réveillés quand elle a ouvert les yeux. Elle a étiré un sourire amusé, se redressant sur ses coudes dans une postule nonchalante.

-Je dors très peu mais je crois que j'ai trouvé mes maîtres. A-t-elle dit sur le ton de la plaisanterie.

Car oui, la poignée d'heures qu'elle venait d'avoir lui suffisait amplement. Mais les taledhels n'avaient le cœur à rire... Ils lui expliquèrent alors ce qu'il s'était passé, ce qu'ils avaient cru voir et elle se mit aussitôt debout, comme la veille quand elle cherchait la présence d'un corps étranger à la forêt. Mais la réponse fut la même que la leur : elle ne percevait rien d'inhabituel. Et du reste de la nuit, il ne sera plus rien survenu. La petite elfe aura mis cela sur le compte de la nervosité et aura laissé ses deux comparses se recoucher, prenant la suite pour veiller sur le camp jusqu'à l'aube. Aux premières lueurs du jour, le matériel des citadins fut remballé en quelques minutes et le groupe reprit la route.

~~~~~~~~~~~~

Cilastiel tourne son regard vers Malgelir et penche la tête sur le côté, les plumes au-dessus de sa tête lui donnant un air curieux.

-Finalement, vous avez peut-être bien vu quelque chose cette nuit. Reste à savoir quoi... Dit-elle en observant les alentours, comme si cette "chose" était encore là. Le plus étonnant, c'est qu'elle n'a pas pris un objet qui se trouvait juste à sa portée. Elle est allé chercher quelque chose de caché...

Elle réfléchit. Un animal n'aurait pas fait cela. Ou alors un animal particulièrement intelligent mais comment savoir ce qu'est une carte et à quoi cela sert ? A moins qu'il les ait suivi et qu'il ait vu Malgelir la regarder encore et encore et où il l'a rangeait ?

-Qui ou quoi que ce soit, il veut nous empêcher d'avancer. Elle revient finalement sur les deux elfes, un sourire aux lèvres. Ou non faire une farce.

-Ce n’est pas une farce de bon goût si tu veux mon avis.

Aegden avait l’air inquiet, en légèrement renfrogné par ces nouveaux mystères, ceux-là plus qu’indésirés. Pourtant, il ne fit pas mine de vouloir ni s’arrêter, ni reculer. Courir après des pies voleuses ne leur servirait à rien.

-On aura qu’à se fier au soleil et à nos repères. Ajoutât-il. Allons près de Carrobelian et remontons vers le nord est. De toute façon, on ne retrouvera pas ta carte en faisant demi-tour.

Et alors, ils furent forcés de laborieusement traverser le bois, certes moins épais qu’en Alëandir, plutôt que de rester sur le confortable chemin rudimentaire tracé par les cycles de voyages. Cela leur pris un peu plus de temps, quoi qu’ils ne se débrouillaient pas si mal et il leur fallu encore quelques bonnes heures avant de se retrouver nez à nez avec le fleuve qui coupait le protectorat en deux.

Par instinct, Aegden avait mis pied à terre de Vailimo, et fixa l’onde agité de quelques remous relativement tranquilles.

-Il va falloir qu’on traverse. On m’a assuré que la zone était sans danger particulier mais j’ai de bonnes raisons de me méfier. Grimaça-t-il légèrement sans plus s'expliquer. Il pourrait ne pas y avoir que des poissons là-dessous. Il va falloir êtres prudents tous.

-Je n’ai pas particulièrement envie de finir trempé jusqu’à la taille. Boudat à son tour un Malgelir, soudain redevenu le mage citadin attaché à un certain confort. Il n’existe pas de passages ?

-Si, mais loin au sud, et on a plus de cartes.

Cilastiel est moins perturbée par la perte de la carte que par l'idée que quelqu'un soit parvenu à réaliser un tel vol sans que personne ne le détecte, que ce soit les deux mages ou bien ceux qui entendent la Symphonie. Mais rien n'a alerté la jeune femme qui n'a pas été tirée du sommeil. Quant aux raisons qui ont motivé cet acte, c'est une toute autre affaire. Est-ce en lien avec l'arme qu'ils vont chercher ou tout simplement un hasard ?
Quoi qu'il en soit, sous l'impulsion d'Aegden, le trio reprend sa route. L'ornedhelle reprend son manège de la veille, disparaissant à de multiples occasions mais nettement moins longtemps que la veille. Si quelqu'un ou quelque chose se mêle de leur voyage, elle préfère ne pas trop s'éloigner. Elle ne craint pas tellement pour sa sécurité mais elle a choisi d'intégrer temporairement ce groupe. S'ils ont des ennuis, alors elle aussi.

Le voyage est extrêmement silencieux et bien plus lourd. Parfois, Cilastiel reste à regarder ses compagnons pendant qu'ils la rattrapent, et même la dépassent. Elle sait faire preuve d'un peu plus d'empathie qu'autrefois et elle voit bien que quelque chose ne va pas. Depuis cette nuit, ils ont changé... Cela la rend presque triste de les voir ainsi.
Tandis qu'elle les observe, elle les voit s'arrête à quelques dizaines de mètres devant elle. Elle redresse alors la tête, lève une oreille, et elle comprend ce qui les a stoppé. Elle les rejoint en quelques instants, passant des branches d'un vieil arbre à la terre meuble et humide. Elle regarde la rivière qu'elle trouve plutôt agitée mais il pleut beaucoup en cette saison... Cependant, cela signifie aussi que, même s'il n'y a pas beaucoup de profondeur, la traversée va être difficile, voire dangereuse.

Soudain, après avoir entendu les deux taledhels geindre, elle se retourne en pivotant sur un pied, d'un air léger. Les mains dans le dos, elle prend un air innocent.

-Que feriez-vous sans moi ? Leur demanda-t-elle sur un ton qui n'appelait pas de réponse.

Elle se retourne de nouveau et, la paume à la verticale, elle décrit un rond devant elle. Alors, une vaste forme noire se crée et s'étend. Elle s'élargit jusqu'à atteindre une taille suffisante pour permettre à deux chevaux de passer. Puis elle avance et disparaît dans l'ombre qu'elle a créé. Après avoir fait quelques pas, elle se retournera pour voir s'ils la suivent et, si besoin, elle les appellera.
De l'autre côté du passage, le paysage reste de même... A ceci près qu'il n'y a aucune couleur. Si les branches ondulent, c'est sous l'effet d'un vent qui n'existe pas. Il n'y a aucun bruit, pas même le chant d'un oiseau, et encore moins de Symphonie. A l'oreille ou dans le cœur... Tout est interrompu.

-Bienvenue dans l'entre-deux mondes. Rassurez-vous, votre passage ne sera que de courte durée. Dit-elle d'une voix chaleureuse qui semble s'éteindre à peine émise.

Elle-même n'y passe plus autant de temps qu'avant. Il y a quelques années encore, elle restait le plus clair de la journée dans cet espace étrange et où toute vie a disparu. A l'époque, elle s'y sentait bien parce que cela lui correspondait. Mais elle est différente à présent et elle sait à quel point il peut être perturbant d'entrer ici lorsque l'on n'y est pas habitué.
Cilastiel leur présente une nouvelle fois son dos et avance. Elle se rend jusqu'au bord de la rivière grise et, cette fois, l'eau semble couler bien plus lentement, presque tranquillement. Elle y met un pied. Puis un deuxième. Avant de commencer à avancer. Là, à chacun de ses pas, c'est comme si un nuage d'ombre se soulevait. Une ombre qui, repoussée, s'échoue devant elle avant de venir combler le vide laissé par ses jambes après son passage. Mais elle continue à avancer, et ce ne sera qu'une fois de l'autre côté qu'elle ouvrira un passage de sortie.

-Je préfère le monde normal désolé de te le dire...

Malgelir frissonna en se forçant à mettre un pied devant l’autre dans cette espère de semi-néant. Aegden lui ne disait rien mais ne semblait pas non plus très à l’aise, observant les alentours difformes.

C’était étrange. Comme une impression de déjà vu, une impression de rêve. Tout était là, mais semblait s’évanouir au moindre contact. Comme fantomatique.

Perdu dans la contemplation de cet étrange monde, Aegden remarqua à peine Vailimo pousser son congénère équin du museau, comme pour convaincre la bête effrayée de continuer à travers le passage. visiblement les équidés non plus n'appréciaient pas l'espace dépourvu de vie...

Marcher dans l’eau d’ombre fut une autre épreuve. Leurs sens étaient trompés, déboussolés. A chaque pas, les taledhels prenaient une inspiration, comme si leurs pieds touchaient quelque chose pour la dernière fois avant la chute dans le vide. Mais non, chaque pas suivant, ils restaient debout, soulevant des nuages d’ombres autour de leurs chevilles.

Le temps sembla s’arrêter le temps de la traversée, les laissant flotter dans ce qui porter terriblement bien son nom : l’entre deux.

Et aussi soudain que cela n’avait débuté, tout ça s’arrêta alors qu’ils passèrent la deuxième ‘’porte’’ crée par Cilastiel.

L’espace d’un instant, le voyage s'interrompit, les citadins cherchant à reprendre pied dans leur monde, le monde tangible, chaud et coloré. Ils cherchaient leurs repères, magiques, symphoniques, visuels... Pourtant, on leur retira bien vite tout droit de ne serait que reprendre leur souffle. Aegden eut à nouveau la sensation d’être épié, cette fois terriblement forte  et il aperçut deux ombres au creux d'une branche mais aucun avertissement ne put sortir de sa bouche à temps.

-Aegden…

Ce qui semblait vouloir être un cri s’étouffa dans la gorge du mage, sous les yeux horrifiés de son ami qui fit de son mieux pour atténuer sa chute.

-Malgelir reste avec moi je t'en prie !

Le soldat s'agenouilla près de lui,terriblement inquiet. Quelque chose piqua sa gorge et il y porta sa main, secoué par une brusque terreur.Luttant de toute ses forces, son esprit chercha une explication, une réaction, mais le poison glaçait déjà son souffle, rapide et terrifiant. Bientôt ses doigts ne tenaient plus rien, ni sa lance, ni le dard. Ses jambes peinaient peu à peu à le porter jusqu’à l’abandonner.

La dernière chose qu’il vit avant de sombrer totalement, c’était une grande noss au regard dur, dominant de toute sa hauteur une Cilastiel désormais seule, et une phrase résonna dans ses oreilles.

-Ne t’en mêle pas sœur.

-NON !!!

Cilastiel sort de l'ombre à son tour alors que Malgelir tombe à terre. Bien vite, Aegden chancelle à son tour et la petite elfe se sent envahie par des émotions qu'elle n'avait plus ressentie depuis longtemps... La peur, pour commencer. L'incompréhension aussi. L'impuissance, qu'elle ne connaissait pas encore. Et la colère.

-Que leur avez-vous fait ?!

Alors que son ami tombe à terre, une Noss s'approche d'elle et, tout ce qu'elle trouve à lui répondre, c'est de ne pas s'en mêler. Elle sent alors une vague la submerger, remontant de son ventre jusqu'au sommet de son crâne.

-QUE LEUR AVEZ-VOUS FAIT ?!!!

Bien vite, Cilastiel distingue un mouvement parmi les feuillages ainsi qu'un sentiment d'urgence qui l'envahit. La forêt siffle de toutes ses forces à ses oreilles. Alors, la petite elfe déverse soudain sa colère. Une grande bulle noire se forme depuis le sol jusqu'au dessus d'elle avant de disparaître l'instant d'après...
Ainsi, en à peine quelques instants, plusieurs protagonistes de cette scène en ont été subitement retirés. Les deux taledhels, l'ornedhelle oiseau... et celle qui s'adressait à elle. Tous les quatre se retrouvent à présent plongés dans le noir. Mais le paysage est encore différent de celui que les citadins ont découvert un peu plus tôt. Ici, il n'y a pas de distinction entre le sol et le ciel. Il n'y a pas d'arbres, pas de rivière, pas de rocher. La Symphonie n'est plus là. Ici, c'est un vide noir et impénétrable que rien ne semble pouvoir vaincre.

Mais alors que la colère vient d'animer son geste, Cilastiel se sent chanceler... Est-ce que se sont ses émotions qui troublent sa vue ? Non... Sa tête lui tourne. Et, bientôt, son corps s'écroule, dévoilant la fléchette plantée dans son bras. La Noss se retrouve donc seule dans le néant. Que quoi... Pas tout à fait seule. Cette agitation de la Trame semble avoir attiré quelque chose. Elle peut sentir une menace planer autour d'elle, avoir l'impression de voir des formes se mouvoir dans la nuit ou des grognements lui parvenir... Elle n'est pas seule... Et elle n'a a priori aucun moyen de s'échapper. Pas sans l'aide de la toute jeune femme qui a déployé une telle puissance pour l'amener aussi loin dans l'entre-deux monde.

Avant qu'elle ne sombre a son tour, la grande noss la força sèchement à avaler le contenu d'une fiole qu'elle ouvrit précipitamment, les mains fébriles au pointde difficilement doser ce qu'elle versait et d'en faire couler dans les ténèbres. Il ne fallait pas qu'elle sombre, elle. Pas avant d'avoir levé sa malédiction.

-Ramène nous !

Elle hurla sur la plus petite alors qu'elle lui tenait les épaules et la secouait.

Ramène nous ou on va tous mourir ! Eux avec.

Elle avait peur et elle était en colère. Autour d'elle il n'y avait plus rien. Plus de vie,  plus de symphonie. Rien que les ténèbres et la folie. EIles ne pouvaient le percevoir mais au loins on hurlait. On hurlait son nom, on pleurait avec désespoir. Un mathandil se joignait aux appels désespérés, cherchant en vain son compagnon soudain disparu.

-Ramène nous. Répèta la noss comme une rengaine en se prenant la tête. Frère pitié où êtes vous...  

Elle pousa un gémissement. Ça faisait presque mal, ce silence. A tel point qu'elle en avait oublié les deux hommes inconscients. De toute façon elle venait de vider l'entièreté de son flacon dans la bouche de la petite femme oiseau.

-ARRÊTE ÇA PAR PITIÉ ARRÊTE.

-Du calme... Dit une voix faible et rauque.

Cilastiel s'éveille péniblement. Elle entend la voix étouffée qui crie dans le vide, provoquant d'autant plus l'agitation des créatures qui les épient dans le noir, mais elle ne peut guère faire plus que de lui parler pour l'instant. Elle a l'impression de ne plus avoir de corps... ou en tout cas qu'il ne répond plus. Elle parvient finalement à faire légèrement rouler sa tête d'un côté puis de l'autre mais elle a aussitôt l'impression que tout tourne autour d'elle... Les derniers instants avant son sommeil lui reviennent assez vite. Elle sait qui crie. Elle sait où elle est.

-Moi aussi je suis sourde ici...

C'est perturbant. Même dans son état...
Mais dans les souvenirs de la petite elfe, elle revoit aussi très nettement ses amis tomber. Alors, même si elle se sent très faible et qu'elle aurait besoin de prendre le temps de se réveiller et de se remettre, elle ferme ses poings. C'est à peine si elle sent que son corps lui obéit... Elle prend appui, se redresse sur ses coudes et lève la tête vers les Taledhels.

Contrairement à elle, ils ne bougent pas... Elle est de nouveau prise de peur et elle trouve en elle la force d'actionner ses bras pourtant si récalcitrants. Elle rampe jusqu'à eux. Malgelir est le premier qu'elle trouve. Elle tire sur ses vêtements pour le faire se passer du flanc au dos. Elle se hisse tant bien que mal au-dessus de lui. Elle le regarde et cherche des signes de vie. Mais ses yeux voient trouble... Alors, elle se laisse reposer sur lui, son oreille contre son torse. Elle perçoit son cœur... et sa respiration tranquille.

-Ils dorment ?... Comprend-elle.

Elle se redresse de nouveau et cherche Aegden. Il est tout près. Elle n'a qu'à tendre la main pour prendre son poignet. Il est vivant lui aussi... C'était juste un somnifère. Un somnifère dont son petit corps a du mal à se débarrasser malgré la dose d'antidote qui lui a été administré. Mais elle peut déjà être rassurée... Ce qui n'est pas le cas de la Noss qui les accompagne. Elle la regarde enfin, épuisée. Elle ne tirera rien d'elle tant que ce silence la pèsera. Elle doit la faire sortir, et vite. Alors, Cilastiel se tourne vers le néant. Là où des profanes ne verraient que du vide, elle sait s'orienter sans erreur. Elle est déjà venu jusqu'ici, une fois. C'est à partir de là qu'elle est parvenu à faire ce qu'elle est désormais incapable de reproduire. Elle était devenu son propre élément. Une ombre intangible et magnifique. Mais son Souffle ne connaît plus la paix qui l'habitait à l'époque... Elle vient d'en faire la démonstration.
La petite elfe pose une main sur le sol devant elle. Ses doigts s'agrippent à l'ombre et, puisant dans les forces qu'elle trouve, elle tire autant qu'elle le peut. Le petit groupe est projeté loin vers la surface, mais pas assez. Ici, il fait toujours noir. Seules les créatures qui les observaient ont manifestement disparu. Alors, elle recommence, laissant échapper un cri pour l'aider dans son effort. Cette fois, il fait toujours nuit mais une sorte de lueur le éclaire. Une lueur dont ils ne peuvent distinguer l'origine mais qui semble provenir de la direction dans laquelle Cilastiel les entraîne.

Ici, ils sont moins sourds... La Symphonie est à peine audible mais elle la sent... dans son cœur. Elle entend aussi d'autres voix qui n'appartiennent pas à Anaëh. Tous ont peur au-dehors mais elle a besoin de récupérer un peu. Elle utilise ses maigres forces au fur et à mesure qu'elles lui reviennent. Cependant, elle peut apaiser tout le monde... Il lui "suffit" de projeter sa voix hors des ombres.

-Elle va bien... Dit-elle à l'attention du clan, d'une voix qui ne laisse aucun doute quant à son état. Valimio... Aegden... dort. Laissez-moi... une minute.

Cilastiel tente d'avaler une salive absente. Sa bouche est pâteuse. Sa tête tourne. Elle ferme les yeux pour tenter vainement de s'apaiser. Son souffle est court. Elle est fatiguée... Mais il faut continuer. Alors, après un peu de récupération, elle recommence, se hissant sur le sol pour faire avancer non pas un, ni deux, mais quatre corps simultanément.
Après ce nouveau saut, ils peuvent apercevoir au loin un paysage connu... Celui d'une rivière sur la rive de laquelle attendent avec inquiétude et impatience plusieurs silhouettes. Mais la petite elfe peine de plus en plus et cette maigre distance lui semble si grande... Les faire sortir tous en même temps s'avèrera trop difficile. Elle regarde la Noss qui l'accompagne. La seule à être réveillée mais qui lui ait aussi utile que les deux endormis. C'est celle qui souffre le plus ici... Alors, elle tend une main vers elle, et sans lui laisser l'occasion de la saisir, elle la pousse dans les ombres jusqu'à l'herbe verdoyante de la rive où elle retrouvera tous ses sens ainsi que les siens.

Quelques instants plus tard, les deux Taledhels rouleront aussi en sortant de nulle part.

Et, finalement, Cilastiel arrivera à son tour dans un cri rappelant la douleur. Épuisée, elle ne trouvera plus ni la force de se lever... Ni même celle de rester éveillée.

Ils avaient étés déplacés dans leur inconscience. Se souvenant d’être tombé sur la rive, Aegden repris connaissance non loin mais les poignets fermement lié par de grosses lianes autour d’un jeune arbre contre lequel on l’avait appuyé. Reprenant doucement ses sens, il sentit une main relever son menton, avant même que ses yeux clairs ne se rouvrent sur une silhouette étrange. C’était un elfe, du moins en avait-il l’air à première vue. Pourtant, lorsque sa vision s’éclaircit, il remarqua deux cornes tirées en arrières, et une queue reptilienne battant l’air près de deux pattes se terminant par de longues griffes. Comme la main de l’ailinis s’aventura sans pudeur sur la joue  traversée de plusieurs cicatrices du soldat, ce dernier s’agita un peu. D’ailleurs il remarqua à ce moment seulement qu’il était attaché et qu’on l’avait privé d’arme et armure.

Ouvrant de grand yeux apeurés et retirant sa main comme s’il venait de se brûler. La nymphe recula un peu, laissant alors entrevoir le reste de l’espace au citadin prisonnier.

A quelques mètres, il y avait la grande noss, prostré sur le sol, mains entre sa poitrine et ses genoux. Elle semblait fixer une Cilastiel encore endormie et n’ayant d’ailleurs aucune entrave Il y avait un récipient vide à ses côtés. Malgelir lui, n’était nulle part dans son champs de vision immédiat. Il n'y avait pas non plus d'autres noss de visible, sans doute y en avait-il un ou deux d'autres dans les branches mais pas plus.

-Malgelir… Cilastiel… où…?  Qu’est-ce que vous leur avez fait…

-Il ne répondra pas, inutile de gaspiller ton énergie.

Une voix masculine s’éleva soudain dans les branchages. Un autre ornedhel au visage marqué par les âges finit par s’en extirper et calmement s’agenouilla près du soldat, après un geste à la nymphe qui s’envola dans un nuage de plumes noir et blanc d’une pie et se posa sur une branche au-dessus d’eux.  Il soupira un instant, l'air désappointé par ce qu'il observait chez le citadin.

-Ta sœur va se réveiller. Elle s’est épuisé pour toi et ton autre frère mais elle va bien.

D’ailleurs, comme si ses mots avaient fait office de prophétie, Cilastiel s’agita, montrant effectivement des signes de début de réveil. Aegden en était soulagé, même s'il ne savait toujours pas ce qui était advenu de Malgelir alors il grogna.

-Libérez nous. On ne vous a rien fait.

-Vous êtes trop dangereux pour ça. Le noss secoua la tête, comme ayant l’air de faire la morale à un enfant mais gardant le même ton égal. Aegden remarqua que le noss jouait avec le bracelet auparavant à son propre poignet, qu'on lui avait aussi retiré dans son sommeil. Autant pour vous-même que pour nous.

La respiration calme et régulière de la petite elfe se fait un peu plus rapide. Son Souffle émerge très lentement des brumes dans lesquelles elle a plané tout ce temps. Elle a beau avoir dormi longtemps (bien plus qu'à son habitude en tout cas), elle se sent encore faible. Mais ce n'est plus de sommeil dont son corps à besoin...
Son esprit effleure la surface et elle fronce les sourcils. Elle remue légèrement la tête. La remontée et difficile et la quiétude qui l'entoure ne la force pas à aller plus vite qu'il ne le faudrait cette fois. Elle ne se souvient pas s'être endormie...

Finalement, elle ouvre les yeux dans un clignement de paupières. Ils sont secs... Aussi sec que sa bouche. Au-dessus d'elle, elle distingue une forme dans les branches. Elle croit à un elfe puis elle remarque des mouvements derrière lui qui ne devrait pas y être. Mais sa vue est trouble alors elle a beau plisser les yeux, elle ne comprend pas ce qu'elle voit. Dans un soupir, elle abandonne, tournant plutôt la tête sur un côté.

Elle distingue des arbres... Mais un d'eux est tout proche. Il y a plusieurs formes au sol... Des gens ? A bien étudier les contours, elle en a bien l'impression. Oui, cela lui revient... Elle n'était pas seule ces derniers jours.

-Aegden...

Sa voix n'est qu'un chuchotement rauque à peine audible et sa gorge est tellement sèche qu'elle n'arrive pas à prononcer le nom de Malgelir. Mais tout ce qu'elle veut, c'est les retrouver et c'est ce qui la pousse à tenter de se retourner faiblement avec pour objectif de finir debout. Mais passer du dos au flanc est déjà une épreuve pour la petite elfe qui souffre encore de ses derniers efforts. Si elle a reposé son Souffle, son corps est toujours en carence.

-Cilastiel…Aegden appelle son amie en retour en percevant son infime appel, tirant sur ses liens. Par la mère, gardez-moi si vous voulez mais ne lui faites pas de mal !

-C’est bien ce que je te dis Taledhel. Vous êtes les seuls à voir du mal dans tout ce qu’on fait, alors que vous vous blessez tout seul. Vous croyez qu'on est juste là pour vous faire du mal ?  Est-ce que tu t'es soucié une seule seconde, ce que vous, vous avez fait ?

L’ornedhel secoue à nouveau la tête, sans faire mine de bouger. Aegden s'apprête à répliquer mais quelqu’un lui coupe la parole.

-Seul. Croasse la voix de la nymphe au-dessus d’eux.

Un gros mirguna longe l’arbre sur lequel il était perché et s’approche de la petite elfe à moitié endormie avant de reprendre sa forme humanoïde. Sans se soucier le moins du monde du conflit entre les deux anedhel, ni même de l’autre noss encore prostrée à coté, il manipule Cilastiel, comme cherchant ce qui n’allait pas chez elle. De la même manière qu’avec Aegden, il ne semble pas le moins du monde avoir notion de l’espace personnel de la jeune ornedhelle. Il la touche, examine chaque angle de son visage. Il la redresse délicatement, se penche, renifle. Sa queue bat l’air et puis soudain…il est une corneille face à elle, qui penche sa petite tête sur le côté.

-Seul. Soeuuur. Croisse-t-il.

Le spectacle a coupé net la querelle des deux elfes, qui ont tous les deux observés la scène sans un mot.

Quelqu'un aide la faible ornedhelle à se relever et à s'asseoir. Elle passe une main sur son visage. Sa tête est si lourde... Et le poids de son masque n'a rien à voir avoir ça. Elle s'est rarement sentie aussi fatiguée. C'est encore différent de lorsqu'elle a été blessée et presque exsangue par les ombres. Entendant une voix étrange lui parler, Cilastiel rouvre les yeux, son regard aussitôt attiré par un mouvement juste devant elle. Elle distingue alors un oiseau dans son maigre champ de vision à peu près clair. Elle fronce des sourcils intrigués et penche la tête sur le côté. Il n'y a apparemment personne d'autre qui ait pu l'aider à se relever. A-t-elle rêvé ?

D'un geste lent et las, elle saisit le bec de son casque pour l'abaisser devant son visage. Désormais à moitié oiseau elle aussi, elle s'affaisse, prenant appui sur ses mains pour se mettre à la hauteur du volatile. Il répète ces mots...

Seul...

-Oui... De plus d'une façon. Lui répond-t-elle de sa voix abîmée et pourtant douce.

Puis elle se redresse, toujours avec la même lassitude. Elle relève son masque et se tourne de nouveau vers ces formes qu'elle a aperçu près d'elle. Elle plisse les yeux et parvient à les distinguer un peu mieux que tout à l'heure. Certaines caractéristiques lui font penser à une silhouette connue.

-Aegden ?

Prenant appui sur ses mains, Cilastiel tente de se lever mais à peine a-t-elle détaché ses doigts du sol qu'elle retombe aussi sec en position assise. Elle manque de force et le sol semble bouger sous elle. Elle secoue vainement la tête pour tenter de retirer cette sensation désagréable de tournis. Alors, une ombre s'approche. Elle n'a pas le temps de lever les yeux vers elle qu'on lui présente un petit récipient pour l'aider à en boire le contenu. En plus d'être dans les vapes, la petite elfe se sent en confiance. Même la forêt autour d'elle est paisible. Alors elle boit, sans se poser de question. Les secondes passent et, rapidement, elle ressent les effets de la décoction. Le sol semble se stabiliser peu à peu sous son corps. Ses yeux et sa bouche deviennent rapidement moins secs et elle parvient à voir un peu plus loin et un peu mieux. Elle comprend quelle est la nature des différents protagonistes qui l'entourent, à l'exception de la nymphe qu'elle n'a pas vu se transformer.

-Aegden... Qu'est-ce qu'il se passe ? Elle fronce les sourcils sur ses mains. Tu es attaché ? Pourquoi ?...

L’air inquiet qu’Aegden affichait en observant la petite noss tenter de se relever en vain se transforma bien vite en colère à l’encore de son geôlier. Ses prunelles anthracites semblèrent lancer un défi au noss : qu’il se justifie donc.

-Parce que ce sont des voleurs et des menteurs.

Il se releva brusquement, sans lâcher le regard du citadin et agitant toujours son bracelet dans ses doigts. Il semblait en colère, mais presque…blessé. Par instinct, Aegden ne répondit pas, le laissant continuer. Il voulait savoir ce qui avait provoqué tant de ressentiment lui aussi. Et pour une fois, il ne voulait pas simplement chercher des excuses. Il voulait comprendre.

-Vous pillez et vous détruisez sans cesse, sans même vous en rendre compte. Toi, ton ami, tous. Vous êtes tous les mêmes. Un vrai cycle sans fin. D'ailleurs je ne serait même pas surpris que tu ait volé ce que tu porte si fièrement au poignet...

Se tournant vers la petite noss qui avait posé la question, à l’origine, il se pencha vers une sacoche abandonnée non loin et y plongea la mains l’espace d’une seconde avant de brandir quelques parchemins abîmés. LEs jetans au pieds du taledhel, ce dernier put reconnaitre l'écriture du mystérieux propriétaire du journal. En revanche ses pages , il ne les avaient encore jamais vues.

-Tes amis ne sont pas les premiers à venir ici. Un autre avant est venu. Il y a quelques années. Il voulait la même chose qu’eux, avec une avidité sans nom.

-Seul !

La nymphe corneille intervint, sautant sur l’étrange coiffe de Cilastiel. L’espace d’une seconde, l’ornedhel lui adressa un regard non plus empli de haine mais d’affection, et de tristesse. Il lui fit quelques signes des doigts, auquel l’oiseau répondit d’un battement d’aile. Sa colère soudain envolée, il soupira avant de trouver la force de s’expliquer.

-Nous l’avons trouvé quelques temps après.

-Seul !

-Il était blessé, gisant là, tout seul au milieux d’un champ de mort. Le sol était éventré, une autre nymphe était morte. Des arbres à moitié éclatés çà et là…Les nymphes sont des créatures sociables. Alors on l’a soigné et il nous a pris pour son groupe. Nous sommes devenus son groupe.

-grrrrpe

-C’était votre frère qui a créé tout ça. Ajoute soudain la grande noss d’une voix lente. On l’a aidé, on l’a orienté, on l'a même abrité. Et pour remercier l’œuvre, il a tout détruit sur son passage... Tout ça pour quoi… ? Un bout de métal stupide. Et vous, vous recommencez. Vous allez détruire, et vous détruire avec... Pour un objet qui ne sème que la mort.

-Tu tiens tant à eux, sachant ça, sœur ? Sachant de quoi ils sont capables?